Par Paul Hermans — Travail personnel, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=4487843
La Basilique Notre-Dame Virga-Jessé est un édifice religieux catholique sis à la rue de la Chapelle, à Hasselt, dans la province du Limbourg, en Belgique.
L’église construite en 1727 sur le site d’une très ancienne chapelle attire toujours de nombreux pèlerinages mariaux.
Elle fut érigée en basilique mineure en 1998 par le pape Jean-Paul II.
Histoire
A Hasselt, comme souvent ailleurs, la dévotion mariale remonte dans la nuit des temps... On sait que la dévotion mariale existait déjà au XIIIe siècle.
Un document de 1308 témoigne de l’existence d’une confrérie consacrée à Notre-Dame.
Une première chapelle aurait été construite dans une coudraie (‘Hazelaarsbos’ en néerlandais, qui aurait donné le nom de ‘Hasselt’).
La statue de Notre-Dame Virga-Jessé
Par Kris Van de Sande, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=2186407
En 1334 un membre fortuné de la confrérie construit une chapelle à Notre-Dame, Consacrée par l’évêque de Liège en 1357 la chapelle se trouvait sur un axe routier commercial Bruges-Cologne très fréquenté, ce qui favorisa le développement d’un pèlerinage. Des indulgences sont accordées par les autorités ecclésiastiques et des rumeurs de ‘guérisons miraculeuses’ s’y étant produites se répandent.
Au XVe siècle des processions mariales ont lieu dans la ville une semaine après la fête de l’Assomption, à la date anniversaire de sa consécration. À partir de la seconde moitié du XVIe siècle les guerres de religion ravagent le pays et mettent fin aux pèlerinages : les documents d’époque ne mentionnent plus de procession à Hasselt. Cela jusqu’en 1645.
Durant la seconde moitié du XVIIe siècle le sanctuaire reprend vie. Le pape Alexandre VII lui accorde des indulgences,
et les pèlerins reviennent en masse. La confrérie est très active.
C’est à cette époque que la statue de Notre-Dame reçoit le surnom de Virga Jessé (c'est-à-dire: rameau de Jessé).
À partir de 1682
les processions annuelles septennales eurent une plus grande solennité
avec des 'supplications' solennelles demandant la protection mariale
contre les calamités naturelles ou autres. La statue de Notre-Dame Virga
Jessé était portée par quatre prêtres et neuf autels dans différentes localités de la ville étaient lieux de vénération particulière lors de son passage.
En 1727 une église est construite, édifice de style renaissance à nef unique, sur le même site de la chapelle primitive. Elle est achevée en 1731. La Révolution française donne un nouveau coup d’arrêt aux pèlerinages et dévotion. En 1798
un membre de la confrérie cache la statue miraculeuse chez lui.
Lorsqu’elle sort de clandestinité, cinq ans plus tard, Notre-Dame Virga
Jessé attire de nouveau les pèlerinages, et les processions annuelles et
septennales reprennent.
De 1846 à 1899 la charge pastorale de l’église et de ses pèlerins est confiée aux pères franciscains. Le bienheureux Valentin Paquay était l'un d'eux. Le 15 août 1867, fête de l’Assomption MgrXavier de Merode, envoyé spécial, couronne solennellement la statue au nom du pape Pie IX.
En novembre 1944, l’église et les maisons voisines sont fortement endommagés par une bombe volante allemande V-1.
Seize personnes y perdent la vie. La statue de Virga Jessé, fut
retrouvée quasi intacte sous les décombres. L’église fut reconstruite et
ouverte à nouveau au culte en 1951.
Le 6 mai 1998 le pape Jean-Paul II érige l’église Notre-Dame Virga-Jessé en Basilique mineure, reconnaissant ainsi son importance comme centre de pèlerinages mariaux.
Le vitrail de l'Arbre de Jessé
Patrimoine
La statue Virga Jessé, haute d’un mètre environ, fut sculptée dans un seul bloc de chêne. La Vierge Marie est couronnée et porte l’Enfant-Jésus sur le bras gauche. Son attitude et l’expression du visage la font dater du début du XIVe siècle. Elle survécut à la furie iconoclaste et au bombardement du 4 novembre 1944, qui détruisit l’église et une partie de la rue (Kapelstraat).
le maître autel est une œuvre du sculpteur baroque liégeois Jean Del Cour. Il provient de l’abbaye de Herkenrode.
deux monuments funéraires proviennent de l'abbaye de Herkenrode (dans le transept) :
celui de Anne Catherine de Lamboy (1609-1675), abbesse de Herkenrode, est œuvre du sculpteur Artus Quellinus le Jeune.
celui de Barbara de Rivière d’Arschot (nl) (1666-1744), abbesse de Herkenrode, est œuvre du sculpteur gantois Laurent Delvaux.
Les confessionnaux, exécutés par le sculpteur Janssens de Saint-Trond, datent de 1858-1867. L’un d’eux porte une plaque en cuivre rappelant que le bienheureux Valentin Paquay y entendait les confessions lorsqu’il était en résidence à Hasselt.
L’orgue, du facteur d’orgue Arnold Clerinx,
se trouve dans la basilique depuis 1952. Monté en 1860 il se trouvait
auparavant dans la salle Sainte Elisabeth à Anvers. Il fut restauré en
2003.
Les sœurs de Saint Joseph de Cracovie (en latin : Congregationis Sororum Sancti Ioseph) forment une congrégation religieuse féminine enseignante et hospitalière de droit pontifical.
Historique
La congrégation est fondée par le prêtre Sigismond Gorazdowski (1845 - 1920) pour gérer une maison pour les sans-abris qu'il a ouverte à Lviv (dont le nom officiel était alors Lemberg), située en Pologne, dans la partie administrée à l'époque par l'Autriche-Hongrie. L'abbé Gorazdowski fait venir de Tarnopol quelques tertiaires franciscaines qui prennent l'habit religieux le 17 février 1884. Les sœurs s'occupent d'autres travaux commencés par Gorazdowski : une soupe populaire,
un abri pour les malades, un centre pour enfants abandonnés et mères
sans-abri. La congrégation continue de croître après la mort du
fondateur et connaît un grand développement dans la période de l'entre-deux-guerres.
Après 1945 et le redécoupage de la Pologne (Ligne Curzon B), les religieuses sont forcées de quitter Lwow (qui entre dans la République socialiste soviétique d'Ukraine interdisant les congrégations catholiques), la maison-mère se déplace à Tarnów.
L'institut reçoit du pape le décret de louange le 1er avril 1910, il est affilié aux Frères Mineurs Capucins en 1922 et ses constitutions sont définitivement approuvées le 3 août 1937.
Activités et diffusion
Les
religieuses s'occupent des personnes âgées, des handicapés et des
malades, des orphelins, de l'éducation des jeunes, des paroisses et
travaillent dans les missions.
Elles sont présentes en :
Europe : Pologne, Allemagne, France, Italie, Ukraine.
Afrique : Cameroun, République du Congo, République démocratique du Congo, Gabon.
Amérique : Brésil.
La maison généralice est à Cracovie.
En 2017, la congrégation comptait 474 sœurs dans 71 maisons.
Plaque commémorative 01 trêve de Dieu 16 mai 1027, église Sainte-Marie, Toulouges, France
Par Leroyaume — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=35956317
La Trêve de Dieu était une suspension de l'activité guerrière durant certaines périodes de l'année, organisée pendant le Moyen Âge en Europe par l'Église catholique romaine (historiquement, elle a le plus longtemps pris la forme d'une trêve du mercredi soir au lundi matin, ainsi que pendant tout l'Avent, à Noël, pendant le Carême et le Temps pascal).
Plus largement, la Paix et la Trêve de Dieu
furent une initiative de l'Église pour contrôler la violence féodale
par l'application de sanctions religieuses. Ce mouvement a constitué la
première tentative organisée de contrôle de la société civile dans
l'Europe médiévale par des moyens non violents. La Trêve de Dieu fait
suite au mouvement de la paix de Dieu débutée en 989 au concile de Charroux, elle a débuté avec le synode d'Elne (ou concile de Toulouges) en 1027 et a survécu sous des formes variées jusqu'au XIIIe siècle.
Vue d'ensemble
Le
mouvement de la Trêve de Dieu avait pour but de christianiser et de
pacifier les structures féodales à travers des moyens non violents.
