La fête de tous les saints
LA FÊTE DE TOUS LES SAINTS.
Puisque cette fête est consacrée à la gloire et à la vénération de tous les Saints, il
est bien juste que nous ne la passions pas sans leur faire un éloge
commun, et qui donne aux fidèles une idée générale de leur excellence.
Mais il faut auparavant que nous disions un mot de la fête même, afin qu'on sache quand elle a commencé et quel a été le sujet de son institution.
Ce fut le pape Boniface IV, qui vivait à l'entrée du VIIe siècle et sous l'empire de Pliocas, qui en donna la première
ouverture : au lieu de détruire le Panthéon, c'est-à-dire le temple de
tous les dieux, que Marc-Agrippa, favori d'Auguste, avait fait bâtir, au
rapport de Pline, en l'honneur de Jupiter le Vengeur, à cause de la bataille
d'Actium que cet empereur avait gagnée sur Marc-Antoine et sur
Cléopâlre, d'où il était devenu le maître du monde ; il le purifia et le
dédia sous le nom de la Sainte Vierge et
de tous les Martyrs, et, comme l'assure le cardinal Baronius en
ses Notes sur le Martyrologe, il y fit transporter vingt-huit chariots d'ossements des mêmes Martyrs, tirés des cimetières de la ville.
Car, en même temps, il ordonna que tous les ans, au jour de cette
dédicace, qui fut le 13 mai, on fit à Rome une grande solennité en
l'honneur de la Mère de Dieu et de tous ces glorieux témoins de la divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Ce
Panthéon était peut-être le seul monument illustre qui fût demeuré de
l'idolâtrie. Les fameux temples d'Apollon à Delphes, de Sérapis à
Alexandrie, de Diane à Éphèse, de Marnas à Gaza, de Jupiter le Céleste à
Carthage et de Jupiter le Capitolin à Rome, avaient été détruits et
n'étaient plus. Il y avait même une loi de Théodose le jeune, qui était
en vigueur en Orient et que nous trouvons encore dans le code Théodosien
au titre de Paganis, qui ordonnait d'exterminer ces lieux d'abomination
et de planter des croix sur leurs
ruines. Et, de fait, cette conduite était nécessaire dans les premiers
temps du règne de l'Église, soit pour donner plus d'horreur des superstitions
du paganisme, soit pour ôter toute espérance aux idolâtres de les
pouvoir jamais rétablir, soit pour en abolir peu à peu la mémoire avec les vestiges, soit enfin pour favoriser la ferveur des nouveaux chrétiens qui voulaient se signaler en faisant cette destruction.
Saint Grégoire-le-Grand en agit lui-même de la sorte à l'égard des temples d'Angleterre, au commencement de la conversion des Anglais.
Mais,
depuis, considérant qu'il n'y avait plus rien à craindre de l'idolâtrie
terrassée et écrasée dans les principaux endroits de l'empire romain,
il changea de manière d'agir, et jugea plus à propos de faire adorer
Dieu dans ces mêmes temples, où il avait été déshonoré, que de s'obliger
à des dépenses excessives pour les ruiner et en bâtir ensuite de nouveaux.
C'est ce qui parait dans une lettre qu'il écrivit à saint Mélite, l'un des bienheureux missionnaires qu'il avait envoyés en cette lie de la Grande-Bretagne.
Boniface IV, qui monta sur le siège apostolique trois ans seulement après son décès, entra donc dans ce sentiment.
Ce
fut dans cette vue qu'il consacra le Panthéon, et que d'un temple où
tous les démons avaient été adorés, il fit une maison sainte, destinée
au culte religieux de tous les serviteurs de Dieu. On l'appela
premièrement Sainte-Marie aux Martyrs, et maintenant on
l'appelle Notre-Dame la Rotonde, à cause de la figure de ce bâtiment qui est en rond.
Mais si Rome et l'Italie sont redevables à ce grand pape de l'institution de la fête de tous les Martyrs, la France
et l'Allemagne, et ensuite tout le monde chrétien, sont obligés à
Grégoire IV et à Louis-le-Débonnaire, roi de France et empereur, de
l'établissement de la solennité générale de tous les Saints.
Sigebert, en l'année 835, nous apprend que ce souverain pontife, étant venu en France, exhorta le roi à la faire
célébrer dans tous ses États ; et que ce prince, qui n'était pas moins
religieux que puissant, après en avoir communiqué avec tous les prélats
de son royaume, en fit une ordonnance, et en assigna le jour au 1er novembre, commandant qu'elle fût célébrée avec la même pompe et la même dévotion que les plus grandes fêles de l'année.
Cet édit ne pouvait avoir de force que dans les terres de son obéissance ; mais depuis, par conformité, la fête
s'est répandue par tout l'Occident, et le pape Sixte IV, en 1580, lui a
donné une octave : ce qui l'a rendue encore plus célèbre.
Au reste l'Église a été portée à cette institution pour plusieurs raisons très importantes.
Une des principales a été d'honorer, par cette fête, les Saints qui
n'ont pas leur solennité particulière dans le cours de l'année ; soit
parce que leur sainteté, ou même leurs noms ne nous sont pas connus ;
soit parce que, bien qu'ils soient dans nos Martyrologes, et qu'on y
récite tous les ans leurs noms aux jours de leurs triomphes, leur nombre
infini empêche qu'on leur rende un culte distinct et séparé.
