Rorate cæli

 

Rorate cæli

 

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 Par Mongolo1984 — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=82273185

 

 

Le Rorate cæli ou Rorate cœli selon l'incipit est en principe un chant réservé à l'Avent, qui se consacre au mystère de l'Incarnation et à la Sainte Vierge, Mère de Dieu. À l'origine, il s'agissait de l'introït du mercredi après le troisième dimanche de l'Avent, qui se trouve dans le fonds du chant vieux-romain, chant ecclésiastique pratiqué au Saint-Siège. Il existe en ses versions d'antienne, de répons ainsi que ses paraphrases avec plusieurs versets développés. Toujours dans le rite romain, les Rorate cæli sont encore chantés durant l'Avent. La messe Rorate, quant à elle, est une messe votive chantée pendant l'Avent, toujours célébrée à l'aube, mais dans la seule lumière des cierges.

Texte

  • antienne / introït :
latinfrançais

Rorate cæli desuper,
et nubes pluant iustum :
aperiatur terra,
et germinet salvatorem.

Cieux, répandez d'en haut votre rosée,
et que les nues fassent pleuvoir le Juste :
que la terre s'ouvre
et qu'elle enfante le Sauveur.

Il s'agit du texte XLV, 8 du Livre d'Isaïe selon la Vulgata et de la traduction du paroissien romain.

  • hymne / introït :
réfrainlatinfrançais
 

Rorate cæli desuper,
et nubes pluant iustum.

Cieux, faites tomber la rosée,
que le Juste vienne des nuées comme la pluie.

versetlatinfrançais
 

I. Ne irascaris Domine, ne ultra memineris iniquitatis :
ecce civitas Sancti facta est deserta :
Sion deserta facta est : Ierusalem desolata est :
domus sanctificationis tuæ et gloriæ tuæ,
ubi laudaverunt te patres nostri.


II. Peccavimus, et facti sumus tamquam immundus nos,
et cecidimus quasi folium universi :
et iniquitates nostræ ventus astulerunt nos :
abscondisti faciem tuam a nobis,
et allisisti nos in manu iniquitatis nostræ.


III. Vide, Domine, afflictionem populi tui
et mitte quem missurus es :
emitte Agnum dominatorem terræ,
de petra deserti ad montem filiæ Sion,
ut auferat ipse iugum captivitatis nostræ.


IV. Consolamini, consolamini, popule meus : cito veniet salus tua.
Quare mærore consumeris, quia innovavit te dolor ?
Salvabo te, noli timere,
ego enim sum Dominus Deus tuus,
Sanctus Israel, redemptor tuus.


1. Ne t'irrite pas, Seigneur, ne te souviens plus de nos péchés :
voici que la cité sainte est déserte,
Sion est devenue un désert, Jérusalem est dévastée,
la maison de ta sainteté et de ta gloire,
où nos pères t'avaient loué.

2. Nous avons péché, nous nous sommes souillés, tous,
nous sommes tombés comme des feuilles sèches,
et nos iniquités, comme le vent, nous emportaient ;
tu as détourné ta face loin de nous,
et tu nous as livré à nos iniquités.

3. Vois, Seigneur, l'abattement de ton peuple
et envoie celui que tu dois envoyer.
Envoie l'Agneau souverain de l'univers,
du rocher du désert jusqu'à la montagne de la fille de Sion,
pour qu'il nous délivre lui-même du joug de la captivité.

4. Console-toi, console-toi, mon peuple, bientôt viendra ton Sauveur.
Pourquoi te laisses-tu consumer par la tristesse,
parce que la douleur t'a repris ?
Je te sauverai, ne crains pas,
car je suis le Seigneur ton Dieu, le Saint d'Israël, ton Rédempteur.

Cette paraphrase se compose essentiellement de textes du Livre d'Isaïe (chapitres XLV, LXIV, XVI, XL et XLI) et du Livre de l'Exode (IV). Son usage était précisé dans la liturgie des Heures publiée à Paris en 1736 (voir Paraphrase avec quatre versets).


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Introït dans un manuscrit sans cote, conservé auprès du musée de la forteresse teutonique de Marienbourg en Pologne

Par DerHexer — Travail personnel, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=11052065

Partitions

S'il s'agit respectivement des chants grégoriens, les mélodies attribuées ne sont pas identiques.

  • un des introïts (premier mode)


[écouter en ligne [archive]] (Chœur grégorien de Paris)

  • hymne / introït (premier mode - refrain et quatre versets)


Voir aussi le site Gregorian Chant Hymns pour la notation complète et l'exécution [écouter en ligne [archive]]

Historique

Origine

S'il est difficile à identifier l'origine exacte de ce chant, cette dernière est très ancienne. Le texte se trouve tant dans le rite romain ancien que dans le rite ambrosien, avec leurs mélodies différentes, mais aussi quelques similitudes. La trace la plus ancienne est le sacramentaire restitué, dit grégorien et utilisé à Rome à partir du VIIe siècle.

Ce texte était, à l'origine, affecté aux Quatre-Temps de l'Avent. Il existait, à Rome, une coutume de jeûnes hebdomadaires du mercredi, du vendredi et du samedi. Pour le dernier samedi, il y avait une grande messe de vigile. D'après Jacques Viret, les Quatre-Temps n'étaient autre qu'une tradition ancienne issue d'un rite païen sur les opérations agricoles, ce que l'Église, dans ses premiers siècles de l'évangélisation, transforma en fêtes religieuses, en conduisant le peuple vers une passion spirituelle. Et la messe Rorate cæli était qualifiée comme celle du mercredi des Quatre-Temps, en tant qu'ouverture, ce qui suggère l'importance de cette messe. À Rome, ces Quatre-Temps y compris le chant Rorate cæli furent évolué entre les IVe et VIIIe siècles.