Henri Ier
Beauclerc, duc de Normandie et roi d'Angleterre, confirme les décrets
du concile de Lillebonne tenu en 1080, qui établissent en Normandie la
Trêve de Dieu, interdisent aux clercs d'avoir une femme et règlent les
rapports entre le pouvoir civil et le pouvoir ecclésiastique. Document
en latin. Archives nationales - AE/II/12
Après la dissolution de l'empire carolingien, l'autorité royale n'est plus à même de répondre aux nouveaux défis que représentent les invasions du IXe siècle.
L'armée carolingienne est taillée pour une stratégie offensive: les
campagnes annuelles forcent les voisins au respect (ils finissent
d'ailleurs par payer un tribut). Cette logistique lourde ne peut
répondre aux raids rapides et incessants des Sarrasins ou des Vikings
dont le principal atout est la mobilité. Dès lors la défense doit être
prise en charge localement. Au Xe siècle,
les châteaux prolifèrent parfois au mépris de toute légalité, leurs
propriétaires exerçant protection et domination sur les territoires
alentour.
Cette
mutation pose un problème car elle impliquerait que la jouissance des
terres passe d'une élite foncière à une élite guerrière. Le découpage
n'est pas linéaire : au fil des donations les grandes propriétés
foncières sont extrêmement morcelées et dispersées sur de grandes
distances et la zone sur laquelle la châtellenie exerce sa protection
est trouée d'enclaves autonomes, que le seigneur prétend soumettre aux
mêmes redevances et à la même justice que ses manants. Dès lors la
revendication du droit de ban et de justice sur les terres d'église ou
de propriétaires laïcs dont les biens et les revenus sont menacés,
entraîne un fort mécontentement, d'autant que les seigneurs n'hésitent
pas à user de violence et intimident ou maltraitent les paysans ou se
livrent au pillage ce qui ne manque pas de faire monter le
mécontentement dans la population.
Lorsque
l'Église souffre des conflits locaux, le clergé tient alors un conseil
et des invitations étaient envoyées aux nobles des environs. Si ceux-ci
venaient, le clergé exposait les reliques de saints à leur disposition
en grande pompe et s'en servaient comme moyen de pression psychologique
pour les inciter à promettre la Trêve de Dieu.
Cependant,
il n'est pas rare que les nobles ne se présentent pas au conseil, ou ne
tiennent pas leurs promesses. Dans certaines régions, la promesse de
paix devait être renouvelée régulièrement. De manière générale, le
mouvement de la Trêve de Dieu n'était pas très efficace, mais avait créé
un précédent sur lequel d'autres mouvements de contrôle de la violence
des nobles viendraient se bâtir comme les communes médiévales, ou les croisades.
À l'approche de l'an mil, un fort mouvement de restauration de l'autorité religieuse est en cours. Les écrits de l'époque (chroniques, récits de miracles) décrivent des foules implorant le secours des saints à l'approche de l'an mil. Raoul Glaber met en avant la violence des seigneurs et les malheurs des temps (l'ergotisme
ou mal des ardents qui frappe en Aquitaine en 994 est perçu comme un
châtiment divin) qui entraîne de grands rassemblements autour de
reliques de saints limousins. Les ecclésiastiques réunis en concile pour
répondre à ces rassemblements vont exploiter ce mouvement pour imposer
la paix de Dieu.
Le mouvement de la paix de Dieu assoit par des décisions conciliaires le rôle de chacun des trois ordres - principes, nobiles et vulgaris plebs - dans la société médiévale
Si
la Paix de Dieu se fonde sur un mouvement populaire dans sa première
phase (989-1010), elle bénéficie ensuite du soutien du roi Robert II le Pieux et de la haute noblesse qui y voient un moyen de structurer et de pacifier le royaume. Les conciles en Aquitaine ont souvent été convoqués par le duc Guillaume d'Aquitaine.
Si la contestation paysanne a un caractère antiseigneurial, l'Église ne
cherche pas à se substituer au pouvoir central mais plutôt à moraliser
la conduite de la noblesse. Les serments établissent un compromis
juridique et foncier entre laïcs armés et ecclésiastiques: ils
institutionnalisent la seigneurie. La lutte de l'Église contre les
violences seigneuriales assoit aussi par les décisions de ses conciles
le nouvel ordre social organisant la société en trois ordres.
L'application
des décrets est garantie par l'engagement solennel, le serment de paix,
que les participants aux conciles prêtent eux-mêmes et qu'ils
s'efforcent d'obtenir des grands. Le serment contraint ceux qui l'ont
juré de respecter leurs engagements.
Pour contraindre les récalcitrants, trois types de solutions pouvaient être employées :
la
justice : l'Église s'efforce de revaloriser les tractations et le
recours à la justice. Au concile de Poitiers, on décide que les conflits
devront être portés devant l'autorité judiciaire de la région. À
Limoges, il est décidé que les différends devront se régler par la paix
dans cette assemblée et non par la violence au dehors. Le serment de
Vienne cherche avant tout à régler les contentieux par la concertation
et le dialogue, et à accroître la juridiction de l'évêque.
les
sanctions spirituelles : les prélats sacralisent les décisions de
jurisprudence conciliaire. À ceux qui observeront ces préceptes, les
évêques accorderont l'absolution de leurs péchés et la bénédiction
éternelle, mais ils lanceront des malédictions et des excommunications
contre ceux qui refusent d'obéir aux instructions épiscopales, contre
ceux qui contestent les propriétés ecclésiastiques et qui refusent de
s'en remettre au jugement des princes et des prélats. L'Église a
principalement utilisé l'anathème (excommunication majeure), l'excommunication ou encore l'interdit
(privation des biens spirituels (offices religieux, sépulture en terre
sacrée, sacrements)), qui se généralisent et qui deviennent l'arme
principale des évêques. Ces malédictions ne sont que provisoires, le but
étant d'amener les fautifs devant la justice.
la
force armée : l'Église peut aussi en faire usage si besoin est, si les
autres moyens n'avaient pas été suivis d'effets. Nous pouvons citer pour
l'exemple Guy d'Anjou, évêque du Puy, qui a contraint tous ses
diocésains à jurer la paix sous la menace des armes. La nécessité de
défense armée pourrait être liée au réel affaiblissement du pouvoir
royal, puis ducal, depuis le début du Xe siècle.
Il
ne s'agit pas d'une paix universelle, mais donc surtout d'un mouvement
visant à protéger les biens d'Église. Il n'est nullement question de
règlementer le droit de guerre, ni d'interdire de manière générale le
butin des guerres privées, ni de soustraire les paysans aux méfaits
d'une présumée chevalerie formée de milites incontrôlés. Par exemple, au concile de Limoges en 1031, les décisions ne concernent que le seul droit de l'Église et il n'est donc pas question de l'ordre public. À Vienne,
il ne s'agit pas d'interdire la guerre privée, mais d'en limiter les
effets à ceux-là seuls qui y sont impliqués (donc les gens de guerre).
En particulier la paix de Dieu ne vise pas à limiter la guerre entre
princes et le serment de Verdun sur Doubs (vers 1020) évoque les
châteaux illégaux qu'il faut assiéger avec le roi, le comte ou l'évêque,
autorisant la levée de vilains pour ce type d'actions. Dès lors l'autorité des grands sur leurs vassaux s'en trouve renforcée.
En
outre, de nombreuses exceptions, souvent marquées par des « sauf si »
comme dans les anathèmes de Charroux, limitent les décrets des
assemblées. Les limitations ne valent que pour les jureurs, sur des terres qui ne sont pas les leurs. L'ost
de l'évêque en est dispensé lorsqu'il lutte contre les violateurs de
cette paix. Tout seigneur pourra donc agir comme il l'entend sur ses
propres terres. Le jureur est dispensé de son serment lorsqu'il
participe à l'ost du roi, des comtes ou des évêques, mais il devra
toutefois ne pas enfreindre les sauvetés des églises, « sauf si » on lui
a refusé de lui vendre les vivres nécessaires. Au total, les serments
de la paix de Dieu, autorisent un certain nombre d'exactions et agissent
moins sur la paix générale que sur l'instauration d'une société à 3
états ou le rôle de chacun est de mieux en mieux défini.
De plus, les serments ont bien souvent une durée de validité : par exemple, celui de Verdun-sur-le-Doubs ne contraignait les jureurs que pendant sept années.
