Plateau d'Assy
L'église Notre-Dame de toute grâce
Notre-Dame-de-Toute-Grâce est une église catholique construite dans la première moitié du XXe siècle, de 1937 à 1946, sur le plateau d'Assy, à exactement 1 000 mètres d'altitude, face à la chaîne du Mont Blanc, sur le territoire de la commune de Passy (Haute-Savoie), à l’initiative du chanoine Jean Devémy (1896-1981), par l’architecte savoyard Maurice Novarina.
Elle doit sa célébrité à sa décoration, réalisée par les plus grands artistes de l’époque.
Elle est considérée comme l’édifice clé du renouveau de l’art sacré au XXe siècle.
Au moment de sa consécration, en 1950, cette église résolument tournée vers l’art moderne choqua une partie traditionaliste du clergé français, accoutumée à plus de classicisme.
Depuis le 11 juin 2004, Notre-Dame-de-Toute-Grâce est classée au titre des monuments historiques.
Situation
Notre-Dame-de-Toute-Grâce du plateau d'Assy. |
L'église est située sur une petite place du plateau d'Assy, près de la rue de l'Église, et en contrebas de la rue du docteur Paul-Émile Davy.
Historique
Avant
la Seconde Guerre mondiale, le plateau d'Assy est une station
sanatoriale réputée, qui accueille les malades atteints de la
tuberculose.
On y compte alors une vingtaine d'établissements de soins (sanatoriums).
Certains ont une petite chapelle ; dans les autres les malades sont visités par des aumôniers.
Mais, dans ce lieu isolé, il n'y a pas d'église.
Dès 1935, le chanoine Devémy, aumônier du sanatorium de Sancellemoz, pense à bâtir une église pour les malades et le personnel sédentaire du plateau d'Assy.
Il décide, après accord de Mgr Florent du Bois de la Villerabel, évêque d’Annecy, de lancer un concours d'architectes qui a lieu en 1937, et au terme duquel il confie la réalisation de l'église au jeune architecte savoyard Maurice Novarina, qui s'engage dans l'édification d'une église, sans prétention.
Pour la construction, il décide d'utiliser les matériaux de la région : une pierre du pays (une carrière est ouverte à cet effet), le bois et l'ardoise.
Les travaux sont confiés à des entreprises régionales. Ils commencent en 1938 et sont terminés, pour le gros œuvre, avant la déclaration de guerre.
Alors que l'église sort de terre, le chanoine Devémy a envie de la décorer.
Il veut trouver, pour « son » église, un petit « bijou ».
Ami de l'artiste et père dominicain Marie-Alain Couturier, il est invité par celui-ci à Paris pour visiter une exposition.
Il tombe en arrêt devant un vitrail de Rouault, représentant un Christ de la Passion.
Il rentre à Assy, regarde les mesures des fenêtres de son église : l'œuvre de Rouault s'enchâsse exactement dans les cadres de pierre ! C'est, dit-il, « le miracle d'Assy ».
En 1941, l'église est bénie et la crypte ouverte au culte.
Description
L'architecture
Maurice
Novarina a construit l'église en pierre verte du pays, le grès de
Taveyannaz, conçue à l’image des robustes chalets savoyards.
Enveloppé d'un toit à double pan capable de supporter de lourdes charges de neige, dans une région où celle-ci est particulièrement abondante, l'édifice est solidement ancré au sol.
L'église, cette arche immobile, est surmontée d'un clocher massif de vingt-huit mètres de haut, dont la verticale contrôlée lui permet de s'insérer sans heurt dans la tectonique du paysage, relançant et allégeant la structure. Par ailleurs, huit piliers massifs soutiennent un auvent profond de cinq mètres.
L’intérieur ressemble à une chapelle romane, avec une nef flanquée de deux bas-côtés.
Le chœur, en hémicycle, est entouré d’un déambulatoire et surplombe la crypte.
Les différents volumes sont séparés par des arcades en plein cintre montées sur des piliers monolithes.