Certainement,
il n'était pas juste de laisser sans honneur ces admirables héros du
Christianisme, qui ont fidèlement servi Dieu durant leur vie mortelle et emploient continuellement leurs prières dans le ciel pour nous obtenir le pardon de nos péchés, et des grâces
toutes puissantes pour arriver au bonheur dont ils sont déjà
possesseurs. Il fallait donc une fête commune qui les comprît tous, et
qui fût comme un hommage général de toute l'Église militante envers
toute l'Église triomphante.
Une seconde raison de cette institution
a été de réunir tous les fidèles dans le culte religieux qui est dû à
ces amis de Dieu ; car il est certain que, sauf un petit nombre dont on
célèbre la fête avec plus de solennité, et par la cessation des œuvres
serviles, ce qui fait que le peuple s'assemble avec le clergé pour
entendre leurs éloges et chanter leurs louanges, les autres ne sont
presque honorés que des ecclésiastiques ; le reste des chrétiens
ne les connaissent point, ou s'ils les connaissent de nom, leurs
affaires domestiques ne leur permettent pas de leur rendre, aux jours
qu'on en fait la mémoire, la vénération qui est due à leurs mérites.
Il était donc bien juste d'instituer une fête des premières et des plus
solennelles de l'année, où tous les fidèles dégagés de l'occupation de
leurs affaires, et ne vaquant qu'au culte divin, s'employassent tous
d'un cœur et d'une voix à honorer cette armée de Bienheureux, que Dieu
même prend plaisir d'honorer.
Une troisième raison, rapportée dans l'Ordo romain, a été de donner lieu, tant aux ecclésiastiques qu'aux laïcs, de réparer, par une ferveur et une piété extraordinaires, les négligences qu'ils auraient commises dans la célébration des fêtes particulières.
En effet, c'est une chose déplorable de voir la lâcheté et l'indévotion avec lesquelles on célèbre la plupart des fêtes des Saints, et même celles des Apôtres et des plus illustres d'entre les Martyrs.
On peut dire en ces jours ce que le prophète Jérémie disait du temps de la captivité des Juifs
: Viœ Sion logent, eo quod non est qui veniat adsolemnilatem : — Les chemins de Sion pleurent parce que personne ne vient à la solennité.
On en fait des jours de récréation et de débauche ; peu de chrétiens s'y assemblent pour ouïr la parole de Dieu, pour approcher des Sacrements
et pour chanter les divins offices. On se contente d'entendre une basse
messe, souvent sans attention et sans révérence, et l'honneur des Saints y est entièrement négligé.
L'Église fait ce qu'elle peut pour arrêter ce désordre en remontrant à ses enfants la nécessité
qu'ils ont de se ménager ces puissants avocats et médiateurs dans le
ciel ; mais, comme ces exhortations n'ont pas toujours le succès et le
fruit qu'elle se propose, elle a sagement institué cette fête, afin que
les fidèles, s'excitant à la dévotion par la vue d'une si grande solennité, suppléent en quelque manière au défaut des fêtes particulières.
Un quatrième motif, qu'elle a eu dans cet établissement, a été d'intéresser en même temps tous les Saints à sa défense, à sa protection et de les obliger à joindre leurs intercessions pour lui procurer des faveurs extraordinaires.
C'est ce qu'elle témoigne elle-même dans la collecte
de ce jour, où elle demande à Dieu l'abondance de sa propitiation par
le grand nombre d'intercesseurs qu'elle emploie auprès de sa divine
Majesté, pour la fléchir et se la rendre propice.
Enfin, la principale vue de cette Mère charitable des chrétiens a été qu'il y eût un jour dans l'année destiné à leur proposer le bonheur inestimable des Saints, la gloire
où ils sont élevés, les richesses dont ils regorgent et les délices
dont ils sont saintement enivrés, afin qu'étant animés par la grandeur de cette récompense, ils travaillent plus courageusement à la vertu, qui est l'unique moyen de s'en rendre dignes.
Ces raisons doivent entièrement persuader, non-seulement de la justice, mais aussi de la nécessité de cet établissement.
Pour parler maintenant de l'excellence de ces bienheureuses créatures, qui composent la Jérusalem céleste, je remarque qu'il y a principalement trois choses qui relèvent une personne et nous la rendent
recommandable : sa naissance, ses vertus et ses emplois ; sa naissance,
si elle est illustre ; ses vertus, si elles sont éminentes ; ses
emplois, s'ils sont éclatants et glorieux. Or, ces trois choses se
trouvent avec un merveilleux avantage dans ces habitants du paradis.
Leur
naissance est illustre, puisqu'ils sont tous nés de Dieu, qu'ils
portent tous l'auguste qualité de ses enfants, et ensuite celle des frères de Jésus-Christ et de temples du Saint-Esprit.
Vous devez observer qu'ils portent celte qualité d'une manière bien plus noble que nous ne faisons sur la terre ; car la grâce qui les fait enfants de Dieu est une grâce dominante, qui remplit toutes leurs facultés, sans y rien laisser des faiblesses de la génération
de l'homme ; une grâce invariable qu'ils ne peuvent jamais perdre et
qui ne leur sera jamais ôtée ; une grâce consommée, qui les rend
actuellement héritiers de leur Père et les met dans la possession de son royaume.
