Le monastère Notre-Dame de Ganagobie
Le monastère Notre-Dame de Ganagobie
est une abbaye bénédictine situé à environ 15 kilomètres au nord-est de
Forcalquier et à environ 30 kilomètres au sud de Sisteron, dans le
département des Alpes-de-Haute-Provence.
Il est connu pour son remarquable pavement de mosaïques médiévales
polychromes, daté de la décennie 1120-1130, sans équivalent en France.
L'abbaye est située 350 mètres au-dessus du lit de la Durance, sur un étroit plateau bordé d'abrupts.
La voie Domitienne qui longe ce plateau constituait, au Moyen Âge
encore, la route « la plus courte et la plus sûre » selon Strabon entre
l'Espagne et Rome.
On peut d'ailleurs voir au pied de la colline de Ganagobie un pont romain enjambant le Buès et qui est encore utilisé.
Un prieuré fut fondé au Xe siècle par l'évêque de Sisteron qui en fit donation en 965 à l'abbaye de Cluny.
À la Révolution française, il restait trois moines qui se dispersèrent.
Le prieuré a été laissé à l'abandon entre le XVe et le XXe siècle.
Devenu une abbaye, il abrite depuis 1987 la communauté bénédictine de Hautecombe.
Les moines fabriquent toute une gamme de cosmétiques et baumes à base d'huiles essentielles, dont le « baume du pèlerin ».
L'abbaye fait partie de la congrégation de Solesmes, au sein de la confédération bénédictine.
Étymologie
Le
sens du terme fait l’objet de plusieurs hypothèses : soit une racine
oronymique (en référence à la hauteur sur laquelle le monastère est
construit), soit une allusion à une tour en mauvais état.
Article détaillé : Ganagobie.
Histoire
Tympan de Ganagobie
Le monastère est fondé vers 960-965 par l'évêque Jean II de Sisteron.
Celui-ci
fait donation des terres sur lesquelles s’établit le prieuré, qui est
ensuite rattaché à l’Ordre de Cluny, qui avait alors à sa tête le
provençal Mayeul de Cluny.
Cette possession fut confirmée par une bulle du 6 mars 1058 du pape Etienne IX.
En 1215, le prieur de Ganagobie devenait évêque de Sisteron.
Le monastère s'enrichit rapidement de donations diverses, notamment aux XIIe et XIIIe siècles, de la part des comtes de Forcalquier.
Très prospère jusqu'à la fin du XIVe siècle, il s'affaiblit au XVe siècle. Il connaît un certain renouveau pendant la première moitié du XVIe siècle, sous l’impulsion du prieur Pierre de Glandevés, puis est complètement saccagé lors des guerres de religion.
En 1562, les huguenots qui se sont réfugiés au monastère en sont délogés par le gouverneur de Provence.
Celui-ci fait abattre la voûte de l’église et le logis prioral, pour éviter que les huguenots s’y installent à nouveau.
Au XVIIe siècle,
Pierre et Jacques de Gaffarel (prieur de 1638 à 1660) (ce dernier fut
le bibliothécaire du cardinal de Richelieu) sont à l’origine de la
seconde renaissance du monastère.
Il
entre néanmoins dans une lente décadence jusqu'à la sécularisation en
1788, la vente comme bien national en 1791 et la destruction partielle
en 1794 des bâtiments.
En
1794, le directoire du district de Forcalquier fait démolir à la masse
les transepts et le chœur de l'église ainsi que la partie orientale du
monastère.
En 1891, le comte de Malijai cède les lieux aux bénédictins de l’abbaye Sainte-Marie-Madeleine de Marseille.
Les moines déblaient l’église et le réfectoire, restaurent le cloître, mais doivent s'exiler en Italie en 1901.
En 1898, les mosaïques médiévales sont découvertes.
Le
retour en France et l'installation des bénédictins à l'abbaye
d'Hautecombe (Savoie), en 1922, assurent au prieuré une permanence d'un
moine et d’un frère convers.
La rumeur locale prétend que l'un d'entre eux reçut la confession de Gaston Dominici mais qu'il ne la trahit jamais.
En 1953, l'ouverture d'une route goudronnée facilitant l'accès au plateau permet d'engager de gros travaux.
Les
mosaïques restant enfouies, la terre étant la meilleure protection dans
une église découverte, les Monuments historiques décident de
reconstruire l’église afin de les mettre en valeur.
Les
pierres étant restées sur place, le chevet et les absides de l'église
sont relevés entre 1960 et 1975, et les mosaïques romanes du chœur,
restaurées en atelier, sont replacées en 1986. Parallèlement, des
fouilles sont menées de 1974 à 1992.