Rite romain ancien

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Au Moyen Âge à Rome, l'introït de procession Rorate cæli était chanté par la schola cantorum, le mercredi après le dimanche de Gaudete, à la basilique Sainte-Marie-Majeure, au début de la messe de laquelle le célébrant était le pape
La station du pape au sein de la Sainte-Marie-Majeure, pour cette célébration, n'était pas par hasard. Car, celle-ci est la plus ancienne basilique mariale de l'Occident, consacrée le 5 août 434 par le pape Sixte III, en l'honneur de la Vierge Marie. Il ne s'agissait pas d'une église titulaire, mais c'était une véritable fondation papale, au sein de laquelle le pape manifestait sa préférence pour la liturgie mariale. La solennité de l'introït Rorate cæli peut être affectée à cette origine de la célébration ecclésiastique dans la basilique, même si la version grégorienne n'y fut pas chantée jadis. Cette dernière est néanmoins, après que le moine carolingien avait consulté la version vieux-romain pour la remplacer, mieux composée dans le contexte musical, avec la gravité et la spiritualité du premier mode grégorien. Chef-d'œuvre ou trésor


Les trois manuscrits du chant vieux-romain indiquent que l'introït Rorate cæli se pratiquait à Rome, au sein du Vatican. Dans le calendrier de la liturgie, il s'agissait de l'introït du mercredi après le troisième dimanche de l'Avent.

  • Fondation Martin Bodmer, manuscrit 74 (graduel copié en 1071 à l'église Sainte-Cécile-du-Trastevere), folio 4r :
    [44] [archive] (la rubrique indique que l'introït était chanté à ce mercredi à la basilique Sainte-Marie-Majeure (station du pape).)
  • Bibliothèque apostolique vaticane, Archives de Saint-Pierre, manuscrit F22 (XIIe siècle), folio 3r :
    [45] [archive] (même rubrique, même station)
  • Bibliothèque apostolique vaticane, manuscrit Vatican 5319 (XIIe siècle), folio 6r :
    [46] [archive] (même rubrique, même station) [transcription (Vieux romain) [archive]]

Il est à noter que ces manuscrits furent copiés, en dépit de l'origine plus ancienne de ce chant, après le XIe siècle.


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Basilique Sainte-Marie-Majeure


Il s'agissait, à l'origine, surtout d'une coutume ecclésiastique, lors de la procession solennelle du pape, effectuée ce jour-là à la Sainte-Marie-Majeure, ce qui était précisé dans le Sacramentaire grégorien édité à Rome pour la célébration papale vers 630. Au contraire, le Sacramentaire gélasien, destiné aux paroisses romaines, ne contenait pas ce texte. En effet, la création de l'Avent dans la liturgie du rite romain ne remonte qu'au VIe siècle.

Dans la tradition grégorienne

D'où, le texte liturgique pratiqué à Rome devint plus universel, lorsque le royaume carolingien adopta le rite romain, au lieu de son propre rite gallican, après 754 par Pépin le Bref. Ce changement fut décidé selon la volonté du pape Étienne II qui avait sacré ce dernier à la basilique de Saint-Denis. Le chant Rorate cæli se trouve, en conséquence, dans les deux manuscrits grégoriens les plus anciens et sans notation, copiés vers 800 : manuscrit Rheinau 30 de la bibliothèque centrale de Zurich et manuscrit 10127 - 10144 de la bibliothèque royale de Belgique (antiphonaire du Mont-Blandin). De surcroît, parmi six manuscrits dans l’Antiphonale missarum sextuplex de Dom René-Jean Hesbert, publié en 1935, cinq antiphonaires grégoriens les plus anciens contiennent ce chant, lequel était, dans tous les cinq, destiné au mercredi des Quatre-Temps de l'Avent. Si la mélodie était différente de celle du chant vieux-romain, l'utilisation était tout à fait identique dans la liturgie.

Ce chant connaît plusieurs mélodies grégoriennes dont la plus ancienne se trouve dans l'antiphonaire de Hartker, copiée vers 990 à l'abbaye de Saint-Gall [47] [archive]. Cette version, une antienne, n'est cependant plus chantée, de nos jours [48] [archive]. Directement issu de la Vulgate, on constate une forte uniformité de l'orthographe dans les manuscrits de cette version tandis que cet introït était singulièrement réservé au mercredi après le troisième dimanche de l'Avent [49] [archive]. Le manuscrit contient encore une autre mélodie en tant que répons. Tout comme d'autres répons grégoriens, cette mélodie était assez développée et ornée, en comparaison de la version antienne [50] [archive].

Dans la liturgie catholique, l'usage ne se limitait pas que pour l'introït. De nombreux manuscrits contiennent son répons et son antienne. Avec cette diversité, Dom René-Jean Hesbert donnait, dans son vaste catalogue Corpus antiphonalium officii, les notifications CAO4668, CAO7552 et CAO7553.

Dans le cadre de la Contre-Réforme

Issu du rite romain ancien, l'introït Rorate cæli demeurait toujours en usage, même après le concile de Trente. Aussi celui-ci se trouve-t-il dans le premier bréviaire romain tridentin, publié en 1568 sous le pontificat de Pie V, dont plusieurs usages étaient ainsi :

  • premier dimanche de l'Avent : verset après l'hymne des vêpres
    • lundi : verset entre l'hymne et le Magnificat des vêpres
    • mardi : verset entre la première lecture et la deuxième lecture
    • samedi : verset entre l'hymne et le Magnificat des vêpres
  • après le troisième dimanche de l'Avent
    • mardi : antienne pour toute la liturgie des Heures à partir des laudes
    • vendredi : répons entre la deuxième lecture et la troisième lecture

Paraphrase avec quatre versets

Tardivement, fut composée une paraphrase qui était développée avec quatre longs versets dont le dernier n'est plus une prière, mais une réponse de Dieu pour le peuple d'Israël, annonçant l'arrivée du Sauveur. Ce verset adapte explicitement à l'usage de la fin de l'Avent. L'origine exacte de cette prière reste floue. Toutefois, certains documents attribuent sa pratique à une tradition parisienne. L'usage était précisé, dans les Heures sortis en 1736 sous l'ordre de l'archevêque de Paris Charles-Gaspard-Guillaume de Vintimille : rubrique « Prière qui se chante dans les églises de l'Oratoire, et dans plusieurs Paroisses de Paris, depuis le Samedi avant le premier dimanche de l'Avent, jusqu'à la veille de Noël exclusivement, avec les Antiennes appelées O de Noël ».