Leurs
vertus sont suréminentes, puisque excepté celles qui supposent quelque
défaut et sont ensuite incompatibles avec le bonheur et la sainteté
de leur état, ils les possèdent toutes dans un degré très héroïque ; je
veux dire celles qui les regardent eux-mêmes, et celles qui ont rapport
aux autres créatures. Et qui pourrait représenter la plénitude de leur sagesse, l'ardeur de leur amour, l'étendue de leur reconnaissance, la ferveur de leur zèle, la profondeur de leur humilité, l'excellence de leur pureté, le calme et la paix de leur cœur, la perfection de leur justice, la grandeur de leur miséricorde, et l'esprit d'union et de concorde qui règne entre eux ?
Pour leurs emplois, il n'y a rien de si éclatant et de si glorieux.
Saint
Augustin les réduit à trois qui sont sans doute les principaux : voir
Dieu, aimer Dieu, louer Dieu ; voir Dieu intuitivement, et tel qu'il est
lui-même ; aimer Dieu pleinement et de toutes les forces et les
puissances de l'âme ; louer Dieu infatigablement et de la manière dont il est digne d'être loué.
C'est ce que font les Saints dans
le ciel, et ce qu'ils feront dans l'éternité. Voilà leur emploi et leur
fonction, qui est aussi l'occupation de Dieu avant tous les siècles et
durant toute la durée de son être.
D'ailleurs,
quelle langue pourrait exprimer les charmes et douceurs de leur
béatitude : le Roi-Prophète n'en parle que par étonnement.
Quant magnamullitudo dukedinis tttœ, Domine, quam abscondisti limentibus le I — 0 Seigneur, ô mon Dieu, que les délices que vous avez réservées pour ceux
qui vous craignent sont abondantes et excessives !
Saint
Paul, après le prophète Isaïe, nous assure que ces biens sont si
éminents, que l'œil n'a jamais rien vu, que l'oreille n'a jamais rien
entendu et que le cœur de l'homme n'a jamais rien conçu qui leur soit
comparable.
Et saint Augustin dit dans le même sens que cette splendeur, cette beauté et cet éclat qui nous sont préparés, et dont les Saints jouissent déjà, sont au-dessus de tous les discours et de toutes les pensées des hommes.
D'où il faut inférer qu'elles surpassent toute la gloire de Salomon, toute la magnificence des césars, toutes les richesses des rois, toute la pompe des triomphes, tous les plaisirs des sens et toutes les raretés de cet univers.
Sainte
Catherine de Sienne, en ayant vu dans l'un de ses transports une montre
et un échantillon, ne pouvait s'empêcher, lorsqu'elle fut revenue à
elle-même, de s'écrier : J'ai vu des merveilles, j'ai vu des merveilles !
Et comme son confesseur la pria
instamment d'expliquer ce qu'elle avait vu, elle lui répondit à peu
près ce que nous lisons dans le même saint Augustin, au traité 34 sur
saint Jean
: Desiderari potest, concupisci potest, suspirari in illud potest
; dignè cogitari et verbis explicari non potest :
— On peut aimer cette béatitude, on peut la désirer avec ardeur, on peut soupirer après elle, mais il est impossible d'en former des pensées ni d'en faire des discours qui répondent à son excellence.
Sainte
Thérèse en ayant aussi découvert quelques rayons dans un ravissement,
voici ce qu'elle en écrivit ensuite dans le livre de sa vie : Les choses que je voyais étaient si grandes et si admirables, que la moindre suffirait pour
transporter une âme et pour lui imprimer un extrême mépris de tout ce qui se voit ici-bas. Il n'est point d'imagination ni d'esprit qui puisse se les
figurer. Leur vue me causa un plaisir si exquis et embauma mes sens d'un contentement si suave, que je n'ai point de paroles pour les représenter.
Et Notre-Seigneur me faisant voir cela, me disait
: » Regarde, ma fille, ce que perdent ceux qui m'offensent, et ne manque pas de les en avertir. » Il
me demeura de là un tel dégoût des biens et des satisfactions de ce monde, que tout ne me paraissait plus que fumée, que mensonge et que vanité.
Si un seul crayon, une image faible et imparfaite de la béatitude que Dieu faisait voir en passant à ces saintes âmes, les portait à parler de la sorte, quelle est, je vous prie, ce bonheur en lui-même, et quelle gloire possèdent les Saints, non plus dans les ténèbres de cette vie fragile et misérable, mais dans les splendeurs d'une vie qui ne finira jamais !
Le Docteur angélique ne fait point de difficulté de l'appeler en quelque manière infinie, de même que l'union hypostatique, et la dignité de Mère de Dieu, parce qu'encore que la vision et l'amour béatifique soient des actes finis et limités, ils unissent néanmoins immédiatement l'âme à un bien infini, et la font entrer dans la participation de son bonheur et de sa joie qui sont infinis.
Saint
Augustin, que j'ai déjà cité, en était dans une telle admiration, qu'il
nous a encore laissé ce sentiment si noble et si pieux au livre III
du Libre arbitre, que, quand on n'en devrait jouir qu'une heure
seulement, il faudrait acheter cette heure par la privation des richesses et des délices d'un million d'années. Et nous entrerons nous-mêmes aisément dans la pensée de ces hommes divins, si nous considérons d'un côté la grandeur de la puissance, de la bonté et de la magnificence de Dieu ; de l'autre, l'étendue des mérites de Jésus Christ ; et de l'autre enfin, ce que les prédestinés ont fait et souffert pour arriver à celte récompense.
