Hésychasme
L'hésychasme (du grec ἡσυχασμός, hesychasmos, de ἡσυχία, hesychia, « l'immobilité, le repos, calme, le silence ») est une pratique spirituelle mystique enracinée dans la tradition de l'Église orthodoxe, pratiquée par l'hésychaste (en grec ἡσυχάζω, hesychadzo, « être en paix, garder le silence »).
Comme son nom l'indique, elle vise la paix de l'âme ou le silence en Dieu. Cette tradition trouve son expression dans la Philocalie des Pères neptiques, recueil de traités et de conseils concernant la vie spirituelle et la pratique de la prière.
Doctrine
La recherche de l'hésychia
peut être comprise en plusieurs sens : soit comme une recherche des
conditions extérieures de la tranquillité, soit de l'état intérieur
correspondant.
Ces deux sens ne sont pas séparables. Le premier, le plus littéral, signifie fuir les hommes (selon la Parole donnée à Arsène, lorsqu'il demande les conditions du salut : « fuis les hommes, demeure en silence, tiens-toi en repos »), s’éloigner des tentations mondaines : c’est la voie des moines, lieu par excellence de l'épanouissement de la spiritualité hésychaste. Cependant l’hésychasme n’est pas une spiritualité réservée aux moines : les grands théologiens de l’hésychasme, comme le moine Grégoire Palamas, ont toujours insisté sur l’obligation commune aux laïcs et aux moines de « prier sans cesse ». La vocation de l’homme, sa divinisation, est unique et universelle, c'est-à-dire qu'elle est la même pour tous les êtres humains, quel que soit notre état. La fuite du monde dans un lieu de repos n’est donc pas la fin de la voie hésychaste, elle n’en est que le moyen. Si la fuite du monde est un moyen privilégié, il faut se garder de confondre ce qui n’est qu’un moyen avec la fin véritable de l'hésychasme : le repos de l’âme en Dieu, l’acquisition de la Paix du Christ. « Je vous donne la paix, je vous donne ma paix, non pas comme le monde la donne. » Cette paix s'acquiert par la présence du Saint-Esprit dans le cœur, préparé à une si grande visite par la vigilance intérieure de l'âme envers ses pensées (la nepsis).
La
doctrine hésychaste repose sur une anthropologie et une théologie : la
possibilité pour l'homme d'atteindre l'union avec Dieu, d'être déifié.
C'est là, selon la spiritualité hésychaste, le sens de l'humanité et la
raison de l'Incarnation de Dieu : « Dieu s'est fait homme, pour que
l'homme puisse devenir Dieu » selon une parole d'Athanase d'Alexandrie.
Elle s'appuie par ailleurs sur un enseignement pratique et ascétique, s'enracinant historiquement dans la spiritualité des premiers Pères égyptiens, sur la « garde du cœur » et la « prière ininterrompue ». Cette pratique spirituelle n'est pas séparable de la théologie de la déification des Pères grecs.
Histoire de l'hésychasme
Une spiritualité monachique
L’enracinement
monachique de la spiritualité chrétienne peut sembler paradoxal, quand
on sait que les premières communautés chrétiennes ignoraient le
monachisme (alors que ce mode de vie n’était pas inconnu de la culture
juive de l’époque). Le désert était considéré comme le lieu du diable,
d'où Dieu fit sortir Israël. Si les prophètes s’y aventuraient, c’était
pour l’affronter, faire reculer son territoire. Le désert
qu’affrontaient les chrétiens des premiers siècles, c’était l’hostilité
de ce monde. Quand le christianisme, au IVe siècle,
est accepté, les anachorètes devinrent plus nombreux. Ceux-ci
continuaient la traversée du désert commencée dès les premiers siècles,
contre le risque de l'assoupissement de l'Église dans le monde soudain
accueillant. L’Église adopta la spiritualité des moines, qui en
devinrent l'avant-garde spirituelle.
Les Pères égyptiens
Article détaillé : Pères du désert.
Antoine le Grand
Article détaillé : Antoine le Grand.
Prototype de ceux qui partirent au désert pour y affronter le démon, et sortirent de ce combat illuminé d'une grande paix intérieure et d'une capacité de discernement qui attirèrent autour de lui les âmes en quête du salut, Antoine le Grand est réputé comme étant le premier moine, celui qui inaugura une nouvelle forme de martyre, s'exprimant par l'ascèse intérieure et la confrontation volontaire aux démons. C'est un traité attribué à Antoine le Grand qui ouvre la Philocalie des Pères neptiques.