Le mouvement s'arrête aux frontières de la Lotharingie où l'autorité des ottoniens permettaient de garantir la sécurité.
Le mouvement de la Trêve de Dieu
La
paix de Dieu a participé à l'instauration de l'ordre féodal, mais peu à
la paix médiévale. Le mouvement rebondit en 1027, en Catalogne où Oliva de Besalù l'évêque de Vic très lié à Cluny lance la Trêve de Dieu avec le Synode d'Elne (dit concile de Toulouges, 1027), puis en 1033 un synode à Vic, son propre diocèse. Il introduit une notion temporelle: les exactions et combats sont interdits le dimanche.
À
Vic, la Trêve se définit comme protection des chrétiens pendant les
périodes liturgiques, et relève du seul clergé contrairement à la paix
qui relève du comte et de l'évêque. À Vic, on retrouve le triptyque de
Charroux : l'espace sacré des trente pas autour de l'église, les vilains
à ne pas maltraiter, ni les dépouiller de leurs vêtements, ni de leur
cire (article du Puy, cette fois). Comme pour le serment de Vienne, il
faut également prendre garde aux mules et mulets et ne pas détruire de
maisons : cette fois, on protège davantage la vie et le travail des
paysans.
Dans les années 1030-1040, le mouvement est relayé par les clunisiens : Odilon de Cluny,
qui met tout le réseau de sa congrégation au service de l'œuvre de
paix, et des archevêques. Il s'agit maintenant de prescrire une
suspension des hostilités entre « bellatores » (guerriers) durant
certaines périodes de l'année, à l'instar des temps prohibés du calendrier chrétien. En interdisant toute activité
militaire pendant les périodes liturgiques, l'Église souhaitait rendre
impossible toute grande entreprise militaire. La guerre n'est plus
autorisée que 80 jours répartis tout le long de l'année (décision du concile de Narbonne en 1054). La Trêve de Dieu introduit la réprobation de l'homicide entre chrétiens : ce même concile promulguant que « Nul
chrétien ne tue un autre chrétien, car celui qui tue un chrétien c'est
le sang du Christ qu'il répand; si cependant l'on tue injustement, ce
que nous ne voulons pas, il faudra payer pour cela une amende selon la
loi. ». C'est ce mouvement, plus que la paix de Dieu qui dans les faits instaure la paix médiévale.
C'est
aussi durant cette période que le mouvement (de Paix-Trêve)
s'institutionnalise, pris en main exclusivement par les clercs, évêques
et moines réformateurs. Lors des conciles de la seconde moitié du XIe siècle, sont promulguées à la fois des dispositions de paix et de trêve, les deux institutions étant désormais liées.
La
Trêve de Dieu n'est pas le seul moyen non violent utilisé par
l'Église : elle parvient par exemple à ajouter des serments religieux
dans les serments de vassalité, ajoutant un surplus d'autorité qui
permettait de canaliser les violences. On peut voir en ceci la
combinaison concertée des autorités spirituelles (potestas) et séculières (auctoritas) qui bâtissent le gouvernement chrétien depuis le Ve siècle.
Évolution du mouvement
La
Paix et la Trêve de Dieu ne sont pas les seuls outils utilisés par
l'Église pour moraliser la conduite de la chevalerie: elle introduit
aussi des notions religieuses dans les serments de vassalité.
Par
la Paix de Dieu, l'Église ne cherche pas à interdire la guerre et à
promouvoir la paix : elle moralise la paix et la guerre en fonction de
leurs objectifs et de ses intérêts. C'est en cela que la Paix de Dieu
constitue une étape préparatoire importante de la formation de l'idée de
croisade.
Urbain II prêchant la croisade : Grandes Chroniques de France, enluminées par Jean Fouquet
Les
ducs et comtes retrouvent assez de pouvoir pour reprendre en main le
mouvement de paix : en 1047, en Normandie, la Paix de Dieu devient la
paix du duc (concile de Caen); en 1064 en Catalogne, elle devient la
paix du comte. Dans le même temps, la paix s'internationalise,
s'étendant aux pays voisins de la France : Catalogne, Angleterre, pays
germaniques. La papauté conforte enfin le mouvement : Urbain II, ancien
moine clunisien, reprend lors du concile de Clermont (1095) les
dispositions promulguées aux conciles de paix. Il y invite tous les
chrétiens à observer entre eux une paix perpétuelle et à aller combattre
l'hérétique. C'est ainsi que la Paix débouche sur la Croisade. Même
avec les croisades, le mouvement ne garantit pas complètement la paix
dans l'occident médiéval : de retour de croisade les chevaliers
entendent à être d'autant plus respectés et se sentent libre de châtier
ceux qui se mettraient en travers de leurs intérêts. Or nombreux sont ceux qui malgré la protection de l'Église voient leurs biens spoliés durant leur absence. Ceci étant, les croisades permettent de créer des ordres militaires, où les chevaliers adoptent une vie monastique, devenant de véritables soldats du Christ.
Le XIIe siècle,
en même temps qu'il est période de reconstruction du pouvoir royal,
voit se transformer le mouvement de Paix. Durant la première moitié du
siècle, le roi reprend en main le domaine royal, faisant reculer les
ambitions des châtelains. Dans le même temps, l'Église et la papauté
font de nouveau appel aux autorités civiles (roi et princes) pour
assurer les prérogatives judiciaires. C'est dans le cadre de cette
restauration de l'autorité royale que Louis VII récupère l'institution de Paix en 1155 : la Paix de Dieu devient la Paix du roi.
Scène de la « communion du chevalier » au revers de façade de la cathédrale de Reims
La Paix de Dieu (en latin Pax Dei) est un mouvement spirituel et social des Xe et XIe siècles,
organisé par l'Église catholique et soutenu par le pouvoir civil. Son
but est d'obtenir une pacification du monde chrétien occidental et de
maîtriser l'usage de la violence dans la société.
Contexte
La dissolution de l'Empire carolingien au IXe siècle,
et la « mutation féodale » qui l'accompagne, se caractérisent par la
croissance des exactions commises par les seigneurs. Ceux-ci tentent
d'imposer à la paysannerie et au clergé leur protection en échange de
revenus ou bien se livrent à des guerres privées qui provoquent
d’importants dégâts et engendrent de nombreuses victimes. Mais dans la
seconde moitié du Xe siècle,
à l'approche de l'an mil, les religieux qui ont su conserver une
conduite exemplaire dans le contexte de désordres ont acquis une grande
autorité spirituelle.
S'inspirant des précédents carolingiens, tel le capitulaire de 884 par lequel le roi Carloman
alourdit les sanctions contre les rapines et demande aux évêques de les
réprimer, ou le concile de Trosly de 909 qui exhorte à la pénitence et a
recours à l'anathème, les autorités religieuses du centre de la France
imposent la Paix de Dieu. Les évêques et abbés réunissent des conciles
qui condamnent les débordements des chevaliers et tentent de moraliser
leur conduite. Ce mouvement eut une très grande importance car il
aboutit à la définition des droits et devoirs des trois ordres et fonda
les bases morales de la société médiévale occidentale.
La féodalité
Pendant
le haut Moyen Âge, le pouvoir se mesurant à la clientèle qu'il peut
entretenir, le prince doit rétribuer ses vassaux pour s'assurer de leur
fidélité. Les richesses principales de l'époque, en l'absence d'un
commerce développé, sont la possession de terre ou de charges
administratives ou religieuses. La dispersion de leur patrimoine auprès
de leurs vassaux ayant conduit à l'effacement des Mérovingiens, les
premiers Carolingiens essayent d'empêcher une évolution similaire.
Pour maintenir l'unité de l'Empire carolingien, Charlemagne
introduit la cérémonie de recommandation qui impose un serment de
vassalité. Il surveille de près ses vassaux grâce à l'inspection
régulière conduite par les missi dominici et parce qu'ils sont
convoqués annuellement pour partir en campagne (dont les conquêtes
territoriales et le butin associé pourront être redistribués). D'autre
part, il ne concède les charges qu'à titre viager ce qui lui permet de
récupérer les terres à la mort du vassal, d'éviter la perte progressive
de ses possessions et de conserver un moyen de pression sur ses vassaux
auxquels la jouissance des terres accordées en précaire peut être
retirée.