La
rénovation du prieuré de Ganagobie doit également beaucoup à
l'industriel Francis Bouygues et à sa relation avec le père Dom Hugues
de Minguet au moment où la communauté bénédictine s'est installée dans
le prieuré de Ganagobie.
C'est dans ce cadre rénové que le père dom Hugues de Minguet décide de créer en 1991 le Centre Entreprises de Ganagobie.
En
1992, la communauté des moines « Sainte-Marie-Madeleine de Marseille »,
association Saint-Mayeul de Ganagobie, qui jusqu'à cette date habitait
l'abbaye d’Hautecombe, s’installe à Ganagobie.
Le prieuré devient une abbaye.
Il a, de ce fait, été nécessaire de reconstruire certains bâtiments et de prévoir d'autres constructions.
Le projet conçu par Francesco Flavigny, architecte en chef des
monuments historiques, respecte les fondations des anciens bâtiments
ruinés (retrouvées par les fouilles archéologiques de Michel Fixot et
Jean-Pierre Pelletier), et prend en compte les différences de niveaux du
sol.
Cette réalisation a su concilier une vie religieuse contemplative et l'accueil d'un public respectueux de la qualité des lieux.
Actuellement, près de vingt moines habitent le monastère.
Le père abbé est Dom René-Hugues de Lacheisserie, osb.
Le monastère médiéval
L'église
L'église, construite dans la première moitié du XIIe siècle,
s'élève au-dessus de deux bâtiments plus anciens, dont les fondations
ont été retrouvées par les fouilles des années 1960.
Elle répond aux canons de l'architecture romane provençale : la nef est longue de 17,7 m, en trois travées voûtées en berceau brisé.
La nef actuelle se croise avec deux transepts, ce qui est assez exceptionnel en Haute-Provence.
À l’entrée, la tribune a conservé son escalier et son décor de masques (XVIIe siècle).
Les deux transepts sont constitués d’absidioles : le bras nord du
premier transept est voûté en berceau brisé, comme la nef ;
l’incertitude concernant le mode de couverture du bras sud n’a pas
permis de reconstituer la voûte, qui est simplement charpentée.
Les
mosaïques des absides, exécutées entre 1135 et 1173 (Combat des vertus
et des vices), sont un exceptionnel exemple de décoration romane de ce
type.
Dans la nef trône une Vierge de Monticelli, peintre provençal du XXe siècle ;
l'artiste en fit don aux religieux en souvenir de son enfance, passée
en grande partie dans la ferme voisine du prieuré.
Dans l’angle nord de l’église, la tour lui est antérieure et est probablement contemporaine du second état de l’église, au XIe siècle.
Quelques portions de mur sont ornées de fresques de la fin du XIIe siècle, classées.
La façade
La
façade du monastère, et notamment son portail, sont très originaux par
rapport à l’art roman provençal dont ils se distinguent par plusieurs
traits.
La façade est plate, sans ornement architectural.
Les contreforts placés à l’angle, fréquents en Provence, sont absents.
Le
portail est surmonté d’archivoltes en arc festonné brisé qui paraissent
d'inspiration mozarabe, comme les mosaïques qui ornent le chœur.
Le
tympan, cantonné d'un cordon de bâtons brisés, est orné d’un Christ en
majesté, dans une mandorle, encadrée du Tétramorphe (symboles des quatre
Évangélistes), le tout en bas-relief.
Les douze apôtres sont sculptés sur le linteau.
L’influence
bourguignonne (Cluny étant située en Bourgogne) se fait sentir,
notamment dans la position des animaux du Tétramorphe, qui tournent le
dos au Christ.
Il est possible que le tympan soit un remploi et date du XIe siècle ; il ne devrait pas être postérieur au premier tiers du douzième.
Il a fait l'objet d'importantes restaurations au XVIe siècle.
Dans
le portail, les lobes se détachant des voussures sont tout à fait
uniques et « extravagants », issus d’une reprise assez maladroite selon
Jacques Thirion.
Des
travaux ultérieurs ont poursuivi cette ligne de lobes dans les
piédroits, de façon tout à fait originale également mais en
contradiction avec l’esprit des constructeurs du Moyen Âge.
Cet ajout ampute les pieds des apôtres. Thirion date cet ajout du XVIIe siècle.
Le tympan du portail
Détail des lobes
Linteau festonné
Lobes et chapiteaux
Les mosaïques
Mosaïque de Ganagobie. Détail : saint George tuant le dragon
L'église
possède des mosaïques, de tradition carolingienne, mais plus
certainement d'inspiration orientale, représentant des lions et des
griffons.
Elles ont été commandées par le prieur Bertrand, en fonction à Ganagobie dans le troisième quart du XIIe siècle.