Selon
le témoignage d'Athanase d'Alexandrie, Antoine découvrit sa vocation en
entendant à l'église la parole du Christ : « Si tu veux être parfait,
va-t-en, vends tout ce que tu as, distribue-le aux pauvres, puis viens
et suis-moi ! » (Évangile selon Matthieu, XIX, 21). Après avoir été
frappé par cette parole, il distribue tous ses biens, et va s'isoler
dans un cimetière, vivant dans un tombeau. Plus tard, il s'isole plus
loin encore dans le désert de l'Égypte.
Macaire l'Égyptien
Article détaillé : Macaire de Scété.
Évagre le Pontique
Article détaillé : Évagre le Pontique.
Évagre
(346-399) fut formé auprès des Cappadociens, Basile de Césarée (qui
l'ordonne lecteur) et Grégoire de Nazianze (qu'il considère comme son
maître) dit le Théologien. Il s'est par ailleurs lié d'amitié avec
Grégoire de Nysse. Son surnom, « le Pontique », est lié à son origine de
la province du Pont en Asie Mineure. après avoir occupé des charges à
Constantinople, il part dans un monastère au Mont des Oliviers. À la
suite d'une maladie, il part ensuite vivre dans le désert en Égypte.
La
psychologie d'Évagre aura une grande influence sur toute la
spiritualité chrétienne. Le combat spirituel est un combat intérieur,
s'exerçant par une vigilance constante à l'égard de nos pensées. Selon
lui, il ne nous appartient pas tant d'avoir de mauvaise pensées, que de
les laisser obscurcir notre esprit et d'y consentir. Évagre distingue
huit pensées fondamentales, qui sont autant de maladies de l'âme, de
déviations de son désir du Bien qui n'est autre que Dieu, et sont donc
autant d'obstacles à la vie spirituelle authentique.
« Huit
sont en tout les pensées qui comprennent toutes les pensées : la
première est celle de la gourmandise, puis vient celle de la
fornication, la troisième est celle de l’avarice, la quatrième celle de
la tristesse, la cinquième celle de la colère, la sixième celle de
l’acédie, la septième celle de la vaine gloire, la huitième celle de
l’orgueil. Que toutes ces pensées troublent l’âme ou ne la troublent
pas, cela ne dépend pas de nous ; mais qu’elles s’attardent ou ne
s’attardent pas, qu’elles déclenchent les passions ou ne les déclenchent
pas, voilà qui dépend de nous. »
Cette
division en huit pensées sera reprise par Jean Cassien (dit le Romain)
et deviendront, transformées, les 7 péchés capitaux. L'homme libéré de
la domination de ces passions atteint un état de quiétude qu'Évagre
qualifie d'apatheia. Les passions, nécessaires au corps, n'ont
pas à être supprimées, mais ne doivent pas nous dominer, ni devenir
excessives. La fleur de l'apatheia, c'est l'amour.
Voici quelques extraits de ses Chapitres sur la prière :
« La prière est un rejeton de la douceur et de l'absence de colère.
La prière est le fruit de la joie et de l'action de grâces.
La prière est l'exclusion de la tristesse et du découragement.
Si tu aspires à prier, renonce à tout pour obtenir le tout.
Celui qui prie en esprit et en vérité ne glorifie plus le Créateur à partir des créatures, mais c'est de Dieu même qu'il loue Dieu.
Si tu aspires à prier, ne fais rien de tout ce qui est incompatible avec la prière, afin que Dieu s'approche et fasse route avec toi.
Ne te figure pas la divinité en toi quand tu pries, ni ne laisse ton intelligence subir l'impression d'aucune forme ; mais va immatériel à l'immatériel, et tu comprendras.
heureux le moine qui tient tous les hommes pour Dieu, après Dieu.
Heureux le moine qui regarde le salut et le progrès de tous comme le sien propre, en toute joie.
Moine est celui qui est séparé de tous et uni à tous.
Est moine celui qui s'estime un avec tous, par l'habitude de se voir lui-même en chacun.
Quand tu seras parvenu dans ta prière au-dessus de toute autre joie, c'est alors qu'en toute vérité, tu auras trouvé la prière. »
La prière est le fruit de la joie et de l'action de grâces.
La prière est l'exclusion de la tristesse et du découragement.
Si tu aspires à prier, renonce à tout pour obtenir le tout.
Celui qui prie en esprit et en vérité ne glorifie plus le Créateur à partir des créatures, mais c'est de Dieu même qu'il loue Dieu.
Si tu aspires à prier, ne fais rien de tout ce qui est incompatible avec la prière, afin que Dieu s'approche et fasse route avec toi.
