Abbaye d'Hautecombe
Vue générale de l'abbaye depuis l'embarcadère du nouveau port
L'abbaye royale d'Hautecombe est une abbaye en activité située dans la commune de Saint-Pierre-de-Curtille sur la rive occidentale du lac du Bourget, en Savoie.
Elle a été fondée en 1125 par Amédée de Lausanne, avec l'aide
du comte Amédée III de Savoie et l'appui de Bernard de Clairvaux, et
construite durant le XIIe siècle par des
moines cisterciens.
Elle est particulièrement connue pour être la
nécropole de la Maison de Savoie (comtes de Savoie, leur famille, et
quelques membres de la famille ducale de Savoie) puis de quelques-uns
des rois et reines d'Italie.
Après une période active et prospère jusqu'au début du XVe siècle,
l'abbaye, comme nombre d'autres maisons religieuses à cette époque,
tombe sous le régime de la commende (gestion des biens matériels par une
personne extérieure à l'abbaye), et la piété de la vie religieuse s'en
ressent fortement. Les vocations se font graduellement moins nombreuses
jusqu'au XVIIIe siècle, et la vocation
de nécropole est complètement perdue. La Révolution française (qui
agrège la Savoie indépendante à la France sous le nom de département du
Mont-Blanc) chasse les rares derniers moines et détruit une partie de
l'édifice.
L'abbaye revient dans le royaume de Sardaigne après le congrès de Vienne au début du XIXe siècle.
Elle est alors reconstruite en style baroque troubadour par la volonté
du roi de Sardaigne, Charles-Félix de Savoie (1765-1831) et de
Marie-Christine de Bourbon-Siciles. Les travaux sont menés sous la
conduite de l'architecte Ernesto Melano. L'abbaye est à nouveau confiée
aux cisterciens à partir de 1826 ; elle retrouve sa fonction de
nécropole des souverains avec l'inhumation du couple royal.
L'annexion
de la Savoie à la France de Napoléon III en 1860 ne modifie pas le
régime de l'abbaye. Elle appartient à une fondation privée fondée par
Charles-Félix et dirigée par l'abbé de la communauté religieuse qui
occupe les lieux. Bien que relativement épargnée par la loi de
séparation des Églises et de l'État en 1905, l'abbaye fait face à une
crise après la Première Guerre mondiale, qui amène le remplacement des
cisterciens par des moines bénédictins de 1922 à 1992. Durant la Seconde
Guerre mondiale, Hautecombe héberge temporairement des religieux
polonais. Ceux-ci sont arrêtés par la Gestapo dans l'enceinte de
l'abbaye.
À
la fin des années 1980, les bénédictins décident de quitter l'abbaye
d'Hautecombe, devenue trop touristique. Ils partent pour l'abbaye
Notre-Dame de Ganagobie et demandent à la communauté du Chemin Neuf de
venir les remplacer. Celle-ci accepte de s'y établir en 1992. Cette
communauté s’inspire à la fois de la spiritualité de saint Ignace de
Loyola et de l’expérience du renouveau charismatique. Elle organise en
particulier des sessions de formation théologique.
L'abbaye d'Hautecombe au bord du lac du Bourget, vue depuis le belvédère du mont de la Charvaz
L'abbaye d'Hautecombe vue depuis le lac du Bourget
Situation géographique
L'abbaye
royale d'Hautecombe, sise sur un éperon de la côte sauvage de la rive
occidentale du lac du Bourget, au pied du mont de la Charvaz, est située
sur le territoire de la commune de Saint-Pierre-de-Curtille, à 5 km du
centre du bourg et à moins d'un kilomètre de la commune d'Ontex. Elle se
trouve à environ 10 km au nord-ouest d'Aix-les-Bains, 15 km au nord du
Bourget-du-Lac, 25 km au nord de Chambéry, et 45 km au sud-ouest
d'Annecy. L'abbaye d'Hautecombe est la seule abbaye cistercienne érigée à
proximité immédiate d'un lac naturel.
Histoire
Préhistoire
Le
site d'Hautecombe, dès avant notre ère, avait paru favorable à
l'établissement d'une cité lacustre, édifiée à une époque imprécise, à
quelques centaines de mètres au sud de l'abbaye. Cette cité était assez
réduite, plus en tout cas que celles édifiées sur les autres rives plus
favorables du lac du Bourget. Les modestes restes en ont été découverts à
la fin du XIXe siècle, et mentionnés
par Laurent Rabut (de la Société savoisienne d'histoire et
d'archéologie) dans son premier mémoire Les Habitations lacustres de la
Savoie. Ils ont été datés d'entre 3842 et 3835 avant Jésus-Christ.
À
ce titre, et avec d'autres sites palafittiques préhistoriques autour
des Alpes, le site d'Hautecombe est classé depuis le 27 juin 2011 au
Patrimoine mondial de l'humanité sous le numéro F-73-06. Le classement
général de l'UNESCO identifie le site d'Hautecombe sous le numéro
1363-067, représentant un site de 2,03 hectares (160 × 60 mètres),
complété par une zone tampon de 5,7 hectares, situé dans la baie sud
d'Hautecombe (au sud du vieux port). Le classement au patrimoine mondial
a par ailleurs amené un classement à l'inventaire des Monuments
historiques le 24 octobre 2011. À la différence de l'abbaye, qui est
propriété de la fondation d'Hautecombe, ce site est propriété de l'État.
Antiquité
Au Ier siècle
de notre ère, un temple gallo-romain dédié à Auguste se dressait à
l'emplacement actuel de l'abbaye. Une inscription en témoignait encore
au XIXe siècle, notée sur une auge de pierre :
Ce
nommé Caïus Sennius, surnommé Sabinus, notable de la province
sénatoriale de Vienne, est connu pour ses goûts fastueux et sa
générosité ; il exerçait la fonction de préfet des ouvriers ; à Genève
(Genua), il avait érigé un temple en l'honneur de Mars Auguste, et
d'autres dans le pays de l'Albanais.
Fondation de l'abbaye
Prieuré originel
Au tout début du XIIe siècle
(en 1101) est fondé le prieuré d'Hautecombe, situé à Cessens dans le
massif de la Chambotte, au lieu-dit « plateau de Paquinôt », au pied du
Fornet, dans la « vallée Sessine ». Des moines de l'abbaye d'Aulps,
« désirant embrasser la vie érémitique, arrivèrent à un lieu, alors
plein d'horreur et de solitude, appelé Hautecombe. Là, ils bâtirent un
oratoire et menèrent une vie sainte et solitaire [selon la règle de
Saint-Basile]… »
Ce lieu, appelé combe de Vandebert en 1126, combe de Valper au XVIe siècle, est aujourd'hui situé entre les hameaux des Granges et du Topy.
Ce
terrain est donné aux moines par Gauthier d'Aix à l'abbé Varrin, vers,
mais après qu'ils sont déjà installés : « Au nom du Seigneur, moi,
Gauterin, je donne à la bienheureuse Marie des Alpes et au seigneur
Varrin, abbé de cette église, pour le repos de mon âme, de celle de tous
mes ancêtres et de mon fils Gauterin, une terre autrefois appelée
vulgairement le Fornet et aujourd'hui la Combe, située dans le pays
d'Albanais, sur la montagne où se trouve le château de Cessens.
Rodolphe, du château de Faucigny, sa femme, son père, ses frères et ses
fils ont approuvé cette donation », donation qui fut par ailleurs
confirmée par Amédée III. De ce prieuré ne restaient à la fin du XVIe siècle
qu'« une partie de l'édifice encore debout, plusieurs autres vestiges
des bâtiments, tels qu'un puits, un vase vinaire », et, dès le milieu du
XIXe siècle, « aucun pan de mur » encore debout.
Changement d'affiliation religieuse
Le
21 mars 1098, Robert de Molesme et vingt-et-un autres moines clunisiens
quittent Molesme pour aller fonder l'abbaye de Cîteaux qui aboutit à la
création de l'ordre cistercien, promu notamment par Bernard de
Clairvaux au début du XIIe siècle. Cette
observation plus exigeante de la règle de saint Benoît remporte un
franc succès et attire de nombreuses vocations.
Bernard
de Clairvaux, pour aller à Rome, appelé par Innocent II, est obligé de
traverser les Alpes, notamment la Chambotte, et vient donc à rencontrer
les moines de Cessens. Il se méfie de la vie d'ermite, plus susceptible
de dérives que la vie en communauté, et conseille en conséquence aux
moines de Cessens une évolution de leur vocation. Sous son influence,
saint Guérin et les moines d'Hautecombe décident de se rattacher à
l'ordre cistercien, ce qui est fait le 14 juin 1135. L'abbaye
d'Hautecombe rejoint alors la très prolifique filiation de Clairvaux.
L'emplacement,
quoique relativement désert, est considéré par les moines comme trop
passant, leur mode de vie étant très retiré. Ils cherchent donc un lieu
plus isolé. Suivant les conseils de saint Bernard, qui revenait d'une
tournée en Allemagne et en Italie, et après avoir eu la vision d'une
lumière s'élevant de Cessens pour éclairer les roches de Charaïa, ils
choisissent ce dernier emplacement pour leur nouvelle abbaye, qu'ils
appellent également Hautecombe.
Le nom Hautecombe est donc inadapté à sa situation géographique et ne reflète que le souvenir de son ancienne implantation.
Site actuel
Les
deux sites d'Hautecombe : l'ancien (derrière la crête du massif de la
Chambotte, au fond) et le nouveau (sur les rives du lac du Bourget, en
bas au premier plan.)
Claudius
Blanchard, se fondant sur la donation faite par Amédée III à l'abbé
d'alors, Amédée de Lausanne (futur évêque de Lausanne), et qui passe
pour premier abbé d'Hautecombe, estime que le transfert de l'ancien site
de Cessens à l'actuel de Charaïa s'est effectué en 1125. On retrouve en
effet cette date dans les documents historiques, et elle est
généralement admise jusqu'au XIXe siècle.
Mais les études historiques depuis Claudius Blanchard s'accordent pour
dire que le document a probablement été antidaté (sans doute par Samuel
Guichenon). L'acte est plus vraisemblablement de 1139, puisque la
donation est faite au nouveau prieur Amédée, successeur de Vivien. Ce
dernier était encore novice à Cîteaux en 1125.
La donation est faite en ces termes :
« Moi,
Amédée, comte de Savoie, avec le suffrage de mon épouse, je donne à
Dieu et à la bienheureuse Marie, à Amédée, abbé d'Hautecombe, et à ses
frères du même lieu, tant présents que futurs, sans aucune restriction
frauduleuse, la terre allodiale que j'ai ou que j'ai le droit d'avoir,
sur la rive du lac de Châtillon, comprenant prés, champs, arbres
fructifères et infructifères, etc., appelée autrefois Charaïa et
Exendilles [aujourd'hui « Château Saint-Gilles », environ deux
kilomètres au nord de l'abbaye] et actuellement Hautecombe. »
En
réalité, les sites n'étaient pas déserts : Charaïa et Exendilles
étaient deux petits villages, particulièrement pauvres. La chapelle de
Charaïa s'élevait à l'emplacement de la chapelle Saint-André actuelle et
daterait du XIe siècle ; cette chapelle aurait repris des éléments (sarcophages) datant du VIIe ou du VIIIe siècle. Les moines construisent l'abbaye à Charaïa et une grange à Exendilles.
L'abbaye
étant à peu près dénuée de ressources, les princes de Savoie tentent de
lui en octroyer, notamment Humbert III, qui « donne à Dieu et à sainte
Marie d'Hautecombe, pour le salut de son âme et de celle de ses
ancêtres, vingt livres de poivre à prendre chaque année sur le péage de
Suse le jour de la Fête de saint André », et Sibaud II de Clermont, son
oncle. Une des raisons probables de la donation de Charaïa aux moines
est le désir qu'ils contrôlent pour le compte de la maison de Savoie la
grande voie de communication que constituent le lac du Bourget et son
prolongement du canal de Savières. Le nouveau site d'implantation était
tellement difficile d'accès que la première église n'était accessible
que par l'eau.
Une
des caractéristiques notables d'Humbert III est sa piété et son
attirance vers le mode de vie monastique. Après le décès de sa troisième
épouse, Clémence de Zähringen, il veut faire vœu monastique, mais comme
il n'a pas de descendance, ses sujets lui demandent de se remarier.
Après de longues tergiversations, il épouse donc Béatrice de Vienne,
dont il a un fils, Thomas, qui est son héritier sur le trône de Savoie.
Il aurait pris l'habit monastique peu avant sa mort, survenue à
Hautecombe ou à Chambéry le 4 mai 1189.
Moyen Âge
Organisation
Sceau de l'abbaye d'Hautecombe (document datant de 1220)
La
prospérité de la nouvelle abbaye est précoce (il semble que l'église
abbatiale était en voie d'achèvement en 1153 et l'essentiel des
bâtiments déjà construit en 1159), à tel point que saint Bernard,
surpris de cet accroissement, aurait prononcé ces paroles fatidiques :
« Altacumba, nimis alta cades » (« Hautecombe, tu es trop prospère, le
jour de ta chute arrivera »). Cependant, il semble évident à Romain
Clair que ces paroles ont été attribuées à Bernard a posteriori. Quoi
qu'il en soit, les travaux de l'église abbatiale commencent très
probablement dès 1139 ou 1140, et sont certainement achevés à la mort de
saint Bernard (1153), ce qui correspond à une moyenne très raisonnable
parmi les églises cisterciennes d'époque.
La
croissance de la nouvelle fondation est en tout cas telle que, dès
1135, l'abbaye de Fossanova, jusqu'alors bénédictine, s'affilie à celle
d'Hautecombe, qui y envoie de nombreux moines pour constituer ce qui est
alors, sinon la première fondation cistercienne en Italie, du moins la
première de la filiation de Clairvaux. Soixante ans plus tard, et à
l'occasion des croisades qui offrent de nouvelles possibilités
d'évangélisation en Orient, l'abbaye d'Hautecombe envoie des moines en
Achaïe ; ceux-ci fondent l'abbaye de Zaraka et peut-être celle d'Isova ;
plus à l'est encore, à l'occasion de la quatrième croisade, les
religieux d'Hautecombe fondent l'abbaye Saint-Ange de Pétra en 1214.
Dans les deux cas, cette aventure « orientale » dure peu de temps : les
Byzantins chassent les croisés de Constantinople en 1261, détruisent
l'abbaye d'Isova en 1263 et l'abbaye de Zaraka est fermée vers 1275.
La liste complète des moines n'est systématiquement dressée qu'à partir du début du XVIe siècle.