Quoique cette hymne s'emploie en premier mode grégorien, la mélodie ne se trouve pas dans le fonds ancien de ce chant. Il s'agirait donc d'un chant dit néo-grégorien. Ce dernier fut souvent composé au XVIIe siècle à l'abbaye de Saint-Maur à laquelle l'hypothèse de l'origine doit être confirmée par un manuscrit sûr.

Composition musicale

Chant pratiqué essentiellement en monodie, la composition en polyphonie de Rorate cæli n'était pas abondante. Or, on compte quelques grands musiciens parmi les compositeurs. À la Renaissance, il s'agissait de Heinrich Isaac et de William Byrd. L'introït de ce dernier, qui fut publié en 1605 dans le recueil Gradualia ac cantiones sacræ tome I, est un précieux témoin de ce texte. Il était chanté d'après une tradition, durant l'Avent, chaque samedi, dans la messe votive en honneur de la Vierge Marie. L'œuvre de Heinrich Schütz n'était plus a cappella mais la basse continue l'accompagnait. Franz Liszt, quant à lui, plaça son introït au début de son oratorio Christus.

Réforme liturgique de saint Pie X

Aussitôt élu pape en 1903, saint Pie X effectua une centralisation de la liturgie catholique, jamais vue dans toute l'histoire de l'Église, avec sa publication de l'Édition Vaticane. L'introït Rorate cæli apparut, d'abord, pour le quatrième dimanche de l'Avent, avec le verset Cæli ennarant gloriam Dei ; et opera manuum eius annuntiat firmamentum (psaume 19 (18), verset 2) [51] [archive]. Durant soixante ans environ, le Rorate cæli fut chanté en latin et en grégorien auprès des églises catholiques dans le monde entier. Il est à noter que l'Édition Vatican employait l'orthographe cœli qui se trouve dans les œuvres tardives, au lieu du latin classique cæli employé par de grands écrivains romains.

Concile Vatican II

L'introït Rorate cæli reste toujours, après le concile Vatican II, dans le Calendarium Concilii Vatican II, selon la tradition. D'abord, il s'agit d'un des introïts du temps de l'Avent. En ce qui concerne la Vierge Marie, cet introït s'emploie tant pour le commun que pour la messe votive de Sainte Marie, Beatæ Mariæ Virginæ. Enfin, une autre fonction liturgique est en faveur de l'Annonciation, toujours comme introït.

Histoire des messes Rorate

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Une messe votive, l'usage de la messe Rorate cæli n'est pas strictement fixé dans le calendrier liturgique, et pendant l'Avent, celle-ci est souvent célébrée. Ici, une célébration tenue le 13 décembre 2013, fête de sainte Lucie, à la cathédrale Saint-Guy de Prague. Cette messe est très respectée en Tchéquie.

La messe Rorate possède une particularité. Elle se célèbre toujours, pendant l'Avent, à l'aube de journée avant le levant, donc avec la lumière des cierges lesquelles symbolisent cette célébration. Il s'agit d'un symbole d'espérance, dans l'église où les fidèles rassemblent, même si l'extérieur, c'est-à-dire le monde, reste encore dans l'ombre. Cette messe est notamment un hommage tant au mystère de l'Incarnation qu'à la Sainte Vierge qui participa à incarner le Sauveur sur la terre selon la Volonté Divine.

Voir aussi l'extrait de Georg Ratzinger Mon frère, le pape (au-dessous).

Par Draceane — Travail personnel, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=30139579


Jusqu'aux changements liturgiques qui suivirent le Concile Vatican II, la messe Rorate cæli était une messe votive en l'honneur de Sainte Marie, célébrée le samedi pendant le temps de l'Avent, mais aussi en certains endroits tous les jours. En effet, dans le rite romain ancien, la semaine précédant Noël était la semaine sainte consacrée à Sainte Vierge, tout comme la Semaine sainte avant Pâques. À cause de l'évangile de la proclamation du Seigneur par l'ange Gabriel, on les appelait aussi ministère angélique. Sa couleur liturgique était blanche.

Cette messe succédait à la messe de Gaudete du troisième dimanche de l'Avent et était suivie de Noël. Le répertoire de l'Église catholique d'Irlande, publié pour l'année 1874, présentait son usage précis :

  • samedi 12 décembre 1874 : messe Gaudete in Domino
  • troisième dimanche 13 décembre : messe Gaudete in Domino4
  • jeudi 17 décembre : messe Gaudete in Domino
  • vendredi 18 décembre : messe Rorate cæli en hommage à Sainte Vierge (a priori, avec l'introït Rorate cæli au début, jusqu'au 23 décembre)
  • quatrième dimanche 20 décembre : messe Rorate cæli
  • lundi 21 décembre : (messe Rorate cæli facultative, car en Irlande, fête de saint Thomas apôtre en rit double)
  • mardi 22 décembre : antienne Rorate cæli et messe Rorate cæli
  • mercredi 23 décembre : messe Rorate cæli
  • jeudi 24 décembre : messe de vigile Hodie scietis quia

Le musicologue Jacques Viret l'expliquait et précisait. À l'origine, l'introït Rorate cæli était tout à fait fixé dans le calendrier liturgique. Celui-ci fut d'abord réservé à la première messe des Quatre-Temps de décembre, à savoir au mercredi après le troisième dimanche de l'Avent. Or, dans l'ancien calendrier, le dimanche suivant, quatrième, manquait de messe, en raison d'une grande et longue messe de vigile, tenue la veille au soir. D'où, on disait Dominica vacat (vacat = vacant). Lorsque la messe de ce Dominica vacat avait été établie, l'introït Rorate cæli fut choisi pour le commencement de la messe. Il est donc normal qu'en 1874 en Irlande, le dimanche 20 décembre, l'introït Rorate cæli ait été chanté selon l'ancien rite romain. Le répertoire officiel précisait encore que cette messe était chantée à partir de ce dimanche jusqu'avant la Nativité.

