Dinant
Abbaye Notre-Dame de Leffe
(suite)
Histoire récente
Après
le décès du Père Lamy en 1949, le Père Cyrille Nys est élu Abbé le 16
janvier 1950. Ancien Procureur Général de l’Ordre, c’est un
administrateur avisé. Il enrichira considérablement la bibliothèque et
la sacristie et améliorera grandement le confort des bâtiments. Il est
surtout connu pour son rôle dans la renaissance de la bière de Leffe. En
1954, le Père Abbé Nys rencontre Albert Lootvoet, brasseur à Overyse,
et lui fait part des difficultés financières de son abbaye. De concert
avec le Père-Abbé, Albert Lootvoet décide de renouer avec la tradition
brassicole de l'abbaye, en respectant les procédés d'autrefois.
Progressivement, l’apport financier provenant de la vente de bière va
aider la communauté – qui compte alors 47 membres – à se consolider sur
le plan matériel.
L’abbé
Marc Mouton succède au Père Nys en 1963. Grâce à l’argent de la
brasserie, d’importants travaux sont réalisés à cette époque :
aménagement de la sacristie, élargissement des fenêtres de la façade sud
et aménagement d’un chemin d’accès à l’arrière des bâtiments. La
période du concile amène des bouleversements importants dans la vie de
l’abbaye : modifications de l’horaire (il n’y a plus d’office à 4H30 du
matin !), utilisation du français dans la liturgie. C’est une période de
tâtonnements, de recherche, de tension aussi parfois, car de tels
changements demandent un investissement affectif important.
En
1981, le Père François Martens est élu abbé après une vacance du siège
durant deux ans. Il aura la joie de voir s’épanouir une floraison de
jeunes vocations bienvenues après les années plutôt maigres de
l’après-concile. Moins gênée par des soucis matériels, la communauté
peut se consacrer davantage à son rôle pastoral et devient, jalons après
jalons, un centre de rencontre religieuse et culturelle, port d’attache
d’une dizaine de curés de paroisse et havre de retraite pour les
jeunes. Le Père Bruno Dumoulin, prieur de l’abbaye depuis 1968, est élu à
la charge de prélat et succède au Père Martens le 29 mai 1989. Sous son
abbatiat, une rapide succession de décès et d’ordinations de jeunes
prêtres entraîne un redéploiement des forces vives. La communauté trouve
un enracinement de proximité à travers l’administration de paroisses
proches de l’abbaye, telles Bouvignes et Leffe. Elle tente également
l’expérience d’un prieuré paroisse – petite communauté d’au moins 3
chanoines administrant un secteur pastoral tout en gardant la vie et la
prière en commun – dans les paroisses de Couthuin et Burdinne, au
diocèse de Liège. La construction en 1996 d’un nouvel orgue, sous
l’impulsion du prieur Patrick Johnson, ouvre une importante page
culturelle et liturgique dans l’histoire de l’abbaye.
L’approfondissement de l’identité prémontrée – auquel contribue une
thèse de doctorat sur Adam Scot du Père Norbert Reuviaux – reste à
l’ordre du jour, notamment à travers l’étude approfondie des
constitutions renouvelées de l’Ordre, mais aussi par l’approfondissement
personnel de la découverte de soi et des autres comme personnes
humaines, baptisés, religieux, prêtres, appelés à vivre en communion.
L'orgue de Leffe
L’ORGUE THOMAS DE LEFFE (1996)
Les motivations de la communauté
Construire
un orgue, c’est répandre un parfum de louange, à la seule Gloire de
Dieu, comme aimaient le rappeler Gottfried Silbermann et Johann
Sebastian Bach quand ils signaient leurs chefs-d’œuvre. Ce parfum de
louange ainsi répandu n’a pas de prix car il dépasse nos calculs
humains. L’orgue doit aider les hommes à redécouvrir la beauté, la
gratuité et la louange tellement oubliées et dont notre monde a pourtant
tellement besoin.
Orgues de l'abbaye de Leffe (Gaud)
Construire
un orgue dans l’esthétique de Silbermann, c’est reconnaître et
favoriser l’instrument en tant qu’auxiliaire principal et indispensable
pour que la communauté puisse participer à la prière chantée. En créant
le climat nécessaire, il fait partie intégrante de l’édifice liturgique
et est ainsi véritablement un ministre à part entière par qui la foi et
la prière d’une communauté deviennent louange et musique. Il donne des
poumons, du souffle à la voix de l’Église qui est celle du peuple de
Dieu. Si l’orgue est capable d’exprimer la jubilation, il peut aussi
parvenir à une très grande intériorité, apportant le réconfort et la
compassion à ceux qui souffrent, la confiance et la paix à ceux qui sont
dans l’épreuve. L’orgue peut réellement pleurer avec ceux qui pleurent
et verser de superbes larmes.