Avant, le nombre et l'identité des moines demeurant à Hautecombe n'est
connue que par fragments. On sait qu'en 1190 l'abbaye compte dix-sept
moines (dont quatre convers) ; en 1201, vingt-deux (dont deux convers) ;
en 1356, trente-huit ; trente-neuf en 1395, nombre qui redescend à
vingt en 1422. Cette dernière baisse est probablement à mettre en
rapport avec la forte mortalité européenne du début du XVe siècle,
due entre autres à la peste noire. Le nombre de moines toujours
inférieur à quarante s'explique peut-être par l'obligation, édictée par
Benoît XII (dans ses bulles Fulgens sicut stella et surtout Summi
magistri dignatis, pour tout monastère cistercien comptant plus de
quarante religieux, d'envoyer un moine faire des études de théologie à
Paris. Dom Joseph-Marie Canivez a cependant recensé la trace de
plusieurs passages de moines étudiants au collège des Bernardins, au
moins un au studium de Toulouse et un à l'abbaye de Berdoues.
La
plupart des moines sont originaires de la région (Chautagne, Albanais,
Combe de Savoie, Bugey) ; cependant, on en trouve venant de régions un
peu plus éloignées (Lyonnais, Bourgogne, Dauphiné ; d'Italie, et même au
moins un moine du Yorkshire). Il n'est d'ailleurs pas rare, surtout au
cours de la période de prospérité de l'abbaye, que certains moines
soient mis au service des paroisses environnantes (notamment
Saint-Pierre-de-Curtille et Saint-Innocent).
Revenus, possessions et influence
À
ses débuts, les possessions de l'abbaye ne se constituent que de
Charaïa, c'est-à-dire de trente hectares environ donnés par Amédée III.
Mais ces maigres possessions, principale ressource des moines,
s'accroissent très rapidement, principalement par des dons. On relève,
en 1125, parmi ses bienfaiteurs, Bernard de Chevelu. Les terres
possédées par l'abbaye se trouvent principalement en Chautagne, sur les
rives du lac du Bourget, dans le massif des Bauges, dans l'Albanais, le
Bugey : mais également des terres situées « dans le plus grand
éloignement » : dans la région de Lyon, le Genevois, le Dauphiné, les
Baronnies et jusqu'à Pierrelatte.
Une
autre source de revenus se constitue à Hautecombe dès le règne
d'Humbert III, qui aime beaucoup venir y prier. En effet, sa femme
Clémence de Zähringen étant morte prématurément, il en conçoit un grand
chagrin et souhaite fréquemment se recueillir sur sa tombe ; aussi il
demande, et obtient, que se femme soit enterrée dans le cloître
d'Hautecombe. Puis, logiquement, à sa mort, il veut être enterré à ses
côtés, et la tradition se perpétue. Ainsi l'abbaye devient-elle la
nécropole de la Maison de Savoie (voir ce paragraphe, ci-dessous). Le
monastère reçoit en conséquence une rente annuelle pour prier pour l'âme
des défunts.
Durant le début du XIIIe siècle,
l'abbaye reçoit de nombreuses donations, surtout dans le pays de
l'Albanais et le haut pays d'Aix. Le fils d'Humbert III, Thomas Ier,
lui accorde de nombreux privilèges concernant le commerce, la
possession foncière, la chasse, et lui fait de multiples donations
directes ; notamment le 11 novembre 1203, où il octroie à l'abbé une
charte et, en 1209, où, toujours dans une charte, le comte accorde à
l'abbaye des privilèges. Sous Robert, abbé d'Hautecombe au début du XIIIe siècle,
l'abbaye reçoit de nombreux dons, surtout en terrains de la région.
L'évêque Anselme de Patras en Grèce donne de l'argent qui sert à
l'aménagement intérieur de l'église, et deux reliques : la tête de
sainte Irène de Thessalonique, qui devient la patronne de l'abbaye et
des bateliers du lac, ainsi qu'un doigt de saint André.
La
chapelle des religieux du Saint-Esprit à l'entrée du pont sur le Rhône,
géré par l'abbaye d'Hautecombe. Gravure d'après une ancienne estampe
issue d'Histoire des églises et des chapelles de Lyon, page 32.
À
la fin du règne d'Amédée V, l'abbaye d'Hautecombe est une véritable
puissance féodale, détentrice de nombreux droits suzerains, sauf ceux
spécifiquement comtaux, notamment en matière d'urbanisme et de justice.
Ses possessions s'agrandissent fortement, notamment dans les Bauges (sur
les pentes du mont Margériaz, à Jarsy, Arith, Bellecombe-en-Bauges,
etc.). Les archives de Turin gardent la trace de nombreux litiges
territoriaux entre l'abbaye et les juges des châtellenies et bailliages
de Lavours et Lignin.
Au début du XIVe siècle,
c'est Conrad qui est abbé d'Hautecombe, avant de prendre en charge
l'hôtel-Dieu de Lyon puis de devenir, en 1313, abbé de Clairvaux. Outre
l'hôtel-Dieu, l'abbaye reçoit la charge de l'aumône générale de Lyon,
établissement destiné aux pèlerins, et celle de l'entretien du pont
voisin jeté sur le Rhône, devenu aujourd'hui le pont de la Guillotière.
Cet établissement hospitalier avait été fondé par Jean de Faverges qui
le confie aux cisterciens d'Hautecombe, sous la juridiction desquels il
reste environ trois siècles. À l'apogée de sa prospérité, les dons et
legs faits à l'abbaye lui permettent d'étendre les terres qu'elles
contrôle du Genevois à Pierrelatte.
D'autre
part, les abbés sont parfois choisis par les souverains de Savoie comme
exécuteurs testamentaires. L'abbé Robert reçoit une mission spéciale du
pape Grégoire IX concernant les indulgences relatives aux aumônes
destinées à la construction de la grande église de Genève, les travaux
de construction de celle-ci étaient interrompus du fait de la révocation
des indulgences initialement promises. Par la suite, l'abbé Robert se
voit confier par le pape d'autres missions diplomatiques, au premier
rang desquelles son action de 1233 (conjointe avec celle de l'archevêque
de Sens Gaultier le Cornu) auprès du roi Louis IX pour lui conseiller
de ne pas entrer en guerre contre l'Angleterre d'Henri III, mission
couronnée de succès.
- Liste des abbés réguliers d'Hautecombe.
- 1135-1139 : Vivien ;
- 1139-1144 : Amédée de Clermont d’Hauterives ;
- 1144-1159 : Rodolphe (en tout cas, il est attesté abbé en 1156) ;
- 1160-1176 : (le futur cardinal) Henri de Marcy ;
- 1176 : Gonard62 ?
- 1176-1188 : Geoffroy (Gaufridus, Goderridus, Gaufred) d’Auxerre (attesté abbé en 1180 et 1188) ;
- 1188-1198 : Étienne ? Ou Burnon de Voiron ? (ce dernier attesté abbé en 1188 et 1190) ;
- 1198-1204( ?) : Pierre (attesté abbé en 1201 et 1204) ;
- 1204 (?) -1209 : Hélie (attesté abbé en 1204) ;
- 1209-1215 : Guy49 (attesté abbé à ces deux dates) ;
- 1215-1230 : Robert(attesté abbé en 1224) ;
- 1230 : Humbert ;
- 1230-1240 : Robert (attesté abbé en 1230 et 1236) ;
- 1240-1251 : Bouchard ou Burchard ;
- 1251-1264 : Robert (attesté abbé en 1253) ;
- 1263-1287 : Humbert (attesté abbé en 1264 et 1272) ;
- 1287-1299 : Jean (attesté abbé à ces deux dates) ;
- 1299-1313 : Conrad de Metz (attesté abbé en 1308 et 1313) ;
- 1314-1317 ? : Étienne de Verdet ;
- 1317 ?-1320 : Étienne de Saint-Germain ;
- 1320-1346 : Jacques François (attesté abbé en 1327 et 1346) ;
- 1346-1351 (?) : Étienne Bonczan ou Bouczan ;
- 1351-1353 : Humbert de Seyssel ;
- 1353-1361 : Jean de Montclar ;
- 1361-1367 : Jacques ;
- 1367-1375 ? : Hugues ;
- 1376-1424 : Jean de Rochefort (attesté abbé en 1376 et 1422) ;
- 1424-1437 : Jacques de Moyria (dernier abbé régulier).
Hautecombe et les papes
L'antipape Félix V se soumettant au pape Nicolas V. Miniature issue du manuscrit de Martial d'Auvergne, Les Vigiles de Charles VII, vers 1484, BNF, f.134r.
Durant la première moitié du XIIIe siècle,
un moine d'Hautecombe devient pape : Goffredo Castiglioni est d'abord
moine à l'abbaye d'Hautecombe ; par la suite, Grégoire IX le crée
cardinal-prêtre au titre cardinalice de San Marco en 1227 puis
cardinal-évêque en 1239 du diocèse suburbicaire de Sabina. Il est élu
pape en 1241 sous le nom de Célestin IV, mais il meurt dix-sept jours
plus tard.
En 1244, le pape Innocent IV fait halte à Hautecombe dans la route qui le mène de Rome, via
Gênes, le Mont-Cenis et Chambéry, au premier concile de Lyon. Il est
par ailleurs avéré que des évêques séjournent régulièrement dans
l'abbaye, puisque c'est à Hautecombe que meurt Aymon de Menthonay,
évêque de Genève.
Nicolas
III, pape de 1277 à 1280, né Giovanni Gaetano degli Orsini, aurait été
élevé à Hautecombe, sans toutefois avoir pris l'habit cistercien.
Cependant, Leopold Janauschek conteste le séjour des deux futurs papes
Célestin IV et Nicolas III à Hautecombe.
En
1322, Benoît XII entreprend une vaste réforme des ordres religieux, et
en premier lieu de celui de Cîteaux, en pleine crise. Les bulles
pontificales Fulgens sicut stella
(du 12 juillet 1335, qui fait obligation aux moines de pratiquer
pauvreté, mortification et travail manuel) et plus particulièrement Summi magistri dignatis
(du 20 juin 1336, adressée directement aux Cisterciens) sont
l'expression de cette volonté, imposant notamment aux frères une
formation théologique solide, formation qu'au moins un frère
d'Hautecombe va suivre en 1422 au collège des Bernardins à Paris.
Le
13 février 1353, Jean de Montclair devient abbé. Le choix de l'abbé, à
partir de cette date, n'est plus du ressort de l'abbaye de Cîteaux,
l'abbaye-mère d'Hautecombe, mais directement du Saint-Siège (à l'époque
situé à Avignon), par décision du pape Innocent VI. Jean de Montclair
reste abbé jusqu'au 1er novembre 1361, date à laquelle
Jacques II est nommé abbé, titre qu'il conserve jusqu'à sa mort en 1367.
Hugues, moine d'Hautecombe, est son successeur.
Le
premier duc de Savoie Amédée VIII (dit « le Pacifique ») est élu pape
par quelques cardinaux lors du concile de Bâle en 1440, et intronisé
dans la cathédrale de Lausanne sous le nom de Félix V. Mais
seuls les cardinaux schismatiques, refusant un concile où
participeraient les Orthodoxes, participent à cette session et à cette
élection. Pendant ce temps, le concile œcuménique se poursuit à Ferrare.
Félix V est donc considéré comme un antipape. Il fait soumission au
pape Nicolas V en 1449 et meurt en 1451. Amédée VIII, premier duc de
Savoie, marque donc la fin de la période comtale ; c'est également la
fin de la période de plus grande prospérité d'Hautecombe.
Le lent déclin d'Hautecombe
Au début du XVe siècle,
le régime de la commende prend de l'ampleur dans les abbayes
cisterciennes, notamment à Hautecombe. Ce régime, disparu au XIXe siècle,
permet à un ecclésiastique séculier (à l'origine un évêque seulement)
ou même à un laïc de prendre le contrôle financier et juridique d'une
abbaye, même s'il n'a aucune influence sur la discipline régulière
(monastique). Ce régime, existant depuis le haut Moyen Âge, est vivement
combattu par de nombreux papes, notamment Benoît XII, mais réapparaît
plusieurs fois, à la suite d'évènements exceptionnels comme l'invasion
de la Corse par les Sarrasins ou la papauté d'Avignon. À Hautecombe, le
premier abbé commendataire est Pierre II Bolomier, nommé en 1438 par
Félix V.
La
réputation du monastère se détériore assez rapidement, à tel point
qu'une tentative de l'ordre cistercien est faite en 1473 pour supprimer
la commende ; toutefois, le chapitre général réuni à Cîteaux n'obtient
pas le soutien escompté du pape Sixte IV qui s'avoue impuissant à
combattre ces excès. C'est en particulier cette crise qui amène à la
création de la branche des Trappistes. Par décret de l'antipape Félix V,
l'abbaye d'Hautecombe annexe le 6 mars 1443 le prieuré bénédictin de
Saint-Innocent, qui connaît alors la même décadence.
Par
la suite, Perceval de la Baume, évêque de Belley, est également abbé
commendataire, puis Jean des Chênes et Sébastien d'Orlyé. Ce dernier,
grâce à une famille puissante, peut requérir des privilèges
supplémentaires pour l'abbaye, en particulier le droit d'élever des
gibets et la juridiction sur les étrangers, droit qui avait toujours été
refusé aux abbayes (en tant que privilège exclusif du souverain).
L'abbaye se constitue ainsi en puissance féodale et non plus
spirituelle.
Le
duché de Savoie est alors en proie à une grande instabilité politique ;
du fait de nombreux décès, le trône change de main sept fois en vingt
ans, ce qui entraîne également une grande instabilité monastique à
Hautecombe. En 1504, le pape Jules II bataille pour imposer Claude Ier d’Estavayer, abbé commendataire, contre us et coutumes d'alors, comme abbé régulier
d'Hautecombe, publiant jusqu'à sept bulles le 24 janvier 1504 pour
passer outre les convenances du chapitre de Cîteaux. Cet abbé est
notamment connu pour avoir fait construire le vestibule de l'église
abbatiale, appelé aujourd'hui chapelle de Belley ou chapelle du Roi, et
dédiée à saint Bernard. Cet ouvrage s'ouvrait au nord, et fut très
décrié au XIXe siècle ;
à la restauration de l'abbaye, il fut maintenu mais son ouverture
rétablie à l'ouest. Une chronique date du 31 mars 1521, jour de Pâques,
le passage de dom Edme, abbé de Clairvaux, et de sept de ses compagnons,
de retour d'Italie ; l'état spirituel du monastère y est décrit comme
assez mauvais : « les religieux dudit monastère
mangent de chair, de quoi mondit seigneur fut fort marry. Il y avait
audit monastère XXXIII religieux, tous peu savants et assez ingrats à ce
que j'en su connaître ».
À
la disparition de Claude, Paul III fait nommer abbé son neveu, le
cardinal Alexandre Farnèse, dont on n'a aucune preuve qu'il soit venu à
Hautecombe. Le déclin s'accentue donc.