Mais son fils Louis le Pieux
rompt l'équilibre entre les biens fonciers fiscaux et les biens
fonciers accordés en jouissance à la noblesse. Dès lors, il n'est plus
assez riche pour entretenir ses vassaux et plus rien ne bride leurs
velléités naturelles d'indépendance. De plus les campagnes militaires
deviennent moins fréquentes après 820 et les contrôles par les missi dominici
se raréfient et sont de moins en moins efficaces (ils deviennent
coûteux à entretenir, sont corruptibles et les voyages à l'époque sont
difficiles) : le contrôle des vassaux se fait de plus en plus lâche.
De plus, Charlemagne avait pris l'habitude de confier les terres en précaire
au fils de ses vassaux à la mort de ceux-ci. Progressivement, la
transmission héréditaire devient habituelle et la notion juridique de
patrimoine royal selon laquelle la terre et les charges appartiennent au
souverain est oubliée ou négligée. Les choses s'aggravent encore quand
les fils de Louis le Pieux s'entre-déchirent pour le pouvoir et
concèdent dans ce cadre de plus en plus d'autonomie à leurs vassaux pour
conserver leur soutien.
Le règne de Charles le Chauve est symptomatique : après le partage de Verdun intervenu en 843 entre les trois fils de Louis le Pieux,
il hérite du royaume de Francie occidentale, mais il a besoin du
consentement et de l'appui de l'aristocratie pour entrer véritablement
en possession de son royaume : à l'assemblée de Coulaine en novembre
843, il leur concède « la jouissance paisible de leur fonction et de
leurs biens » et, en retour, ils lui apportent « aide et conseil ». Il
tente de conserver l'autorité impériale par tous les moyens,
s'adjoignant en particulier le soutien des ecclésiastiques auxquels il
concède la possibilité de battre monnaie. Le passage définitif vers la
féodalité se fait quand il garantit à ses vassaux la faculté de léguer
leurs terres à leur héritier par le capitulaire de Quierzy-sur-Oise du
16 juin 877.
Château de Castelnou (Xe siècle)
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source n’a pas pu être reconnue automatiquement. « Travail personnel »
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d’auteur)., CC BY-SA 3.0,
https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=1181638
L'autorité
du roi s'effondre d'autant plus vite que l'armée carolingienne est
taillée pour une stratégie offensive avec l'organisation de campagnes
annuelles qui forcent les voisins au respect (ils finissent d'ailleurs
par payer un tribut). Or, cette logistique lourde ne peut répondre aux
raids rapides et incessants des Sarrasins ou des Vikings dont le
principal atout est la mobilité. Dès lors la défense doit être prise en
charge localement.
Au Xe siècle,
les châteaux forts prolifèrent, parfois au mépris de toute légalité,
leurs propriétaires exerçant protection et domination sur les
territoires alentours. Dans ces temps incertains d'invasions et de
guerres privées continuelles, les habitants viennent se regrouper à
proximité du château ce qui légitime le châtelain, et l'exercice du ban
seigneurial. Celui-ci peut imposer taxes, péages, corvées, banalités
(usage imposé d'équipements seigneuriaux à titre onéreux : fours,
moulins...) levées par ses sergents. En échange, les vivres stockés au
château pourvoient à la survie des manants (vient du latin « résider »)
réfugiés entre ses murs en cas de pillage. Enfin, les amendes prélevées
en rendant justice selon le principe du Wergeld de la loi
salique sont une autre source appréciable de revenus seigneuriaux. Avec
l'affaiblissement de l'autorité royale et comtale, les ambitions
personnelles se dévoilent, engendrant convoitises et contestations. Les
tentatives d'imposer le droit de ban aux marges du territoire contrôlé,
et les conflits de succession dus à l'instauration récente du droit
d'aînesse, dégénèrent régulièrement en guerres privées, dont pâtit en
premier lieu la population rurale.
Cette
évolution de la société pose problème car elle implique que la
jouissance des terres passe d'une élite foncière à une élite guerrière.
Le découpage des grandes propriétés foncières n'est pas linéaire : au
fil des donations les terres sont extrêmement morcelées et dispersées
sur de grandes distances et la zone sur laquelle la châtellenie exerce
sa protection est trouée d'enclaves autonomes, que le seigneur prétend
soumettre aux mêmes redevances et la même justice que ses manants.
Dès
lors, la revendication du droit de ban et de justice sur les terres
d'Église ou de propriétaires laïcs dont les biens et les revenus sont
menacés, entraîne un fort mécontentement. De plus les seigneurs
n'hésitent pas à user de violence, intimident ou maltraitent les paysans
ou se livrent au pillage, ce qui ne manque pas d'accroître le
mécontentement de la population.
Les
principales sources sur ces changements sont ecclésiastiques et doivent
être analysées avec prudence. En effet, les nombreuses exactions
dénoncées par les clercs, comme les brigandages, ne sont pas forcément
des actes de violence directe : les châtelains essayent d'imposer des
taxes aux habitants des terres d'Église, ce qui réduit les revenus de
ces religieux. Ces « brigands » sont bien souvent des spoliateurs de
l'Église en ce sens qu'ils contestent ou rejettent les droits des
églises sur les terres dont ils sont les héritiers. Les adversaires de
l'Église sont des puissances laïques que l'autorité politique ne
parvient pas seule à réprimer. Les couvents et les églises subissent
souvent les pressions de descendants des donateurs qui cherchent à
récupérer les biens patrimoniaux dont ils auraient dû hériter. L'Église
prend donc sa propre défense, ce qui est révélateur du glissement de
l'autorité dans sa direction et de l'affaiblissement de l'État. L'Église
représente la seule force morale, le seul frein à la violence des
seigneurs et des chevaliers.
Au
total, les intérêts des châtelains sont en conflit avec ceux de la
paysannerie, du clergé et des puissants, et le mouvement de la Paix de
Dieu découle des efforts de ces trois groupes sociaux pour neutraliser
les excès de la noblesse naissante.
Statue-reliquaire de sainte Foy (IXe siècle). Trésor de l'abbatiale Sainte-Foy de Conques
L'Église n'est pas épargnée par les désordres des IXe et Xe siècles.
Des charges d'abbés, paroissiales ou ecclésiastiques sont données à des
laïcs pour se former des clientèles, et la discipline monastique se
relâche, le niveau culturel des prêtres chute. En contrepoint, les rares
monastères qui ont conservé une conduite irréprochable acquièrent une
grande autorité morale.
Si
l'on considère actuellement que les craintes générées par l'approche de
l'an mil ont été largement surestimées, il n'en reste pas moins que
l'époque est traversée par un regain de ferveur religieuse. Pèlerinages
et cultes des reliques sont de plus en plus pratiqués. D'après Georges
Duby, qui défend la thèse d'une mutation féodale rapide aux alentours de
l'an mil, l'Apocalypse est le texte sacré qui retient l'attention la
plus passionnée. On y lit que « "Les mille ans
écoulés, Satan, relâché de sa prison, s'en ira séduire les nations dans
les 4 coins de la terre, Gog et Magog, et les rassembler pour la guerre,
aussi nombreux que le sable de la mer. ». Les exactions des
guerriers semblent correspondre à ce texte sacré. Dès lors, un soin
particulier est mis à se laver de ses péchés. En particulier les
monastères intègres reçoivent de nombreuses donations pour obtenir des
prières d'absolution post mortem. Le choix des abbés s'oriente
de plus en plus vers des hommes d'une grande intégrité et certains tels
Guillaume d'Aquitaine vont jusqu'à donner l'autonomie et l'immunité à
des monastères qui élisent leur abbé. Ce fut le cas de Gorze, Brogne ou
Cluny. D'autres monastères utilisent des faux certificats d'immunité
pour acquérir l'autonomie.