Mais, comme ces trois points nous mèneraient trop loin, je les laisse à la méditation des lecteurs, pour marquer plus en détail en quoi consiste cette béatitude.
Le savant Boëce, et après lui saint Thomas et toute la théologie, la définissent
: Stalum omnium bonorum aggregalione perfectum : — Un état
qui renferme tous les biens dont un être intelligent est capable, et qui, dans ce concert sacré, n'a nul défaut ni imperfection. Ce
qui fait que nous y distinguons trois choses : la première est l'exemption de toutes sortes de maux ; la seconde est la possession et la jouissance de la plénitude de tous les biens ; la troisième est la consistance et l'immutabilité de l'un et de l'autre.
Pour la première, nous en ferons d'autant plus d'état, que nous ressentirons plus vivement le poids des misères dont nous sommes environnés : nous en avons une belle description dans le chapitre 21 du livre des Méditations, attribué à saint Augustin : Que je m'ennuie, dit-il, Seigneur, de cette vie et de ce pèlerinage ! Cette vie est une vie misérable, une vie caduque, une vie incertaine, une vie laborieuse, une vie pleine de péchés, une vie que l'on doit plutôt appeler mort que vie, puisqu'il n'y a pas un seul de ses moments où nous ne mourrions par une pente continuelle à la mort. Et comment pourrions-nous appeler vie un état où les humeurs nous suffoquent, les infirmités nous consument, le feu intérieur nous
dessèche, l'air nous infecte, les aliments nous
corrompent, les jeûnes nous affaiblissent, les divertissements nous relâchent, la retraite nous afflige, les affaires nous inquiètent, l'oisiveté nous abrutit, les richesses nous enflent, la pauvreté nous consterne, la jeunesse nous élève et la vieillesse nous abat ? Nous sommes sujets en cette vie à la faim et à la soif, au chaud et au froid, à la douleur
et aux maladies ; mille accidents fâcheux, mille chagrins et
inquiétudes, mille traverses et persécutions troublent perpétuellement
notre repos ; nous ne sommes presque pas un instant sans quelque
souffrance ; la mort enfin est inévitable, et ce que les gens de bien trouvent infiniment plus terrible que la mort,
les tentations nous pressent et nous entraînent au péché, et le péché,
s'il n'est effacé par nos larmes, nous précipite dans une seconde mort,
qui est la mort éternelle.
C'est ce qui a porté tant de Saints à déplorer le jour de leur naissance, et les a fait soupirer après la fin de cet exil, où ils ne voyaient que des pièges, des embûches et des naufrages. Mais nul de ces maux ne se trouve dans le séjour des Bienheureux.
Ils n'ont plus ni faim, ni soif, ni lassitude. Ils ne sont plus exposés
aux injures et aux méchancetés de l'air. Jamais leur corps, après la résurrection, ne sentira de douleur ni de maladie ; jamais leur âme n'aura la moindre
atteinte de chagrin et de tristesse. Il ne se trouve personne dans leur
demeure qui veuille ni qui puisse leur nuire, les démons en sont
bannis, les impies n'y ont point accès ; ils n'y entendent que des louanges, des applaudissements et des bénédictions ; la mort n'en peut nullement approcher ; ils ne la craignent point, parce qu'ils l'ont parfaitement vaincue et qu'ils sont devenus immortels.
Enfin,
ce qui fait leur plus grande joie, c'est qu'ils ont leur volonté si
fortement et si inviolablement attachée à celle de Dieu, qu'ils sont
incapables de s'en séparer et de commettre aucun défaut. 0 bonheur
inestimable ! ô félicité merveilleuse ! Réjouissez-vous, pauvres et
mendiants, car si vous servez Dieu fidèlement, votre pauvreté sera
changée en une abondance infinie. Réjouissez-vous, captifs et
prisonniers, car si vous observez exactement la loi
de votre Souverain Maître, votre captivité sera changée en une liberté
parfaite. Réjouissez-vous, malades, affligés, persécutés, car enfin ces
maux se passeront et on vous promet une vie exemple de toute misère. Réjouissez-vous aussi, vous qui êtes dans le mépris et dans l'opprobre, vous qui êtes ici-bas la balayure
du monde, car il viendra un temps, ou plutôt un moment éternel, où vous
serez comblés d'honneur. Réjouissez-vous enfin, vous qui pleurez et
gémissez, car on essuiera toutes vos larmes, et vous ne pleurerez plus,
parce que vous n'aurez plus aucun sujet de pleurer.
Si la béatitude des Saints est
une exemption et un affranchissement de toutes sortes de maux, elle est
aussi un concert bienheureux de tous les biens imaginables.