- Les abbés commendataires d'Hautecombe jusqu'à Alexandre Farnèse et la vacance de trois ans du siège abbatial.
- 1438-1444 : Pierre Bolomier (premier abbé commendataire) ;
- 1444-1453 ? : Perceval de la Baume (ou de la Balme) ;
- 1453-1473 : Jean des Chênes (attesté abbé en 1453 et 1469) ;
- 1473-1498 : Sébastien d’Orlier (ou d'Orlyé) ;
- 1498-1504 : François de Colombier ;
- 1504-1534 : Claude d'Estavayer ;
- 1535-1538 : Alexandre Farnèse, non présent : vacance du siège abbatial.
Le cardinal Alexandre Farnèse, abbé d'Hautecombe sans y être jamais allé
Le cardinal de Saint-Georges, en accord avec le supérieur de l'ordre cistercien, s'efforce de mettre un frein aux pratiques « exécrables » des moines d'Hautecombe. En témoigne une lettre datée du 3 juin 1549, du « frère Jean, abbé de Cîteaux »,
tentant de s'opposer à un siècle de régime de commende, et qui reçoit
le soutien du roi de France Henri II. Cette lettre réaffirme
l'interdiction de propriété personnelle des moines, convers comme
rendus. Il s'ensuit un abandon de nombreux privilèges matériels de
l'abbaye, privilèges qui ne disparaissent pas pour autant puisqu'ils
passent à l'abbé commendataire ; le sentiment d'une mainmise religieuse
sur les terres et biens environnants perdure donc, alors que le
monastère s'appauvrit.
Un bref et partiel renouveau avec Alphonse d'Elbène
L'abbé
Alphonse d'Elbène s'inscrit en faux contre cette décadence constante de
l'abbaye. Entré comme moine à l'abbaye vers 1560, à 22 ans, il se fait
rapidement remarquer pour ses dons littéraires (publication d'un recueil
de poésie avec Adrien Turnèbe, rédaction d'une épopée – inachevée – sur
Amédée VI). Il est nommé abbé notamment grâce à l'appui de sa
compatriote (florentine) Catherine de Médicis.
Ami
de Pierre de Ronsard et de Juste Lipse, il est incorporé à l'Académie
florimontane d'Annecy par Antoine Favre et François de Sales ; c'est le
premier historiographe de l'abbaye d'Hautecombe (et un important
historiographe de la maison de Savoie). Il reste abbé d'Hautecombe
jusqu'en 1603.
La
période à laquelle il est abbé d'Hautecombe correspond à celle du règne
du duc Emmanuel-Philibert, qui déplace la capitale de ses États de
Chambéry à Turin puis crée le Sénat de Savoie. Alphonse d'Elbène milite
avec succès pour que l'abbé d'Hautecombe en soit non seulement membre de
droit, mais ait le titre de premier sénateur. Malgré tout, d'Elbène est
plus soucieux de l'importance politique et de la richesse matérielle de
l'abbaye que de sa piété ; il s'empresse d'accepter le siège épiscopal
d'Albi en 1589.
Les bons rapports qu'ont Alphonse d'Elbène avec le duc de Savoie suivant, Charles-Emmanuel Ier,
ne survivent pas aux guerres de religion. En effet, Charles-Emmanuel
aurait été membre d'un vaste complot visant Henri IV, qui aurait eu pour
but de le détrôner le roi, de diviser la France en plusieurs États
placés sous la suzeraineté de l'Espagne, et de céder au duc de Savoie la
Provence, le Lyonnais et le Dauphiné. Alphonse d'Elbène aurait eu
connaissance de ce complot, dont il avertit la France en 1594, à la
suite de quoi Charles-Emmanuel aurait privé l'abbaye de ses revenus.
Cette disgrâce dure au moins jusqu'en 1601, malgré une première et vaine
ambassade d'Henri IV auprès du pape. L'affaire aboutit en 1603 à
l'échange des abbayes d'Hautecombe et de Maizières, Alphonse d'Elbène
étant (de droit, puisqu'en réalité il siégeait dans son évêché d'Albi)
muté dans cette dernière abbaye, jusqu'à sa mort en 1608.
L'inéluctable déclin avec les abbés de Saluces
En 1588, durant les guerres de religion, la Savoie conquiert le marquisat de Saluces (Saluzzo).
Le Traité de Lyon de 1601 annexe à la France victorieuse la Bresse et
le Bugey, mais affermit l'emprise savoyarde sur les terres de Saluces.
Sylvestre de Saluces est nommé abbé commendataire par bulle du 1er février 1605. Un inventaire fait à ce moment rapporte notamment que « les
murailles et les toitures du vieux couvent où les religieux faisaient
autrefois leur demeure sont entièrement ruinées et abattues. Quant aux
autres logis, ils sont partout dégradés ou lézardés : les uns doivent
être reconstruits entièrement, les autres fortement consolidés ».
La
plupart des ordres monastiques sont alors en pleine décadence, ce qui
est un des objets de la requête de François de Sales, coadjuteur de
l'évêque de Genève, en 1599 à Rome. François s'y plaint de la
dissolution des moines et moniales qui ont, à l'exception des chartreux
et des ordres mendiants, largement abandonné leur règle monastique, soit
en quittant leur cloître, soit en y vivant mais dans la négligence des
règles qui ont prévalu à la constitution de leur ordre. Il déplore
surtout que cette négligence cause un grand scandale chez les habitants
alentours et donne des arguments aux détracteurs des monastères et de la
foi.
Pour
François de Sales (qui s'y rend le 3 juillet 1606), la rédemption des
moines d'Hautecombe est inenvisageable en l'état. De fait, en 1640, au
début de la seconde vacance (qui dura onze ans), il ne reste qu'onze
moines à l'abbaye. Le prieur Brunel, dans une lettre de 1649 à la
duchesse Christine, implore une aide « affin que tous de bonne compagnie nous puissions advancer en la voie du ciel ».
La maison de Savoie, en la personne de Charles-Emmanuel II, répond en
1651 par la nomination de dom Antoine de Savoie (son oncle, fils
illégitime de Charles-Emmanuel Ier) comme abbé, qui demeure en poste trente-sept ans et est considéré comme un bon gestionnaire.
Un
autre signe du déclin d'Hautecombe est son repli territorial : ainsi,
en 1608, Henri IV confie toutes les léproseries du royaume à l'ordre de
Notre-Dame du Mont-Carmel. L'hôtel-Dieu de Lyon et le pont de la
Guillotière sont ainsi retirés de la charge d'Hautecombe. Sous la
mandature de dom Antoine, la gestion de la léproserie de la Guillotière
par l'abbaye d'Hautecombe est également remise en cause ; elle s'était
déchargé de cette tâche depuis des années sur des laïcs. Mais elle fait
valoir que, d'une part, la charge lui en avait été confiée hors de la
juridiction du roi de France, en 1319, par les États de Savoie ; et
d'autre part qu'on ne pouvait constater aucun défaut de service même si
les moines n'étaient plus eux-mêmes responsables de l'établissement. À
cette époque, Christine de France, désolée du manque de piété des
religieux d'Hautecombe, et effarée de leur outrecuidance (l'abbé va
jusqu'à faire couper des bois ne leur appartenant pas, et dont elle doit
elle-même régler le prix au plaignant, le comte d'Entremont), envisage à
partir de 1636 de soumettre les cisterciens dissolus à la réforme des
Feuillants alors en plein essor ; mais en vain.
En
conséquence de quoi la maladrerie reste sous juridiction de l'abbaye.
Ce cas reste assez exceptionnel : à cette période, l'abbaye d'Hautecombe
est plus généralement contrainte de faire de nombreuses concessions aux
seigneurs locaux (droits de pêche dans le lac, droits du seigneur de
Cessens sur les domestiques du monastère, etc.). À la mort de dom
Antoine, en 1688, un nouvel inventaire est fait, alors que ne restent
que douze moines à l'abbaye. Il révèle que les réparations préconisées
en 1640 ont bien été effectuées, mais « pas
toujours heureusement dirigées. Les chambres du dortoir, situées
au-dedans du cloître, sont tellement petites et mal éclairées que,
malgré leur récente construction, elles sont inhabitables pour les
religieux. ». Malgré tout, l'abbaye, si elle est en
déshérence spirituelle, conserve une importante propriété foncière,
puisqu'elle possède encore des terres sur les territoires de 54
paroisses.
Dernier abbé commendataire et vacance pré-révolutionnaire
Jean-Baptiste
Marelli, alors étudiant à Turin, futur conseiller d'État et président
général des finances de la monarchie, est nommé abbé commendataire pour
remplacer dom Antoine. La guerre avec la France de Louis XIV ruine la
Savoie et fait perdre encore de nombreuses sources de ses revenus à
l'abbaye, puisque ces dernières sont désormais situées en France.
Effrayé par le mauvais état de l'abbaye, le nouvel abbé commendataire
n'y habite pas mais s'y fait représenter. En outre, il ne s'oppose pas à
la mainmise du Sénat de Savoie sur les revenus de l'abbaye, lequel
Sénat en gère désormais les affaires économiques. En 1706, il reste dix
religieux à l'abbaye. Un ordre de Victor-Amédée II réduit le 1er
janvier 1727 ce nombre à quatre. Le bref d'Alexandre VII sur la réforme
des cisterciens ne fait qu'accélérer la décadence de l'ordre.
Au
cours de la fin de la commende de Jean-Baptiste Marelli, de nombreux
revenus et possessions de l'abbaye sont encore aliénés, notamment à
Yenne, pendant que le nombre de moines reste en permanence égal ou
inférieur à dix. Entre 1727 et 1749, en particulier sous l’occupation
espagnole, de notables réparations sont pourtant accomplies dans
l'abbaye, sous l'impulsion de Victor-Amédée II et sous la conduite du
sénateur Bonaud. Des travaux sont menés lentement sur l'église abbatiale
d'Hautecombe, remplaçant souvent le style gothique originel par des
voûtes en plein cintres, plus basses d'environ quatre mètres. À la mort
de Marelli, en 1738, plus aucun abbé n'est nommé, et l'abbaye
d'Hautecombe finit par dépendre d'autres établissements religieux. En
1742, les bâtiments conventuels sont à leur tour reconstruits, ainsi que
le cloître actuel et la grande façade sud donnant sur le lac.
La
guerre de Sept Ans épuise les fonds qui auraient pu être consacrés aux
réparations ; l'un des chantiers de reconstruction est entièrement
détruit et aucune reconstruction n'est envisagée. La bulle de Benoît XIV
du 1er avril 1752 unit et incorpore tous les biens et
revenus de l'abbaye d'Hautecombe à la mense du chapitre de la
Sainte-Chapelle du château de Chambéry, ce qui affecte la plupart des
recettes restantes à l'entretien de cette dernière. Seuls quatre des
tombeaux originels sont encore en bon état à l'époque. Les réparations,
menées à leur terme par Victor-Amédée III, se terminent en 1788.
- Liste des abbés commendataires de la Renaissance à la Révolution.
- 1545-? : Claude de la Guiche ;
- 1547-1559 : Jérôme Capodiferro ;
- 1560-1603 : Alphonse d'Elbène ;
- 1603-1616 : Sylvestre de Saluces de la Mante ;
- 1616-1640 : Adrien de Saluces de la Mante ;
- 1640-1651 : Vacance ;
- 1651-1688 : Dom Antoine de Savoie ;
- 1688-1738 : Jean-Baptiste Marelli ;
- 1738-1826 : Vacance puis suppression.
Destruction à la Révolution
Exemple de vente d'édifice religieux comme bien national
Le samedi 22 septembre 1792 (1er vendémiaire
an I, jour d'entrée en vigueur du calendrier républicain), les troupes
révolutionnaires arrivent en Savoie ; le 26 octobre 1792 (5 brumaire an
I), un décret est publié à la nouvelle Assemblée nationale des
Allobroges, décidant que « tous les biens du clergé tant séculier que régulier passent en propriété à la nation »,
qu'un inventaire de ces biens sera fait, qu'ils seront sous la
surveillance des communes ; le même décret interdit l'augmentation des
effectifs et la prononciation de nouveaux vœux religieux, et exige un
recensement précis de tous les religieux avec leur état-civil, leurs
dates d'établissement local et de profession religieuse.
Les
révolutionnaires arrivant à l'abbaye, le 4 novembre 1792 (14 brumaire
an I) n'y trouvent que six moines, qui sont expulsés le 10 avril 1793
(21 Germinal an I). Avant cela, un inventaire des biens de l'abbaye est
fait, et ceux-ci sont réquisitionnés au profit de la République. Avant
même la saisie, de nombreux biens sont volés ou détruits par les
habitants des environs. En 1794, un agent national, nommé Morel, venu à
Hautecombe et ayant fait ouvrir le grand ossuaire de la chapelle des
princes, y trouve un cercueil qui est convoyé à Chambéry, le préservant
ainsi de la destruction. En réalité, contrairement à ce qu'on aurait pu
craindre, les tombeaux sont relativement épargnés par les déprédations,
car le nouveau propriétaire des lieux (voir ci-dessous), à la demande du
révérend Rolland, avait fait recouvrir de terre ceux de la chapelle des
princes. Les religieux enterrés à l'abbaye, quant à eux, l'étaient à
l'extérieur, derrière le chœur de l'église, mais leurs tombes ne sont
pas spécialement visées.
Tous les bâtiments de l'ancienne abbaye, avec 512 arpents
attenants, d'un seul tenant, et 31 arpents du domaine de Porthoud, sont
vendus comme bien national, le 25 thermidor an IV (13 août 1796), aux
citoyens Léger Henry, Louis et Joseph Landoz frères, deux Aixois
habitant à Lyon, pour le prix de 50 942 livres. Les bâtiments religieux, jugés invendables, sont transformés en 1799 en faïencerie, qui prend le nom « Dimier, Henry et Landoz », ce qui achève de ruiner le sanctuaire.
La description départementale de 1806 indique : « On
y a fait avec succès quelques essais d'une faïence imitant celle
d'Angleterre. [Les argiles sont tirées] des communes voisines, telles
que celles de Tresserve, de Méry et de Vivier. Il n'y a qu'un fourneau.
On y fait ordinairement quatre cuites par mois. La fabrication peut
s'élever à une cinquantaine de mille francs. Les ateliers occupent douze
ouvriers à l'année, on en emploie au moins dix-huit au-dehors, ce qui
fait en tout trente ouvriers. ». La faïencerie d'Hautecombe
représente, à elle seule, le tiers de la production des huit
établissements du département du Mont-Blanc. Elle a des dépôts à Lyon, à
Grenoble, à Chambéry, et exporte à Vienne, à Saint-Étienne et à Turin.