Construire
un orgue dans l’esthétique de Silbermann, c’est développer et ouvrir à
l’infini des perspectives, s’appuyer sur le passé pour mieux vivre le
présent, donc préparer l’avenir. Construire un tel instrument est
véritablement œcuménique: recevoir et partager les uns avec les autres
un trésor commun. C’est aussi offrir à tout un peuple dans un lieu
unique – une église – une voix, de la couleur, qui puissent lui parler,
rapprocher les hommes de tous les horizons et les rendre plus heureux.
Sans doute nous est-il parfois arrivé de nourrir un rêve sans mesure:
construire et promener de grandes orgues sur terre et sur mer, avec
l’espoir secret que les traînées de musique qu’elles répandraient de par
le monde apaiseraient la folie meurtrière de notre temps… Construire un
orgue, dans l’esthétique de Silbermann, c’est également offrir aux
élèves des Conservatoires ainsi qu’aux interprètes un instrument où la
musique de Bach, « la Bible des organistes », puisse chanter dans toute
sa vérité et sa plénitude, ainsi que le répertoire qui l’a inspirée,
comme celui qu’elle a suscité. Cet orgue s’inscrit dans la tendance
d’authenticité de l’interprétation de la musique baroque allemande et
dans le vaste mouvement de renaissance que connaît l’instrument en
Europe, à l’aube du troisième millénaire.
Description
L’orgue de Leffe s’inspire des instruments construits au début du XVIIIe siècle
par le facteur d’orgues Gottfried Silbermann (1683-1753) en Saxe, dans
l’est de l’Allemagne, la région où Johann Sebastian Bach a vécu. Après
la construction des orgues de Spa et Mürringen, la perspective de
construire un orgue de ce type dans une meilleure acoustique était
tentante. En effet, l’architecture intérieure de l’abbatiale et en
particulier sa grande voûte de bois favorise l’interprétation de musique
polyphoniques. L’acoustique du lieu et l’absence de ce style
d’instrument dans la région ont été les critères pris en compte pour le
choix d’un tel orgue. Dans les églises de Saxe, nous retrouvons
généralement, comme à Leffe, des acoustiques à faible réverbération.
Nous nous sommes inspirés du buffet de l’orgue de Grosshartmannsdorf (1741) pour concevoir celui de Leffe. Il s’élève à près de 7 m pour une largeur de 4,64 m et une profondeur de 2,30 m.
Construit en chêne de Bourgogne, il est recouvert d’une huile
naturelle. Les claires-voies sont sculptées et recouvertes d’une
peinture et de feuilles d’or. Le buffet renferme les trois plans
sonores, caractéristique classique des orgues de Gottfried Silbermann.
La
mécanique des claviers est de type « suspendu ». Les claviers, en pin
d‘Orégon, de 56 touches axées en queue, plaquées d’ébène pour les
touches naturelles, et d’os pour les feintes. Les cadres et les rouleaux
d’abrégés sont réalisés en orégon, les bras et les supports en charme.
Le cèdre a été utilisé pour façonner les vergettes. L’accouplement des
claviers est à tiroir poussant, à l’instar des orgues de Silbermann. Il y
deux sommiers par plan sonore. Châssis et chapes sont en chêne massif.
Les faux-sommiers, les barrages et les soupapes sont, quant à eux, en
orégon. L’alimentation est composée de deux soufflets cunéiformes à un
pli rentrant, un pour l’Oberwerk et le Hauptwerk, l’autre pour la
pédale. La pression est de 78 mm pour
l’ensemble. Réalisée dans nos ateliers, la tuyauterie compte 1532
tuyaux. La façon de construire les jeux d’anches rappelle fidèlement la
conception des anches de Silbermann. Toute la tuyauterie est coupée au
ton. Le la est à 440 Hz à 18°. Le
tempérament choisi est Kirnberger III. Kirnberger (1721-1783) était
élève de Bach. (Description de Dominique Thomas, facteur de l’orgue,
lors de son inauguration)
Prémontrés, qui sommes-nous aujourd'hui ?
Ce
que nous voulons être, ce que nous sommes sans doute un peu aussi,
trouve sa meilleure expression dans le dialogue de la profession
religieuse du Chanoine régulier prémontré.
Ce dialogue s'engage entre l’Abbé, élu et reçu comme père de l’Église Notre –Dame de Leffe et le frère qui se donne à elle.