On
distingue ordinairement trois sortes de biens : les biens extérieurs,
les biens du corps et les biens de l'âme ; les biens extérieurs, comme
l'estime, l'honneur, les richesses, les compagnies charmantes, les
demeures agréables, les habits et les ameublements précieux ; les biens
du corps, comme la santé, la bonne grâce, la vivacité des organes et les satisfactions des sens ; les biens de l'âme, comme la science, les vertus, la sainteté et la possession du souverain bien. Or, nul de tous ces biens ne manque à la béatitude ; car, pour commencer par les biens de l'âme, j'ai déjà dit que les Saints possèdent la grâce
et toutes les vertus dans un degré suréminent, et qu'ils sont
invariablement établis dans cette possession. Ils possèdent aussi toutes
les sciences, et celui qui ne savait rien sur la terre,
en entrant dans le ciel, devient infiniment plus savant que les
Socrate, les Platon et les Aristote, et que l'ont été ici-bas les
Ambroise, les Augustin et les Chrysostôme ; mais ce qui fait la perfection et la consommation de la béatitude, c'est qu'ils voient Dieu en lui-même, lui qui est la première et la souveraine vérité, et qui comprend toute vérité. Ils le voient, non pas obscurément et par des images, des représentations et des figures, comme on peut le voir sur la terre
dans une très haute contemplation ; mais intuitivement et tel qu'il est
et comme lui-même les voit et les connaît : expressions admirables qui
sont toutes tirées de saint Paul et de saint Jean. Quand nous voyons une
personne, nous ne voyons que son visage, et de son visage même nous ne
voyons que la surface et le dehors ; mais nous ne voyons point la perfection
intérieure de ses yeux, de son cerveau, de ses nerfs, de ses muscles,
de ses artères et de ses veines, ni l'économie merveilleuse de toutes
ces parties si industrieusement ajustées pour leurs offices et leurs
mouvements. De plus, nous ne voyons point son âme, son entendement, sa
mémoire, sa volonté, ses sciences, ses vertus ni ses adresses, qui sont
les plus beaux ornements qui soient en elle.
Mais les Saints, en voyant Dieu, pénètrent dans toute la profondeur de son être, de sorte qu'il n'y a rien de lui qui leur soit caché.
Ils
voient son essence divine et toutes ses perfections, tant absolues que
relatives ; ils voient l'infinité de sa nature, l'immensité de sa
grandeur, l'éternité de sa durée, le poids de sa majesté, la fermeté de son trône, l'amplitude de sa puissance, les lumières de sa sagesse, les secrets de ses jugements, la douceur de sa bonté, les tendresses de sa miséricorde, la sévérité de sa justice, les charmes de sa beauté et l'éclat immortel de sa gloire.
Ils voient le mystère ineffable de la Trinité de ses personnes dans l'unité de sa substance ; l'innascibilité du Père, la génération du Fils et la procession du Saint-Esprit.
Ils voient comment, par l'inclination de sa bonté, il s'est résolu de se communiquer au dehors en produisant des créatures
et leur imprimant les caractères de ses excellences ; comment il les a
inventées et tracées par sa sagesse avec un ordre et une symétrie si
merveilleux ; et comment, par la force de
son bras tout-puissant, il les a tirées de l'abîme du néant pour les
mettre au jour et les faire travailler à sa plus grande gloire.
De plus, ils voient en lui tous les autres mystères de la foi, comme celui de l'Incarnation, avec toute la suite de la vie pauvre
et humiliée de l'Homme-Dieu ; celui de l'Eucharistie, et l'état
admirable du corps de Jésus-Christ dans ce Sacrement ; celui de la Passion, et les raisons toutes sages et toutes saintes que Dieu a eues de choisir ce moyen pour notre rédemption ; celui de la Résurrection, et la gloire inestimable dont Notre-Seigneur a été rempli dans ce bienheureux moment. Enfin tout ce qui appartient à l'économie générale du rachat et du salut du genre humain.
Ils voient, dis-je, tous ces mystères sans obscurité et sans aucun doute, mais avec toute l'assurance et la clarté dont une chose peut être connue ; et ils les voient, non pas par des connaissances
multipliées et redoublées, mais par un seul acte très-pur et
très-simple, qui, en pénétrant l'Essence divine, y lit distinctement ces
desseins et ces œuvres de son adorable providence. Il y aurait de
grands secrets à découvrir de cette vision et de la lumière
de gloire qui en est le principe ; mais, laissant aux théologiens le
soin de les expliquer, je me contente d'ajouter qu'elle ne se fait pas
comme nos autres connaissances par des espèces impresses ou expresses, qui sont des images spirituelles des objets, mais par l'union intime et immédiate de l'Essence divine avec l'entendement des Bienheureux.
En
effet, il n'y a que Dieu qui se puisse représenter tel qu'il est en
lui-même, et toute image créée étant tout à fait éloignée de sa
perfection ne pourrait le représenter dans toute la plénitude
de son être ; donc puisque par cette vision les Bienheureux le
connaissent et le voient comme il est et tel qu'il est, il est
impossible qu'ils les voient par des espèces et des images
créées, et il faut nécessairement avouer qu'ils le voient par l'union
intelligible de sa propre substance à leur entendement. C'est ce qui
fait qu'ils lui sont parfaitement semblables, suivant cette parole de
saint Jean
: Similes ei erimus quoniam videbimus eum sicuti est : — Nous lui serons semblables, parce nous le
verrons tel qu'il est ; car, par le moyen de ce mystère, ils nont pas
seulement une participation de la divinité, mais ils sont intelligiblement revêtus dela divinité
même, et, sans cesser d'être ce qu'ils sont, ils deviennent
heureusement celui qu'ils voient ; et n'ayant tous qu'une même forme,
ils sont faits intelligiblement un seul Dieu.