La production est diversifiée : poêles, vases décoratifs pour terrasses
et jardins, encriers, pots de fleurs, vaisselle, majoritairement de
style Louis XV, plus quelques imitations de style étrusque. Des
exemplaires des œuvres produites à la faïencerie d'Hautecombe sont
visibles aujourd'hui au Musée savoisien de Chambéry, notamment à travers
les dons de Claudius Blanchard et du docteur Guilland, arrière-neveu de
M. Landoz. Toutefois, l'activité artisanale ne dure guère et la
faïencerie cesse sa production en 1804. La voûte, non entretenue,
s'effondre.
La
propriété de l'abbaye évolue rapidement : M. Landoz acquiert le quart
appartenant à M. Léger et le quart appartenant à M. François, par divers
actes passés entre l'an VI et l'an XIII. Le quart de M. Fleury
parvient, en 1821, aux demoiselles Marie-Anne et Jeanne-Françoise
Landor, sœurs de Louis Landoz, dont il est le mandataire pour la vente
de 1824. À partir de 1804, M. Landoz étant devenu le principal
propriétaire des lieux, il en fait le centre d'une exploitation
agricole, en particulier viticole, et en reboise les pentes.
Restauration au XIXe siècle
L'église
abbatiale ruinée en 1824, vue de l'entrée (aquarelle de Marie
Despine) : au premier plan, la chapelle de Belley, qui sert aujourd'hui
de vestibule
L'église
abbatiale ruinée en 1824, vue de la cour Saint-André (aquarelle de
Marie Despine) : au premier plan, la chapelle des Princes, une des rares
parties à peu près intactes
Contexte
Par
le traité de Vienne du 20 novembre 1815, la Savoie est rattachée à
nouveau au Piémont, et détachée de la France. Charles-Emmanuel IV ayant
abdiqué en 1802, son frère Victor-Emmanuel Ier
est roi jusqu'au 13 mars 1821, date à laquelle il remet à son tour la
couronne à son frère Charles-Félix, onzième enfant de Victor-Amédée III
et de Marie Antoinette d'Espagne.
Le
19 juillet 1824, le nouveau souverain, en visite dans ses terres
cisalpines, est accueilli à Chambéry et à Aix-les-Bains, d'où il
contemple, de l'autre côté du lac, les ruines d'Hautecombe. Il fait
savoir à M. Landoz son désir de racheter l'abbaye. Le 28 août 1824,
Thomas Ferrero de la Marmora achète au nom du roi tout ce que la famille
Landoz possède des anciennes propriétés de l'abbaye, pour le prix de 80 000 livres,
par un acte passé devant maître Jérôme Nicoud, notaire à Chambéry. En
outre, la forêt (500 hectares environ) est achetée moyennant une somme
de 8 600 livres. La volonté du roi est de faire de l'abbaye une propriété strictement privée, indépendante du domaine de la couronne et a fortiori
du domaine public ou de l'État ; il se considère comme un simple
particulier accomplissant un acte de piété filiale en faisant relever à
ses frais les tombeaux de sa famille.
Il
confie la restauration de l'église à un architecte piémontais, Ernesto
Melano, capitaine du génie et ingénieur de la province de Savoie, qui
adopte le style du baroque troubadour. Il semblerait qu'il n'ait choisi
ce style architectural que contraint par les exigences précises de
Charles-Félix, qui s'inspire du gothique romantique alors à la mode ; le
style préféré de Melano, qui s'exprime plus librement dans la
cathédrale Saint-Pierre de Moûtiers, est plutôt le néo-classicisme, même
si sur ce point Melano est moins rigide que ses confrères de
l'Accademia Albertina. En réalité, la technique structurelle de
l'architecture gothique n'a pas encore à cette époque été redécouverte
par Eugène Viollet-le-Duc (ce qui sera le cas à la fin des années 1830),
ce qui explique en partie le peu de hauteur des voûtes actuelles de
l'abbatiale.
État des lieux
Aquarelle
de Marie Despine représentant l'abbaye d'Hautecombe en 1824. Au premier
plan, l'actuelle terrasse et les bâtiments conventuels (façade sud et
avant-corps ouest) ; au second plan, l'église, en ruine
Le désir de Charles-Félix n'est pas de reconstruire une nouvelle église, mais d'adopter le plan de l'église pré-existante : « ainsi
l'architecte devra s'en tenir à suivre, soit dans les constructions de
la voûte, soit dans les réparations nécessaires aux murailles, le même
dessin et la même architecture gothique qui l'ont jadis rendue, dans son
genre, un des plus beaux monuments [en conservant] tout ce qui restait
de l'ancienne construction, même son irrégularité ; de lui présenter un
projet de restauration de l'édifice ; de ne rien construire sans son
approbation préalable et de mettre la main d'abord aux murs du couvent,
afin d'empêcher la mine de la partie restée debout ».
Ernesto
Melano, dans son rapport au roi, en vertu des pouvoirs qu'il reçoit
d'étudier les travaux à faire pour la restauration de l'ancienne
nécropole et de lui communiquer ses idées à ce sujet, rapport daté de
Chambéry le 4 septembre 1824, relève les dimensions et les
caractéristiques de l'abbatiale (voir ci-dessous le paragraphe ancienne
abbatiale) : les dimensions ont peu changé en sept cents ans, sauf pour
la hauteur ; le style d'origine est « gothique », mais le dôme est effondré, la chapelle des princes en partie ruinée, les piliers « écroulés »
ou trop peu solides pour recevoir une nouvelle voûte, le sol encombré
de matériaux. Seule la chapelle de Belley est à peu près en bon état.
Travaux
La
façade occidentale (chapelle de Belley ou d'Estavayer) de l'église
abbatiale, achevée en 1837. À gauche, l'ancienne porte créée par Claude
d'Estavayer
Charles-Félix de Savoie par Benedetto Cacciatori
Statue de Marie-Christine de Bourbon-Siciles par Giovanni Albertoni
La
première tâche est le déblaiement des gravats, ouvrage qui est
entrepris immédiatement et jusqu'au 12 janvier 1825. Du 12 au 17, un
travail de fouille est entrepris pour retrouver les squelettes des
personnes enterrées dans l'église. Le 31 mai 1825, Mgr Bigex célèbre une messe de requiem à la mémoire de tous les défunts, et pose la première pierre de la nouvelle construction.
Les
travaux de gros-œuvre sont menés très rapidement par l'entrepreneur
Yanni : durant l'été 1826, l'église est déjà prête à être rendue au
culte. Elle est presque entièrement reconstruite et décorée. Les anciens
monuments ont été relevés ; les bâtiments du monastère, également
restaurés, sont aménagés pour recevoir les religieux et la cour de
Turin. Il est à noter que les murs initiaux de l'église sont pour une
bonne partie d'entre eux réemployés dans la construction du nouvel
édifice.
Le
roi s'était fait aménager un appartement dans l'angle sud-est du
bâtiment (angle dans lequel on trouve encore aujourd'hui l’appartement
du Roi, le salon du Roi et la cuisine du Roi), décoré en trompe-l’œil
selon la mode piémontaise. La chambre de la reine est aujourd'hui en
l'état, mais l'appartement du roi a été divisé en plusieurs chambres
pour accueillir les retraitants par les bénédictins.
Les
sculptures sont l'œuvre des frères Cacciatori, Benedetto (qui réalise
notamment une sculpture de Charles-Félix et une pietà) et Candido
(1804-1837), ainsi que de Giovanni Albertoni (qui réalise la statue de
Marie-Christine), les peintures de Luigi Vacca et de Francesco Gonin,
les stucs d'ornement des frères Borioni, par Morgante et Sciollile, les
vitraux de la chapelle des princes (décrivant l'enfance et la passion du
Christ) du verrier viennois Anton Kothgaßner.
Du
3 au 9 août 1825, Charles-Félix et sa femme Marie-Christine sont à
Hautecombe et se déclarent satisfaits de l'avancée des travaux. Mgr
Bigex, arrivé le 4 août à l'abbaye, y consacre l'église abbatiale le
5 ; le 6, la totalité des restes mortuaires retrouvés est transférée en
grande pompe dans les tombeaux qui leur étaient destinés. Le 7 août
1826, l'abbaye est remise à dom Léandre Siffredi, ancien abbé du
sanctuaire de la Consolata de Turin et procureur général de l'ordre de
Cîteaux auprès de la cour de Piémont-Sardaigne, par une charte
solennelle. Celle-ci précisait :
« que
le roi gardait le droit de nommer et présenter l'abbé titulaire ; que
le monastère devrait toujours entretenir douze religieux, dont huit au
moins seraient prêtres [nombre que sa femme voulut porter à douze dans
son testament, mais cela lui fut refusé par l'ordre cistercien] ; que
les obligations de ceux-ci consisteraient essentiellement dans
l'acquittement des services funèbres pour les princes de la famille de
Savoie, dans le secours des personnes en danger sur le lac [une
embarcation fut donnée aux moines par le roi à cet effet] et enfin dans
des aumônes et du soutien spirituel aux paroisses voisines. »
Charles-Félix
revient trois fois à Hautecombe : du 31 août au 6 septembre 1826,
séjour durant lequel les habitants de Chambéry veulent honorer leur
souverain en jouant sur le lac une reconstitution navale de l'expédition
de Tripoli, le 17 septembre 1825 ; en 1828 ; enfin du 25 juillet au 5
août 1830, où il a connaissance des Trois Glorieuses qui venaient
d'avoir lieu à Paris.
Le 27 avril 1831, il meurt ; il est enterré à Hautecombe le 10 mai. Charles-Albert de Savoie-Carignan lui succède.
En
1832 et 1833, la reine Marie-Christine fait à son tour des séjours dans
l'abbaye. Elle prolonge les travaux engagés par son mari ; en 1833 en
prolongeant la façade méridionale (celle qui donne sur la terrasse) du
monastère vers l'est, côté lac, et en reconstruisant la chapelle
Saint-André, ainsi que la tour du Phare ; en 1837 en rétablissant
l'ancien portail de l'église (celui qui datait d'avant la commende de
Claude d'Estavayer et le déplacement du portail sur le côté nord), en
ajoutant les stalles des moines dans la nef ; en 1841 et 1842 en
finalisant l'aile orientale de l'abbaye, celle qui donne sur le lac.
Elle effectue un dernier séjour de deux mois en 1843 à Hautecombe, avant
d'y être enterrée en 1849.
Face aux aléas politiques du XIXe siècle
L'abbaye au XIXe siècle, vue depuis le sud
Dans
la nuit du 3 au 4 avril 1848, une vingtaine d'habitants de
Saint-Pierre-de-Curtille, inspirés par le printemps des peuples, veulent
imposer la république à la Savoie et s'introduisent à Hautecombe, avant
d'être dispersés par les gendarmes.
En
1850, les lois Siccardi sur l'abolition des privilèges des communautés
religieuses abolissent les trois grands privilèges que sont le tribunal
ecclésiastique (qui soustrait à la justice laïque les hommes d’église),
le droit d’asile, l'impunité juridique de ceux qui demandent refuge à
l’église, et la mainmorte. Par cette loi, tous les établissements
religieux autres qu'hôpitaux, écoles et églises paroissiales sont
méconnus comme personnes morales, et sont donc dépossédés de leurs
biens ; pour autant, la plupart des maisons religieuses ne sont pas
confisquées ni les ordres interdits, et les moines peuvent continuer à
vivre selon leur règle, mais aux frais de la caisse ecclésiastique,
c'est-à-dire des dons des fidèles.
Néanmoins, des corporations sont supprimées, parmi lesquelles les « moines de Cîteaux ».
En vertu de quoi Hautecombe est à nouveau vouée à la fermeture. Le 28
juillet 1850, un inventaire est fait des richesses de l'abbaye, ainsi
qu'une saisie de ses biens immobiliers. Un procès s'ensuit, lequel est
gagné le 29 juillet 1856 par les religieux. Entretemps, les moines
avaient vécu de leurs ressources agricoles et de dons. Le 19 mai 1857,
le cardinal de Genga nomme à nouveau Mgr Billiet délégué apostolique.
Affiche annonçant l'annexion de la Savoie à la France en 1860
En
1859, une décision de la Cour suprême, cassant un arrêt de la Cour de
Gênes, supprime toutes les maisons religieuses contemplatives, quelles
que soient leurs raisons pour prétendre le contraire. Mais l'annexion de
la Savoie à la France, ratifiée par le traité de Turin le 24 mars 1860,
vient de nouveau changer la donne. Le comte Ferdinando Avogadro di
Collobiano demandant au Sénat italien ce qu'il adviendra de
l'application des lois Siccardi en Savoie, se voit répondre par le comte
Alfieri, président du Sénat, que des négociations sont en cours avec la
France à ce sujet, représentées côté français par les maréchaux
Canrobert et Randon, tous deux défenseurs de la cause d'Hautecombe. Le
20 décembre 1860 paraît un décret impérial déclarant abandonnées toutes
les poursuites en revendication de propriétés, intentées, au nom de
l'ancienne caisse ecclésiastique, contre les différentes communautés de
Savoie et entre autres contre les cisterciens. La communauté monastique
d'Hautecombe devient donc (à travers la Fondation d'Hautecombe)
légitimement et entièrement propriétaire de l'abbaye, à l'exception des
appartements royaux sur lesquels le roi d'Italie de l'époque,
Victor-Emmanuel II, conserve un droit.
Une
convention est publiée le 4 août 1862 et signée à Paris par Édouard
Drouyn de Lhuys, ministre des affaires étrangères, et Costantino Nigra,
ambassadeur d'Italie, le 19 février 1863. Elle stipule que les religieux
d'Hautecombe soient rétablis dans tous les droits dont ils jouissaient
avant la loi du 29 mai 1855, à la charge par eux d'exécuter fidèlement
les services religieux et les autres conditions imposées par les
patentes royales du 7 août 1826 ; que le roi prenne à sa charge le
payement de la rente qui leur sera servie à dater de l'annexion de la
Savoie à la France et dont le capital restera dans son patrimoine
particulier ; que cependant il se réserve aussi le droit de mettre à
Hautecombe les religieux qui lui plairont, dans le cas où les religieux
actuels cesseraient de desservir l'abbaye ; enfin que l'archevêque de
Chambéry conserve sur la communauté ses droits de délégué apostolique.
Communauté religieuse entre 1824 et 1922
- Liste des abbés cisterciens d'Hautecombe de la restauration à 1922.
- 1826-1827 : Placide Tingault-Desmarets ;
- 1827-1830 : Archange Arcasio ;
- 1830 - 17 octobre 1834 : Émile Comino ;
- 17 octobre - 14 novembre 1834 : Joseph Marquet ;
- 15 novembre 1834 - 1840 : Hilaire Ronco ;
- 1840-1842 : Jean Lacroix ;
- 1842-1848 : Claude Marie Curtet ;
- 1848 - 8 octobre 1851 : Charles Gotteland ;
- 8 octobre - 18 novembre 1851 : Camille Bouvier ;
- 18 novembre 1851 - 1856 : Felix Prassone ;
- 1856-1864 : Pierre Bovagnet ;
- 1864-1874 : Archange Dumont ;
- 1875-1878 : Athanase Martin ;
- 1878-1883 : Célestin Gillet ;
- 1883-1888 : Maur Fignes ;
- 1888-1910 : Symphorien Gaillemin ;
- 1911-1922 : Jean Marcadier.