- Que cherches-tu?
- La miséricorde de Dieu et la vôtre, Père, ainsi que la communion de cette Église.
- Fils bien-aimé, par le Baptême tu es déjà mort au péché
et consacré au Seigneur. Veux tu par la profession religieuse lui être
plus étroitement uni ?
- Oui, je le veux
- Que celui qui a commencé en toi cette œuvre de bien l’achève lui-même
jusqu’au jour du Christ-Jésus.
- Amen
Profession solennelle
Moi, frère N, je m'offre et me livre à l’Église de N. Je promets la conversion de mes mœurs et la vie commune, principalement dans la pauvreté, le célibat consacré, l'obéissance selon l'Evangile du Christ et l'Institution apostolique, selon la Règle de saint Augustin et les Constitutions de l'Ordre de Prémontré, devant N., prélat de cette Église, et mes frères. |
Nous
ne sommes pas, loin de là, toute l’Église. Mais nous avons reçu d'elle
mission de rappeler ce qui la vérifie comme Église devant Dieu et devant
les hommes : la conversion à l’Évangile et la communion entre frères.
Afin de vivre de jour en jour plus intensément la consécration et la
communion fraternelle propres à la grâce du baptême, nous nous associons
librement à une communauté déterminée. Cette « profession » exprime le
don de nous-mêmes: Par une même impulsion du cœur, nous nous offrons à
Dieu et à cette communauté qui est au service du peuple de Dieu. La
profession ne nous replie pas sur nous-même mais nous entraîne à
chercher le Royaume de Dieu dans les liens de l'amitié avec les autres
chrétiens.
"Je m'offre et me livre à l'Église Notre-Dame de Leffe"
L’Église
Notre-Dame de Leffe n'est-elle pas d'abord, pour nous qui vivons à
Dinant, l’Église diocésaine de Namur avec son évêque, son collège de
prêtres et son peuple? L’Église du Grec Ecclesia, est une assemblée
convoquée par Dieu. C’est un groupe d’où rayonne un ensemble
d’activités, intellectuelles, caritatives, hospitalière qui en font la
vie. Un diocèse est la forme parfaite de l’Ecclesia. Il est en effet une
portion du peuple de Dieu confiée à un évêque, pour qu’avec l’aide de
son presbyterium, il en soit le pasteur ; ainsi, le diocèse, lié à son
pasteur et par lui rassemblé dans le Saint Esprit grâce à l’Evangile et à
l’Eucharistie, constitue une Église particulière en laquelle est
vraiment présente et agissante l’Église du Christ, une, sainte,
catholique et apostolique. L’Église particulière a donc son fondement à
la fois dans l’Eucharistie et dans le ministère épiscopal qui remonte
aux Apôtres.
La formation
Après
un temps de postulat, d’observation, celui qui désire devenir Prémontré
entre au noviciat où il restera deux ans. Il y apprendra à partager la
vie de la communauté et à connaître l’histoire et la tradition
spirituelle de l’Ordre. S’il persévère et s’il est accepté, il fera
alors profession de chasteté pauvreté et obéissance pour une période de
trois ans. Au terme de ces trois ans, il peut s’en aller librement ou
renouveler ses vœux pour un temps, ou, s’il est accepté par le P. abbé
et son conseil, il fera sa profession solennelle ou perpétuelle.
Parallèlement, après son noviciat il commence des études de philosophie
(2 ans) et de théologie (au moins 3 ans). Il pourra recevoir ensuite au
jugement du P. Abbé, les ordinations diaconale et sacerdotale. |
La
formule de profession canoniale nous vient pourtant d’une tradition
très ancienne. Notre consécration à l’Église de Leffe n'exclut pas la
communion avec l’Église de Namur où les autres diocèses dans lesquels
des chanoines de Leffe exercent leur sacerdoce ministériel. Loin de
l'exclure, elle lui donne corps. Certes, il n'y a d’Église que celle de
l'évêque en communion avec tout le collège épiscopal. Mais déjà le
deuxième Concile du Vatican affirme que «L’Église du Christ est vraiment
présente dans tous les légitimes groupements de fidèles, qui, unis à
leurs pasteurs, reçoivent, dans le Nouveau Testament, eux aussi le nom
d'Églises. Elles sont en effet, chacune sur leur territoire, le peuple
nouveau appelé par Dieu dans l'Esprit-Saint et dans une grande
assurance. En elles, les fidèles sont rassemblés par la prédication de
l'Évangile du Christ, le Mystère de la Cène du Seigneur est célébré pour
que par le moyen de la Chair et du Sang du Seigneur, se resserre en un
seul Corps toute fraternité". Chaque fois que la communauté de l'autel
se réalise en dépendance du ministère sacré de l'évêque, se manifeste le
symbole de cette charité et "de cette unité du Corps mystique sans
laquelle le salut n'est pas possible". Dans ces communautés si petites
et pauvres qu'elles puissent être souvent, si dispersées, le Christ est
présent par la vertu de ce qui constitue l'Église, une, sainte,
catholique et apostolique. Car "la participation au Corps et au Sang du
Christ n'a pas d'autre effet que de nous transformer en ce que nous
recevons". » (Concile Vatican II, Constitution dogmatique Lumen Gentium no 26).