En ce qui concerne le rite de Sarum, cette messe s'employait à l'Annonciation, 25 mars, dans le contexte agricole. À savoir, on priait, avec celle-ci, tant une nouvelle élévation que la fertilité de la terre.

La messe Rorate était parfois chantée avec les pièces issues des chants populaires, tout comme la messe de Minuit de Marc-Antoine Charpentier. La Tchéquie garde ce type de messe. En 1940, le musicologue Dobroslav Orel publia son édition Staročeské Roráty. Un DC fut sorti en 2002, en assemblant les chants traditionnels dans la messe, qui étaient pratiqués depuis le XVIe siècle, tels Introït, Kyrie, Graduale, Sanctus [52] [archive].

Contexte liturgique

À travers le renouveau liturgique, l'accent de l'Avent fut mis plus fortement sur l'attente du Seigneur. C'est la raison pour laquelle le texte de Livre d'Isaïe employé est convenable pour l'introït de la messe, duquel annonce son sujet. Cette messe, qui est célébrée juste avant la Nativité, se consacre à la Vierge Marie, car les chrétiens avaient trouvé, dans ce texte juif d'un prophète, le mystère de l'Incarnation : « et qu'elle enfante le Sauveur ». Dans ce contexte, le mot le salut de l'Ancien Testament devint le Sauveur par interprétation. Ce dernier verset souligne donc la miséricorde de Dieu qui avait fait l'Incarnation par l'Esprit-Saint au sein des entrailles de la Mère de Dieu. Il n'est pas par hasard que la Rorate cæli soit principalement réservée tant à l'Annonciation qu'à l'Avent, notamment ses derniers jours qui étaient, à l'origine, semaine sainte de Sainte Marie. D'autres mots clés dans ce texte sont les cieux et la rosée. La bénédiction céleste se symbolisait avec ce phénomène cosmologique, en présentant le fruit béni que Sainte Vierge porte pendant l'Avent dans son sein.

Il est à noter que, dans la liturgie chrétienne, la célébration de cette messe se distingue souvent des cierges allumés dans les églises. Il s'agirait d'une fusion liturgique avec la fête de sainte Lucie, célébrée le 13 décembre (voir l'image au-dessus). En effet, dans les premiers siècles du Moyen Âge, c'était la seule fête sanctorale de décembre, avant Noël, laquelle manifeste le rétablissement de la lumière. À partir de ce jour, le soleil cesse de se coucher plus tôt, mais commence à quitter le ciel plus tard.

Rorate en peinture

En 2006, Anselm Kiefer créa une paire d'images corrélées intitulées Rorate caeli et nubes pluant iustum et Aperiatur Terra et Germinet Salvatorem [53] [archive]. Les images montrent un paysage sombre et stérile qui se transforme en prairie fleurie.

Dans la littérature

  • Jean Racine : Athalie (1691) ; inspiré, l'auteur plaçait ce chant à la fin d'une prière du grand-prêtre Joad, dans l'acte III, scène 7 : 《 ... Cieux, répandez vous votre rosée. Et que la terre enfante son Sauveur ! 》Cette prière fait encourager la famille royale de Juda, qui est directement la descendance du roi David et menacée par la femme dictatoriale Athalie. En conséquence, le drame quitte l'ombre, à partir de ce passage, et reste dans l'espérance. Josabet (son épouse et tante de roi héritier en péril) répond donc :《 Hélas ! d'où nous viendra cette insigne faveur. Si les rois de qui doit descendre ce Sauveur 》. Racine bénéficiait de l'hymne Rorate caeli, en la plaçant juste au milieu de cette pièce, dans le contexte du christianisme : 《 Il s'y s'agissait non seulement de conserver le sceptre dans la maison de David, mais encore de conserver à ce grand roi cette suite de descendants dont devait naître le Messie 》(préface de Racine). L'œuvre était destinée aux orphelines de la Maison royale de Saint-Louis.
  • Maria Hauk-Rakos : Rorate-Gottesdienste : Lichtfeiern im Advent, Herder Verlag, Freiburg 2006 (ISBN 978-3-451-29177-7)

Mise en musique

À la Renaissance

  • Heinrich Isaac (vers 1450 - † 1517) : motet à 4 voix
  • Thomas Stoltzer (vers 1480 - † 1526) : motet pour alléluia à 3 voix
  • William Byrd (vers 1543 - † 1623) : introït à 5 voix, dans le propre des messes du samedi en honneur de la Vierge Marie pendant l'Avent (1605)

Musique baroque

  • Heinrich Schütz (1585 - † 1672) : motet pour 2 sopranos, basse et basse continue, SWV322 (1639)

Musique classique

  • Franz Liszt (1811 - † 1886) : première pièce de l'oratorio Christus (1866)
  • Joseph Rheinberger (1839 - † 1901) : motet pour chœur à 4 voix

 Messe Rorate cæli

  • Grzegorz Gerwazy Gorczycki (vers 1667 - † 1734) : messe précédée de l'introït Rorate cæli à 4 voix, W-G27

 Œuvre instrumentale

  • Jeanne Demessieux (1921 - † 1968) : choral instrumental pour orgue, recueil Douze Chorals-Préludes, op. 8, n° 1 (1947)

Attribution incertaine

  • Joseph Haydn : Missa brevis Rorate cæli

Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Rorate_c%C3%A6li




 

Messe rorate

 

Messe rorate

 

 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/8/84/Roratemesse.jpg

 Innenansicht zur Roratemesse, 15. Dezember 2020

Eliaaas-03 • CC BY-SA 4.0

https://de.m.wikipedia.org/wiki/Datei:Roratemesse.jpg

 

 

La messe Rorate, quant à elle, est une messe votive chantée pendant l'Avent, toujours célébrée à l'aube, mais dans la seule lumière des cierges.