De
tous ceux-ci, Cluny connaît le développement et l'influence les plus
remarquables. Sous la férule d'abbés dynamiques tels qu'Odon, Maïeul ou
Odilon, l'abbaye entraîne d'autres monastères qui lui sont rattachés, et
constitue bientôt un ordre très puissant (en 994, l'ordre de Cluny
compte déjà 34 couvents). L'une des grandes forces de Cluny est de
recruter une bonne partie de ses membres, et particulièrement ses abbés,
dans la haute aristocratie : Bernon (909-927) appartient à
l'aristocratie du comté de Bourgogne, Odon (927-942) à une grande
famille de Touraine, Mayeul (948-994) à la famille provençale des
Valensole, Odilon de Mercœur (994-1048) à un lignage comtal d'Auvergne,
Hugues de Semur (1049-1109) est le beau-frère du duc capétien de
Bourgogne, et sa nièce épousera le roi de Castille Alphonse VI, Pons de
Melgueil (1109-1122) est apparenté aux comtes d'Auvergne et de Toulouse,
Pierre de Montboissier, dit Pierre le Vénérable (1122-1156), est issu
d'une famille seigneuriale d'Auvergne. Aymard (942-948) est le seul abbé
issu d'un milieu modeste.
Pour favoriser la conversion des populations païennes, le culte des saints a été vivement encouragé dès le VIe siècle.
La possession de reliques par les monastères et autres édifices
religieux est recherchée, car l'afflux de pèlerins qu'elles entraînent
est source de bénéfices importants. Les pèlerinages se développent
intensément et c'est d'ailleurs sur les chemins de
Saint-Jacques-de-Compostelle que Cluny étend son influence à cette
époque.
Depuis
l'époque carolingienne, les évêques réunissent des conciles régionaux
où il est de bon ton pour la noblesse de figurer. Avec les invasions du IXe siècle
et leur cortège de dévastations, on prend l'habitude de sortir les
reliques de leur sanctuaire, en organisant des processions lors des
calamités publiques, et pour réclamer la justice contre les ennemis ou
les usurpateurs d'une église. Cet usage s'applique aussi aux
déprédations dues aux seigneurs locaux : c'est lors d'un de ces
rassemblements expiatoires que démarre le mouvement de la paix de Dieu.
L'invention de la Paix
Premières assemblées de Paix
La participation des évêques à la Paix de Dieu. D'après H.-W. Goetz, « La Paix de Dieu en France... », p. 138
Par
Bourrichon — Sur un fond de carte hydrographique de Sting :
Image:France blank.svg. Travail inspiré de la carte La participation des
évêques à la paix de Dieu. D'après Hans-Werner Goetz, "La paix de Dieu
en France, Le roi de France et son royaume en l'an Mil, Picard, Paris,
1992, p. 138., CC BY-SA 3.0,
https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=4284738
Le mouvement de la Paix de Dieu émerge au milieu du Xe siècle lorsque les premières assemblées de paix s'organisent. Il s'agit d'assemblées réunies en plein air, dans des lieux choisis pour leur antique sociabilité populaire, pour restaurer « la paix qui vaut mieux que tout » (pax que omnia superat...)
selon Étienne II, évêque de Clermont à l'assemblée qu'il y convoque en
958. Placées en général sous la protection d'un saint particulièrement
vénéré (Martial à Limoges, Front en Velay, Foy en Rouergue, Saturnin
dans le Toulousain), elles rassemblent le clergé local et les milites
(seigneurs et chevaliers) sous le regard d'une population considérable
attirée par la présence des reliques. Certaines chroniques ou recueils
de miracles insistent sur l'importance de ces foules pieuses réunissant,
si l'on en croit le moine bourguignon Raoul Glaber dans ses Histoires,
« les grands, les moyens et les petits, [...] tous prêts à obéir à ce
qui aurait été ordonné par les pasteurs de l'Église, comme si une voix
venant du ciel parlait aux hommes sur la terre ». Cette voix, c'est
celle de l'évêque qui, parfois conjointement avec le prince ou le roi de
France, convoque l'assemblée et en dirige les débats. De fait, ces
assemblées sont loin d'êtres spontanées : le choix du lieu, des
participants et du rituel sont fixés à l'avance.
Géographiquement,
le phénomène des assemblées de paix prend son essor dans la partie
méridionale du royaume de Francie, au sud de la Loire en Aquitaine.
Jusqu'au début du XIe siècle,
c'est plus précisément dans les terres ducales du Massif central et de
ses marges occidentales (Auvergne, Velay, Limousin, Poitou) qu'ont lieu
l'essentiel des assemblées, prolongées vers le Languedoc (Narbonne, 990)
et le royaume de Bourgogne (Anse, près de Lyon, 994). Il s'agit de
territoires où l'autorité royale et même ducale peine à s'imposer et où
la parcellisation du pouvoir entre les différents seigneurs est
particulièrement importante. Auvergne et Limousin notamment sont des
« zones périphériques » mal contrôlées : l'indépendance assez large dont
disposent les châtelains locaux leur permet de mener librement ces
guerres privées que, à tort ou à raison, les sources ecclésiastiques à
notre disposition assimilent souvent à de vulgaires rapines. Cependant,
le fait que la Paix de Dieu émerge dans ces territoires du centre de la
France ne s'explique pas uniquement par la nécessité dans laquelle se
trouvent des autorités épiscopales constatant la carence princière : ce
sont aussi des régions plus ouvertes aux influences monastiques, moins
marquées par l'idéal carolingien ancien d'une paix assumée par
l'autorité royale, « moins traditionnelles, plus ouvertes aux
nouveautés : on y cherche des formes de régulation sociale qui soient
mieux adaptés à l'âge seigneurial, qui canalisent le pouvoir des sires
et protègent les faibles des exactions ».
Ce
sont donc des évêques de ces régions centrales du royaume qui assument
la convocation des premières assemblées de paix, sous forme de plaids.
Ils sont souvent liés à des milieux monastiques soucieux de réforme :
Étienne II, évêque de Clermont depuis 943, est également abbé de Conques
et fondateur du monastère de Saint-Germain-Lembron. Il prend
l'initiative de diriger deux plaids : l'un à Clermont en 958, où il
cherche à mettre un terme aux guerres privées des seigneurs auvergnats ;
l'autre, en collaboration avec les évêques de Cahors et de Périgueux,
en 972 à Coler près d'Aurillac, où il parle de la paix sans laquelle
« personne ne verra Dieu » pour défendre les biens d'Église. De même,
Guy d'Anjou, évêque du Puy, issu d'une puissante famille et réformateur
de l'abbaye Saint-Paul de Cormery, dirige le plaid de Laprade, vers 975.
Ces deux hommes sont en outre issus de puissantes lignées et disposent
de ce fait des réseaux nécessaires au développement de leur action. Guy
d'Anjou a ainsi les moyens militaires nécessaires pour imposer par la
force aux milites présents à Laprade de prêter le serment de rendre les
biens spoliés et de les garantir en livrant des otages.
Pour
plusieurs historiens, notamment Christian Lauranson-Rosaz, ces
premières assemblées marquent bien les débuts du mouvement de la paix de
Dieu, dans la mesure où elles montreraient que l'Église a précocement
et progressivement « été amenée à relayer un pouvoir civil défaillant
tout en s'inscrivant dans le prolongement d'une très vieille tradition
canonique selon laquelle se tenaient parfois dans les diocèses des
assemblées de paix », et cela même si elles sont juridiquement des
synodes plus que des conciles de paix. En effet, il leur manque un
élément institutionnel important : le serment, qui n'émerge qu'avec le
concile de Charroux en 989.
Premiers conciles de paix
C'est au concile de Charroux, le 1er
juin 989, que la Paix de Dieu prend toute son ampleur. C'est là, en
effet, que les assemblées se transforment véritablement en conciles, les
décisions étant consignées dans des canons de plus en plus élaborés.
D'autres conciles suivent en Aquitaine, à Narbonne en 990, à
Saint-Paulien (concile dit « du Puy ») en 994, à Limoges en 998 et à
Poitiers vers 1010. Cependant, la Paix de Dieu n'est pas homogène, ni
universelle. Au contraire, il s'agit pendant longtemps d'un mouvement
intermittent et localisé, l'Église ne l'initiant que là où elle en a
besoin et peut l'imposer.
Pris
en main par Cluny (à partir de 1016), le mouvement touche alors
d'autres régions : il atteint la Bourgogne où un concile se tient à
Verdun-sur-le-Doubs (1021). Sous la présidence d'Hugues de Chalon,
évêque d'Auxerre, d'Odilon de Cluny et peut-être du roi Robert le Pieux,
la « paix des Bourguignons » est signée. Odilon de Cluny commence alors
à jouer un rôle majeur. Il propose dans un premier temps aux chevaliers
bourguignons une diminution de la faide (guerre privée) et la
protection des chevaliers qui feront le Carême. Dans un second temps à
partir de 1020, Odilon instaure une nouvelle paix clunisienne en
Auvergne par le biais de sires de sa parenté.