Je n'ai point parlé de la connaissance qu'ils ont de toutes les choses naturelles : de l'architecture et des justes proportions de l'univers, des propriétés et des industries de chacune de ses espèces, et de ces beaux secrets qui occupent l'esprit et usent l'intelligence de nos savants.
Ils
voient tout cela à découvert ; mais, comme dit saint Augustin, ce qui
les rend bienheureux, ce n'est pas de voir les créatures, mais de voir
cet Être immense, infini, éternel et immortel qui les a créées et qui en
renferme une infinité d'autres dans les trésors de sa puissance.
Mais qui pourrait exprimer la joie
et le contentement qu'ils reçoivent de celte vision ? Si nous avons
tant de plaisir à voir ces palais magnifiques et ces cabinets précieux
que les rois se font faire pour charmer leurs ennuis, et si la découverte d'une vérité de la nature
qu'une philosophie a recherchée avec beaucoup d'études, lui cause tant
de satisfaction, quel plaisir et quelle volupté sera-ce de voir face à
face cette Beauté inestimable, cette Vérité souveraine, cet Être
infiniment parfait, qui est lui-même toute vérité : que dis-je, de le
voir ? mais, en le voyant, de le posséder, de lui être uni, et de
demeurer inséparablement attaché à lui.
De cette connaissance, il naît dans l'âme des Bienheureux un excellent amour, qui achève leur sainte transformation en Dieu.
La connaissance que nous avons de Dieu sur la terre
ne produit pas toujours son amour, parce qu'elle est imparfaite et
qu'elle ne pénètre pas jusques dans l'essence de sa bonté ; mais celle des Bienheureux
embrasse nécessairement leur essence, et elle y allume un feu de
dilection qui ne s'éteindra jamais ; parce qu'elle leur fait voir à
découvert celui qui n'a rien que de bon et de souverainement aimable. Ce
n'est pas un amour libre, mais nécessaire. Ce n'est pas un amour
changeant, ni qui puisse souffrir de l'altération, mais un amour
constant qui ne cessera jamais ; ce n'est pas un amour inquiet ni
impétueux, mais un amour tranquille, qui porte avec lui la consommation de la paix.
Et quelles sont les délices, quelle est la suavité de cet amour ? C'est le goût du plus charmant et du plus agréable de tous les objets ; c'est la jouissance de la douceur
même et du principe infini de toutes les douceurs ; c'est
l'embrassement éternel et immuable du souverain Bien ; c'est le repos
dans la fin dernière ; en un mot, c'est ce que l'Évangile appelle entrer dans la joie du Seigneur ; parce qu'en effet, toute la joie de Dieu vient de la connaissance et de l'amour qu'il a de sa bonté et de ses adorables perfections.
Voilà quelque chose des biens de l'âme qui composent, dès maintenant, la béatitude des Saints.
Pour
les biens du corps, ils ne les auront qu'après leur résurrection ; mais
qu'ils seront admirablement récompensés de ce peu de retard ! Ils
auront une vie tranquille et
imperturbable, et une beauté au-dessus de toutes les beautés. Tous leurs
sens et tous leurs organes seront parfaits et jouiront de toutes les
délices dont ces facultés corporelles sont capables. Leur vue sera
consolée par le regard de l'humanité sainte du Fils de Dieu, de la gloire de la Sainte Vierge, de celle de tous les Saints et
de mille autres objets charmants qui se trouvent dans le paradis. Leur
ouïe sera récréée par une mélodie et un concert toujours nouveaux,
formés par cetle armée de Bienheureux, qui retentira éternellement dans
le ciel. Leur odorat sera embaumé de l'odeur des corps
ressuscités, plus exquise et plus ravissante que tous les parfums. Leur
goût ressentira toutes sortes de faveurs par une impression délicieuse qui
sera éternellement attachée à leur palais. Leur toucher, sans rien
manier, recevra dans tous leurs membres une volupté indicible par un
doux tempérament des premières qualités qui y sera agréablement répandu. De plus, les corps des Bienheureux seront revêtus de quatre excellents douaires qui les rendront des chefs d'œuvre de la puissance et de la sagesse de Dieu : de la clarté, qui
les fera plus lumineux et plus éclatants que le soleil ; de
l'agilité, par le moyen de laquelle étant déchargés de leur pesanteur
naturelle, et plus légers que les oiseaux et que les traits, ils se
transporteront, en un clin d'œil, du ciel en terre, et d'un bout du
monde à l'autre ; de la subtilité, qui, sans leur ôter leur condition de substance corporelle et matérielle, ni la solidité qui leur est propre, les dégagera tellement des affections terrestres et grossières de la matière,
qu'ils seront comme spirituels ; enfin, de l'incorruptibililé et
de l'immortalité, qui les mettra à couvert de toutes les altérations
auxquelles les corps sublunaires sont sujets. Au reste, toute cette
gloire corporelle naîtra de celle de l'âme, comme celle de l'âme naît de
l'union intime qu'elle a avec Dieu ; et ainsi se vérifiera cette parole
de l'apôtre saint Paul
: Erit Deus omnia inomnibtu : — Dieu sera toute chose en tous.
Je laisse au lecteur à méditer plus profondément le bonheur de cet état, et la félicité d'un Saint qui a une âme et un corps remplis et inondés de tant de biens.
Il faut encore dire quelque chose des biens extérieurs.