Tableau de Giovanni Migliara représentant l'intérieur (actuel) de l'église abbatiale
Les
premiers religieux arrivés à la restauration d'Hautecombe sont tous
italiens et se considèrent donc en exil en Savoie. Leurs plaintes à ce
sujet remontent jusqu'à Grégoire XVI, qui nomme, par bref du 19 juin
1832, Mgr Martinet, archevêque de
Chambéry, supérieur de cette maison, avec le titre de délégué
apostolique. Celui-ci fait notamment venir des novices français à
l'abbaye. Les rapports sont difficiles entre les moines italiens,
partisans de la règle de la Consolata, et les Français, partisans du
régime préconisé par le délégué apostolique. En 1841, ils doivent faire
appel au père Tassini, président général des cisterciens, et au cardinal
Ostini, préfet de la congrégation des réguliers. Monseigneur Billiet,
archevêque de Chambéry, replace le monastère d'Hautecombe sous la
juridiction de la province d'Italie. Ainsi, quand le vicaire général de
l'ordre cistercien, l'abbé Marchini, bénit le nouvel abbé d'Hautecombe
en 1847, il lui confère le titre d'abbé in partibus de Lucedio, dans le
Piémont.
L'abbaye
d'Hautecombe est pressentie à la fin des années 1850 pour devenir
l'abbaye-mère d'une fondation cistercienne dans les Dombes (la future
abbaye Notre-Dame-des-Dombes). En effet, elle est à l'époque la seule
fondation cistercienne d'importance du côté cisalpin. Mais, là encore,
l'origine italienne de la communauté ne plaide pas en la faveur de leur
installation ailleurs qu'à Hautecombe ; d'autre part, la Savoie est
alors encore italienne, et faire venir des religieux savoyards en Dombes
est considéré comme maladroit à l'époque où le rattachement de la
province à la France commence à être envisagé.
Le
18 novembre 1851, dom Félix Prassone, prieur de l'abbaye de Staffarda,
est nommé abbé d'Hautecombe, après une année d'instabilité. Le 21
juillet 1856, il reçoit de dom Marie-Bernard Barnouin, futur
restaurateur de l'abbaye de Sénanque, la demande d'une affiliation de
celle-ci à Hautecombe (incluant la possibilité pour ses moines de venir y
faire quelques mois de noviciat). Dom Félix répond que cette décision
ne lui appartient pas, et la proposition reste sans suite pendant
quelques années. Néanmoins, la communauté d'Hautecombe est tentée par
cet arrangement, qui permettrait d'une part de renforcer la communauté
encore fragile et d'autre part aux moines italiens de revenir à terme du
côté piémontais. Et, le 6 juin 1861, les moines réunis en chapitre
décident à l'unanimité moins une voix de demander à être progressivement
remplacés par les moines de Sénanque (qui sont des cisterciens de la
congrégation de l'Immaculée-Conception). Teobaldo Cesari, supérieur
général de l'ordre cistercien, cherche à en profiter pour faire revenir
pleinement Hautecombe dans le giron cistercien en écartant le système de
délégation apostolique. Le pape (Pie IX) et le roi (Victor-Emmanuel II)
ayant tous deux donné leur accord le 16 janvier 1864, les nouveaux
moines commencent à arriver à partir du 9 mai 1864. Ils sont quinze dès
l'année suivante.
Au cours du XXe siècle
Troubles du début du siècle
En
1909, confrontés à de grandes difficultés économiques, les moines de
l'abbaye de la Grâce-Dieu, très liés à l'abbaye Notre-Dame de Tamié,
doivent trouver refuge à Hautecombe. En effet, l'abbaye de Tamié a été
fermée et ses moines expulsés le 29 mars 1880 en vertu du deuxième
décret proposé par Jules Ferry, ministre de l’instruction publique, et
promulgué par Charles de Freycinet, président du Conseil. Ce décret
impose aux congrégations « non autorisées » de se mettre en règle dans
un délai de trois mois, sous peine de dissolution et de dispersion. Le
projet de Mgr Dubillard, proche de
l'ancien prieur de la Grâce-Dieu, Augustin Dupic, est d'utiliser ces
forces disponibles pour revitaliser Hautecombe, qui dépérissait faute de
renouvellement. Cependant, les différences canoniques de statut entre
cisterciens (de la « commune observance ») et trappistes (de la
« stricte observance ») font échec à ce projet. Par ailleurs, la
question de la nomination de l'abbé par le roi d'Italie pose problème.
Les trappistes repartent donc à Tamié et Hautecombe reste en crise
jusqu'en 1922.
Arrivée des bénédictins
Fondée
à Marseille en 1865 par Prosper Guéranger, la communauté bénédictine
Sainte-Marie-Madeleine de Marseille, communauté dépendant de
Saint-Pierre de Solesmes, doit fermer en 1901, lors de la seconde
expulsion des congrégations, et les moines s'exilent en Italie, dans le
diocèse de Brescia. En 1922, l'apaisement des tensions liées aux lois
anticléricales, d'une part, et le manque de vocations à Hautecombe,
d'autre part, incite l'archevêque de Chambéry, Mgr
Dominique Castellan, à faire venir les bénédictins à l’abbaye
d’Hautecombe. Bernard Laure (1873-1946) en est le premier abbé ; sous
son gouvernement, l'abbaye d'Hautecombe est assez florissante, puisqu'il
y a 31 professions entre 1923 et 1941.
La
communauté accueille notamment en 1931 Marc Lacan (né le 25 décembre
1908, mort en 1994), le frère de Jacques Lacan, et qui prend lors de sa
profession le nom de Marc-François en hommage à François d'Assise ; il
est ordonné prêtre le 1er mai 1935. Cette entrée au monastère
est très mal vécue par son grand frère athée. Cependant, ils continuent
à garder des liens fraternels, notamment épistolaires, conservés à
Hautecombe puis à Ganagobie ; et c'est Marc-François qui préside la
messe d'obsèques de son frère le 10 septembre 1981. Par ailleurs,
Marc-François Lacan participe en 1970 à la rédaction du Vocabulaire de théologie biblique ; ses autres écrits sont publiés de manière posthume en 2010 aux Éditions Albin Michel en deux volumes : Dieu n'est pas un assureur et La vérité ne s'épuise pas.
Durant la Seconde Guerre mondial
August Hlond, primat de Pologne, accueilli pendant la guerre à Hautecombe
Quand
les nazis envahissent la zone libre le 11 novembre 1942, ils exigent
des autorités françaises l'expulsion de tous les étrangers des régions
frontalières, ordre exécuté relativement docilement, à quelques
exceptions près ; le cardinal Hlond, archevêque de Poznań-Gniezno,
primat de Pologne, est une de ces exceptions que la France hésite à
expulser. Le cardinal, lui-même conscient des hésitations des autorités
françaises, quitte Lourdes où il était réfugié le 6 avril 1943 pour
Hautecombe avec son aumônier Boleslaw Filipiak et son secrétaire Antoni
Baraniak. Mais, le 3 février 1944, il est arrêté en compagnie de l’abbé
Filipiak par deux membres de la Gestapo venus à l’abbaye d'Hautecombe.
L’emprisonnement du primat de Pologne est annoncé le 9 février 1944 par Mgr Valerio Valeri, et reprise dans un article intitulé « Une infamie » en première page du numéro 8-1944 du Cahier français du Témoignage chrétien no 555.
Les deux hommes sont emmenés à Chambéry et, le soir même, transférés à
Paris ; par la suite, ils sont emprisonnés à Bar-le-Duc, et enfin
emmenés en Allemagne.
Après la guerre
Après
la guerre, l'abbaye d'Hautecombe est un des deux centres pastoraux
dédiés aux Polonais du département de Savoie, l'autre étant à
Aix-les-Bains.
Certaines
accusations ont été portées contre l'abbaye d'avoir hébergé Paul
Touvier alors en fuite, mais le père abbé publie un démenti le 29 mai
1989, affirmant que Touvier « n'a jamais séjourné
à l'abbaye d'Hautecombe, [même s'il] a eu des contacts personnels avec
le père Édouard Dupriez, [alors] abbé de ce monastère jusqu'en 1978 », et d'autre part que « le
père Michel Pascal, actuel abbé d'Hautecombe, et toute la communauté,
récemment informée, réprouvent énergiquement les actes dont Paul Touvier
est accusé et les idéologies qui les ont suscités ». L'affaire ne va pas plus loin.
Le
statut juridique particulier d'Hautecombe est précisé dans les années
1960 par Raoul Naz, prêtre canoniste du diocèse de Chambéry : elle est
un des rares lieux concernés par l'article 15 de la loi de séparation
des Églises et de l'État. En effet, ce dernier précise que
« dans
les départements de la Savoie, de la Haute-Savoie et des
Alpes-Maritimes, la jouissance des édifices antérieurs à la loi du 18
germinal an X […] sera attribuée […] aux associations cultuelles. »
Raoul
Naz montre que la survivance des personnes morales subsistant dans les
deux Savoie et dans les Alpes-Maritimes après les annexions de 1860 n'a
pas à être remise en cause par l'administration, et que dans le cas
d'une telle remise en cause, le tribunal peut s'appuyer sur la
jurisprudence du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 31
décembre 1958. Cela explique que, contrairement à l'immense majorité des
édifices religieux construits avant la promulgation de la loi de 1905,
l'abbaye d'Hautecombe ne soit pas soumise à l'article 4 de cette loi :
les propriétés foncières et immobilières de l'abbaye ne sont propriété
ni de l'État, ni de la commune, mais de la seule Fondation d'Hautecombe.
- Publication des moines
L'immédiat
après-guerre est marqué dans l'Église catholique par des questions
inhérentes à la liturgie. En 1947, Pie XII publie l'encyclique Mediator Dei
afférente à ces questions, tandis que le Saint-Siège approuve, en 1947,
à la demande des évêques français, un rituel latin-français. L'abbaye
s'attelle alors, ainsi que d'autres abbayes de pays francophones, à la
réalisation de missels, dont la première édition paraît en 1949 sous le
nom de « missel d'Hautecombe ».
Les
moines de l'abbaye participent en 1968 à la réédition de la traduction
en français de la Bible dite « la Sainte Bible » (dite « Bible de
Maredsous », car la première traduction avait été commencée par les
moines de cette abbaye).
Enfin,
les moines d'Hautecombe, sous la direction de Marc Lacan et de
Daniel-Rops, publient en 1961 un recueil de textes bénédictins sous le
titre Saint Benoît et ses fils.
- Liste des abbés bénédictins de l'abbaye d'Hautecombe de 1922 à 1992.
- (1920-)1922 : Léon Guilloreau ;
- 1922-1941 : Bernard Laure ;
- 1941-1943 : André Cabassut ;
- 1943-1978 : Édouard Dupriez ;
- 1978-1992 : Michel Pascal.
Départ des moines et arrivée du Chemin Neuf
Le départ des bénédictins à Ganagobie
Église
abbatiale d'Hautecombe durant une célébration de l'Avent ; les membres
de la Communauté du Chemin Neuf sont en aube blanche
Le
22 juillet 1987, la communauté bénédictine, trop prise par les
exigences des visites touristiques et réclamant plus de paix pour vivre
sa vocation monastique, vote son transfert en Haute-Provence, au
monastère clunisien de Ganagobie, fondé en 930 dans le diocèse de Digne.
L'archevêque de Chambéry d'alors, Mgr
Claude Feidt, et le père abbé demandent à la communauté du Chemin Neuf,
communauté charismatique fondée en 1973, de venir à Hautecombe pour y
assurer quatre tâches principales : maintenir la tradition de prière en
assurant la célébration des offices et de la messe chaque jour dans
l’église abbatiale ; assurer l’entretien du monument et du site
d’Hautecombe ; continuer l’accueil des visiteurs ; faire de ce lieu un
centre de formation chrétienne et de ressourcement. Le Chemin Neuf,
après deux refus successifs, accepte cette demande. En 1992, les moines
bénédictins, assurés de la présence d'une communauté priant à
Hautecombe, partent donc pour s'établir à Ganagobie.
L'abbaye et le Chemin Neuf
- Listes des responsables de l'abbaye
- 1992-1999 : Anne-Cathy Graber ;
- 1999-2008 : Olivier Turbat ;
- 2008-2014 : Sonia Béranger ;
- Depuis 2014 : Dagmara Klosse.
Une maison de formation
La
communauté du Chemin Neuf, conformément à la demande des bénédictins, a
fait de l'abbaye une maison de formation internationale, accueillant
des jeunes de tous pays en quête de formation spirituelle. Durant les
vingt premières années de sa présence à Hautecombe, le Chemin Neuf a
accueilli et formé environ 1 400 personnes.
L'accueil touristique
Les nuits d'Hautecombe, concert à la grange batelière, en août 2008
La
communauté a également repris la partie touristique, en prenant à sa
charge l'accueil, l'organisation des visites (en 2012, elles sont ainsi
disponibles en sept langues), ainsi qu'une partie de la restauration de
l'abbaye. Fin 2012, Hervé Gaymard, président du Conseil départemental de
la Savoie, note que la « présence [du Chemin Neuf] a apporté une
utilité renouvelée à [l'abbaye d'Hautecombe], en pleine conformité avec
la Charte de Venise ».
En
temps ordinaire, seule l'abbatiale est visitable, afin de ne pas
troubler la prière et la formation de la communauté ; une fois par an,
lors des Journées européennes du patrimoine, l'ensemble de l'édifice et
des jardins est ouvert à la visite. En 2014, l'abbaye accueille ainsi
4 273 visiteurs les 21 et 22 septembre.
Les
frais engagés par le Chemin Neuf pour la restauration de l'abbaye sont
ainsi estimés à un million d'euros sur la période 1992-2005, et à un
million et demi d'euros pour la période 1992-2012. Le montant total des
travaux sur la période 1992-2012 est quant à lui de 4 683 000 euros
(sans tenir compte des travaux d'entretien, qui s'élèvent par exemple à
437 239 euros pour la période 2008-2012), et les travaux prévus à partir
de 2013 (réfection des toitures de l'abbatiale) sont estimés à deux
millions d'euros supplémentaires. Pour la réfection de la toiture, la
répartition des frais s'était faite ainsi : 40 % des frais sont
respectivement à la charge du Ministère de la Culture et du Conseil
départemental de la Savoie, les 20 % restant à celle de la fondation
d'Hautecombe.