Le
mouvement se propage vers le nord par la vallée du Rhône (concile de
Vienne). Le Nord de la France est atteint plus tardivement en raison de
l'opposition initiale de plusieurs prélats : conciles de
Verdun-sur-le-Doubs vers 1019-1021 et de Beauvais en 1023. De fait, avec
la mort de Guy d'Anjou en 996, le mouvement change pour une part de
nature : désormais, à partir du concile de Limoges de 998, les princes
eux aussi s'investissent dans le mouvement et en utilisent la dynamique.
Ce sont d'ailleurs ces princes qui transmettent le mouvement au Nord
malgré l'opposition virulente de plusieurs prélats importants tels que
Gérard de Cambrai ou Adalbéron de Laon proches des Carolingiens et très
hostiles aux Clunisiens qui soutiennent l'instauration d'une dynastie
capétienne. En particulier, Robert le Pieux multiplie les assemblées :
après celle d'Orléans, il en rassemble une à Compiègne (1023), à Yvois
(1023) et à Héry (1023). La seconde vague de paix, de plus en plus
imprégnée par les moines, connaît son paroxysme avec l'initiation à la
Trêve de Dieu (concile de Toulouges, 1027).
Au total, on dénombre vingt-et-une assemblées de Paix, mais les décrets ne sont connus que pour seulement huit d'entre elles.
Le processus de propagation du mouvement de Paix s'est déroulé en deux phases principales :
989-1010 : de Charroux à Poitiers, la Paix en Aquitaine.
1019-1038 :
de Verdun-sur-le-Doubs à Bourges, la Paix gagne la Bourgogne, la Vallée
du Rhône et enfin le Nord de la France, avant de connaître un renouveau
en Aquitaine.
Un mouvement populaire et antiseigneurial ?
Le mouvement de la Paix de Dieu assoit par des décisions conciliaires le rôle de chacun des trois ordres - principes, nobiles et vulgaris plebs - dans la société médiévale
Les historiens du XIXe siècle
se sont appuyés sur les écrits de l'époque (chroniques, récits de
miracles) pour décrire les foules implorant le secours des saints à
l'approche de l'an mil. Ainsi, le moine Raoul Glaber, dans ses Historiae
de 1020-1047, dénonce dans une perspective eschatologique, la violence
des seigneurs et déplore les malheurs des temps (l'ergotisme ou mal des
ardents qui frappe en Aquitaine en 994 est perçu comme un châtiment
divin) qui entraîne de grands rassemblements autour des reliques de
saints limousins. Les ecclésiastiques réunis en concile vont exploiter
ce mouvement pour imposer la Paix de Dieu.
Cependant,
la présence réelle et active des humbles est très difficile à évaluer,
les moines ayant tout intérêt à en exagérer l'importance afin de marquer
l'impact des translations de reliques et le pouvoir d'attraction des
saints présentés aux conciles (guérisons, miracles). La crainte du
clergé est de voir ces pratiques conduire à un retour à des pratiques
païennes. Sainte Foy de Conques est le symbole même de la
statue-vénération.
Si
la Paix de Dieu se base sur un mouvement populaire dans sa première
phase (989-1010), elle bénéficie ensuite du soutien du roi Robert II le
Pieux et de la haute noblesse qui y voient un moyen de structurer et de
pacifier le royaume. Les conciles en Aquitaine ont souvent été convoqués
par le duc Guillaume d'Aquitaine. Si la contestation paysanne a un
caractère antiseigneurial, l'Église ne cherche pas à se substituer au
pouvoir central mais plutôt à moraliser la conduite de la noblesse. Les
serments établissent un compromis juridique et foncier entre laïcs armés
et ecclésiastiques : ils institutionnalisent la seigneurie.
Princes
et évêques obtiennent que ces négociations se déroulent sous leur
tutelle pour éviter que le mouvement ne leur échappe. D'autre part la
faide, déplorée par les nombreux lettrés qui décrivent leur époque, est
nécessaire à la société : trouver des vengeurs garantit la sécurité de
telle ou telle seigneurie. La Paix de Dieu n'est pas une révolte
populaire visant à changer le monde mais un courant soutenu par les
puissants qui œuvre au maintien de l'équilibre social.
Elle
assoit, par les décisions de ses conciles, le nouvel ordre social
donnant une structure ternaire à la société médiévale (ceux qui prient,
ceux qui combattent, ceux qui travaillent) à l’image de la Cité de Dieu chez saint Augustin.
Objet des assemblées de Paix
La protection des biens d'Église
Le mouvement de la Paix de Dieu entend faire respecter les biens de l'Église
La
préoccupation première de la plupart des assemblées de Paix est la
protection du patrimoine ecclésiastique. L'autorité politique (le roi,
le comte) ne parvenant pas à réprimer les seigneurs, l'Église doit donc
prendre sa propre défense face à ces laïcs.
Au
synode de Laprade (975-980), l'évêque du Puy tente par tous les moyens
(guerre, paix) de préserver ou de récupérer les domaines ecclésiastiques
spoliés par des seigneurs laïcs du voisinage. Au Puy (990-994), on
décrète l'inviolabilité des églises et l'interdiction de saisir des
animaux dans l'aître d'une église. Au concile d'Anse, près de Lyon, en
994, l'abbé de Cluny défend sa seigneurie ecclésiastique contre les
empiètements des princes laïcs.
Lors
du concile de Charroux en 989, la protection des églises est une fois
de plus au cœur des dispositions : « anathème à qui viole les églises :
si quelqu'un viole une église sainte ou s'il veut en retirer quelque
chose par la force, qu'il soit anathème - à moins de faire réparation ».
Au
concile de Poitiers en 1010, on statue à propos des biens qui ont été
spoliés depuis les cinq dernières années ou dans les années qui suivront
ce concile. À celui de Limoges (1031), il s'agit à nouveau de lutter
contre les spoliations de biens ecclésiastiques, contre ceux qui
contestent les propriétés ecclésiastiques. À Vienne, le jureur s'engage à
ne pas enfreindre les terres et les bâtiments d'Église.
La protection des « pauvres »
Si
la préoccupation principale de ces assemblées, surtout en Auvergne, est
la défense des intérêts des seigneuries ecclésiastiques contre les
intérêts des seigneuries laïques voisines, l'importance de protéger les
« pauvres » apparait progressivement. Ce n'est qu'une dimension
secondaire de la Paix, mais elle apparaît de plus en plus fréquemment.
Le mot « pauvre » désigne ceux qui ne peuvent pas se défendre,
c'est-à-dire les paysans, mais aussi et surtout les clercs et les moines
(les pauvres de Dieu).
Le
chevalier se doit de protéger ceux qui ne peuvent se défendre : La Paix
de Dieu officialise le rôle de protecteur dévolu à la noblesse
Bien
que peu présente dans les assemblées du Massif central, on trouve
quelques traces de cette préoccupation. Au Puy, on décide que les clercs
doivent être protégés car ils ne peuvent porter d'armes (ce qu'il leur
est d'ailleurs rappelé). Au concile d'Anse, on interdit à tout
dignitaire et à toute autorité militaire de saisir dans les villages
dépendant de Cluny les hommes qui y vivent ou leur bétail, et il est
aussi interdit de se livrer à des rafles ou à d'autres exactions sur les
paysans relevant des terres ecclésiastiques.
Deux des anathèmes de Charroux sont consacrés à la protection des pauvres.
« Anathème
à qui prend les biens des pauvres : si quelqu'un s'empare des moutons,
bœufs, ânes, vaches, chèvres, boucs ou porcs de cultivateurs et d'autres
pauvres, qu'il soit anathème - sauf si c'est à cause d'une faute du
pauvre lui-même, et seulement s'il n'a rien fait pour s'amender ».
« Anathème
à qui frappe les clercs : si quelqu'un attaque, capture ou frappe un
prêtre, un diacre ou un autre membre du clergé qui ne porte pas d'armes,
alors il est sacrilège - sauf si le clerc a été jugé par son propre
évêque après s'être rendu coupable d'un délit ».