Histoire des messes Rorate

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Une messe votive, l'usage de la messe Rorate cæli n'est pas strictement fixé dans le calendrier liturgique, et pendant l'Avent, celle-ci est souvent célébrée. Ici, une célébration tenue le 13 décembre 2013, fête de sainte Lucie, à la cathédrale Saint-Guy de Prague. Cette messe est très respectée en Tchéquie.
La messe Rorate possède une particularité. Elle se célèbre toujours, pendant l'Avent, à l'aube de journée avant le levant, donc avec la lumière des cierges lesquelles symbolisent cette célébration. Il s'agit d'un symbole d'espérance, dans l'église où les fidèles rassemblent, même si l'extérieur, c'est-à-dire le monde, reste encore dans l'ombre. Cette messe est notamment un hommage tant au mystère de l'Incarnation qu'à la Sainte Vierge qui participa à incarner le Sauveur sur la terre selon la Volonté Divine.
Voir aussi l'extrait de Georg Ratzinger Mon frère, le pape (au-dessous)

Par Draceane — Travail personnel, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=30139579


Jusqu'aux changements liturgiques qui suivirent le Concile Vatican II, la messe Rorate cæli était une messe votive en l'honneur de Sainte Marie, célébrée le samedi pendant le temps de l'Avent, mais aussi en certains endroits tous les jours. En effet, dans le rite romain ancien, la semaine précédant Noël était la semaine sainte consacrée à Sainte Vierge, tout comme la Semaine sainte avant Pâques. À cause de l'évangile de la proclamation du Seigneur par l'ange Gabriel, on les appelait aussi ministère angélique. Sa couleur liturgique était blanche.

Cette messe succédait à la messe de Gaudete du troisième dimanche de l'Avent et était suivie de Noël. Le répertoire de l'Église catholique d'Irlande, publié pour l'année 1874, présentait son usage précis :

  • samedi 12 décembre 1874 : messe Gaudete in Domino
  • troisième dimanche 13 décembre : messe Gaudete in Domino4
  • jeudi 17 décembre : messe Gaudete in Domino
  • vendredi 18 décembre : messe Rorate cæli en hommage à Sainte Vierge (a priori, avec l'introït Rorate cæli au début, jusqu'au 23 décembre)
  • quatrième dimanche 20 décembre : messe Rorate cæli
  • lundi 21 décembre : (messe Rorate cæli facultative, car en Irlande, fête de saint Thomas apôtre en rit double)
  • mardi 22 décembre : antienne Rorate cæli et messe Rorate cæli
  • mercredi 23 décembre : messe Rorate cæli
  • jeudi 24 décembre : messe de vigile Hodie scietis quia

Le musicologue Jacques Viret l'expliquait et précisait. À l'origine, l'introït Rorate cæli était tout à fait fixé dans le calendrier liturgique. Celui-ci fut d'abord réservé à la première messe des Quatre-Temps de décembre, à savoir au mercredi après le troisième dimanche de l'Avent. Or, dans l'ancien calendrier, le dimanche suivant, quatrième, manquait de messe, en raison d'une grande et longue messe de vigile, tenue la veille au soir. D'où, on disait Dominica vacat (vacat = vacant). Lorsque la messe de ce Dominica vacat avait été établie, l'introït Rorate cæli fut choisi pour le commencement de la messe. Il est donc normal qu'en 1874 en Irlande, le dimanche 20 décembre, l'introït Rorate cæli ait été chanté selon l'ancien rite romain. Le répertoire officiel précisait encore que cette messe était chantée à partir de ce dimanche jusqu'avant la Nativité.

En ce qui concerne le rite de Sarum, cette messe s'employait à l'Annonciation, 25 mars, dans le contexte agricole. À savoir, on priait, avec celle-ci, tant une nouvelle élévation que la fertilité de la terre.

La messe Rorate était parfois chantée avec les pièces issues des chants populaires, tout comme la messe de Minuit de Marc-Antoine Charpentier. La Tchéquie garde ce type de messe. En 1940, le musicologue Dobroslav Orel publia son édition Staročeské Roráty. Un DC fut sorti en 2002, en assemblant les chants traditionnels dans la messe, qui étaient pratiqués depuis le XVIe siècle, tels Introït, Kyrie, Graduale, Sanctus [archive].

Contexte liturgique

À travers le renouveau liturgique, l'accent de l'Avent fut mis plus fortement sur l'attente du Seigneur. C'est la raison pour laquelle le texte de Livre d'Isaïe employé est convenable pour l'introït de la messe, duquel annonce son sujet. Cette messe, qui est célébrée juste avant la Nativité, se consacre à la Vierge Marie, car les chrétiens avaient trouvé, dans ce texte juif d'un prophète, le mystère de l'Incarnation : « et qu'elle enfante le Sauveur ». Dans ce contexte, le mot le salut de l'Ancien Testament devint le Sauveur par interprétation. Ce dernier verset souligne donc la miséricorde de Dieu qui avait fait l'Incarnation par l'Esprit-Saint au sein des entrailles de la Mère de Dieu. Il n'est pas par hasard que la Rorate cæli soit principalement réservée tant à l'Annonciation qu'à l'Avent, notamment ses derniers jours qui étaient, à l'origine, semaine sainte de Sainte Marie. D'autres mots clés dans ce texte sont les cieux et la rosée. La bénédiction céleste se symbolisait avec ce phénomène cosmologique, en présentant le fruit béni que Sainte Vierge porte pendant l'Avent dans son sein.

Il est à noter que, dans la liturgie chrétienne, la célébration de cette messe se distingue souvent des cierges allumés dans les églises. Il s'agirait d'une fusion liturgique avec la fête de sainte Lucie, célébrée le 13 décembre (voir l'image au-dessus). En effet, dans les premiers siècles du Moyen Âge, c'était la seule fête sanctorale de décembre, avant Noël, laquelle manifeste le rétablissement de la lumière. À partir de ce jour, le soleil cesse de se coucher plus tôt, mais commence à quitter le ciel plus tard.

Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Rorate_c%C3%A6li

 

 

 

 

Joseph Rumeau

 


Joseph Rumeau

 

Image illustrative de l’article Joseph Rumeau

 

 

Joseph Rumeau, né à Tournon-d'Agenais le 11 janvier 1849 et mort le 9 février 1940 à Angers, est un prélat français.

Biographie

Ordonné prêtre le 25 mai 1872, nommé évêque d'Angers le 7 juillet 1898, il reçoit ses bulles le 28 novembre suivant.

Il est sacré le 2 février 1899 par Charles-Évariste-Joseph Cœuret-Varin, évêque d'Agen, assisté de François-Désiré Mathieu, archevêque de Toulouse, et Pierre-Marie-Frédéric Fallières, évêque de Saint-Brieuc et Tréguier.

Il reste évêque d'Angers jusqu'à son décès intervenu le 9 février 1940. Jean Camille Costes lui succède.

Armes

D'azur au chevron d'or adextré en chef d'une clé d'argent et senestré de même d'une tour donjonnée aussi d'argent, accompagné en pointe d'une gerbe d'or.

Distinction

 

  • Chevalier de la Légion d'honneur Chevalier de la Légion d'honneur (28 février 1937)

Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Joseph_Rumeau

 

 

 

 

Tatien le Syrien

 

Tatien le Syrien

 

Tatien le Syrien est un écrivain chrétien du IIe siècle, né en Assyrie (Mésopotamie) vers 120 et mort vers 173.

Hérétique pour les églises grecques et latines, il est tout de même l'auteur d'une apologie qui lui vaut d'être considéré comme un Père de l'Église. Il est aussi l'auteur du Diatessaron, la première concordance des Évangiles, qui connut en Syrie et bien au-delà une fortune extraordinaire.

Éléments de biographie

Tatien se présente lui-même aux Grecs : « Moi, Tatien, philosophe barbare, je suis né au pays des Assyriens, j'ai été formé d'abord dans vos doctrines et ensuite dans celles que j'entreprends maintenant de proclamer »… Plus haut, il avait déjà raconté sa quête d'une religion qui lui convienne : « … J'ai été admis aux mystères ; j'ai examiné toutes sortes de rites religieux accomplis par des efféminés et des androgynes ; j'ai trouvé chez les Romains le Jupiter latin faisant ses délices de sang humain… ; ailleurs d'autres démons fomentant des éruptions de méchanceté… ». C'est à la lecture de l'Ancien Testament — certains écrits barbares trop vieux pour être comparés avec les écrits des Grecs et trop divins pour être comparés à leurs erreurs — qu'il découvre enfin dans l'enthousiasme la vérité tant recherchée.

C'est évidemment un topos littéraire qui s'exprime ici avec une violence propre à Tatien. Mais il décrit un itinéraire qui est aussi celui de Justin et sans doute d'Athénagoras et qui doit comporter sa part de vérité (voir les Apologistes du IIe siècle).

Sa conversion s'est probablement produite à Rome. Il y fréquente l'école de Justin qu'il juge un homme « très admirable » et partage avec lui son animosité à l'endroit du philosophe Crescens. C'est de cette époque que doivent dater ses premiers écrits, aujourd’hui perdus.

L'influence réelle de Justin (ou celle du petit groupe qui constitue son « école ») sur la pensée de Tatien reste un problème débattu. A priori, la lecture du Discours paraît montrer un lien bien lâche.

Justin, non sans contradictions, s'efforce de trouver des éléments de vérité dans les écrits des païens et de les fonder « rationnellement » ; il montre en tout cas un grand respect pour la philosophie dans laquelle il a été formé. Tatien, lui, n'en finit pas de crier son horreur de tout ce qui est grec, la philosophie, l'art, la science, les lois et jusqu'à la langue. Tout y est absurdité, illusion, immoralité. Et si par hasard, on y trouve quelque chose qui ait du prix, c'est un larcin qui a été commis au détriment des Barbares. À son avis, les chrétiens ne rejettent pas avec assez d'énergie l'éducation et la culture contemporaines où ils n'ont rien à gagner et dont il n'y a rien à sauver.

On ne peut s'empêcher de penser qu'il y a de l'amour déçu dans la hargne du barbare Tatien envers ces Grecs à qui il doit tout de même sa formation et sans doute bien plus qu'il ne veut le reconnaître.

À une date impossible à déterminer, Tatien retourne dans sa Syrie natale. Est-il parti avant ou après la mort de Justin qu'on place traditionnellement en 165/166 ? Peu avant 172 ?.

Dans le chapitre XVIII du Discours, il évoque Justin au passé et, dans le chapitre suivant, il insulte Crescens qu'il prend pour exemple de l'immoralité des philosophes, en ajoutant que Crescens les menaçait de mort, Justin et lui-même. Serait-il parti de Rome parce qu'il pressentait que les querelles entre écoles allaient attirer l'intervention du préfet Rusticus qui ne plaisantait pas avec l'ordre public ? Ou alors ses positions extrémistes, philosophiques et morales, l'auraient-elles de plus en plus marginalisé dans la chrétienté romaine ? C'était en gros l'opinion d'Épiphane. En tout cas, il a échappé au coup de filet policier qui a décimé l'école de Justin.

Selon Épiphane, bon connaisseur de l'Orient, il s'installa à Séleucie-Ctésiphon. Beaucoup de modernes, un peu effrayés par ce bout du monde, penseraient volontiers à une ville moins excentrique comme Antioche.

Avait-il auparavant ouvert une école à Rome ? C'est probable. Rhodon fut certainement son auditeur et il est possible que le « vieil » Apelle fréquentait le groupe. Par ailleurs, Clément d'Alexandrie évoque un « Assyrien » parmi ceux qui furent ses maîtres et on en a souvent conclu qu'il s'agissait de Tatien, mais cela paraît tout de même problématique.