Quelle est premièrement la beauté
du lieu où ils passeront leur éternité bienheureuse ? Certainement les
palais les plus magnifiques et les chambres les plus superbes des princes de ce monde ne sont que comme des trous de la terre ou des nids d'hirondelles, en comparaison de celte maison que Dieu leur a préparée.
Saint Jean nous en fait la description
dans l'Apocalypse, et nous dit que ses murs sont de jaspe, que ses
douze portes sont autant de perles fines, qu'elle est fondée sur douze
pierres précieuses, et que ses rues sont pavées de fin or, aussi luisant
que le cristal.
Ce
n'est là qu'un crayon de sa magnificence et une faible représentation
de ce qui en est effectivement ; mais nous devons inférer de là que
toutes les beautés et les richesses de ce monde mises ensemble sont
infiniment au-dessous des charmes d'un
séjour si ravissant. Sa grandeur surpasse l'étendue de tout le reste de
l'univers ; sa clarté efface celle du soleil et de toutes les étoiles ;
sa matière est toute céleste, et elle est beaucoup plus noble que celle des mixtes et des éléments ; sa structure est un chef-d'œuvre de la main de Dieu, où la symétrie et toutes les proportions sont admirablement gardées.
Quelle est encore la douceur de la compagnie avec laquelle les Bienheureux vivront éternellement ! Elle n'est composée que d'amis, de justes, de saints, d'enfants de Dieu, de victorieux et de conquérants.
C'est une république sacrée d'où tous les méchants sont bannis, et où il ne se voit que des gens de bien et des personnes confirmées en grâce.
Voulez-vous
savoir quels sont les membres de celte république, les citoyens de
cette ville, les habitants de celte maison ? Ce sont les anges, les
archanges, les principautés, les puissances, les vertus, les
dominations, les trônes, les chérubins, les séraphins, les patriarches,
les prophètes, les apôtres, les martyrs, les confesseurs, les vierges,
les saintes veuves, les pénitents et les enfants décédés dans la grâce du baptême ; tous sans péché, sans tache et sans nulle souillure ; tous ornés des plus hautes vertus et d'une incomparable sainteté ; tous plus luisants que le soleil, plus beaux que la lune
et plus charmants que tout ce qui peut frapper nos sens ; tous unis du
lien indissoluble d'une parfaite charité. Quel plaisir d'être toujours
avec des personnes de si grand mérite, de leur parler, de jouir de leur conversation, et de recevoir d'eux à tous moments des témoignages d'amitié et de cordialité ! Quelle satisfaction de voir la Reine des anges, d'approcher de son trône, d'entendre ses paroles pleines de douceur, d'avoir la liberté
de l'entretenir et d'être continuellement honoré de ses regards !
Quelles délices de contempler Jésus-Christ dans sa gloire, d'avoir accès
devant sa majesté, et d'être vu favorablement de lui ! En vérité, quand
il faudrait pour cela endurer tous les supplices des martyrs et toutes les peines du purgatoire, nous devrions croire que l'on nous donnerait pour rien un si grand bonheur.
Je ne parlerai point des autres biens extérieurs qui entrent encore dans la composition de celte béatitude.
Le
Roi-Prophète faisant réflexion sur les honneurs dont ils sont comblés,
dit qu'ils sont sans mesure, et semble même y trouver de l'excès
: Nimis honorati sunt amici lui Deus : — Seigneur
mon Dieu, vos amis sont trop honorés. C'est assez dire qu'ils sont rois,
qu'ils régnent tous avec Dieu, et qu'ils sont héritiers de sa couronne
et de ses biens, pour être convaincus que leurs richesses sont immenses
et infinies. Le ciel et la terre sont à
eux ; et, après le jugement, tout ce monde inférieur ne sera couvert de
splendeur que pour augmenter le prix de leur héritage. Ils n'ont point
maintenant d'autres vêtements que la lumière
de gloire qui est une participation de celle dont Dieu même est revêtu,
suivant ces paroles du même David
: Amiclus lumine sicul veslimento. Mais lorsqu'ils auront des corps, ils auront aussi des vêtements sensibles. Et quels vêtements, je vous prie ? Tout ce que l'art et la nature peuvent former d'agréable sur la terre avec l'or, la soie, la pourpre, les perles les plus fines et les pierres les plus précieuses, n'est rien en comparaison de ces habits. Ce seront des habits de gloire, où la diversité et le rapport admirable des couleurs, jointes à l'éclat qui sortira de leur corps, feront le plus doux et le plus charmant objet qui puisse frapper la vue.
Il est vrai que tous les Saints ne
sont pas également heureux, et que, comme une étoile diffère d'une
autre étoile en grandeur, en éclat et en beauté, aussi il y a des Saints plus glorieux et des Saints moins glorieux ; mais, dans cette diversité infinie qui fait l'agréable concert de la Jérusalem
céleste, ils jouissent tous plus ou moins de cette félicité que je
viens de décrire. Chacun a tout ce qu'il désire, et nul n'a ce qui lui
peut faire de la peine. Ils ont tous cette exemption générale et parfaite de toutes sortes de maux, et ils possèdent tous la plénitude
de tous les biens. Ils voient tous Dieu face à face ; ils l'aiment tous
d'un amour béatifique ; ils sont tous abîmés dans les joies et dans les
délices de la divinité. Enfin, comme le ciel est à tous, aussi, ils ont tous part aux richesses inestimables dont il est rempli.