À
ce titre, une expérimentation sociale a été effectuée durant ces
travaux, en partenariat avec le SPIP afin de faire travailler sur ce
chantier des personnes détenues et de les réinsérer par le travail.
Une partie des restaurations a été menée par la commune de Saint-Pierre-de-Curtille, comme pour les appartements du roi.
La perpétuation des productions monastiques
Le
Chemin Neuf a notamment repris certaines productions des moines
bénédictins : reproduction d'icônes sur bois, fabrication de bougies, de
pâtes de fruits, de confitures et de miel. En revanche, elle a confié à
un viticulteur extérieur la gestion de la vigne et de la vinification
du “Royal Hautecombe”.
La vie de prière
La
communauté anime chaque jour les laudes, l'eucharistie et les vêpres,
ouvertes à tous, voisins ou visiteurs de passage, sauf le mardi. C'est
une des six maisons d'accueil spirituel du diocèse de Savoie.
Arrivé
à l'abbaye d'Hautecombe, le Chemin Neuf perçoit le potentiel du site
pour l'organisation de rassemblements estivaux de jeunes. Le premier
rassemblement européen, en 1993, voit l'inscription de mille
participants, nombre qui monte à deux mille (de trente nationalités,
avec une prédominance des Européens de l'Est) en 1996. Lors de ces
rassemblements, la journée est partagée en deux, avec une matinée
consacrée aux enseignements et témoignages, et une après-midi ouverte
sur des temps d'ateliers et de forums. Un accent particulièrement fort
est mis sur l'unité et la réconciliation. À partir de l'été 2012, le
rassemblement estival d'Hautecombe est transformé, prenant le nom de
« Welcome to paradise ».
Un lieu de rencontres œcuméniques
En
particulier, l'abbaye est un lieu de formation et de rencontre
œcuméniques. Les sept premières années pendant lesquelles Hautecombe est
confiée au Chemin Neuf, c'est une mennonite, Anne-Cathy Graber, qui en
assure la responsabilité. Des rencontres, conférences et séminaires de
formation sur l'œcuménisme y sont régulièrement organisés. L'abbaye est
en relation avec les communautés catholique, protestante et orthodoxe
des environs.
Abbaye
L'abbaye médiévale
Organisation générale
L'organisation
spatiale des bâtiments de l'abbaye médiévale différait assez peu de
l'actuelle, la reconstruction ayant cherché à préserver la structure
pré-existante. Néanmoins, certaines transformations sont intervenues.
Une
double enceinte entourait au Moyen Âge les constructions monastiques
côté montagne. L'enceinte extérieure ceignait environ huit hectares, et
ne fut entièrement démolie qu'en 1834. Elle allait, en gros, de l'ancien
port à l'actuel, en pénétrant d'environ trois cents mètres à
l'intérieur des terres. Elle comprenait donc, outre l'abbatiale et le
cloître, la grange batelière, les bâtiments agricoles du petit plateau
situé immédiatement au-dessus de l'église. L'enceinte intérieure, qui
subsiste de nos jours, circonscrit l'abbaye proprement dite (un peu plus
de deux hectares), et s'ouvre au nord vers ce qui est le parking
actuel.
Hautecombe
est bâtie sur un promontoire rocheux que les moines durent étayer et
aplanir afin d'y construire leur abbaye. Aussi trouve-t-on des traces de
soutènement côté lac. Certains murs descendent jusqu'à la grève prendre
appui sur une base solide, et mesurent une vingtaine de mètres de
hauteur, pour une épaisseur dépassant parfois deux mètres. La première
construction de ce gros œuvre, très dégradée, dut être entièrement
refaite aux XIIIe et XIVe siècle.
Encore plus tard, on assura la durabilité de l'ensemble en construisant
plusieurs gros contreforts, qui furent aménagés en belvédères.
L'abbaye,
fidèle au modèle cistercien, s'organise autour du cloître carré.
L'abbatiale est au nord. À l'est, dans le prolongement sud du transept,
le bâtiment des moines, construit directement sur le roc : il comprenait
comme aujourd'hui la sacristie, mais aussi le parloir et la grande
salle des moines. Au premier étage se situait le dortoir. Au sud, bâtis
sur des fondations complétant l'assise calcaire se situaient (comme dans
le bâtiment actuel) les cuisines et le réfectoire, mais aussi le four
et le chauffoir (à l'emplacement de la salle à manger du roi actuelle).
Enfin, à l'ouest du cloître (à l'emplacement actuel du magasin) se
situait le bâtiment des convers.
L'ancienne abbatiale
Le chevet et le clocher de l'église abbatiale vus depuis la cour Saint-André Au premier plan, le cimetière des moines
L'église
médiévale, mis à part le style architectural infiniment plus dépouillé,
ne différait de l'actuel édifice que par deux caractéristiques
principales : la hauteur des nefs, plus grande, et l'absence de
vestibule (l'église était cependant dotée d'un porche, mais moins
profond que la chapelle de Belley et communiquant vers la nef et les
bas-côtés par trois portes). Édifiée à peu près en même temps que les
abbayes de Bonmont et de Fontenay, l'église d'Hautecombe reprend leur
plan général, un peu plus grande que Bonmont et plus petite que
Fontenay. La longueur totale de l'abbatiale est de 56,75 mètres ; la
largeur de la nef est de 7,35 mètres, et la largeur totale de
15,75 mètres avec les bas-côtés ; le transept a à peu près la même
largeur que la nef, 7,30 mètres, pour une longueur de 25,90 mètres. À la
croisée de la nef et du transept s'élevait une coupole surmontée du
clocher (aujourd'hui, il est situé au-dessus de la chapelle Alphonse de
Liguori).
L’irrégularité
du plan témoigne d'une certaine transgression de la rigueur
géométrique. La plus visible entorse à cette dernière est la déviation
du chœur vers le nord mais on peut noter aussi l'irrégularité du carré
du transept. Il est possible que ces petites imprécisions soient dues
notamment à une construction comprenant deux chantiers simultanés, l'un,
à l'est, côté lac, entamé directement ; et l'autre, côté montagne,
forcé de commencer par des travaux de terrassement (les fondations
descendent à cinq mètres).
Le
matériau utilisé est extrait sur place, ce qui ne va pas sans poser des
problèmes à long terme. En effet, la pierre locale est une molasse de
mauvaise qualité, qui contraint les moines des siècles suivants à de
nombreuses réparations. Très rapidement, dès la seconde moitié du XIIe siècle,
les moines recherchent une pierre plus durable, et se tournent vers une
pierre de calcaire jaune issue des environs, et qui sert principalement
pour la grange batelière. Les moellons constituant les murs sont peu
dégrossis et une quantité importante de mortier est utilisée.
Les
murs gouttereaux ont toujours été exempts de contreforts, ainsi que
l'ont révélé les décapages pratiqués en 1956 et 1968. En revanche, le
transept, lui, en a conservé cinq petits en molasse. Le chœur aussi
était probablement soutenu par ces mêmes contreforts, mais ils ont été
remplacés lors de la restauration du XVIIIe siècle (celle de Victor-Amédée III).
La
lumière pénétrait dans l'église par les trois petits oculi de la façade
ouest, ainsi que par six petites fenêtres donnant sur les bas-côté, et
deux plus grandes à l'extrémité nord du transept. Le cloître étant assez
exigu et la façade ouest donnant sur la montagne, l'église devait donc
être particulièrement sombre, sauf si — mais c'est une hypothèse non
avérée — le mur du chevet de l'église était ajouré de fenêtres, ce qui
n'est plus le cas aujourd'hui. L'église était donc volontairement
dépouillée et sobre d'apparence, suivant les principes cisterciens. Tout
y était conçu pour faciliter la vie de prière des moines, comme
l'escalier reliant directement le dortoir au chœur des moines, ou encore
le mur séparant celui-ci de la nef réservée aux convers.
Les chapelles
Arc marquant l'ouverture de l'ancienne chapelle de Chevelu, dans le bas-côté septentrional
À
la jonction du transept et du bas-côté nord existait une chapelle dite
« de Chevelu », aujourd'hui détruite, de forme carrée ; elle aurait été
fondée par le seigneur du château de Lucey, le chevalier Torestan de
Chevelu — d'où son nom —, bienfaiteur avec son père Bernard de l'abbaye.
À côté de celle-ci, entre l'ancienne chapelle de Chevelu et l'actuelle
chapelle saint-Félix, se situait la chapelle de Romont, édifiée par
Humbert de Savoie, comte de Romont (d'où son nom) ; étant né hors
mariage, il ne pouvait prétendre à la chapelle des princes, mais
escomptait bien cependant être enterré à Hautecombe.
Suivant
l'usage cistercien, le transept s'ouvrait sur deux chapelles tournées
vers l'est de chaque côté du chœur. Les deux chapelles du nord
n'existent plus, car elles ont été remplacées par la chapelle des
Princes au XIVe siècle (voir ci-dessous §
“nécropole de la Maison de Savoie”). Les deux chapelles symétriques, au
sud du chœur, dédiées à Alphonse de Liguori et saint Michel sont en
revanche restées à peu près en l'état. D'après Claudius Blanchard, qui
reprend les observations d'Ernesto Melano, celle d'Alphonse de Liguori
aurait été un temps consacrée à saint Benoît et saint Bernard, selon la
volonté de Bonne de Bourbon ; mais l'emplacement n'a pu en être confirmé
avec certitude.
Le cloître et les bâtiments des moines
La partie occidentale du cloître (donnant anciennement sur le bâtiment des convers) ; seul témoin de la restauration menée au XVe siècle par Jacques de Moyria. Les autres coursives du cloître datent du XVIIIe ou du XIXe siècle
Le cloître était à peu près le même qu'au XXIe siècle. Il ne fut reconstruit qu'une seule fois, alors qu'il menaçait ruine, au début du XVe siècle,
par Jacques de Moyria, dernier abbé régulier. À l'ouest, côté lac, il
était bordé par le bâtiment des moines, comprenant sacristie,
bibliothèque, salle capitulaire et salle des moines au rez-de-chaussée.
La bibliothèque n'était à l'origine qu'une simple armoire dans la
sacristie : les livres étaient rares, l'imprimerie n'ayant alors pas
encore été inventée. La salle capitulaire était le lieu où on lisait la
règle monastique, en laissant la porte toujours ouverte pour que les
convers situés à l'extérieur pussent entendre. Elle servait aussi de
tombe aux abbés, qui sont ensevelis sous le dallage de la pièce. La
salle des moines (auditorium ou encore parloir) était le lieu de
rassemblement des moines pour toutes les tâches communes. Le dortoir et
la cellule de l'abbé étaient situés au premier étage du bâtiment. À
partir de l'adoption du régime de la commende, au cours du XVe siècle,
les moines, contre les usages de la règle cistercienne, cloisonnèrent
le dortoir en chambres individuelles ; et l'abbé quitta sa petite
cellule située au-dessus de la sacristie contre un logis qu'il occupait
les rares fois où il venait séjourner à Hautecombe.
Au
sud du cloître étaient situés les cuisines, le réfectoire, le
chauffoir, la cuisine et l'empâterie. Parmi ces pièces, la plus vaste,
et de loin, était l'immense réfectoire (vingt-sept mètres de longueur,
dix mètres de largeur et vingt de hauteur), voûté et sans charpente
supérieure : les tuiles reposaient directement sur la voûte. Il
s'effondra faute d'entretien entre 1700 et 1729. À cette époque, cuisine
et réfectoire sont réaménagés dans la salle des moines. À l'ouest du
cloître (côté montagne) s'étendait le bâtiment des convers, comprenant
le cellier ainsi que le réfectoire (au rez-de-chaussée) et le dortoir
(au premier étage) de ces derniers.
Les autres bâtiments
À
l'est du noyau que constituaient l'église, le cloître et les bâtiments
le bordant, s'étendait comme aujourd'hui la cour Saint-André et la
chapelle du même nom, ainsi que le cimetière. On y trouvait aussi le
noviciat et l'infirmerie. D'après un rapport de l'abbé de Salerne, ces
bâtiments n'existaient plus en 1486, et furent rétablis par la suite ;
le petit bâtiment servit en outre de dortoir, lorsque les moines devenus
trop peu nombreux refusèrent de dormir dans le dortoir monastique
menaçant ruine au XVIIe siècle. À partir
du début de la commende, s'établit aussi dans cette cour le logis de
l'abbé. Cette construction audacieuse était bâtie à l'extrême pointe du
roc, au-dessus du lac, et accessible directement depuis le port par un
escalier ; ainsi, l'abbé commendataire pouvait-il gagner son logis sans
avoir à se mêler aux moines. C'était un bâtiment monumental de 26 mètres
de façades au sud et au nord, prolongeant le bâtiment sud de l'abbaye.
En outre, au XVIIIe siècle, ce logis annexa le chauffoir des moines, seul lieu chauffé en permanence.
Plan
de l'intérieur des bâtiments, dressé en 1844. La principale différence
entre ce plan et le plan actuel est l'envasement du vieux port, dû à sa
désaffectation
Le
portail actuel de l'enceinte de l'abbaye (portail construit vers 1430
par le dernier abbé régulier, Jacques de Moyria) était jadis plus haut,
couvert d'un mâchicoulis et d'une charpente en bâtière (toit à deux
pentes), et surmonté à l'une de ses extrémités par une tourelle. Cela
est sans doute dû à un des abbés commendataires, au cours du XVe siècle,
à l'époque où les monastères étaient souvent assaillis par des
pillards, parfois des bandes éparses issues des combats de la guerre de
Cent Ans ; cette construction est probablement à lier avec le droit de
vie et de mort acquis par l'abbé commendataire à cette époque. Le long
de cette porte se tenait le bâtiment de la porterie, tenue par le frère
portier.
Plus
haut, à la limite de l'enceinte intérieure, à une soixantaine de mètres
de la porte principale, se dressait la porte de l'aumône, de laquelle
subsiste un montant d'un portail actuel ; elle était ainsi nommée en
raison des aumônes qui y étaient organisées pour les nécessiteux ; à
proximité se dressait un grand bâtiment (trente mètres de longueur sur
dix mètres de largeur), qu'on suppose construit par Amédée VI pour
servir d'écurie, et dont il ne reste que deux petits pans de murs.
Toujours dans l'enceinte intérieure, mais à un emplacement incertain,
devait logiquement, comme dans toutes les abbayes comparables, se
trouver une hôtellerie pour accueillir les voyageurs de passage. Sur le
petit plateau dominant l'abbaye, se trouvaient les bâtiments
d'artisanat : paneterie, grenier, cellier et forge. À partir du XVIe siècle,
les frères convers se faisant rares, ils furent remplacés par des laïcs
(les « rendus » ou « donnés ») qui logeaient dans des petites maisons
individuelles construites aux XVe et XVIe siècles.