En tout cas, quoi qu'on dise, c'est en Orient plutôt qu'à Rome que Tatien dut publier son Discours aux Grecs, et c'est là surtout qu'il a dû travailler à son Diatessaron. C'est en Orient enfin qu'il est mort, à une date que nous ignorons.

Le Discours aux Grecs

Cette apologie (Λόγος πρὸς Ἕλληνας) – car malgré son ton de pamphlet, c'est tout de même une apologie - a suscité de nombreuses interrogations de date et de lieu, mais aussi d'intention.

L'occasion de la rédaction de l'apologie pourrait avoir été une recrudescence des violences contre les chrétiens, car Tatien y demande la levée des nouvelles mesures législatives contre les chrétiens. Certains pensent que l'apologie aurait été rédigée avant 177 -178, moment de la persécution de Lyon, que Tatien ignore. D'autres penchent pour une rédaction peu après le martyre de Justin en 165, permettant à son auteur de recueillir l'héritage doctrinal de Justin dont il fut le disciple.

Plutôt qu'un traité, on a voulu y voir une sorte de « programme des cours » destiné à lancer l'école de Tatien, soit à Rome, soit en Orient. Par ailleurs, les règlements de comptes du chrétien assyrien avec la culture grecque y tiendraient plus de place que la défense du christianisme.

Quoi qu'il en soit, l'ouvrage est difficile à lire et à comprendre. Tatien, mauvais rhéteur qui prend soin de nous avertir qu'il a appris la rhétorique, recherche l'affectation du style, il aime les tours obscurs et les métaphores inattendues. Ses exposés qui sentent le sophiste, la plupart du temps, tournent court dans des digressions qui veulent arracher la conviction du lecteur en mettant en regard l'absurdité des païens sur le même sujet. Ce contempteur des Grecs met de plus une évidente coquetterie à déverser dans son écrit toutes ses connaissances mythologiques, philosophiques et historiques. Sa complaisance enfin à se dire « barbare » en toute occasion, d'exiger, de ces Grecs dont il méprise tout, attention et respect pour la « philosophie barbare », finissent par lasser. Tatien donne parfois l'impression d'être vraiment un « barbare », venu du tiers monde de l'hellénisme, qui règle ses comptes avec une culture dont il est resté un marginal.

On peut distinguer une première partie qui serait un exposé de la foi chrétienne, constamment entrecoupé d'invectives contre les philosophes. Tatien y traite successivement de Dieu, de la relation entre le Logos et le Père, de la création du monde, de la création de l'homme, de la résurrection et du jugement dernier.

Dieu étant le fondement nécessaire de toute chose, avant même d'être créée, est en puissance avec Dieu bien que Dieu avant la création soit seul. Plutôt qu'une émanation, le Logos est une sorte d'auto-réalisation du Logos en puissance qui est en Dieu et qui devient ainsi le premier-créé au commencement de tout. C'est le Logos qui ordonne la création, mais son rapport à Dieu est de participation, non de séparation, comme une torche qui ne se sépare pas de sa lumière quand on s'en sert pour allumer d'autres torches ; ou comme en parlant, je ne me sépare pas de ma parole en vous la transmettant bien que cette parole agisse sur votre esprit.

Il est curieux que ce Logos ne soit jamais identifié au Fils, comme il est de règle dans l'apologétique ancienne ; d'ailleurs Jésus-Christ est le grand absent de tout le Discours.

La création de l'homme implique deux esprits : un esprit émanant du Père, présent en chaque créature à laquelle il donne forme, et un logos issu de son Logos en puissance qui fait des anges et des hommes des images de Dieu. Le péché paraît produire une dissociation, ne laissant plus à l'homme qu'une âme devenue mortelle (mais promise à la résurrection).

Cette première partie se termine par la liberté de la volonté, le péché d'Adam, la création des anges et leur chute, les démons.

Ces démons introduisent à la deuxième partie qui est une démonologie autant qu'une doctrine du salut. On peut tenter de la résumer ainsi : l'homme, en usant mal de sa liberté, s'est asservi aux démons ; mais il a la possibilité de s'en affranchir par le renoncement radical à toutes les choses terrestres. Il lui faut arriver à unir de nouveau son âme au pneuma, l'esprit divin qui à l'origine siégeait en lui, mais qui en a été chassé par le péché, œuvre des démons. Les démons qui ne sont que les reflets de la matière et de la méchanceté ne peuvent accéder au repentir et à la pénitence ; mais l'homme qui est image de Dieu peut se sauver par la mortification. Si on comprend bien, l'ascétisme est une sorte de préparation du pécheur à la mort, une première séparation (volontaire) de l'âme avec les choses matérielles, la séparation totale réalisée dans la mort étant la condition pour qu'elle retrouve son immortalité.

La dernière partie est un sombre tableau de l'hellénisme. Tout y passe une fois de plus : la philosophie, la loi, le théâtre, les jeux, la danse, la musique, la poésie... Comparée à tout cela, la religion chrétienne n'en brille que d'un éclat plus vif. Tatien démontre enfin par une chronologie comparée des civilisations que Moïse est plus ancien qu'Homère et les Sept sages.

Tatien hérétique ?

La question est importante, car derrière elle s'en profile une autre : celle d'une éventuelle influence des positions hétérodoxes de Tatien sur la composition du Diatessaron.

Notre source principale est Irénée de Lyon, son contemporain. Selon Irénée, tant que vécut Justin, Tatien resta dans l'orthodoxie, mais après la mort de son maître (v. 165), il glissa rapidement vers l'hérésie :

S'enflant à la pensée qu'il était un maître et se croyant, dans son orgueil, supérieur à tout le monde, il voulut donner un trait distinctif à son école : comme les disciples de Valentin, il imagina des éons invisibles ; comme Marcion et Saturnin, il proclama que le mariage était une corruption et une débauche ; de lui-même enfin, il s'inscrivit en faux contre le salut d'Adam.

Tout est dit : Tatien est un « encratite » – et mieux même, un des fondateurs de la secte.