Des
serments échangés vont plus loin : ils cherchent à protéger les
populations non armées des autres seigneuries, car ne prenant pas part
aux conflits, elles doivent être épargnées. On protège aussi les
marchands, les pèlerins, etc.
On
essaye de faire comprendre à ceux qui se livrent à des exactions qu'il
est dans leur intérêt de ne pas exercer de violences sur les pauvres.
Les paysans travaillent, produisent, fournissent de la nourriture, les
marchands la transportent et en font du commerce ; ils doivent donc être
sauvegardés, car ceux qui les attaquent, les pillent ou les tuent, se
privent de ressources pour eux-mêmes. Sur ce point les intérêts de la
haute aristocratie et de l'Église convergent.
Stabilisation monétaire
La fin du Xe siècle
est une période de grande croissance économique. Mais la faiblesse du
pouvoir central entraîne la multiplication des ateliers de frappe
monétaire et surtout la pratique du rognage ou des mutations. Ces
pratiques entraînent des dévaluations tout à fait préjudiciables. C'est
pourquoi, au XIe siècle
dans le Midi, les utilisateurs doivent s'engager à ne pas rogner ou
falsifier les monnaies, et les émetteurs s'engagent à ne pas prendre
prétexte d'une guerre pour pratiquer une mutation monétaire.
Limites
Il
ne s'agit donc pas d'une paix universelle, vue anachronique, mais d'un
mouvement visant à protéger les biens d'Église. Il n'est nullement
question de réglementer le droit de guerre, ni d'interdire de manière
générale le butin des guerres privées, ni de soustraire les paysans aux
méfaits d'une présumée chevalerie formée de milites incontrôlés.
Par
exemple, au concile de Limoges en 1031, les décisions ne concernent que
le seul droit de l'Église et il n'est pas question de l'ordre public. À
Vienne, il ne s'agit pas d'interdire la guerre privée, mais d'en
limiter les effets à ceux-là seuls qui y sont impliqués (donc les gens
de guerre). En particulier la Paix de Dieu ne vise pas à limiter la
guerre entre princes et le serment de Verdun-sur-le-Doubs (vers 1020)
évoque les châteaux illégaux qu'il faut assiéger avec le roi, le comte
ou l'évêque, autorisant la levée de vilains pour ce type d'actions. Dès
lors l'autorité des grands sur leurs vassaux s'en trouve renforcée.
En
outre, de nombreuses exceptions, souvent marquées par des « sauf si »
comme dans les anathèmes de Charroux, limitent les décrets des
assemblées. Les limitations ne valent que pour les jureurs, sur des
terres qui ne sont pas les leurs. L'ost de l'évêque en est dispensé
lorsqu'il lutte contre les violateurs de cette paix. Tout seigneur
pourra donc agir comme il l'entend sur ses propres terres. Le jureur est
dispensé de son serment lorsqu'il participe à l'ost du roi, des comtes
ou des évêques, mais il devra toutefois ne pas enfreindre les sauvetés
des églises, « sauf si » on lui a refusé de lui vendre les vivres
nécessaires. Au total, les serments de la Paix de Dieu, tolèrent un
certain nombre d'exactions et agissent moins sur la paix générale qu'ils
ne permettent l'instauration d'une société structurée avec ses trois
états où le rôle de chacun est de mieux en mieux défini.
De
plus, les serments ont bien souvent une durée de validité : par
exemple, celui de Verdun-sur-le-Doubs ne contraignait les jureurs que
pendant sept années.
Le mouvement s'arrête aux frontières de la Lotharingie où l'autorité des ottoniens permettaient de garantir la sécurité.
L'application des décrets
Moyens d'action
L'application
des décrets est garantie par l'engagement solennel, le serment de paix,
que les participants aux conciles prêtent eux-mêmes et qu'ils
s'efforcent d'obtenir des grands. Le serment contraint ceux qui l'ont
juré de respecter leurs engagements.
Pour contraindre les récalcitrants, trois types de solutions pouvaient être employées :
La
justice : l'Église s'efforce de revaloriser les tractations et le
recours à la justice. Au concile de Poitiers, on décide que les conflits
devront être portés devant l'autorité judiciaire de la région. À
Limoges, il est décidé que les différends devront se régler par la paix
dans cette assemblée et non par la violence au dehors. Le serment de
Vienne cherche avant tout à régler les contentieux par la concertation
et le dialogue, et à accroître la juridiction de l'évêque.
Tympan de l'abbatiale de Conques (XIe siècle): En bas à gauche un chevalier non vertueux est précipité en enfer
Les
sanctions spirituelles : les prélats sacralisent les décisions de
jurisprudence conciliaire. À ceux qui observeront ces préceptes, les
évêques accorderont l'absolution de leurs péchés et la bénédiction
éternelle, mais ils lanceront des malédictions et des excommunications
contre ceux qui refusent d'obéir aux instructions épiscopales, contre
ceux qui contestent les propriétés ecclésiastiques et qui refusent de
s'en remettre au jugement des princes et des prélats. L'Église a
principalement utilisé l'anathème (excommunication majeure),
l'excommunication ou encore l'interdit (privation des biens spirituels
(offices religieux, sépulture en terre sacrée, sacrements)), qui se
généralisent et qui deviennent l'arme principale des évêques. Ces
malédictions ne sont que provisoires, le but étant d'amener les fautifs
devant la justice.
La
force armée : l'Église peut aussi en faire usage si les autres moyens
ne sont pas suivis d'effet. Ainsi, Guy d'Anjou, évêque du Puy, a
contraint tous ses diocésains à jurer la paix sous la menace des armes.
La nécessité de défense armée pourrait être liée au réel affaiblissement
du pouvoir royal, puis ducal, depuis le début du Xe siècle.
La
Paix de Dieu est un garant de l'ordre public et se substitue
partiellement à l'autorité royale ou princière qu'elle cherche à
renforcer dans ses prérogatives de police, d'ordre et de justice.
Cependant, le risque de dérive existe.
Oppositions et dérives
Les
armes spirituelles ne se révélant pas toujours suffisantes malgré les
menaces, très réelles, d’excommunication et d’interdit, des ligues ou
des milices de paix se constituent. Elles sont aussitôt jugées
subversives parce qu’antiseigneuriales. À Bourges en 1031, l’archevêque
Aymon laisse se créer une milice de la paix. Il l’utilise pour mener une
action guerrière contre les milites récalcitrants. Les évêques
présents au concile de Bourges en 1031 doivent faire prêter serment à
tous les fidèles de plus de 15 ans et c’est un véritable ost de la paix
avec des chevaliers, des paysans, le vicomte de Bourges et l’archevêque
qui assiège les châteaux des seigneurs récalcitrants comme le château de
Bennecy. L’assaut tourne au massacre et, selon Raoul Glaber,
1 400 personnes (essentiellement des paysans qui y étaient réfugiés avec
femmes et enfants) périssent dans l’incendie provoqué par les
assaillants, le chevalier poursuivi ayant pris la fuite depuis
longtemps. Le récit des faits par André de Fleury discrédite ce type
d’actions, menées par des puissants et légitimées par un mouvement
qu’ils ont largement récupéré mais qui n’en respecte pas la philosophie.
L'institution de la Paix de Dieu, Livre des Macchabées, Bible de Saint-Pierre-de-Roda, fin Xe siècle-début XIe siècle (Bibliothèque Nationale, Paris)
Cette
milice est massacrée le 18 janvier 1038 à Châteauneuf-sur-Cher, alors
qu’elle s’attaque au seigneur de Déols. Elle franchit le Cher et se
retrouve face à l’armée du seigneur de Déols qui joue un coup de bluff :
il monte ses piétons sur tous les animaux qu’il peut trouver. Les
miliciens, croyant qu’ils sont face à une puissante cavalerie, paniquent
et essayent de retraverser le Cher (la traversée de rivières sans pont
est périlleuse à l’époque). Ils sont taillés en pièces et beaucoup
périssent noyés. La cause est dénaturée et le mouvement a perdu du
crédit, mais on peut y percevoir le principe des croisades d’une guerre
menée sur des principes religieux.
L’unanimité
de la Paix s’efface lorsque certains clercs dénoncent la mise en valeur
trop ostentatoire des statues de saints et de leurs reliques. Leur
culte est alors assimilé à des pratiques idolâtres et taxé d’hérésie.