L'extérieur
de la petite enceinte comprenait aussi plusieurs bâtiments : notamment
une boucherie (bâtiments à étage, avec plusieurs pièces) attenant à une
étable, qu'on tenait éloignée de l'abbaye à cause des odeurs ; mais
aussi une hôtellerie réservée aux femmes, qui ne pouvaient dormir dans
l'enceinte monastique. Toutes les abbayes n'en étaient pas dotées, mais
Hautecombe, accueillant de nombreuses cérémonies d'inhumation, y était
contrainte. Ces bâtiments sont aujourd'hui détruits et leur emplacement
incertain, mais leur existence avérée. L'eau potable, quant à elle,
était captée dans une source située à trois cents mètres à l'ouest de
l'abbatiale, mais à l'intérieur de la grande enceinte, et acheminée par
des conduites de bois. Enfin, à l'extérieur des deux enceintes, se
trouvaient trois moulins et une scierie ; les moulins subsistèrent
jusqu'au XIXe siècle, et l'un s'entre
eux, dit « moulin blanc » à cause de la qualité de sa farine, ne fut
détruit qu'en 1909. D'autres bâtiments, en ruine lors de la restauration
de 1824, et dont des décombres affleurent par endroits, avaient
préexisté mais on ne peut que supposer leur fonction.
La
grange batelière est par contre aujourd'hui conservée, et c'est un
bâtiment rarissime par sa conception. En effet, comme son nom l'indique,
cette grange de 35,85 mètres sur 12,70 mètres bâtie sur le lac était
accessible par des barques, qui pénétraient à l'étage inférieur voûté
par une des quatre ouvertures (deux à l'est, une au nord et une à
l'ouest). Des anneaux leur y permettaient de s'amarrer et de demeurer à
quai et à l'abri en cas de tempête. Un puits de communication permettait
de transvaser le contenu des barques de l'étage inférieur au supérieur,
qui était un vaste grenier. Cette grange date, suivant les sources, de
la fin du XIIe siècle ou du milieu du XIIIe siècle.
L'abbaye aujourd'hui
Plan de l'abbaye et de ses environs immédiats
L'abbaye
s'organise autour de l'église abbatiale et du cloître qui la jouxte,
selon le plan classique des abbayes. Cependant, des spécificités propres
à Hautecombe existent, dues notamment à l'exiguïté du site.
L'église
abbatiale est orientée environ 30° au nord par rapport à une stricte
orientation Est-Ouest classique. Au nord et à l'est, elle est entourée
de la cour Saint-André, qui surplombe directement le lac. Cette cour
abrite entre autres le cimetière des moines bénédictins, qui se trouve
juste derrière le chevet de l'église. Juste derrière ce cimetière, la
construction la plus orientale de l'abbaye est la chapelle Saint-André,
surmontée de son phare, tous deux construits sur l'initiative de
Marie-Christine, pour guider les pêcheurs en difficulté. Le cloître est
situé au sud de l'église, entouré des bâtiments principaux (réfectoire,
bibliothèque, scriptorium, salle capitulaire, etc.) ; la terrasse est au
sud du cloître.
De
l'autre côté, au nord de la cour Saint-André, se situe un grand corps
de bâtiment traditionnellement nommé « la ferme », et qui dut donc avoir
cette fonction à une époque récente ; ce bâtiment abrite notamment une
grande salle voûtée, que les membres du Chemin Neuf ont baptisée Marcel
Callo, et qui abrite une partie des formations qu'elle organise.
En-dehors de l'église, des cours situées devant et derrière, du cloître,
des bâtiments qui ceinturent ce dernier et de la terrasse, le site est
en forte pente. Notamment, en face du porche de l'église abbatiale, la
pente monte fortement vers les anciens sites agricoles (ruches,
vignes) ; les vignes ont d'ailleurs été ponctuellement arrachées et le
site aplani pour implanter le chapiteau sous lequel le Chemin Neuf
accueille des rassemblements estivaux.
L'église abbatiale
Caractéristiques générales
Plan détaillé de l'église abbatiale d'Hautecombe, avec descriptif des différents éléments. D'après Joseph Jacquemoud
L'église
abbatiale adopte un plan classique de croix latine à une nef de six
travées et deux bas-côtés, avec un transept et un chœur. La seule
particularité notable dans la structure de l'église est l'emplacement de
l'orgue, situé non au-dessus de l'entrée, mais au fond du chœur, qui
est donc aveugle. Ce dernier est très légèrement désaxé au nord. Raymond
Oursel remarque que l'église abbatiale d'Hautecombe reprend le plan
classique cistercien déployé en particulier à l'abbaye de Fontenay.
La
largeur et la longueur de l'édifice sont exactement les mêmes que celle
de l'église d'origine, détruite à la Révolution. En revanche, les
voûtes de l'ancienne église étaient beaucoup plus hautes (environ
14 mètres) que celle de l'église actuelle (environ 10,4 mètres). La
façade d'origine, qui se situe entre la nef et la chapelle de Belley
(six mètres environ en arrière de la façade de Claude d'Estavayer), peut
encore être vue depuis les combles de l'édifice. Les traces des
anciennes voûtes des XIIIe et XIVe siècles
(cette dernière un peu plus basse) sont encore visibles, respectivement
au-dessus d'un mur « peint en ocre rouge » et d'une autre partie du mur
« blanchi[e] à la chaux ».
Claudius
Blanchard (à la page 68 de Histoire de l'abbaye d'Hautecombe en
Savoie), analysant la structure du nouvel édifice, qui reprend
exactement celle de l'ancien, en déduit que l'église d'origine,
remontant« aux temps d'Humbert III, … fut un des premiers édifices
gothiques, non seulement des vallées alpestres, mais encore du sol
français ». Il semble que ce soient les cisterciens qui aient importé
cette nouveauté architecturale en territoire français : « Les
cisterciens, qui possèdent en 1209 dix monastères en Savoie,
introduisent en Savoie le berceau brisé. ».
Les
études plus récentes, en revanche, sans remettre en question la réalité
des croisées d'ogives présentes dès la construction de l'église
initiale, ne concluent plus cependant à une structure gothique. La
Savoie étant à un carrefour d'influences architecturales, et les sites
d'implantation d'églises étant souvent très contraints (manque de place,
matériau friable), de nombreuses adaptations architecturales ont vu le
jour. Le père Romain Clair, moine bénédictin d'Hautecombe et spécialiste
de l'histoire de celle-ci, rapporte ainsi que la nef centrale
originelle était voûtée en « un berceau très légèrement brisé » alors
que les bas-côtés étaient dotés « de berceaux longitudinaux en plein
cintre », système assez rare dans l'architecture cistercienne.
Entre les deux avant-derniers piliers de la nef (cénotaphes respectivement de Jean de Savoie et de Philippe Ier
de Savoie) et les deux derniers, qui donnent sur le transept, la nef
comporte deux rangs de stalles de chaque côté, destinés à l'origine aux
moines et désormais aux membres de la communauté du Chemin Neuf. Un des
plus importants ajouts à l'édifice originel est la chapelle dédiée à
saint Félix (le saint patron de Charles-Félix de Savoie, probablement
Félix IV), s'ouvrant sur le bas-côté nord, et dont le style classique
tranche sur le gothique troubadour du reste de l'édifice.
Ornementation
Les
très nombreux entrelacs de la voûte sont, au contraire de la technique
savoyarde déployée à la cathédrale de Chambéry et à la chapelle du
château de Chambéry (Chapelle du Saint Suaire), en relief, en stuc, et
non en trompe-l'œil : « Les voûtes à fond bleu sont recouvertes
d'entrelacs en stuc. ». Les allèges sont ainsi souvent recouvertes de
bas-reliefs représentant des scènes de bataille.
Cependant,
de très nombreux autres éléments sont en trompe-l'œil : « L'usage, peu
parcimonieux, du trompe-l'œil néogothique vise bien sûr à frapper les
imaginations : il doit cristalliser l'identité savoyarde en un lieu pour
le moins singulier. ». Les fresques de la coupole représentent la vie
de Bernard de Clairvaux.
L'orgue
Comme
il a été écrit précédemment, l'orgue possède la rare particularité
d'être situé au fond du chœur de l'église abbatiale. En revanche, la
console est située, elle, à l'intersection de la nef et du transept, sur
le côté droit de la nef. Il existe donc une distance d'une quinzaine de
mètres entre l'organiste et son instrument, ce qui induit un léger
décalage temporel ne facilitant pas le jeu. L'orgue a été construit en
1843 par les frères Agati et sa dernière restauration remonte à 1985.
Le cloître
Cloître de l'abbaye
Le
cloître de l'abbaye d'Hautecombe a été construit en 1742 ; il a bien
supporté la Révolution et a été globalement peu modifié par les
restaurations de Charles-Félix et de sa femme. Il est situé du côté sud
de l'église abbatiale. De dimensions assez réduites (26,5 ×
27,35 mètres), il est entièrement clos pour ne permettre aucune
distraction aux moines qui l'arpentaient. Au centre du cloître se trouve
un petit jardin au milieu duquel trône un puits, profond de
11,2 mètres, qui alimentait la communauté en eau potable dans des temps
antérieurs ; depuis, le puits a été remplacé par une fontaine actionnée
par une pompe à main. Quelques pierres, vestiges de l'ancienne abbaye
(d'avant la Révolution) sont exposées sur un des murs.
Autour
du cloître (au rez-de-chaussée) sont situés, au nord l'église
abbatiale, à l'est l'ancienne salle du chapitre, transformée sous
l'égide du Chemin Neuf en oratoire œcuménique, à l'ouest la boutique de
l'abbaye, au sud le réfectoire des moines, enfin au sud-ouest la salle à
manger dite « du Roi », car conçue dans l'esprit de Charles-Félix pour
servir de lieu propre à l'accueillir lors de ses visites à l'abbaye. De
même, au premier étage, les appartements du roi sont situés au sud-est
du cloître ; au nord du cloître (le long de l'abbatiale) se situe en
particulier la bibliothèque, contenant environ 10 000 volumes.
La terrasse
Terrasse de l'abbaye
La terrasse de l'abbaye, au sud du cloître, a été aménagée durant les travaux de rénovation de l'abbaye au XVIIIe siècle.
Elle surplombe d'une vingtaine de mètres le vieux port, ancien
embarcadère des bateaux en provenance d'Aix-les-Bains, aujourd'hui
désaffecté. Elle a été représentée en particulier (« terrasse de
l'ancienne Abbaye d'haute-Combe ») par Lancelot Théodore Turpin de
Crissé, chambellan de Joséphine de Beauharnais, durant le séjour à Aix
de l'impératrice qui venait d'être répudiée.
La terrasse et le cloître sont ouverts à la visite chaque année pour les Journées du patrimoine.
La chapelle Saint-André et le phare
La
chapelle Saint-André est située à l'extrême est. Elle est surmontée du
phare d'Hautecombe ; tous deux ont été construits lors de l'achèvement
des travaux de restauration, par Marie-Christine en 1833. Le phare
servait à aiguiller les mariniers se trouvant sur le lac, dans le cadre
de la mission d'assistance aux bateaux qu'avaient à remplir les moines.
La chapelle saint-André existait déjà avant les travaux de Melano, et sa
structure (arcs en plein cintre) est chargée de décorations qui ne
peuvent pas être rapportées à une architecture cistecienne. Romain Clair
fait l'hypothèse qu'une chapelle pré-existante à l'arrivée des
Cisterciens avait été construite sur le site de Charaïa, peut-être au XIe siècle ; et éventuellement même que cette chapelle aurait repris des éléments (sarcophages) datant du VIIe ou VIIIe siècle.
Le phare a été restauré en 2007 par le Chemin Neuf grâce au mécénat (18 000 €) du Crédit Agricole.
La grange batelière
Le guitariste américain Anthony Glise en 2008 aux nuits d'Hautecombe, dans la grange batelière
La grange batelière est située à côté du nouvel embarcadère de l'abbaye ; elle date de la fin du XIIe siècle.
Ce bâtiment à usage de grenier a gardé comme principale caractéristique
sa construction sur deux niveaux, le niveau inférieur pouvant à
l'origine communiquer avec le lac pour que les barques puissent entrer
et charger ou décharger leurs produits.
Elle
a été classée monument historique en 1875, et restaurée en 1984 ; son
réaménagement en 2007 l'a transformée en lieu consacré à la culture,
avec l'organisation régulière de concerts (principalement de musique
classique ou sacrée) et d'expositions de peinture ou de photographie,
notamment en août avec les « Nuits d'Hautecombe ».
L'ancien débarcadère sous la grange batelière
La nécropole de la Maison de Savoie
Tombe d'Aymon de Savoie et Yolande de Montferrat par Samuel Guichenon
Gisant d'Humbert III de Savoie
Tombe d'Agnès de Savoie
Gisant de Béatrix de Savoie
Tombe de Clémence de Zähringen, femme d'Humbert III de Savoie
Tombeau d'Humbert II, dernier roi enterré à Hautecombe, mort en 1983
À
ses débuts, l'abbaye d'Hautecombe n'avait pas cette vocation de
nécropole. Amédée III, son premier protecteur, par exemple, n'y est pas
enterré. C'est la piété d'Humbert III, qui l'amenait souvent prier au
monastère, et la perte prématurée de son épouse Clémence de Zähringen,
qui amenèrent l'inhumation de cette dernière dans le cloître de
l'abbaye, pour que son mari vienne se recueillir sur sa tombe, puis,
logiquement, l'enterrement de celui-ci à côté d'elle, et la tradition
s'instaura. Mais, à l'exception de Boniface de Cantorbéry, évêque, les
nobles défunts étaient enterrés soit dans le cloître soit dans les
espaces extérieurs
C'est
Aymon de Savoie qui fit ériger à Hautecombe entre 1331 et 1342 la
« chapelle des Princes », une crypte dont le plan était en “T”, prenant
la place des deux chapelles situées à l'Est de la partie Nord du
transept, et dans laquelle il fit transporter la totalité des dépouilles
mortelles présentes à Hautecombe depuis Clémence de Zähringen. Elle fut
décorée par les deux peintres Jean de Grandson et Giorgio d'Aquila. De
cette date jusque vers le début du XVIe siècle,
elle fut la nécropole des comtes de Savoie ainsi que celle des princes
et princesses de cette dynastie. Au cours des siècles suivants, d'autres
princes et princesses de Savoie, ainsi que certains souverains de la
dynastie (ducs de Savoie puis rois de Sardaigne) choisirent d'être
inhumés dans l'abbaye d'Hautecombe pour en faire leur nécropole, comme
la basilique Saint-Denis l'est pour les rois de France.