Ce qu'on appelle encratisme dans les premiers siècles, c'est la tendance ascétique extrémiste de certaines sectes qui interdisent à leurs membres toute relation sexuelle ainsi que toute consommation de viande et de boissons enivrantes. Mais le concept est difficile à cerner : car les encratites que l'on dénonce sont toujours présentés, en outre, comme des déviants dogmatiques, le plus souvent « gnostiques », mais pas exclusivement. Leur ascétisme est condamnable parce qu'il est la conséquence de théories erronées.

Qu'en est-il de Tatien ? Son évolution vers un rigorisme moral est possible.

Clément d'Alexandrie a transmis (Stromates III, XIII, 81, 1-3) un fragment de l'ouvrage de Tatien De la perfection selon le Sauveur, dans-lequel ce dernier condamne l'union charnelle, ce que Clément a brièvement réfuté objectant la sainteté du mariage dans les deux Testaments.
Irénée, qui introduit son propos en jugeant que ceux qui rejettent le mariage sont révoltés et ingrats envers Dieu qui a créé l'homme et la femme en vue de la procréation, ignore cet ouvrage et ne semble pas en savoir plus.
Gerald F. Hawthorne s'est demandé si, en fait de textes, Irénée connaissait autre chose que le Discours. Il n'y est certes pas question d'éons, mais, spécialiste de la question, Irénée n'aurait-il pas flairé du gnosticisme derrière l'obscure cosmologie de Tatien ? Quant au dernier grief, le même auteur pense avec raison que ce n'est pas le texte de Tatien qui pose un problème, mais bien celui d'Irénée : comment Irénée en arrive-t-il à traiter de « blasphème » et à décréter hérétique l'affirmation selon laquelle Adam n'a pas été sauvé, alors que ce problème du salut d'Adam n'a aucune base scripturaire ?

Les auteurs postérieurs ajoutent peu. Hippolyte de Rome, Eusèbe et Jérôme dépendent d'Irénée. Pour le reste, nous avons vraiment peu de choses : les traces d'une obscure querelle grammaticale pour savoir si l'expression « Que la lumière soit » est celle d'un ordre ou d'une prière ; une phrase qui dit que la même puissance qui a mis sa force dans la chevelure de Samson châtiera les femmes qui se servent de la leur et de ses ornements pour inciter à la fornication (la puissance en question n'est apparemment pas Dieu et Clément en aurait été choqué)... Lorsqu'Épiphane nous dit que Tatien a été chassé de Rome parce qu'il remplaçait le vin de l'eucharistie par de l'eau, ce n'est évidemment que par allusion imprudente à une pratique répandue chez certains encratites ; cela n'a rien à voir avec Tatien qui n'était sûrement pas prêtre.

Le témoignage d'Eusèbe

Le témoignage d'Eusèbe est intéressant : dans un chapitre sur Justin, il ne dit que du bien de Tatien et loue même sa science (IV, 16, 7). Dans les extraits de Rhodon, dont on nous dit deux fois de suite qu'il a été l'élève de Tatien, il apparaît non seulement que Rhodon, grand pourfendeur d'hérésies, n'a jamais parlé de celle de son maître (ou alors Eusèbe l'aurait certainement rapporté), mais il semble même en ressortir que, dans l'école de Tatien, on menait la guerre aux Marcionites.

Reste un chapitre consacré spécifiquement à « l'hérésie de Tatien » (IV, 29). Eusèbe se contente d'y placer la citation d'Irénée, nous dit encore que le Discours aux Grecs est le plus beau et le plus utile de ses écrits et réserve au Diatessaron une pointe qui n'a rien à voir avec l'encratisme. Les allusions qu'on trouve ici et là aux libertés que Tatien auraient prises avec saint Paul relèvent des problèmes du Diatessaron et ne concerne pas son éventuelle hérésie encratite-gnostique.

Il ne reste finalement pas grand-chose du patriarche des encratites, comme dit saint Jérôme. Sa réputation d'hérétique est tout entière due à Irénée et on a vu que les arguments d'Irénée sont bien faibles...

Le Diatessaron

Revenu en Orient, âgé et peut-être assagi, Tatien entreprend de rédiger une concordance des Évangiles, la première du genre. Presque aussitôt traduit en syriaque, ce Diatessaron - qui est presque totalement perdu en grec - a eu une diffusion extraordinaire dans les églises orientales et a connu, bien au-delà de la Syrie, une fortune extraordinaire jusqu'au bas Moyen Âge. Ainsi, par exemple, vers 830, le Diatessaron est traduit en vieux haut allemand d'après une traduction latine et cette version constitue ainsi l'un des plus anciens textes composés en langue allemande.

Les écrits perdus

Tatien lui-même nous dit qu'il a composé un traité Sur les animaux (peri zoon) - qui devait traiter des principes qui leur donnent vie et forme – et peut-être du même genre sur la nature des démons. Rhodon a fait état d'un recueil de « problèmes » composé par Tatien, dans lequel il se proposait de traiter de certains points « obscurs et cachés » de l'Écriture ; mais comme Rhodon promettait lui-même d'exposer dans un livre spécial les solutions aux problèmes de Tatien, on peut penser que cet ouvrage n'a pas été achevé, ou n'a pas été mis en circulation. Peut-être s'agissait-il d'un recueil de questions d'école. Nous avons déjà cité le livre « sur la perfection... » signalé par Clément d'Alexandrie et dont nous ne savons rien, pas même le titre.

Œuvres

  • Clavis Patrum Græcorum, Brepols, 1104-1106
  • Discours contre les Grecs (168), trad. Aimé Puech : Recherches sur le 'Discours aux Grecs' de Tatien, suivies d'une traduction française, Université de Paris, 1903. Trad. Genoude, 1838 [1] [archive]
  • Diatessaron de Tatien, texte arabe établi, traduit en français, collationné avec les anciennes versions syriaques, suivi d'un évangéliaire diatessarique syriaque, A.-S. Marmadji, Beyrouth, Imprimerie catholique, 1935, CXL-536-84 p. (Diatessaron = harmonie des quatre Évangiles canoniques).

Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Tatien_le_Syrien