Ce qui fait que ces assemblées sont appelées "Églises" et rendent
présentes l’Église de l’évêque, c'est que le mystère du Christ y vit.
C'est à ce titre que la profession du chanoine régulier prend un relief
particulier. Déjà l'évoque la formule si souvent reprise dans les textes
canoniaux, "à l'instar de la primitive. Église", qui nous ramène à la
première. communauté des Actes, née dans la Résurrection du Christ et la
Pentecôte. Et aussi, ces autres formules qu'aime Norbert: "vie
évangélique", "institution évangélique", qui pour lui rappellent le
groupe des douze autour de Jésus durant sa vie publique. En tout cela,
il s'agit bien du Christ rendu présent selon sa promesse par une
communauté qui s'assemble en son Nom : « Quand deux ou trois s’unissent
en mon Nom, je suis au milieu d’eux ».
Mais
plus que la simple référence à une formule, la prière, la vie commune,
le partage des biens, la mission auprès d'un peuple y sont vécus par des
frères qui s’engagent toute une vie durant à donner corps en un endroit
précis, au mystère de l’Église du Christ. Leur charisme est d'ordre
sacramentel : signifier visiblement et réellement l'Église de l'évêque.
On comprend aussi que l'autel et l'église de pierres ne sont pas pour
eux des symboles du passé. Notre Profession peut ainsi constituer une
force de communion potentiellement sans limites. Elle se vérifie chaque
jour dans l'expérience communautaire de frères divers par l'âge, la
culture, le milieu, les options pastorales, qui essaient de construire
entre eux l'unité. « Tout d'abord, puisque vous êtes réunis en
communauté, habitez d'un seul cœur dans la maison, n'ayez qu'un seul
cœur et qu'une âme en Dieu. » (Début de la règle de saint Augustin). La
spiritualité canoniale, c’est donc l’Église vécue. Le chanoine ne
privilégie pas un aspect où une école spirituelle dans l’Église. Il
privilégie l’Église en ce qu’elle est et fait. Dans son être et son agir
l’Église est trinitaire. L’Église vit et existe dans la Trinité depuis
toujours et pour toujours. Sacrement de l’amour trinitaire, l’Église est
un peuple dont tous les membres sont appelés à l’intime communion avec
Dieu qu’on appelle sainteté. Le mot Église a été utilisé depuis le Moyen
Âge pour désigner les monastères de chanoines comme des entités
véritables et vivantes. Le chanoine régulier se définit d’abord par son
appartenance à une église, lieu de vie et de sainteté en commun qui
évolue, dont l’avenir spirituel et matériel reste inconnu mais don la
définition et l’existence reposent sur la qualité d’un don. L’offrande
du frère à sa communauté demande une conversion qui ne consiste pas
d’abord dans la recherche d’un salut personnel mais bien dans le service
d’une Église. C’est en se mettant humblement au service des autres dans
leur cheminement de conversion que le chanoine régulier assure son
propre salut.
Mais ici viendra peut-être la question si souvent entendue de nos jours : Authenticité évangélique et institution ecclésiale sont-elles compatible ? Chacun en son temps, Augustin et Norbert ont cherché une réponse à cette question qui ne renie rien de la volonté totale de conversion à la "Vie apostolique" et de l'appartenance à une Église locale. Norbert interpelle ou même inquiète les prêtres et les évêques de son temps. Il mettra bien du temps à résoudre ce dilemme, après une longue recherche. Converti, il veut mettre toute sa vie sous le signe de l’Evangile. Ordonné prêtre, il tiendra plus que tout à prêcher la conversion à cette Bonne Nouvelle. Il cherche des compagnons qui accepteraient son. genre de vie. Mais qu'est-il au juste, puisqu'il n'est d'aucun diocèse et ne se rattache à aucun des ordres existants? C'est la question que se posent ses contemporains et à laquelle que Norbert ne semble pas pressé de répondre.