Il
me reste à dire ce que, néanmoins, j'ai déjà répété plusieurs fois :
que cette béatitude n'aura jamais de fin ; elle durera autant que la puissance de Dieu, autant que la sagesse de Dieu, autant que la bonté
de Dieu, autant que l'être de Dieu, c'est-à-dire éternellement. Les
siècles et les millions de siècles passeront, mais pour elle, elle ne
passera point. Ce qui est admirable, c'est qu'elle est et sera toujours
nouvelle, sans causer jamais aucun dégoût ni aucun ennui.
Peut-on avoir la foi et être persuadé de ces grandes vérités, et ne pas faire des efforts
extraordinaires pour arriver à un tel bonheur ? Que ne fait-on pas pour
obtenir une charge, pour amasser un peu de bien, pour se conserver un
moment de santé et de vie, et pour se
maintenir dans l'honneur ? et, cependant, tous ces avantages ne sont
rien en comparaison de cette éternité de vue et de possession de Dieu.
N'épargnons
donc point notre peine pour nous en rendre dignes. Observons fidèlement
les commandements de notre souverain Maître ; souffrons avec patience
et avec joie les peines et les afflictions de cette vie ; fuyons
le péché plus que l'enfer même, et que rien ne soit capable d'arracher
jamais de notre volonté un seul consentement contraire à notre devoir.
Si nous sommes si malheureux que de tomber dans le crime, n'y demeurons
pas une seule heure , sortons-en au plus tôt par la contrition
du cœur et par les mouvements d'une sincère pénitence. Gagnons par nos
bonnes œuvres une récompense si précieuse. Ne croyons pas que Dieu nous
demande trop , lorsqu'il nous demande de garder exactement toute sa loi ;
persuadons-nous, au contraire, que ce qu'il nous demande est infiniment
au-dessous de ce qu'il nous promet. Enfin, ne perdons pas un si grand
bien, lequel, étant une fois perdu, ne peut plus jamais être recouvré.
Nous avons dans l'exemple des Saints les voies sûres pour parvenir à ce terme bienheureux où ils sont parvenus ; on peut les voir dans tout le cours de cet ouvrage.
Les uns ont gagné une couronne de lys par la virginité
; les autres une couronne de roses par le martyre. Les uns ont acheté
le ciel par l'abondance de leurs aumônes ; les autres l'ont emporté par
les travaux d'une vie pénible et appliquée à la conversion et à la sanctification des âmes.
Les uns y sont entrés par le mérite de leur innocence ; les autres
l'ont reconquis par les rigueurs d'une sévère pénitence. Les uns l'ont
eu seulement comme l'héritage de leur père ; les autres l'ont eu aussi
comme la récompense de leur maître. Mais nulle des personnes douées de raison n'y est arrivée que par l'humilité, la douceur, la patience, la sobriété, la chasteté, l'amour de Dieu et la charité envers le prochain.
Les huit béatitudes que l'Église nous propose aujourd'hui dans l'Évangile de la messe, nous marquent admirablement bien les chemins qu'ils ont tenu.
Le royaume des cieux est à eux, parce qu'ils ont été pauvres d'esprit. Ils sont entrés dans la possession de la terre des vivants, parce qu'ils ont été débonnaires. Ils ont obtenu la véritable consolation, parce qu'ils ont passé leur vie dans les larmes. Ils ont été rassasiés, parce qu'ils ont eu faim et soif de la justice.
On leur a fait miséricorde, parce qu'eux-mêmes ont été miséricordieux
envers les autres. Ils ont le bonheur de voir Dieu, parce qu'ils se sont
maintenus dans la pureté de cœur. Ils
sont appelés les enfants du Très-Haut, et ils participent à son
héritage, parce qu'ils ont été pacifiques. Enfin, l'empire du ciel leur
appartient, parce qu'ils ont souffert persécution pour la justice. Allons et faisons la même chose, et la même récompense nous sera infailliblement donnée.
Pour
ne point perdre un si grand trésor, ayons aujourd'hui recours à ces
admirables citoyens du paradis. Ils sont puissants, ils sont bons, ils
connaissent notre faiblesse, ils savent eux-mêmes, par leur expérience,
les difficultés qu'il faut surmonter pour marcher sur leurs vestiges ;
ils ne manquent pas d'écouter nos prières et de les porter devant le
trône de la majesté de Dieu.
Et comment toute cette armée de Saints, tous ces chœurs d'anges et d'hommes bienheureux ne seraient-ils pas exaucés ?
Ils
le seront sans doute, et Notre-Seigneur ne pourra pas rebuter leur
requête. Mais ne nous contentons pas de les prier une ou deux fois,
soyons-leur saintement importuns, pressons-les et faisons leur violence,
afin que nous puissions être un jour associés à leur nombre, et que
nous ayons part à cet éloge que nous consacrons aujourd'hui à leur gloire immortelle.
Les théologiens traitent la manière de la gloire des Saints, dans la première partie, au sujet de l'invisibilité et de l'incompréhensibilité de Dieu ; dans la seconde, en parlant de la fin et de la béatitude ; et, dans la troisième, en parlant des quatre fins dernières. Nous en avons des sermons
dans saint Bernard, et de très-excellents discours dans les œuvres
spirituelles de Louis de Grenade, auxquels le lecteur pourra avoir
recours.
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