La décoration : un écrin d'œuvres modernes
Ce
qui a fait la notoriété internationale de Notre-Dame-de-Toute-Grâce,
c'est sa décoration confiée par l’abbé Devémy aux plus grands maîtres de
la première moitié du XXe siècle.
De ce fait, l’humble église de montagne s’est transformée en un véritable manifeste des mouvements artistiques de cette époque, marquant un renouveau de l’art sacré.
Par un jeu d'amitiés sincères, l'abbé contacte, grâce à son ami le père Couturier, les artistes les plus importants de l'époque, qui acceptent tous de collaborer au projet avec enthousiasme.
Parmi ceux-ci, Georges Rouault, Pierre Bonnard, Fernand Léger, Jean Lurçat et son élève Paul Cosandier, Odette Ducarre, Germaine Richier, Jean Bazaine, Henri Matisse, Georges Braque, Jacques Lipchitz, Marc Chagall, Jean Constant Demaison, Ladislas Kijno, Claude Mary, Carlo Sergio Signori, Théodore Strawinsky, etc., vinrent signer peintures, sculptures, tapisserie, vitraux, céramiques, mosaïques, pièces d'ameublement et objets de culte.
Les artistes ont été choisis pour leurs qualités artistiques et non pour leur engagement religieux, ce qui provoqua une vive polémique (la « querelle de l’art sacré »).
Un véritable manifeste d'art moderne
Dans
une conférence qu'il prononça en 1996 devant l’académie des beaux-arts,
l'architecte Maurice Novarina évoqua l'admiration et la reconnaissance
qu'il portait à tous les artistes qui acceptèrent de collaborer à cette
« épopée architecturale » :
« Il s'agissait des plus grands noms du moment, tous habitués à des actions personnelles. Aucun n'a hésité à porter son talent dans le cadre unique de cette église répondant à un programme religieux précis, quelle que soit sa confession. »
Et il commenta quelques-unes des œuvres.
La façade
- Fernand Léger (1881-1955)
- Litanies de la Vierge (mosaïque au fronton)
« À
Fernand Léger est confiée la décoration du mur derrière les colonnes du
porche de l'église. C'est une immense mosaïque réalisée par Gaudin.
"C'est - écrit Bernard Dorival - une œuvre magistrale de couleurs et de
richesse, d'une monumentalité qui prouvait, sans nul doute possible, que
l'artiste avait trouvé là son domaine et qu'il était qualifié pour se
mesurer avec ce vaste mur." Les lourdes colonnes de [grès] vert, par un
contraste calculé, servent à faire valoir en contrepoint l'admirable
mosaïque de Fernand Léger qui réchauffe, éclaire et fait rayonner la
façade. Fernand Léger a ajouté de la beauté à l'un des plus beaux
paysages du monde, tout en s'accordant avec son caractère. Quand Léger
est arrivé un beau matin sur le terre-plein devant son œuvre magistrale
qui venait de se terminer, j'étais à ses côtés et je le tenais par le
bras. Tout à coup, je l'ai senti vaciller et il m'a serré fortement la
main. Son émotion était grande, il avait des larmes dans les yeux. Cet
homme, d'aspect rude comme un rocher, était d'une grande sensibilité. Je
me suis permis de lui dire : "Maître, vous êtes touché par la Grâce !"