Constatant
qu'après trois ans de sacerdoce, ni sa parole, ni son exemple ne
profitaient à ses compatriotes, Norbert décida finalement de quitter son
pays. Il résigna entre les mains de l'archevêque Frédéric tous les
bénéfices et revenus qu'il tenait de lui. Il vendit de même sa maison,
ses propriétés, tous ses droits héréditaires et en distribua le prix aux
pauvres. Il ne se réserva que les ornements sacerdotaux et une petite
somme d'argent évaluée à dix marcs. Puis en compagnie de deux frères, au
Nom du Seigneur, il commença sa vie de pèlerinage.
Il
pourrait sembler, à la lecture des premiers moments de sa vie de
converti, que Norbert refuse tout couvert d'institution au nom d'une
fidélité littérale à l'Écriture. Seule, l'arrivée de compagnons pourra
décider de l'avenir et de son rattachement à une Église ou à un ordre
religieux. Mais déjà il tient très fermes deux caractéristiques de sa
future fondation :
•
La conversion totale à la vie évangélique. Il abandonne tous ses biens
avant son départ. Il veut porter l'habit de pauvreté des religieux. Il
veut être reconnu ainsi. • La volonté de prêcher l’Évangile, qu'il
rattache à son ordination et donc à un évêque : c'est entre les mains
d'un évêque qu'il résigne ses biens. Il emporte avec lui ses vêtements
sacerdotaux. Ce sont là des signes que, même si sa recherche n'a pas
encore abouti, il ne veut pas s'envoyer de lui-même. Norbert finira par
se fixer à Prémontré avec ses premiers compagnons, sans toutefois
renoncer à la prédication hors du monastère. Il commence à percevoir
danger d'une communauté suspendue uniquement à ses lèvres et à son
exemple de vie. C’est pourquoi il les met en garde : Sans organisation,
sans règle, sans les coutumes des anciens pères, il est impossible de
mener intégralement la vie évangélique et apostolique. C'est alors qu'il
va relier sa communauté au grand arbre canonial. Et il le fait par
respect pour la profession canoniale qu'avaient déjà faite tous ses
frères avant de le suivre. Car il voulait vivre la vie apostolique qu'il
avait déjà pratiquée pendant ses prédications et il avait appris que ce
saint, à la suite des apôtres, l'avait organisée et mise en honneur. Le
jour de Noël 1121, à Prémontré, chacun s'enrôla, par la profession de
cette règle, au service de la cité éternelle. Le rattachement des frères
à une Église par la profession canoniale a été pour Norbert le critère
de décision pour fonder un ordre de chanoines réguliers. De même les
liens multiples et durables de Norbert avec les évêques de son temps,
tout cela dit assez à quel point Norbert et ses frères ne conçoivent
leur recherche de Dieu que dans la communion d'une Église et dans son
lien avec l'évêque. Dans nos églises, les prêtres et frères laïcs
forment une unique famille religieuse. S'il y a unité de mission, il y a
aussi diversité de ministères. Dans l'accomplissement de cette mission,
les prêtres et les laïcs, aussi bien ceux qui sont religieux que ceux
qui vivent dans le monde, se complètent mutuellement. De là découle,
dans l’exercice des formes variées de l'apostolat, la nécessité d'une
étroite collaboration entre les frères prêtres de nos églises
canoniales, les autres prêtres et les laïcs sous le regard et la
coordination de l’évêque. Vivant avec l’évêque dans la communion
eucharistique, partageant sa mission au service de l’Evangile, les
prêtres de la communauté de chanoines appartiennent certes au clergé du
diocèse dans lequel ils résident et travaillent. Mais la relation que
l’évêque entretient avec chaque confrère prêtre est médiatisée par la
communauté. Au nom de celle-ci, l’abbé accepte les ministères et les
attribue à tel ou tel. La mission du chanoine n’est donc jamais
individuelle, elle est toujours remplie au nom de la communauté au
service de l’Église et sous la responsabilité pastorale de l’évêque.
Celui-ci n’a toutefois aucun droit à intervenir dans l'ordre interne de
nos communautés. Cette « immunité » qui permet une autonomie de
fonctionnement interne et une relative liberté dans le choix des
missions est appelée exemption. Elle anime notre fidélité au charisme
qui nous est propre, lequel est mis au service des diocèses. L'exemption
est au service de la communion, elle vise à promouvoir notre zèle et à
affermir notre union avec le collège des évêques dans son ensemble. En
participant à notre place à la fonction pastorale de son presbytérium
nous pouvons ainsi nous enraciner dans une Église particulière
déterminée tout en restant fidèles au charisme de notre ordre et en
demeurant attentifs aux besoins de l’Église universelle et de toutes les
Églises particulières qui la composent.