La
liste des souverains qui y sont enterrés n'est pas aussi claire qu'il y
semble au premier abord. Ainsi, le Grand dictionnaire universel du XIXe siècle
de Pierre Larousse (publié entre 1866 et 1876) tome neuvième, décompte
vingt-huit tombeaux et cénotaphes (donc trente en y ajoutant les deux du
XXe siècle). La Notice sur la royale
abbaye d'Hautecombe de Jean L. Cot en recense vingt-neuf (donc
trente-deux aujourd'hui). En réalité, au moins quarante-et-une personnes
de la maison de Savoie, hommes, femmes et enfants sont enterrés à
Hautecombe. Cette différence tient premièrement au fait que les membres
d'un couple sont enterrés parfois ensemble, parfois séparément ; que les
enfants en bas âge ne sont pas toujours comptés dans les anciennes
estimations ; enfin que certains tombeaux sont vides, les personnes
prévues pour y être ensevelies l'ayant été ailleurs.
Par ailleurs, les sources du XIXe siècle
font état de confusions, d'erreurs et d'inversions concernant les
personnes. Ainsi, Jean L. Cot fait gésir Thomas II de Piémont dans
l'abbatiale, alors que c'est dans la cathédrale d'Aoste qu'on l'a
enterré. De même, il suppose que Marie-Anne de Savoie (la sœur aînée de
Charles-Félix), princesse de Sardaigne, duchesse de Chablais (née le 17
décembre 1757, morte le 11 octobre 1824), qu'il nomme
Marie-Anne-Caroline-Gabrielle, est enterrée à Hautecombe. En réalité,
son tombeau est situé dans la salle des princes (cinquième salle) de la
basilique de Superga, mais un monument à sa mémoire a été effectivement
dressé dans la chapelle de Belley. Joseph Jacquemoud, de son côté,
décrivant le tombeau de Claude d'Estavayer, fait la supposition qu'il y
est enterré ; comme on l'a vu, ce dernier a été en fait inhumé à
l'abbatiale de Romainmôtier.
Les
membres de la maison de Savoie qui sont enterrés à Hautecombe sont ceux
dont le nom est dans un cadre vert, plus six autres détaillés en bas de
liste :
Amédée III de Savoie (1095-1148) | Mahaut d'Albon (1110-1145) | ||||||||||||||||||||||||||||
Clémence de Zähringen (1140-1173) | Humbert III de Savoie (1136-1189) | Béatrice de Vienne (1160-1230) | |||||||||||||||||||||||||||
Thomas Ier de Savoie (1178-1233) | Marguerite de Genève (1180-1257) | ||||||||||||||||||||||||||||
Cécile des Baux (1230-1275) | Amédée IV de Savoie (1197-1253) | Marguerite de Kybourg (1212-1270) | Guillaume de Savoie (1204-1239) | ||||||||||||||||||||||||||
Béatrice de Savoie (1198-1266) | Thomas II de Savoie (1199-1259) | ||||||||||||||||||||||||||||
Thomas III de Piémont (1248-1282) | Sibylle de Baugé (1255-1294) | Amédée V de Savoie (1253-1323) | |||||||||||||||||||||||||||
Jean de Savoie (1273-1284) | Agnès de Savoie (1286-1322) | ||||||||||||||||||||||||||||
Édouard de Savoie (1284-1329) | Marguerite de Savoie (1280-1339) | ||||||||||||||||||||||||||||
Bonne de Bourbon (1341-1403) | |||||||||||||||||||||||||||||
Bonne de Berry (1365-1435) | Amédée VII de Savoie (1360-1391) | ||||||||||||||||||||||||||||
Marie de Bourgogne (1386-1422) | Amédée VIII de Savoie (1383-1451) | ||||||||||||||||||||||||||||
7 autres enfants | Bonne de Savoie (1415-1430) | Louis Ier de Savoie (1413-1465) | |||||||||||||||||||||||||||
Yolande de France (1434-1478) | Amédée IX de Savoie (1435-1472) | ||||||||||||||||||||||||||||
Philibert Ier de Savoie (1465-1482) | Charles Ier de Savoie (1468-1490) | ||||||||||||||||||||||||||||
Yolande-Louise de Savoie (1487-1499) |
À partir du début du XVIe siècle
et du déclin de la ferveur et de la prospérité d'Hautecombe, aucun
noble de la maison de Savoie ne se fait plus enterrer à Hautecombe. Les
troubles politiques de l'époque, notamment liés à la Réforme calviniste
qui se déroule à Genève, toute proche, ainsi que la politique
expansionniste des Français, notamment de François Ier,
expliquent aussi le déménagement de la capitale des États de Savoie de
Chambéry à Turin en 1563 et, plus tard, le choix de la basilique de
Superga comme nécropole sous Victor-Amédée III (1773-1796).
Il y a toutefois des exceptions :
- Marguerite de France, duchesse de Savoie est inhumée à Hautecombe en 1574. Elle était la fille du roi de France, François Ier,l' épouse du duc, Philibert-Emmanuel de Savoie et la mère du duc Charles-Emmanuel Ier de Savoie. Elle joua un rôle déterminant pour obtenir la restitution des territoires de Savoie occupés par les troupes françaises, à la suite du Traité du Cateau-Cambrésis. Elle fut pleurée par toute la Savoie. La description détaillée faite par Samuel Guichenon a permis de restaurer son tombeau profané par la Révolution Française. Cependant, son époux, le duc Emmanuel-Philibert, mort en 1580 à Turin, est inhumé séparément en la Cathédrale Saint-Jean-Baptiste de Turin.
- Claude d'Estavayer, qui cumula les fonctions et les honneurs : évêque de Belley, abbé d'Hautecombe, abbé du Lac de Joux, abbé commendataire de Romainmôtier, chancelier de Savoie et Chevalier de l'ordre de l'Annonciade. Il fit construire son tombeau dans l'église abbatiale, mais, mort à Romainmôtier, il est enterré là-bas ; son tombeau d'Hautecombe accueille aujourd'hui les corps d'Humbert II et de Marie-José de Belgique.
- dom Antoine de Savoie, fils illégitime de Charles-Emmanuel Ier, qui est nommé abbé d'Hautecombe en 1651 par Charles-Emmanuel II, son neveu. Il est enterré à Hautecombe, mais est considéré aussi bien comme religieux que comme membre de la maison de Savoie.
Cette
situation perdure jusqu'à Charles-Félix, restaurateur de l'abbaye après
la Révolution, mort le 27 avril 1831, et qui y est enterré, ainsi que
sa femme Marie-Christine, morte le 11 mars 1849.
Ensuite,
le royaume de Sardaigne devient le catalyseur de la constitution du
royaume d'Italie, et tous les rois italiens à partir de Victor-Emmanuel
II sont enterrés à Rome. Cependant, les années de fascisme, de 1922 à
1945, sont ressenties par les Italiens comme une abdication de la
monarchie, Victor-Emmanuel III ayant remis les pleins pouvoirs à
Mussolini. Le nouveau roi Humbert II est interdit de séjour sur le
territoire italien.
Sont donc enfin enterrés à Hautecombe (dans la chapelle Saint-Bernard, à droite en entrant), mais avec la mention « tombeau provisoire »
exigée par des royalistes italiens réclamant le retour des corps au
Panthéon de Rome, le dernier roi d'Italie, Humbert II, mort le 18 mars
1983, ainsi que la reine Marie-José, son épouse, morte le 27 janvier
2001.
Autres personnes enterrées à Hautecombe
Ce
qui est très rarement dit, c'est que des nobles de nombreuses maisons
mineures de Savoie sont aussi enterrés à Hautecombe, ainsi que d'autres
personnes méritantes ou à la faveur de circonstances spéciales.
Comme
on l'a vu la famille de Chevelu fut une des premières bienfaitrices
d'Hautecombe, en 1144. Il semblerait que cette famille était la branche
savoyarde de la maison de Clermont-Tonnerre. On n'a la preuve écrite de
l'inhumation à Hautecombe que de Jacques, qui demandera, en août 1295, à
être enterré à Hautecombe et à laquelle il fait de nombreux legs et de
François (5 mai 1487) de Chevelu, ainsi que de la première femme de ce
dernier, Louise d'Escrivieux. La famille de Grésy compte également parmi
celles qui ont fait des dons importants à l'abbaye et dont certains
membres ont choisi d'y être enterrés, notamment Richard puis son père
Rodolphe III (1263), dont le frère Pierre était moine ; en 1335, c'est
Alice, veuve de Mermet de Corbières qui demande l'inhumation à
Hautecombe ; Guigues, un membre de sa famille, y était moine.
La
maison de Clermont-Tonnerre, dont il est fait mention ci-dessus, compte
quelques membres inhumés dans l'abbaye : les plus notables sont les
trois frères sourds et muets Guillaume, Amédée et Sibaud, morts après
1306, ainsi que leur nièce Marguerite, veuve d'Humbert de Montbel,
décédée en 1327 ou peu après. La famille de Seyssel est également
représentée, avec Guy (1316) et Guigues (1376). Dans la famille de
Montbel, mentionnée juste ci-dessus, on trouve plus de preuves
d'inhumation : c'est notamment le cas de Béatrice de Villars (veuve de
Jean d'Entremont de Montbel), en 1383 ; de Guy, le 19 avril 1430, ainsi
que de sa femme Catherine de Maubec ; de Jacques (14 mai 1476) et de son
frère Antoine ; enfin, de Sébastien (1572).
D'autres
familles ne sont représentées que par un ou quelques représentants
prouvés : Guillaume du Pont (en 1340), Guy de Montfalcon (le 7 septembre
1374, il est enterré auprès de son père Arthaud et de sa mère Béatrice
de Mareste), Humbert de Forax (ou Foras, le 20 septembre 1409), Étienne
de la Mar (au début du XVe siècle,
avec son père Berthet et ses frères Antoine, Louis et Jean de La Mar
qui meurt, le 5 août 1438, en sa maison forte de Cummugnin et qui dans
son testament demande à être enterré à Hautecombe), Humbert d'Aymavigne
(en 1441 ; cette famille avait donné plusieurs moines à Hautecombe, dont
Hugues en 1355 et Claude en 1428) ; les membres de la famille d'Orlier,
en revanche, y sont nombreux : Albertet (le 8 octobre 1371), Guigonne
(morte le 15 octobre 1380), Arthaud (1er
septembre 1420), Pierre (30 janvier 1467), Claude (6 août 1484), enfin
François (24 février 1491), parent de l'abbé commendataire d'alors,
Sébastien.
Enfin,
les Mécoras ont au moins enterré un couple dont on n'a pas retrouvé les
prénoms, à une date inconnue ; Jean de Montluel choisit l'abbaye pour y
être inhumé, en 1455, ainsi que sa veuve Guigonne de Luyrieu le 23
février 1461 ; Guillaume et Jean de Brésy (ou de Bourdeau), père et
fils, sont ensevelis à Hautecombe ; ainsi que plusieurs artisans ayant
œuvré pour l'abbaye, comme maître Perret et frère Jacermet,
cordonniers ; J. Vallo et frère Martin, tuiliers ; de manière générale,
le cimetière de l'abbaye était disponible pour les membres des familles
des moines, ainsi que pour les noyés du lac, et les ouvriers morts
d'accidents en travaillant à l'abbaye.
Garde d'honneur des tombes royales
Très régulièrement, les membres savoyards et italiens de l'Istituto Nazionale per la Guardia d'Onore alle Reali Tombe del Pantheon
(Institut national pour la garde d'honneur des tombes royales) montent
la garde, en uniforme, devant la tombe du roi d'Italie et duc de Savoie
Humbert II et de son épouse la reine Marie-José. Un hommage est aussi
rendu, à cette occasion, au roi Charles-Félix. Aujourd'hui, seuls huit
Savoyards parmi 5 000 membres italiens, perpétuent cette tradition de la garde d'honneur, fondée par Victor-Emmanuel II.
Commémorations et cérémonies
Chaque
année, en mars, en présence des différents princes et princesses de la
famille royale de Savoie, une cérémonie du souvenir est organisée
conjointement par les chevaliers des ordres dynastiques de la Maison de
Savoie (italiens et savoyards) et les gardes d'honneur des tombes
royales, en mémoire d'Humbert II, roi d'Italie, de la reine Marie-José
et des défunts de la dynastie.
Classement et protection
Grange batelière de l'abbaye d'Hautecombe, restaurée dans les années 1990
L'ensemble
de l'abbaye (église, cloître, terrasse, appartements du Roi, chapelle
et cour Saint-André, phare, mais aussi la grange batelière) sont
protégés au titre du classement dans la liste des monuments historiques,
classement effectué en 1875.
Affluence touristique
En 1867, Claudius Blanchard estimait qu'environ 10 000 touristes visitaient Hautecombe chaque année.
En septembre 1947, Paul Claudel écrivait à ce propos : « À Hautecombe, c'est toujours la même cohue ignoble ». En 1987, dom Pascal, dernier prieur bénédictin de l'abbaye, évaluait à 300 000 les visiteurs annuels. Depuis 1992, l'abbaye accueille suivant les sources entre 150 000 et 300 000 touristes par an.
L'abbaye d'Hautecombe dans la littérature
Honoré de Balzac rend hommage aux ruines (non encore restaurées à l'époque) dans La Peau de chagrin : « là
Raphaël aimait à contempler, sur la rive opposée, l'abbaye mélancolique
de Haute-Combe, sépulture des rois de Sardaigne prosternés devant les
montagnes comme des pèlerins arrivés au terme de leur voyage ».
Alphonse de Lamartine célèbre les ruines d'Hautecombe avant leur restauration par Charles-Félix : « Je
m'assis sur le mur tapissé de lierre d'une immense et haute terrasse
démantelée qui dominait alors le lac, les jambes pendantes sur l'abîme,
les yeux errants sur l'immensité lumineuse des eaux qui se fondaient
avec la lumineuse intensité du ciel. Je n'aurais pu dire, tant les deux
azurs étaient confondus à la ligne de l'horizon, où commençait le ciel,
où finissait le lac. Il me semblait nager moi-même dans le pur éther et
m'abîmer dans l'universel océan. » Il y situe également son roman autobiographique Raphaël.
Jean-Pierre Veyrat (1810-1844), poète savoyard, meurt sans avoir achevé la composition de son poème Station poétique à Hautecombe, commencé en 1837.
L'abbaye est encore évoqué en littérature depuis la fin du XXe siècle. Didier van Cauwelaert place son roman La Vie interdite
(1997) à Aix-les-Bains, en face d'Hautecombe, et y évoque notamment le
départ des moines bénédictins. Jean Rosset titre un de ses romans La Limousine d'Hautecombe ; les moines bénédictins y recueillent un bébé abandonné devant l'abbaye. Maud Stricane a écrit un roman historique (L'Oubliée de Hautecombe)
qui narre la vie de Yolande-Louise de Savoie (1487-1499), mariée à neuf
ans au comte de Bresse, futur Philibert II, morte à onze ans et
enterrée à Hautecombe.
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