Alphonse Ratisbonne était le neuvième et plus jeune enfant d'Auguste Ratisbonne et de son épouse Adélaïde, une famille de banquiers juifs de Strasbourg.
Son père était le président du consistoire d'Alsace.
Lorsque son frère aîné Théodore (1802-1884) se convertit au
catholicisme et se vit écarté par la famille, Alphonse rejeta toute
forme de religion.
Après
des études de droit à Paris, Alphonse Ratisbonne entra dans la banque
familiale et annonça ses fiançailles avec sa nièce, âgée de 16 ans.
Celle-ci étant encore trop jeune pour le mariage, il s'éloigna quelque
temps de Strasbourg et partit faire un voyage d'agrément en Italie.
Ce
fut à Rome, dans la basilique Sant'Andrea delle Fratte, qu'il dit avoir
eu une vision de la Vierge Marie le 20 janvier 1842. Il décida alors de
se convertir au catholicisme. Il ajouta le prénom de « Marie » à son
nom de baptême. Il entra dans la Compagnie de Jésus en juin 1842 et
reçut l'ordination sacerdotale en 1848.
En
1850, il fut nommé aumônier des prisonniers de Brest. Deux ans plus
tard, avec l'autorisation du supérieur général des Jésuites,
Jean-Philippe Roothaan, et la bénédiction du pape Pie IX, il quitta la
Compagnie de Jésus pour rejoindre son frère Théodore et les « Pères de
Sion » à Paris. En 1855, il s'installa en Palestine, où il passa le
reste de son existence, et y emmena une partie de la communauté de
Notre-Dame de Sion. Il fonda en 1858 le couvent de l'Ecce Homo dans la
Vieille Ville de Jérusalem, pour les Sœurs de Sion, auquel il adjoignit
une école et un orphelinat. En 1860, il fit construire le monastère de
Saint-Jean sur la colline d'Ein Karem, dans les environs de Jérusalem,
avec une église et un orphelinat. En 1874, il fonda le monastère
Saint-Pierre-de-Sion, dit « monastère Ratisbonne », aujourd'hui occupé
par un centre d'étude salésien, dans le quartier de Réhavia à Jérusalem.
Enfin, il créa l'orphelinat Saint-Pierre, près de la porte de Jaffa, et
une école d'apprentissage.
Il meurt le 6 mai 1884 à Aïn Karim.
Sur sa tombe, on lit :
Ô Marie, Souviens-toi de ton enfant
Délicieux et adorable triomphe de ton amour.
La conversion miraculeuse
Extrait de Pierre Molaine, L'itinéraire de la Vierge Marie, Paris : Éditions Corrêa, 1953., pp. 140-149. Nihil obstat, Imprimatur, 1952
[En 1842, le Juif Alphonse Tobie Ratisbonne est à Rome pour un voyage d'agrément.]
Au
bout d'une quinzaine, il en a assez. Plus que jamais il rêve
d'appareillage, de grand large. Depuis son arrivée, il remet chaque jour
au lendemain une ennuyeuse corvée. Les convenances l'astreignent à
faire une visite de pure forme à un ami et allié de sa famille, un
monsieur de Bussières, baron, ci-devant protestant, catholique de
fraîche date, tout chaud encore des joies de la conversion, ardent dévot
de Marie, et qui devait faire paraître en 1862 un ouvrage sur le culte
et les pèlerinages de la Vierge en Alsace. Il médite de se présenter à
l'improviste, la veille même de son départ, chez ce papiste, de déposer
promptement sa carte, au cas très probable où l'autre ne serait pas à
domicile, et de déguerpir, quitte de toute obligation, en jurant à part
soi qu'on ne l'y prendrait plus. Mais monsieur de Bussières est là. Il
le reçoit, l'assassine de mille grâces, d'autant de congratulations.
Alphonse Tobie bientôt le voit venir avec ses mines de patte-pelu et son
prêchi-prêcha. Bussières est possédé du zèle des néophytes. Il a flairé
une belle pièce. Il la voit déjà lancée par son éloquence, débusquée. «
A cloche-pied ne se court lièvre » affirme le dicton. Lui va bon train,
à toutes jambes.