L'inscription
autour de l'abside nous donne même le nom du chef de l'équipe ayant
réalisé ce pavement, d'une qualité exceptionnelle et qui semble avoir
quelques ressemblances avec les mosaïques découvertes - certes moins
riches - dans l'ancien prieuré de Saint-André-de-Rosans, Hautes-Alpes.
Chef-d'œuvre de l'art roman, les mosaïques de Ganagobie occupent la majeure partie de son sol.
Elles ont été exécutées vers 1124 et couvrent une surface de 72 mètres carrés.
Initialement plus étendue (82 mètres carrés), la partie centrale fut détruite pat l'écroulement de la coupole au XVIe siècle ou lors de la démolition de l'église en 1794.
Le chœur de l'église du prieuré a été dégagé à la fin du XIXe siècle.
Sa dimension et sa qualité artistique en font une œuvre unique en France.
Certaines réminiscences de motifs byzantins rappellent la place de la Provence dans l’Antiquité.
L'ensemble évoque les tapis d'Orient bien connus dans l'Europe du XIIe siècle.
Trois
couleurs : rouge (grès), blanc (marbre), noir (calcaire) et une grande
variété de formes font vivre, autour de l’autel, une faune et une flore
fabuleuses : créature intermédiaire entre le bœuf et l’éléphant,
centaure, griffon, etc.
Dans
les absidioles occidentales, les mosaïques, en partie disparues,
représentent des monstres réalistes et un chevalier ; dans une absidiole
sud, un cadre contient un taureau à tête humaine, deux médaillons
enferment une harpie et un cerf.
Le même décor végétal complète ces mosaïques.
D’autres
animaux fantastiques ornent le deuxième transept, dont certains
marqués, comme sur les textiles sassanides, d’une croix pattée noire.
Le bras sud contient un Saint Georges tuant le dragon.
Sur le sol, une lutte de monstres et de cavaliers.
Fin
1975, les mosaïques sont pratiquement illisibles, recouvertes d'une
couche de terre, de poussière et de sels, qui, en fonction du taux
d'humidité, se transforme en boue.
Le tapis de mosaïque parsemé de nombreuses lacunes est désolidarisé du support, il sonne « creux ».
Sous
le pavement, se trouvent plusieurs types d'assises, de nature et
d'épaisseur irrégulières, sur une couche de remblais et des vestiges de
constructions antérieures reposant sur le rocher.
Le pavement présentait deux grands types d'altérations : une altération
mécanique accidentelle due à l'effondrement de la voûte à la fin du XIXe siècle ;
une altération de nature physico-chimique résultant de la nature des
matériaux, de la structure de la mosaïque, de la situation géographique
et hydrogéologique du pavement par rapport au plateau de Ganagobie, des
conditions climatiques et du micro-climat propre à l'église.
La variation du taux d'humidité est le principal vecteur de ces
phénomènes et l'eau, remontant par capillarité, entraînait des sels
solubles.
La nature des désordres et la technique de restauration des mosaïques
Avant
toute intervention, un état des lieux est dressé avec deux objectifs :
déterminer l'origine des altérations et définir un protocole de
restauration.
Il est donc réalisé un relevé photogrammétrique et photographique, des sondages et des prélèvements d'échantillons.
Parallèlement,
des diagrammes d'évolution des températures et de l'humidité sont
établis afin de préciser l'origine des altérations (remontées
capillaires, présence de sels ?…).
D'autre
part, des analyses chimiques des tesselles prélevées in situ sont
réalisées en collaboration avec le Centre régional des monuments
historiques (CRMH) afin d'identifier leur origine.
Elles montrent que la mosaïque a été réalisée avec des moyens limités,
des matériaux régionaux d'accès facile ainsi que des riches marbres
récupérés.
Des recherches sur le terrain complètent ces analyses. Le tapis de tesselles (22 cm sur 80 m2) très désorganisé est parsemé de nombreuses lacunes.
Afin
de stopper ces altérations, il est procédé à un bouchage provisoire de
celles-ci à l'aide d'un mortier soluble et à un nettoyage de surface.
Les parties les plus fragiles sont alors préconsolidées avant d'engager l'intervention proprement dite.
La
dépose du pavement ne pouvant être réalisée qu'en plusieurs éléments,
un ensemble de caissons indéformables, reliés par des clés d'assemblage,
est collé sur la face supérieure des tesselles par plusieurs couches de
résines compatibles et réversibles à la vapeur.
Il est alors procédé à la désolidarisation du pavement de mosaïque du sol par l'insertion de lames d'acier très fines.
Les panneaux de mosaïques rendus solidaires aux caissonnages sont retournés et manutentionnés (700 kg) jusqu'à l'atelier de restauration.
Notons que cette mosaïque a été déposée en conservant les déformations de surface.
Après
le nettoyage et la consolidation du mortier de pose et de la face
arrière du tapis de tesselles, un tissu en fibre de verre est fixé à
l'aide de résine époxy.