Le
concile de Limoges (998) se fait sans Guy d’Anjou, décédé en 996. C’est
un tournant pour le mouvement, car, peu avant sa mort, Berthe de
Bourgogne, veuve d’Eudes de Blois, devient la concubine du roi Robert le
Pieux, contre l’avis de Cluny et d'Abbon de Fleury : l’abbaye traverse
alors une grave crise et son expansion marque le pas pour une dizaine
d’années.
La
diffusion de la Paix dans le nord du royaume rencontre des
oppositions : les évêques du Nord, tels Gérard de Cambrai et Adalbéron
de Laon, ne sont pas favorables à l'instauration des mouvements de paix
dans leur diocèse. Dans le Nord-Est du royaume, la tradition
carolingienne est encore très forte et elle avance que seul le roi est
le garant de la justice et de la paix. D'autre part, les évêques sont
souvent à la tête de puissants comtés et n'ont pas besoin d’asseoir leur
autorité par la Paix de Dieu, contrairement à leurs confrères
méridionaux. Les prélats considèrent aussi que la participation
populaire au mouvement est telle qu'il risque de montrer un caractère
trop ostentatoire des reliques, ce qui est contraire aux volontés
divines. Gérard de Cambrai et Adalbéron de Laon, sur le fondement de la
théorie des trois ordres, développent l’idée que la paix ne peut être
que la prérogative du souverain, et en aucun cas celle des
ecclésiastiques (dont le « roi Odilon »). Quand Robert le Pieux prend en
charge le mouvement au nord du royaume, Gérard de Cambrai finit par
accepter de faire promettre (et non de jurer) la Paix de Dieu dans son
diocèse.
La Trêve de Dieu
Représentation moderne de Oliva de Besalù devant la cathédrale de Vic
Par Ziol — https://www.flickr.com/photos/ziol/9697856/, CC BY-SA 2.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=402562
Le
mouvement reprend de la vigueur en 1027, en Catalogne où Oliva de
Besalù l'évêque de Vic très lié à Cluny lance la Trêve de Dieu avec le
Synode d'Elne (dit concile de Toulouges, 1027), puis en 1033 un synode à
Vic, son propre diocèse. Il introduit une notion temporelle : les
exactions et combats sont interdits le dimanche.
À
Vic, la Trêve se définit comme la protection des chrétiens pendant les
périodes liturgiques, et relève du seul clergé contrairement à la paix
qui relève du comte et de l'évêque. À Vic, on retrouve le triptyque de
Charroux : l'espace sacré des trente pas autour de l'église, les vilains
à ne pas maltraiter, ni les dépouiller de leurs vêtements, ni de leur
cire (article du Puy, cette fois). Comme pour le serment de Vienne, il
faut également prendre garde aux mules et mulets et ne pas détruire de
maisons : cette fois, on protège davantage la vie et le travail des
paysans.
Dans
les années 1030-1040, le mouvement est relayé par les clunisiens.
Odilon de Cluny met toute la puissance du réseau de sa congrégation au
service de l'œuvre de paix, et des archevêques. Il s'agit maintenant de
prescrire une suspension des hostilités entre « bellatores » (guerriers)
durant certaines périodes de l'année, à l'instar des temps prohibés du
calendrier chrétien. En interdisant toute activité militaire pendant les
périodes liturgiques, l'Église souhaitait rendre impossible toute
grande entreprise militaire. La guerre n'est plus autorisée que 80 jours
répartis tout le long de l'année (décision du concile de Narbonne en
1054). La Trêve de Dieu introduit la réprobation de l'homicide entre
chrétiens : ce même concile promulguant que « Nul chrétien ne tue un autre chrétien, car celui qui tue un chrétien c'est le sang du Christ qu'il répand ». C'est ce mouvement, plus que la Paix de Dieu qui dans les faits instaure la paix médiévale.
C'est
aussi durant cette période que le mouvement (de Paix-Trêve)
s'institutionnalise, pris en main exclusivement par les clercs, évêques
et moines réformateurs. Lors des conciles de la seconde moitié du XIe siècle, sont promulguées à la fois des dispositions de paix et de trêve, les deux institutions étant désormais liées.
Comme
la Paix, la Trêve se propage du Midi vers le Nord grâce à l'appui des
réseaux d'Église réformateurs, avec cependant des variantes selon les
régions. Deux modèles bien distincts sont ainsi repérables : le premier,
méridional (Languedoc, Catalogne), adopte la forme d'un serment, tandis
que le second, « français » (Nord, Picardie, Normandie) prend celle
d'un monitoire des évêques à leurs diocésains et gravite autour de la
seule idée de Trêve.
Évolution du mouvement
Bernard de Clairvaux prêchant la 2e croisade, à Vézelay, en 1146
La
paix et la Trêve de Dieu ne sont pas les seuls outils utilisés par
l'église pour moraliser la conduite de la chevalerie : elle introduit
aussi des notions religieuses dans les serments de vassalité ou bénit
les armes des chevaliers.
Par
la Paix de Dieu, l'Église ne cherche pas à interdire la guerre et à
promouvoir la paix : elle moralise la paix et la guerre en fonction de
leurs objectifs et de ses intérêts. C'est en cela que la Paix de Dieu
constitue une étape préparatoire importante de la formation de l'idée de
croisade.
Les
ducs et comtes retrouvent assez de pouvoir pour reprendre en main le
mouvement de paix : en 1047, en Normandie, la Paix de Dieu devient la
paix du duc (concile de Caen) ; en 1064 en Catalogne, elle devient la
paix du comte. Dans le même temps, la paix s'internationalise,
s'étendant aux pays voisins de la France : Catalogne, Angleterre, pays
germaniques. La papauté conforte enfin le mouvement : Urbain II, ancien
moine clunisien, reprend lors du concile de Clermont (1095) les
dispositions promulguées aux conciles de paix. Il y invite tous les
chrétiens à observer entre eux une paix perpétuelle et à aller combattre
l'hérétique. C'est ainsi que la Paix débouche sur la croisade.
Cependant,
même avec les croisades, le mouvement ne garantit pas complètement la
paix dans l'occident médiéval. De retour de Terre Sainte, les chevaliers
entendent être davantage respectés et se sentent libres de châtier ceux
qui s'opposeraient à leurs intérêts. Or, nombreux sont ceux qui malgré la protection de l'église voient leurs biens spoliés durant leur absence. Ceci étant, les croisades dérivent fortement la violence des temps vers l'infidèle et permettent de créer des ordres militaires, où les chevaliers adoptent une vie monastique, devenant de véritables soldats du Christ.
Le XIIe siècle,
en même temps qu'il est période de reconstruction du pouvoir royal,
voit se transformer le mouvement de Paix. Durant la première moitié du
siècle, le roi reprend en main le domaine royal, faisant reculer les
ambitions des seigneurs. Dans le même temps, l'Église et la papauté font
de nouveau appel aux autorités civiles (roi et princes) pour assurer
les prérogatives judiciaires. C'est dans le cadre de cette restauration
de l'autorité royale que Louis VII, lors d'une grande assemblée tenue à Soissons le 10 juin 1155, récupère l'institution de Paix : la Paix de Dieu devient la Paix du Roi.
Au
total, la Paix de Dieu s'inscrit dans un vaste mouvement
d'institutionnalisation de l'occident médiéval. Les rôles dans la
société de chaque ordre sont définis : ceux qui prient, ceux qui
combattent et ceux qui travaillent. C'est par la moralisation
progressive des élites que ce but est atteint. La réforme grégorienne et
la création d'ordres religieux moralisent la conduite du clergé. La
bénédiction des armes des combattants, les mouvements de la paix et de
la Trêve de Dieu, les pèlerinages, les croisades et la création d'ordres
militaires moralisent la conduite de la noblesse. Ce mouvement général
contribue à la centralisation du pouvoir. Après une période où la
décentralisation secondaire à la dissolution de l'Empire carolingien a
entraîné un redémarrage économique centré sur l'agriculture favorisé par
les investissements des propriétaires fonciers (moulins, fours...). Cet
essor économique générant le développement de villes, du commerce et de
l'artisanat, un pouvoir central garantissant la sécurité des axes de
communication et des marchés devient de plus en plus nécessaire. Les
autorités royale, impériale, ducale ou pontificale doivent être
renforcées et c'est l'autorité religieuse plus que la puissance
militaire qui le permet.