— Vous y perdez votre latin, dit Ratisbonne. Je suis né juif et juif je mourrai.
—
Promettez-moi au moins de porter sur vous cette médaille, frappée à
l'image de la Vierge, une médaille, monsieur, miraculeuse : la médaille
miraculeuse.
— Voilà, se dit Alphonse Tobie, un homme à ne pas contrarier.
En
garçon de galante composition, encore qu'il tienne pour abusive et de
fort mauvais goût la prétention du baron, il s'y prête. Au surplus, rien
ne le désobligerait plus que de paraître redouter les effets du cadeau.
A contre-cœur, mais en riant aux éclats, il se laisse attacher au cou
la médaille miraculeuse.
— Ce n'est pas tout, dit Bussières sans désemparer.
Quoi
encore ? N'en a-t-il pas fini avec ses homélies et ses turlupinades ?
Prend-il plaisir à son incivilité ? Se pique-t-il de pousser à bout le
jeune Israélite rebelle à son enseignement et inaccessible à une vraie
componction ? Pauvre baron ! Fut-il jamais homme de meilleure farine,
pétri de plus pures intentions ? Il est payé d'ingratitude.
—
Voici, monsieur, une prière que je vous demande de recopier, puis de
réciter une fois par jour. Rapportez-moi demain ce papier qui est un
exemplaire unique.
Alphonse
Tobie Ratisbonne promet tout ce qu'on veut. Il n'aspire qu'à une chose :
prendre du champ. Un moment, il a failli sortir de ses gonds. Mais il
réfléchit que s'emporter serait manquer d'esprit et songe qu'il y a dans
sa mésaventure matière à plus d'un trait piquant, propre à relever son
journal de voyage.
Cette
prière, c'est le Memorare ou Souvenez-vous, dit de saint Bernard. Saint
Bernard, la terrible et magnifique figure du christianisme militant, le
filial et ascétique serviteur de la Vierge, de qui il écrivit : « De
Marie, on ne parlera jamais assez » ! Ratisbonne lit, relit l'oraison
et, puisqu'il l'a promis, la recopie. Le jour suivant, il rapporte
fidèlement le papier à Bussières.
— Je vous fais mes adieux, dit-il, je pars demain.
— Non.
— Comment, non ? Ma place est retenue sur le bateau.
—
Vous ne partez pas. Il y a, lundi, l'office pontifical de la chaire de
saint Pierre, à la Basilique. Il faut que vous voyiez le Pape officier.
— Peu m'importe le Pape ! Je pars.
— Vous restez.
Il
ne sut jamais s'expliquer pourquoi il resta. Il se laissa conduire à
Saint-Pierre. Il entendit tout l'office. La pompe de la musique
palestrinienne, l'appareil somptueux de la cérémonie, l'éclat des ors et
des lumières ne l'impressionnèrent pas. De méchante humeur, pestant
contre tous et chacun, singulièrement contre lui-même, il sentait sur sa
peau le contact léger de la médaille miraculeuse, et les paroles du
Souvenez-vous hantaient sa mémoire « comme un air d'opéra qu'on chante
sans y penser ».
A
cet office assistait aussi un personnage qui, sans avoir une seule fois
rencontré, une seule seconde vu Ratisbonne, intervint puissamment,
décisivement, sublimement, en sa faveur dans ses démêlés inconscients
avec le ciel. C'était le comte Auguste de la Ferronnays, ambassadeur de
France à Rome, diplomate subtil, dévoué au trône et à l'autel,
pratiquant zélé, pieux comme on ne sait plus l'être, homme de bien, de
devoir, de savoir, parvenu, semble-t-il, au soir d'une vie marquée
d'épreuves, aux plus hauts sommets de la spiritualité chrétienne. Il
était lié d'amitié avec le baron de Bussières qui, le jour même,
l'entretint de Ratisbonne. « Ce Juif, il faut qu'il devienne chrétien.
Il le mérite. Vous devez prier pour lui, cher ami. »
— Certainement, répondit le vieux gentilhomme.