À une époque où – à tort ou à raison – les fidèles choisissent de plus en plus leur communauté de vie chrétienne et de prière, l’image de la paroisse va devoir inévitablement se dégager de la figure territoriale et administrative un peu trop figée qu’elle a prise au cours des siècle. L’avenir est à une structure ecclésiale basée sur des foyers de ferveur spirituelle, rayonnant au-dehors et attirant au-dedans, dans un mouvement de va et vient entre la sainte montagne où resplendit la gloire divine et le monde où elle affleure discrètement. Beaucoup d’hommes et de femmes aujourd’hui cherchent des lieux de silence, de prière, de repos où l’on se sent spirituellement chez soi. N’est ce pas retrouver là retrouver le vrai sens de la paroisse, dont l’étymologie signifie « habitation provisoire et précaire, réservée à l’étranger de passage » ? Le chrétien n’ayant point de patrie ici-bas, la paroisse redeviendrait donc le lieu du « passage », où l’on prend du repos sur la route, mais toujours pour repartir plus loin, vers la terre promise… Une communauté qui ne redistribue pas ce qu’elle reçoit est une communauté qui se meurt. Là aussi le partage des biens – spirituels autant que matériels- est une loi pour le chanoine ! Si la symbiose est réussie entre la communauté et le peuple qui l'entoure, c'est la vie réelle tout entière des uns et des autres, qui devient centrée sur le point focal du culte et de la louange. De là naissent le témoignage de la présence vivante du Christ, et la vie familiale d'une réelle église locale, laboratoire chaleureux et vivant ou se construit la communion.
Cette
communion s’élabore de jour en jour à travers notre participation à la
vie de l'Église et à ses trois fonctions apostoliques: celle d'écouter
et d'annoncer la parole de Dieu (fonction prophétique), celle de
célébrer la liturgie et de consacrer l'ordre temporel (fonction
sacerdotale), celle d'édifier la communauté dans la charité (fonction
royale). Ces trois fonctions qui se complètent mutuellement, nous
incombent au nom du Christ pour la vie du monde. Le Christ, Apôtre de
notre profession de foi, continue à exercer sa mission ou son triple
rôle de Prophète, de Prêtre et de Roi par son Église, à la façon d'un
organe vivant. Ce sont ces trois fonctions qui constituent aussi
l'apostolat de nos églises et qui font naître les hommes à l'unité d'un
seul corps, pour lequel le Christ a donné sa vie.
L'écoute et l’annonce de la parole de Dieu
« Après
avoir, à maintes reprises et sous maintes formes, parlé jadis aux Pères
par les prophètes, Dieu, en ces jours qui sont les derniers, nous a
parlé par le Fils » (Hebr. 1,1 2). Le Christ est présent dans nos
communautés par sa Parole, à laquelle nous nous attachons par la foi, et
qui nous unit plus intimement à lui et à nos frères parce qu’elle est
source vitale de communion : les premiers disciples se montraient
assidus à l’enseignement des apôtres. Par cette parole de la révélation,
Dieu s’adresse aux hommes comme à ses amis ; il s’entretient avec eux
pour les inviter à partager sa propre vie. Aussi l’étude de la Parole ne
consiste pas tant dans un savoir à acquérir que dans une quête
incessante de la sagesse. C'est en écoutant attentivement la parole de
Dieu qui nous parvient dans la liturgie et la lecture méditée (lectio
divina), que nous nous disposons à discerner l'appel de Dieu dans les
événements et les circonstances de la vie, comme aussi dans nos frères,
surtout quand ils sont en difficulté. Loyauté, persévérance, docilité,
recueillement sont autant de conditions propices à cette écoute de la
Parole divine, soit personnellement, soit en commun, soit dans le cadre
d'un échange. C’est pourquoi nos maisons se veulent des lieux où le
silence peut être observé de bonne grâce, des lieux de contemplation,
d'étude assidue et de dialogue fraternel. Chaque chanoine cherche à
allier constamment la contemplation au souci de l'Évangile, afin
transmettre aux autres la parole de Dieu qu’il a contemplée, d’abord par
le témoignage d'une vie authentiquement chrétienne et religieuse mais
aussi bien sûr par la prédication de la conversion, par l'éducation et
la formation chrétienne.