Afin
de permettre une repose sans modification du niveau initial, on
substitue aux différentes couches de mortier d'origine, restées au sol,
mais livrées aux archéologues pour une fouille en règle, un matériau
composite collé sur la face arrière du tapis de tesselles, reprenant les
points de niveaux relevés in situ.
Puis
un panneau en « nids-d'abeilles », servant de raidisseur et de barrière
étanche aux éventuelles remontées d'humidité, est fixé à l'arrière du
matériau composite.
Notons
que cette technique permet aussi le déplacement temporaire des
mosaïques lors d’expositions, de travaux, ou même de conflit armé…
Après
retournement de l'ensemble, le caissonnage provisoire collé sur le
dessus des mosaïques est séparé de celles-ci à la vapeur et un nettoyage
à l'aide d'un solvant spécifique permet de supprimer les traces de
résine subsistant dans les joints.
Le tapis des tesselles ainsi dégagées est prêt pour la restauration.
Les
lacunes sont alors débarrassées du mortier provisoire à l'aide de
fraises diamantées, puis une extraction de sels solubles par compresses
est réalisée, suivie d'une consolidation de la structure du matériau.
La Commission supérieure des monuments historiques a décidé du
remplacement des lacunes par des tesselles identiques à celles
d'origine, excepté pour les éléments non identifiés qui feront l'objet
d'une restitution différente.
Les
éléments remplacés sont usés par micro-sablage, puis rejointoyés à
l'aide d'un mortier de chaux, sable et poudre de briques, identique en
aspect à celui conservé.
La repose des mosaïques a permis au prieuré de retrouver toute son intégrité et d'être rendu au culte.
Cette restauration a demandé à l'équipe de la société SOCRA plus d'un an de travail réparti sur six années.
Les vitraux de l'église
Depuis
les destructions de la Révolution, l'église n'avait plus de vitraux,
mais de simples vitres translucides qui laissaient passer la lumière du
jour.
Les
recherches archéologiques qui ont eu lieu parallèlement aux travaux de
restauration du monastère dans les années 1960 ont mis au jour de petits
fragments (classés) qui ont prouvé qu'il y avait eu autrefois des
vitraux très colorés.
Depuis
2006, de nouveaux vitraux ont été installés : la communauté des moines
bénédictins a choisi le projet de vitraux non figuratifs proposé par le
père Kim En Joong, moine dominicain coréen.
Le mobilier de l’église
Le mobilier du monastère comporte un objet classé, une lampe du XVe siècle.
Le cloître
Carte postale de Ganagobie, le cloître
Le
cloître roman est un petit chef-d'œuvre de grâce et de simplicité ; le
réfectoire, couvert de deux voûtes d'ogives, et la salle des moines ont
été restaurés, alors que les autres bâtiments qui l'entouraient sont en
ruine.
Il est le seul cloître roman à subsister pour le département ; son angle sud-est est relevé entre 1895 et 1905.
Il ouvre par deux arcs larges et deux baies géminées sur chaque côté.
Les chapiteaux sont ornés de bâtons brisés et de feuilles stylisées et sculptées à plat, l’un de masques humains.
Le cloître est aussi orné d’animaux et, sur une colonne, d’un personnage debout et droit : peut être un abbé ou un saint.
Il a dû être construit entre 1175 et 1220.
La bibliothèque
La bibliothèque de l'abbaye Notre-Dame est riche d’environ 100 000 livres, soit cinq kilomètres de rayons.
Creusée
dans la roche du plateau sur plusieurs niveaux, elle a été aménagée et
conçue afin d'assurer aux livres un niveau de température et d'humidité
constant leur permettant une conservation dans les meilleures
conditions.
Son fonds ancien comporte huit mille livres, du XIIe au XVIIIe siècle.
Visites du monastère
Il
n'est pas possible d'entrer dans l'abbaye elle-même, dont les bâtiments
sont au demeurant récents, mais l'ensemble de l'église est ouvert,
donnant ainsi accès aux mosaïques du XIIe, aux vitraux, et aux baies vitrées donnant sur le cloître roman.
Il
est également possible de visiter l'ensemble du site, remarquable pour
sa carrière de meules, l'allée des moines, les sarcophages anciens, et
la vue sur la vallée.
Prieuré de Ganagobie : anciennes tombes
Derrière l’église, se trouvent d’anciennes tombes creusées à même le roc pour y ensevelir des moines.
À l’entrée de l’église, deux de ces tombes sont mises en valeur.
L’allée aux moines, à gauche de l’église, conduit au bord du plateau, et offre une vue sur la Durance, les Alpes et le Pelvoux.
Source :
En savoir plus :
Carte postale de Ganagobie, tympan du portail
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