Le
lendemain, 18 janvier 1842, dès l'aube, il se rendit à la messe dans sa
paroisse, la très modeste église de Sant-Andrea delle Fratte. Il
s'abîma en prières. A quelles intentions ? Il ne le confia à personne,
pas même à sa femme, qui sut de lui simplement qu'il avait adressé à la
Vierge au moins cent Memorare. Mais cette grandiose imploration,
s'élevant, aux lueurs indécises du petit jour et de quelques pauvres
cierges, fervente, intense, obstinée, passionnée, d'un cœur solitaire,
réfugié en une église solitaire, vers Marie miséricordieuse et
médiatrice, cette imploration poussée jusqu'au plus haut d'es cieux,
avec une humilité d'enfant, par ~n vieillard chargé d'honneurs,
ambassadeur de France, agenouillé incognito, à l'heure où tout dormait
encore, devant sa Souveraine, on imagine, on devine quelle grâce
désintéressée elle visait à obtenir. Comme consumé par ce prodigieux
effort d'oraison, le comte Auguste de la Ferronnays devait mourir
subitement le soir même, à nuit tombée. Il venait de terminer son repas
quand il se prit à vomir des flots de sang. On le coucha. On alla quérir
le baron de Bussières. En un suprême transport d'amour divin, le
moribond essaya de décrocher le crucifix pendu à son chevet, n'y parvint
pas, arracha le clou qui le fixait au mur et rendit son dernier soupir
dans un dernier baiser au Sauveur. Bussières, arrivant en hâte, ne put
que se recueillir sur un cadavre.
Etreint
par l'affliction, il s'offrit à accomplir quelques démarches en vue de
la célébration des funérailles, arrêtées au vendredi 21 janvier. Il ne
perdit pas de vue, néanmoins, Alphonse Tobie Ratisbonne. Le 19 janvier,
ils se trouvent de compagnie devant la Scala Santa. Bussières, le geste
théâtral, le ton emphatique, prononce, en ôtant son chapeau, une
apostrophe redondante : « Je te salue, dit-il, escalier sacré. Et je
connais un Juif qui, avant peu, te montera à genoux. » Pour réponse,
Alphonse Tobie éclate d'un rire proprement diabolique. Ils prennent
rendez-vous pour le 20 janvier. Mais, à l'heure convenue, le baron
attend en vain son homme. Ratisbonne, qui vient de parcourir en touriste
l'église du Gesù, refusant de s'y agenouiller et d'y prier, malgré les
instances du Père jésuite de Villefort, est attablé au café du Bon Goût,
sur la place d'Espagne, avec deux amis de Strasbourg rencontrés par
hasard. Ils devisent joyeusement, échangent des potins, parlent femmes,
voyages et politique. Ratisbonne invite d'ores et déjà ses compatriotes à
son mariage. Les verres sont levés. On boit à l'avenir.
Bussières,
impatienté, a fait atteler sa voiture. veut aller chercher Ratisbonne à
domicile. Le temps lui paraît propice à l'une de ces promenades où les
cœurs affligés et les esprits inquiets s'apaisent à l'unisson de la
douceur du jour. L'air est vif, le ciel léger, vaporeux. Un tendre
soleil déride le fronton des austères façades. Midi sonne aux clochers,
çà et là. Ce serait folie que de ne pas profiter d'une si belle occasion
de relâche. Dieu merci, voilà Ratisbonne sur le trottoir. Bussières lui
fait place à son côté. L'Israélite, en traitable disposition d'esprit
souscrit volontiers à l'offre d'une promenade.
—
Vous m'en voyez heureux, dit Bussières. Je suis obligé de m'arrêter
quelques minutes à l'église Sant-Andrea delle Fratte, où j'ai un court
message à remplir. Vous plaît-il de m'y accompagner ?
On
sourit avec indulgence. On songe que Bussières est la crème des hommes,
mais que rien ne le guérira de sa marotte. Le baron est-il piqué de ce
sourire?
— Vous m'attendrez dans la voiture.
On
préfère descendre pour visiter l'église. Elle est encombrée de
charpentes, de herses à cierges, de candélabres, de draperies funèbres. «
Ce sont, dit Bussières, les préparatifs des obsèques de mon pauvre ami
La Ferronnays. Le service doit avoir lieu ici, demain. J'ai affaire à la
sacristie. Ne vous impatientez pas. Je serai à vous dans quelques
minutes. »
L'église
Saint-André delle Fratte est petite, pauvre, sans style ni beauté.