Brasserie
Notre-Dame de Leffe : Une Abbaye de tradition brassicole
1. L'Abbaye de Leffe de 1200 à 1466
Dans le registre no 30
"Dinant-Commune" aux Archives de l’État à Namur, on apprend que le
clerc Gossuin, en 1240 et en présence des échevins de Dinant, vend à
l'abbaye de Leffe divers biens et rentes à Leffe et à Saint-Médart dont
une brasserie. Celle-ci se trouvant à Saint-Médart était donc de l'autre
côté de la Meuse. Mais il ne faut pas oublier qu'en face de l'abbaye se
trouvait une île aujourd'hui disparue. Cette île était reliée aux deux
rives de la Meuse par le "Pont de Leffe" connu depuis le Xe siècle.
Au
Moyen Âge, l’utilité d’une brasserie dans un monastère était avant tout
d’ordre sanitaire. Dans l’impossibilité matérielle de vérifier si l’eau
de source était propre ou non à la consommation, la communauté trouvait
dans la fabrication de la bière un moyen pratique de résoudre un doute
aussi crucial grâce au processus assainissant de la fermentation. On
pouvait par là espérer échapper aux épidémies, de typhus notamment.
Comme les Cisterciens, les Prémontrés n'hésitaient pas à travailler de leurs mains dans les champs ou les fermes. Dès lors, un des Pères de Leffe était chargé de l'administration et du bon fonctionnement de la Brasserie. Bien vite, on transporta le moulin et sa brasserie dans l'enceinte même de l'abbaye.
2. Le pénible redressement : 1466 à 1704
Ruinée
après le passage de Charles le Téméraire, l'abbaye mit longtemps avant
de retrouver sa splendeur d'autrefois. Le désastre de 1466 ayant détruit
les archives, l'abbaye se voyait privée de ses titres de propriétés. De
nombreux seigneurs laïcs s'empressèrent de contester les donations
faites par leurs parents ou leurs ancêtres à l'abbaye. Toute une longue
série de procès s'ensuivit et pour en payer les frais, l'abbaye dut
vendre ou louer une partie de son domaine. Ce fut le cas pour la
brasserie qui fut « accensée » à un laïc. Celui-ci devenait en quelque
sorte le « gérant » de cette activité économique. Il restait néanmoins
toujours sous contrôle du Père-Abbé ou de son représentant.
La
brasserie fournissait la bière nécessaire à la consommation intérieure
de l'abbaye. Un établissement religieux cherchait toujours à vivre en
autarcie, c'est-à-dire à produire lui-même ce dont il a besoin, en
circuit fermé. Pourtant, la réputation de la bière de Leffe grandissant,
le Père Abbé fit parfois quelques exceptions à la règle. Comme en 1640
où il fait envoyer au curé de Loyers, de même qu’à celui de Saint
Georges, trois tonneaux de bière pour leur installation dans leur
nouvelle cure. Un document de 1654, conservé dans les archives de
l'abbaye, nous donne une série d'informations précieuses sur le statut
de la brasserie au sein de l'abbaye. Il s'agit du testament de
« l'honeste homme » Norbert Martin rédigé par le notaire Jean de Frahan
en présence de l'épouse de Norbert, Catherine de Wespin. Nous apprenons
que le brasseur loge avec sa famille dans une maison derrière le grand
moulin et la « brassine » qu'il accense à l'abbaye. La Brasserie
fonctionnait bien puisqu'il lègue à sa mort 3 maisons, divers biens et
plus de 1.500 florins à sa famille ainsi que sa maison neuve. L'Abbaye
louait cette brasserie pour 30 florins et y percevait 250 florins de
taxes. Le procédé de fabrication restait propriété de l’Abbé. Le
brasseur, outre le paiement de ces divers droits et taxes, devait
également offrir, à la Noël, une livre de clous de girofle, vieille
survivance du Moyen Âge où il payait en nature.
3. L'Abbatiat de Perpète Renson : 1704 1743
Sous
le gouvernement de cet abbé bâtisseur, l'abbaye de Leffe connut un
renouveau et une longue période de prospérité. Soucieux de développer la
brasserie, il l’agrandit et rénove, ce qui fait dire en 1729 aux
Dinantais dans leur lettre au Comte de Rougrave, parlant de l'abbaye,
que cette dernière possède « une brassine ample et commodieuse ».Lors de
la consécration de la nouvelle église par l'évêque de Namur et des
grandes fêtes qui l'accompagnent durant 3 jours, la bière de l'abbaye
est unanimement goûtée et appréciée.