Un peu bougon et plein de pudeur, il s'est penché brusquement vers moi
et m'a dit quelques mots émouvants. La lumière était en lui. »
À l'intérieur
- Jean Bazaine (1904-2001)
- Vitraux
« Au-dessus
de l'entrée, les vitraux de Bazaine, au niveau de la tribune, sont
d'une toute autre nature. Dans l'alternance des jaunes et des bleus,
passe un grand flot de lumière victorieuse et d'invincible espérance. »
- Paul Berçot (1898-1970)
- Saint Vincent de Paul et Saint François d'Assise (vitraux des bas-côtés)
- Pierre Bonnard (1867-1947)
- Saint-François-de-Sales (peinture)
« Nous
retrouvons, ici, les nuances légères, les accords mineurs si chers au
cœur de Bonnard. Cependant, la perfection de cette toile mauve, flottant
sur des lointains bleutés et des ciels orangés, n'apparaît pas à un
regard inattentif ; il faut y adhérer avec une sympathie personnelle qui
reçoit immédiatement sa réponse. Pour cette œuvre exécutée quelques
mois avant sa mort, Bonnard s'était préalablement beaucoup intéressé à
la vie de saint François de Sales, ce grand docteur de l'Église, évêque
de Genève. Après de longues recherches et de longues études, son œuvre
fut d'abord exposée à Paris, à la Galerie Maeght. Malgré son état
maladif et son éloignement de Paris, Bonnard se souvint qu'il avait
oublié l'auréole dans le portrait de ce grand saint. Il se déplaça,
revint spécialement à Paris pour réaliser cette auréole... et il dit
ensuite à son entourage : "Maintenant, vraiment, je peux m'en aller !" »
- Georges Braque (1882-1963)
- Symbole eucharistique (bas-relief en bronze à la cire perdue)
« Sur
l'autel, au-dessous de la céramique, Braque avait sculpté, d'un ciseau
original et impérieux, le symbole eucharistique très souvent répété du
poisson, surmonté par le mot Ixtus. Malheureusement, l'œuvre a été volée
et remplacée, grâce à la générosité de la famille Braque, par une
deuxième version. Tout le génie de Braque s'est concentré dans cette
surface réduite, dont il a su faire un admirable acte de foi. »
- Maurice Brianchon (1899-1979)
- Saint Louis et Sainte Jeanne-d'Arc (vitraux des bas-côtés)
- Marc Chagall (1887-1985) est l'auteur du baptistère.
Baptistère de Chagall
- Passage de la mer Rouge (céramique) aux personnages en apesanteur, guidés par leur patriarche revêtu de jaune, Moïse.
« Les
fonts baptismaux, situés sous le clocher, ont été décorés par Chagall,
qui a donné libre cours à son inspiration en exécutant cette céramique
sur des thèmes bibliques qui lui sont familiers. Nous devons aussi à
Chagall deux bas-reliefs en marbre blanc et deux vitraux aux teintes
douces, destinés à matérialiser les rites et les symboles du baptême. »
- Jean Constant-Demaison (1911-1999)
- Moïse et Isaïe, les quatre Évangélistes, Saint Bernard de Clairvaux et Irénée de Lyon (Sculptures de la charpente en bois)
- Marie-Alain Couturier (1897-1954)
- L'Archange Raphaël et Sainte-Thérèse de Lisieux (vitraux des bas-côtés)
- Odette Ducarre
- Missel d'autel
- Jacques Lipchitz (1891-1973)
- Notre-Dame-de-Liesse (sculpture)
« À
droite du porche de l'église, près des confessionnaux, une très belle
sculpture de Lipchitz marque l'entrée des fonts baptismaux. L'artiste a
signé son travail par ces paroles émouvantes : "Jacob Lipchitz, juif
fidèle à la foi de ses ancêtres, a fait cette Vierge pour la bonne
entente des hommes sur la terre afin que l'Esprit règne." »
- Adeline Hébert-Stevens (1917-1999)
- Notre-Dame des Sept Douleurs (vitrail des bas-côtés)
- Jean Lurçat (1892-1966)
- Tapisserie (située dans le chœur)
« En
pénétrant dans la nef, nous sommes saisis et fascinés par la tapisserie
de Lurçat. Œuvre de visionnaire, qui tourbillonne dans un flamboiement
de formes exubérantes de noir, de blanc, de couleurs alternées. Cette
tapisserie monumentale, au caractère tourmenté, digne des plus belles
fresques romanes, est un spectacle saisissant. Lurçat m'a dit, il y a
longtemps : "J'ai bataillé durant trente ans pour rendre à la laine sa
franchise." »
- Henri Matisse (1869-1964) est le concepteur de l'autel à gauche de la nef.