Aucun objet d'art n'v retient l'attention de Ratisbonne. Il y promène
ses pas, ses regards, avec ennui. Il ne pense à rien. Un chien noir en
divagation saute et bondit devant lui puis disparaît. Il longe le
bas-côté de droite, s'arrêté à la grille d'une chapelle latérale. Il
n'éprouve qu'un sentiment de solitude.
Soudain...
Soudain, il ne voit plus. Plutôt, ô mon Dieu, il voit une seule chose.
De tout l'édifice, évanoui à ses yeux, ne demeure que la chapelle
symétrique du bas-côté gauche, en face de lui, qui s'est tout à coup
illuminée d'une surnaturelle et rayonnante clarté, et, au milieu, se
tient, debout sur l'autel, pleine de majesté et de douceur, une femme
merveilleusement belle, couverte, comme le Christ transfiguré, de
vêtements tels qu' « aucun foulon ne peut en obtenir de plus
éblouissants », pareille à la Vierge de la médaille qu'il porte au cou. «
Non, non, la parole humaine ne doit point essayer d'exprimer ce qui est
inexprimable. Toute description, quelque sublime qu'elle puisse être,
ne serait que profanation de l'ineffable réalité. » Un appel
irrésistible le subjugue. Une force irrésistible l'arrache au sol, le
soulève, le transporte, dans le temps d'un éclair, aux pieds de
l'apparition. On ne saura jamais, il ne saura jamais comment, par quelle
opération, au mépris de toutes les misérables sciences d'ici-bas,
s'accomplit, à travers le désordre des matériaux ou des objets d'apparat
jonchant le sol de la nef, ce trajet impossible. Il est là, tremblant
de tout son être, éperdu de respect, d'admiration. L'apparition le
regarde, s'incline, bouge. De la main elle lui fait signe de
s'agenouiller. Un autre signe ordonne : « Ne résiste pas. » Les genoux
de Ratisbonne fléchissent. Il ne s'agenouille pas. Il s'effondre. La
main miraculeuse semble dire :« C'est bien. »
Le
front aux dalles, à tout instant il veut relever la tête pour ne rien
perdre de la vision radieuse. Mais l'éclatante lumière l'éblouit, une
vénération infinie le maintient terrassé. A peine peut-il, ose-t-il
contempler ces mains magnifiques, ces mains bénies, ces mains célestes,
ces mains qui approuvent et pardonnent. Le repentir bouillonne en son
cœur. Il pense à son frère Théodore avec un transcendant bonheur, à sa
famille plongée dans les ténèbres du judaïsme, aux hérétiques, aux
pécheurs, avec une compassion mêlée d'effroi. Bientôt la vision
s'éteint. Dans la chapelle des saints Michel et Raphaël, dans cette
sombre chapelle où il n'est pas une statue, pas une image de la sainte
Vierge, mais où est accroché un tableau de sujet biblique, représentant,
sous la patine des ans, le juif Tobie protégé par l'ange, il ne reste
plus qu'un homme, un juif nommé Tobie, anéanti, qui pleure, qui pleure,
pleure...
Très
surpris est le bon baron Bussières, au sortir de la sacristie, de ne
point apercevoir Ratisbonne. Il le cherche, et, plus surpris encore, le
découvre sans voix, sans forces, baigné de larmes, prosterné. Il
l'interpelle, le secoue, le relève, le soutient, l'entraîne, en le
portant presque, vers la porte. « Il a, se dit-il, les nerfs fatigués.
C'est une pâmoison. » Mais Ratisbonne, la langue soudain déliée,
s'écrie:
— Elle ne m'a rien dit. Pourtant, j'ai tout compris.
Son
regard enflammé embrasse le décor confus de l'église déserte et
pénombreuse, où la pause de midi a interrompu les apprêts de la
cérémonie du lendemain, et, à la stupeur émerveillée de Bussières, qui
ne lui a pas confié, et pour cause, qu'il a intéressé à son cas le
défunt comte de la Ferronnays, il ajoute :
— Comme ce monsieur a prié pour moi !