En
1735, l'abbaye dut offrir l'hospitalité forcée à un régiment de
Hussards. Ces « visiteurs ». turbulents et peu soucieux du caractère
religieux de l'établissement, firent de grands dégâts au mobilier et aux
bâtiments. La brasserie eut à souffrir de leur passage et les tonneaux
de bière, non engloutis dans les gosiers de ces rustres soldats, furent
brisés ou éventrés. L'Abbé de Leffe, Perpète Renson, protesta avec la
dernière énergie et traîna en procès la ville de Dinant qui lui avait
envoyé ces remuants « pèlerins ».
4. Les derniers jours de l'abbaye
En
1749, le bénédictin Dom Guyton, chargé de visiter et d'inspecter les
abbayes de l'Ordre de Saint-Benoît dans les anciens Pays-Bas
autrichiens, fit une halte à Leffe, pourtant abbaye prémontrée, afin d'y
admirer l'église et d'y goûter sa bonne bière… Aux dernières heures de
l'abbaye, le Père-Abbé n'hésite pas à faire des dépenses importantes
pour la brasserie : réparation de la serrure, achat d'une nouvelle meule
et de matériel, nouveau coup de peinture à la maison du brasseur, etc.
La brasserie était en pleine expansion lorsqu'advint un nouveau danger
qui allait détruire 640 ans d'efforts, de sacrifices et de courage :
l'arrivée des troupes républicaines françaises et la suppression des
abbayes de nos régions.
5.Les jours sombres
À partir de 1796, l'abbaye est officiellement supprimée par la loi républicaine du 15 Fructidor, An IV (1er septembre 1796) et déclarée Bien national. Elle est vendue par lots successifs.
Par
acte notarié du 25 Fructidor An XII (10 septembre 1802), les religieux
de Leffe, dans l'impossibilité de rétablir leur abbaye, se partagent les
biens qu'ils ont rachetés avec les Bons nationaux. La houblonnière et
la brasserie, situées le long du grand jardin, sont attribuées à Joseph
Georges et Alexandre Fissiaux, ex-religieux de Leffe.
Dans son testament du 16 octobre 1812, le dernier Abbé, Gérard, lègue l'abbaye à sa nièce, Angélique Bussy, épouse Tournai. Celle-ci s'empresse de la revendre à Louis de Saint-Hubert, le 16 août 1813, qui lui-même, le 7 novembre 1816 la revend à Auguste des Rousseaux, directeur des verreries de Monthermé en France.
Dans son testament du 16 octobre 1812, le dernier Abbé, Gérard, lègue l'abbaye à sa nièce, Angélique Bussy, épouse Tournai. Celle-ci s'empresse de la revendre à Louis de Saint-Hubert, le 16 août 1813, qui lui-même, le 7 novembre 1816 la revend à Auguste des Rousseaux, directeur des verreries de Monthermé en France.
Dès
lors, l'abbaye va être partagée en plusieurs propriétaires au gré des
ventes et des héritages. L'église sera abattue et plusieurs maisons vont
être construites à son emplacement. L'activité de la brasserie continua
au ralenti jusqu'en 1809 puis fut abandonnée.
6. La nouvelle abbaye : 1929 à nos jours.
En
1929, l'abbaye de Tongerlo est partiellement détruite par le feu. Une
partie de la communauté trouve refuge à l'abbaye de Leffe et lui redonne
vie. Les Pères de Leffe s'efforcent de reconstituer au moins en partie
le domaine de jadis. Ils ne réussissent guère et la situation financière
de l'abbaye demeure précaire.
En
1952, le Père-Abbé Nys rencontre Albert Lootvoet, brasseur à Overijse,
et lui fait part des difficultés financières de l'abbaye. De concert
avec le Père Abbé, Albert Lootvoet décide de faire revivre la tradition
brassicole de l'abbaye de Leffe en respectant les procédés d'autrefois.
Ainsi en 1952, une Leffe Brune est à nouveau brassée et rencontre
immédiatement un vif succès. Alors que les bières de Leffe comptent déjà
leurs 4 variétés avec chacune leur caractère bien précis, d'importants
investissements sont nécessaires à la brasserie Lootvoet pour pouvoir
répondre à la demande croissante des consommateurs. Ainsi en 1977,
Albert Lootvoet reçoit le soutien financier d'une autre brasserie, la
Brasserie Artois. La production passe alors de Overijse à
Mont-Saint-Guibert. En 1987, alors que les Brasseries Artois et
Piedboeuf fusionnent, la Brasserie Interbrew est créée. Brasserie qui
aujourd'hui encore assure, en relation étroite avec les pères de
l'abbaye, la production des bières de l'abbaye de Leffe dans le respect
des traditions établies.
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