- Saint-Dominique (céramique)
« Au-dessus
de l'autel Nord , une céramique de Matisse représente saint Dominique,
patron des Dominicains. André Chastel reconnaît dans cette œuvre « une
écriture simple et grave. »
- Germaine Richier (1904-1959) :
- Christ en croix (sculpture)
« Germaine
Richier a exécuté un Christ extraordinaire. Elle lui a donné une autre
expression que celle d'une indicible souffrance. Le caractère
semi-figuratif de son œuvre nous entraîne à une méditation déchirée, qui
débouche enfin sur la tendresse et sur un incomparable amour. »
- Cette sculpture, considérée comme iconoclaste par l'évêque d'Annecy, a passé vingt ans dans un placard de la sacristie à l'abri des regards, avant de reprendre la place qui lui était destinée dans le chœur.
- Georges Rouault (1871-1958)
Flagellation de Georges Rouault
- Flagellation (vitrail)
- Christ des douleurs
- Bouquet de fleurs (vitrail)
« En
liaison avec le Christ des douleurs, Georges Rouault conçut les vitraux
qui garnissent les fenêtres inférieures de la façade. Deux de ces
vitraux sont consacrés aux scènes de la Passion. Dans la chapelle des
Morts, sainte Véronique, mélange extraordinaire de pureté et de grâce
mystique. On remarque, avec une certaine perplexité, les deux "vitraux
aux fleurs", qui prolongent, de part et d'autre de l'entrée, les deux
attitudes du Christ souffrant. Chaque bouquet est souligné par ces
quelques notes qui déconcertent : à gauche, "il a été maltraité et
opprimé" et, à droite, "il n'a pas ouvert la bouche". Mots tirés du
prophète Isaïe et qui nous reportent manifestement à la Passion. C'est
le thème des cinq vitraux de Rouault et c'est, en même temps, leur unité
à travers la trilogie verbale de la Passion, de la souffrance et de la
maladie. Pouvait-on mieux qu'au plateau d'Assy, lieu d'attente de la
santé, associer la souffrance sous les traits du Christ des douleurs, et
l'espoir sous la forme fleurie qui l'évoque ? Je rappelle que Rouault, à
qui nous avions proposé cette réalisation, nous avait dit toute sa
joie ; mais il avait ajouté : "Pourquoi avez-vous attendu que je sois si
près de mon dernier voyage pour me confier cette œuvre importante ?" »
- Carlo Sergio Signori (1906-1988)
- Cuve du baptistère
« La
cuve baptismale de Signori, en marbre de Carrare, a l'élégance et
l'achèvement d'une fleur, ouvrant la pureté de son calice aux eaux
jaillissantes de la grâce. »
Dans la crypte
- Ladislas Kijno (1921-2013)
- La Cène (peinture)
- Claude Mary né en 1929
- Tabernacle
- Théodore Strawinsky (1907-1989)
- Saint Joseph et Sainte Thérèse de Lisieux (mosaïques)
- Marguerite Huré (1895-1967)
- Vitraux
Sur le parvis de l'église
En
août 2000 a été inaugurée la sculpture monumentale Plaidoyer pour les
Droits de l'Homme de Gilles Roussi devant la petite église construite
par l'architecte Maurice Novarina.
Cependant ce dernier, dès 1995, s'était élevé contre la construction de cette sculpture érigée à une cinquantaine de mètres de l'entrée de « son » église et il n'assista pas à l'inauguration.
L'œuvre est un obélisque de six mètres de haut, en acier inox poli, sur lequel est gravé le texte de la déclaration universelle des droits de l'homme.
Sa base est en béton. Son implantation avait été approuvée par les architectes des Monuments de France.
Son coût s'est élevé à 800 000 francs français pris en charge pour les trois quarts par la région Rhône-Alpes et pour un quart par des sponsors privés.
La logistique a été assurée par la commune. Pour l'anecdote, le sculpteur a remercié « toutes les villes qui ont refusé mon projet […]. Cela ne fait jamais que vingt ans que je me balade avec. »
Source :
Carte poste Plateau d'Assy, église Notre-Dame de tout grâce
Véronique, vitrail exécuté par P. Bony, d'après peinture de Georges Rouault
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