— Où désirez-vous aller ? demande, tout ému, de Bussières.
—
Conduisez-moi, répond Ratisbonne, conduisez-moi où vous voudrez. Après
ce que j'ai vu, j'obéis. Ce qui vient de m'arriver, je ne puis le
raconter que devant un prêtre, à genoux.
Quelques
minutes plus tard, au couvent des Jésuites romains, devant le Père de
Villefort, à genoux, Ratisbonne tire sa médaille, l'embrasse, la montre,
incapable dans son exaltation de prononcer d'autres mots que ceux-ci :
— Je l'ai vue. Je l'ai vue.
Puis
il recouvre quelque calme, fait le récit du prodige, le renouvelle en
présence du Père Roothan, supérieur général des Jésuites, n'a de cesse
qu'il ne soit retourné à Saint-André delle Fratte, s'y met et confond en
prières, veillant aux cierges, dès le crépuscule, le corps, transporté
là en simple cortège, de Son Excellence l'Ambassadeur de France comte
Auguste de la Ferronnays, son protecteur inconnu, son bienfaiteur
anonyme, son répondant secret, son frère en Jésus-Christ.
Ainsi,
à un mortel, en l'an 1842, se manifesta Marie dans le rayonnement de sa
puissance et de son indescriptible beauté. Il était né superbe : elle
l'abaissa. Il se fit humble, elle l'éleva. La noble figure de Ratisbonne
domine aujourd'hui les générations du haut d'un piédestal de
magnifiques vertus. « Si quelqu'un, écrivit-il plus tard, s'était
approché de moi, au café du Bon Goût, et m'avait dit : « Alphonse, dans
un quart d'heure, tu adoreras Jésus-Christ, tu seras prosterné dans une
église, tu te frapperas la poitrine aux pieds d'un prêtre, dans une
maison de Jésuites où tu passeras le carnaval pour te préparer au
baptême, tu renonceras au monde à ta fortune et, s'il le faut, à ta
fiancée, à l'affection de ta famille, à l'estime de tes amis, à
l'attachement des Juifs, et tu n'aspireras plus qu'à suivre Jésus-Christ
et à porter sa croix jusqu'à la mort », je dis que si quelque prophète
m'avait fait une semblable prédiction, je n'aurais jugé qu'un seul homme
plus insensé que lui, c'eût été l'homme qui aurait cru à la possibilité
d'une telle folie ». En vérité, il renonça à tout. Le 31 mai 1842,
après une retraite au couvent des Jésuites il était baptisé et admis à
la communion. Le 3 juin, un décret pontifical reconnaissait qu'un vrai
et insigne miracle, opéré par Dieu, à l'intercession de la Vierge Marie,
avait produit la conversion instantanée et parfaite d'Alphonse Tobie
Ratisbonne. La jeune Flore, très entêtée de la religion de sa race, ne
fit aucunes manières pour lui rendre sa parole. Le contempteur des
prêtres, celui qui avouait « nourrir contre eux une haine amère et
surtout contre ces jésuites dont le nom seul provoquait sa fureur »,
entra dans la compagnie de Jésus. Il y resta dix ans, publiant doucement
et modestement la gloire de Marie, s'efforçant en tout d'être et de
rester digne de sa maternelle confiance, de son inappréciable bonté. Le
retentissement de sa sublime aventure avait franchi les frontières, mais
il savait ne point se départir d'une irréprochable réserve sur
l'événement dont il était le héros. Un jour, venu en pèlerin à la
chapelle de la rue du Bac, il essaya, par l'intermédiaire de l'abbé
Aladel, de voir, d'entrevoir la religieuse qui partageait avec lui
l'honneur infini, l'inouï privilège d'avoir pu, formellement et
temporellement, contempler la propre mère de Dieu. Mais la visionnaire
de la rue du Bac et le visionnaire de l'église Saint-André delle Fratte,
la voyante de minuit et le voyant de midi n'avaient pas reçu le même
message. Des missions différentes les engageaient. La servante des plus
pauvres parmi les pauvres ne consentit ni à le recevoir, ni même à
dévoiler son nom. Dès lors, Ratisbonne se voua tout entier au
prosélytisme. Il quitta la Compagnie de Jésus pour se joindre à l'abbé
Théodore, qui avait créé les Congrégations des Pères et des Dames de
Sion, consacrées à la conversion des Israélites. Main dans la main et ne
faisant qu'un, les deux frères, naguère ennemis, menèrent dans le
siècle une vie admirablement féconde et édifiante, semant leur route
terrestre de fondations qui leur survivent et qui ont fructifié. Ils
s'étaient divisé le monde, Théodore s'attribuant l'Occident, Alphonse
l'Orient. Les établissements, les pensionnats, les institutions
multiples dont ils jetèrent les bases, l'aîné en France, en Angleterre
et jusqu'en Roumanie, le cadet en Terre Sainte, prolongent leur mémoire
et attestent leurs rares mérites. De Jérusalem, où Alphonse avait acquis
les ruines du prétoire de Pilate, rayonnaient son prestige et son
autorité. Il prêchait l'Evangile aux lieux mêmes de la Passion,
proclamant à la face d'Isracl sa croyance en l'Emmanuel, le Messie né
d'une fille de David pour la rédemption des hommes. Il le prêchait
partout à travers l'Europe qu'il parcourut en tous sens, quêtant à tout
allant et venant au bénéfice de ses œuvres. Il était devenu le père
Marie-Alphonse, à la barbe de fleuve, catéchiste errant et mendiant.
Oui, l'ancien dandy assidu des salons en vue de Strasbourg, rejeton de
financiers richissimes, tendait la main au nom de ce Dieu confessé par
lui avec autant de gratitude que de componction. Il allait sans trêve,
non point selon la fatalité de sa race, mais suivant les exigences de sa
foi. En ses dernières années, il devint presque aveugle. Ses yeux se
fermaient aux beautés précaires du monde. Mais ils gardaient intacte,
d'une resplendissante et céleste présence, I'authentique et véridique
image. Il mourut, septuagénaire, en 1884, à Jérusalem, disant simplement
: « Tous mes désirs sont accomplis. »
Reconnaissance de l'Église
L’apparition a été reconnue après l’enquête canonique de l’église.
L'apparition
de Marie à Alphonse Ratisbonne, Chapelle de la Madone du Miracle,
Basilique paroissiale de Sant'Andrea delle Fratte, Rome, 1870
La Vierge Marie serait apparue, en 1842, à Alphonse Ratisbonne, à Rome (Italie).
Alphonse Ratisbonne est considéré comme serviteur de Dieu par l'Église catholique.
Histoire
Un
jour, en 1842, un certain Alphonse Ratisbonne, juif athée, se rend chez
un de ses amis, qui habite Rome (Italie), et qui est un fidèle de
l'Église catholique. Douze ans auparavant, la Sainte Vierge-Marie était
apparue à Paris (France) à la sœur Catherine Labouré (Sainte). Celle-ci
lui avait confié une mission, de faire paraître une médaille miraculeuse
à son effigie. Très vite, le médaillon passa les frontières, et c'est
ainsi qu'un ami d'Alphonse Ratisbonne, le baron de Bussierre, lui en
offrit une. Celui-ci l'accepta par défi, accompagné d'une prière à
réciter2,3.
Après plusieurs jours, le 20 janvier 1842, Alphonse accompagna son ami
dans une église. Alors que ce dernier alla parler au prêtre, Alphonse
visita l'édifice, puis, se mit à genoux et pria. À cet instant même,
selon lui, la Sainte Vierge lui apparut et le bénit. Son ami Bussierre
le retrouva transformé et Ratisbonne lui répondit : « Elle ne m'a rien
dit, mais j'ai tout compris ».
Après
cet événement mystique, il se convertit et devint chrétien. Alphonse
devint prêtre et missionnaire - particulièrement des juifs et mahométans
hiérosolymitains - et fonda plusieurs monastères en Terre Sainte dont
le couvent de l'Ecce Homo à Jérusalem en 1858. Il écrit même un livre
sur Sainte Marie. Cette apparition emmena la reconnaissance officielle
de la Médaille miraculeuse par l'Église Catholique. Le 3 juin 1842,
l'Église Catholique reconnaît officiellement l'Apparition de Notre-Dame
de Rome. Aujourd'hui, on célèbre la mémoire de Notre-Dame de Rome tous
les 20 janvier, jour de l'apparition à Ratisbonne.
Le
Père Alphonse Ratisbonne, parfois nommé Alphonse de Ratisbonne ou
Marie-Alphonse Ratisbonne (1er mai 1814, Strasbourg – 6 mai 1884, Ein
Karem, Jérusalem), est un prêtre et missionnaire français d'origine
juive dont la conversion au catholicisme fit grand bruit à l'époque.
Après
sa conversion, il entre dans la Compagnie de Jésus et seconde son
frère, Théodore, lui aussi converti au catholicisme, pour développer la
Congrégation de Notre-Dame de Sion.
Il fonde plusieurs monastères et orphelinats en Palestine.
Alphonse
Ratisbonne est le neuvième et dernier enfant d'Auguste Ratisbonne et de
son épouse Adélaïde. Le nom de sa famille provient de la ville
allemande de Regensburg. Il est issu d'une famille de banquiers juifs de
Strasbourg, et est le petit-fils du philanthrope et homme politique
Cerf Beer. Son père, Auguste, était président du consistoire du Bas-Rhin
et vice-président du Comité cantonal des écoles israélites de
Strasbourg.
Alors
que son frère aîné Théodore (1802-1884) se convertit au catholicisme en
1827 et se voit écarté par la famille, Alphonse rejette toute forme de
pratique religieuse et est plutôt présenté comme un libre-penseur.
Après
des études de droit à Paris, Alphonse Ratisbonne entre dans la banque
familiale et annonce ses fiançailles avec sa nièce, âgée de seize ans,
comme cela se faisait à cette époque. Celle-ci étant encore trop jeune
pour le mariage, il s'éloigne quelque temps de Strasbourg et part faire
un voyage d'agrément qui doit le mener de Marseille à Naples, Palerme,
Malte puis Jérusalem et Istanbul. Mais une fois arrivé à Naples, il se
rend à Rome, qui ne faisait pas partie du programme initial.
Il
arrive à Rome le 6 janvier 1842, et se rend dans le ghetto où sont
rassemblés les 4 000 juifs romains. Alphonse fait une série de
rencontres et il est introduit dans une société de fervents catholiques
français en résidence ou en séjour dans la capitale italienne, comme le
baron Marie-Théodore de Bussierre (ami de son frère Théodore).
La médaille miraculeuse offerte à Ratisbonne
Alphonse,
qui se moque de la religiosité de ses amis romains, se voit proposer un
défi par le baron de Bussierre : porter la médaille miraculeuse frappée
à la suite des apparitions de 1830 à Catherine Labouré dans la chapelle
de la Rue du Bac à Paris, et réciter chaque jour une courte prière
qu'on lui donne à recopier. Pour prouver que ces croyances sont
ridicules, il accepte et s'exécute. Le baron l'invite à prolonger son
séjour à Rome, ce qui amène ce dernier à visiter le couvent des
franciscains et discuter avec différents religieux. Dans la soirée du 19
janvier, il se rend au bal du prince Alessancro Torlonia. Le lendemain,
il accompagne le baron à l'église Sant'Andrea delle Fratte car le baron
de Bussierre doit y gérer une affaire. Alphonse reste seul et
s'impatiente. C'est là qu'il dit avoir eu une vision de la Vierge de la
médaille miraculeuse.
Bussierre
retrouve le jeune Alphonse complètement transformé. Le jeune homme est
incapable de lui donner des détails sur ce qu'il a vécu, résumant son
histoire sous une phrase lapidaire : « Elle ne m'a rien dit, mais j'ai
tout compris ». Il décide alors de se convertir au catholicisme.
Il
rencontre plusieurs fois le pape Pie IX et obtient que les procédures
du baptême soient raccourcies. Il est baptisé 11 jours plus tard, le 31
janvier. Il choisit alors « Marie » comme prénom de baptême.
L'évêque
de Rome étant également le pape, une commission d'enquête vaticane est
rapidement réunie pour étudier et faire reconnaitre canoniquement le
« miracle de sa conversion » de Ratisbonne. Les témoignages sont
recueillis les 18 et 19 février, et le jugement est publié le 3 juin
1842, mais s'il annonce officiellement reconnaitre « comme vrai le
miracle de la conversion opéré par Dieu, et par l'intercession de la
Vierge Marie », le document n'évoque nullement l'apparition mariale dont
Alphonse se dit avoir été témoin. Cette nouvelle est diffusée et
médiatisée, la nouvelle de l'apparition mariale étant elle-même
largement diffusée en France, même si le Vatican s'est tu sur le sujet.
Toutefois, le culte de Notre-Dame de Rome est autorisé dès le 20 janvier
1842, date de l'apparition à Ratisbonne, sœur Catherine Labouré est
canonisée en 1947 et le pape Jean-Paul II se rend à la rue du Bac en
1980.
La
conversion de Ratisbonne provoque un choc dans sa famille, et la
rupture avec sa fiancée qui refuse de se convertir au catholicisme pour
pouvoir se marier avec lui, à une époque où les mariages interreligieux
étaient rares.
Il
entre dans la Compagnie de Jésus en juin 1842. Il effectue son noviciat
chez les Jésuites de Laval. Il reçoit, dans cette église, l'ordination
sacerdotale en 1848 des mains de Mgr Jean-Baptiste Bouvier, évêque du Mans.
Alphonse Ratisbonne, gravure, XIXe siècle
En
1850, il est nommé aumônier des prisonniers de Brest. Désireux de se
consacrer à la conversion des Juifs, deux ans plus tard, avec
l'autorisation du supérieur général des Jésuites, Jean-Philippe
Roothaan, et la bénédiction du pape Pie IX, il quitte la Compagnie de
Jésus pour rejoindre son frère Théodore et les « Pères de Sion » à
Paris.
L'apostolat à Jérusalem
En
1855, il s'installe en Palestine, où il passe le reste de son
existence, et y emmène une partie de la communauté de Notre-Dame de
Sion. Il acquiert dans la Vieille ville de Jérusalem un terrain vague en
1857 et fait construire sur les vestiges de ruines anciennes dont le
Lithostrôtos datant du IIe siècle sous
Hadrien. Il y fonde en 1858 le couvent de l'Ecce Homo pour les Sœurs de
Sion, auquel il adjoint une école et un orphelinat pour filles. En 1860,
il fait construire le monastère de Saint-Jean sur la colline d'Ein
Karem, dans les environs de Jérusalem, avec une église et un autre
orphelinat pour filles.
C'est
à Jérusalem avec d'autres frères qu'il œuvre avec succès pour la
conversion au catholicisme des juifs et mahométans hiérosolymitains.
En
1874, il fonde le monastère Saint-Pierre-de-Sion, dit « monastère
Ratisbonne », aujourd'hui occupé par un centre d'étude salésien, dans le
quartier de Réhavia à l'ouest de la Vieille ville de Jérusalem. Enfin,
il ouvre l'orphelinat Saint-Pierre pour les garçons, près de la porte de
Jaffa, et une école d'apprentissage pour les arts mécaniques de la
ville.
Galerie
Buste dans la Basilique Sant'Andrea delle Fratte, Rome
Par Fczarnowski — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=48380225
Buste au monastère Ratisbonne, Jérusalem
Par Gilabrand sur Wikipédia anglais, CC BY 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=10483508
Le monastère Ratisbonne, quartier de Réhavia, Jérusalem
La tombe d'Alphonse Ratisbonne à Ein Kerem, Jérusalem
Par Юкатан (talk) — Travail personnel, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=4062830
Portrait de Marie-Alphonse Ratisbonne
Œuvres
Histoire de saint Bernard (1840)
Conversion de M. Marie-Alphonse Ratisbonne racontée par lui-même (1842)
Monument à la gloire de Marie (1847)
Inauguration du sanctuaire de l'Ecce Homo à Jerusalem (1868)
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