Ne te figure pas la divinité en toi quand tu pries, ni ne laisse ton intelligence subir l'impression d'aucune forme ; mais va immatériel à l'immatériel, et tu comprendras.
heureux le moine qui tient tous les hommes pour Dieu, après Dieu.
Heureux le moine qui regarde le salut et le progrès de tous comme le sien propre, en toute joie.
Moine est celui qui est séparé de tous et uni à tous.
Est moine celui qui s'estime un avec tous, par l'habitude de se voir lui-même en chacun.
Quand tu seras parvenu dans ta prière au-dessus de toute autre joie, c'est alors qu'en toute vérité, tu auras trouvé la prière. »
Les écrits d'Évagre, traduits en syriaque, eurent sans doute, par ailleurs, une influence décisive sur la spiritualité soufie.
Cassien le Romain : pont entre l'Égypte et l'Occident
Article détaillé : Jean Cassien.
Jean
Cassien est un pont entre l'Orient et l'Occident. Il fut à la fois le
disciple des moines du désert d'Égypte (et particulièrement Évagre) et
de saint Jean Chrysostome. C'est dans ses écrits que nous trouvons l'un
des plus anciens témoignage concernant la prière perpétuelle à partir
d'une phrase courte : il associe l'enseignement des Pères grecs à la
pratique ascétique des pères égyptiens. Opposé à Augustin sur la
doctrine de la prédestination et de la liberté humaine, sa place fut
minorée dans l'Église catholique malgré l'influence décisive qu'il eut
sur des personnalité aussi importante que saint Dominique et même Thomas
d'Aquin. Au sein de l'Église orthodoxe, c'est au contraire saint Jean
Cassien et non Augustin, qui représente la juste foi des Pères : le
salut n'est possible que par la synergie de la volonté humaine et
divine.
Jean
Cassien est né au IVe siècle (vers 360/365) dans l'actuelle Roumanie.
Lors d'un séjour au désert de Scété en Égypte, il y devient le disciple
de l'abbé Paphnuce. Il prend conscience de l'insuffisance de
l'enseignement qu'il avait reçu jusqu'alors dans les monastères. On lui
avait appris à renoncer au monde et quelque enseignement dans la lutte
contre les passions, mais non pas à s'élever jusqu'à l'union intime avec
Dieu.
Cassien
vécut la fin de sa vie à Marseille, en France. C'est de là qu'il va
transmettre à l'Occident l'enseignement pratique et ascétique qu'il
reçut en Égypte.
Sur la liberté
Cassien
défendait l'existence d'une certaine forme de libre arbitre présent
avant l'Incarnation : l'image de Dieu en l'homme était obscurcie mais
non pas détruite.
« On
ne doit pas penser que Dieu ait créé l’homme de telle façon qu’il ne
puisse jamais accomplir, ni même vouloir le bien. Sinon il ne lui aurait
pas concédé le libre arbitre s’il ne lui avait donné que de pouvoir et
vouloir le mal, mais non, de lui-même le bien » (Coll., 13, 12).
Selon Cassien, la grâce ne détruit pas le libre arbitre, mais le soutient :
« Faisons
une comparaison avec l’incomparable bonté de notre créateur, par un
exemple humain. Il ne s’agit pas d’y trouver une égale tendresse, mais
quelque ressemblance avec sa bienveillance. Une mère aimante et
attentive garde longtemps son petit enfant sur les genoux ; elle lui
apprend enfin à marcher ; à la vérité, elle lui permet d’abord de
ramper. Puis, elle le met debout, le soutenant de la main droite pour
qu’il s’exerce à faire des pas successifs. Bientôt, elle le lâche un
peu, le reprenant aussitôt si elle le voit tituber. S’il vacille, elle
le retient ; s’il tombe, elle le redresse, ou l’empêche de s’affaler, ou
encore le laisse doucement tomber pour le relever après sa chute.
Cependant, sa force s’affermit au cours de l’enfance, de l’adolescence,
et de la jeunesse. Elle lui fait alors porter des poids, s’exercer à des
travaux qui ne le fatigueront pas et lui permet de se mesurer à ses
compagnons. Combien plus notre Père céleste distingue-t-il celui qu’il
doit porter dans sa grâce et celui qui, en sa présence, s’exercera à la
vertu par le choix de sa libre volonté ; tout en secourant celui qui
peine, en exerçant celui qui l’invoque, il n’abandonne pas celui qui le
cherche, et parfois le retire du danger, même à son insu » (Coll., 13,
14).
Fidèle
à l'enseignement de saint Jean Chrysostome, Jean Cassien défend la
nécessité d'une synergie entre la volonté de l'homme et de Dieu :
« Dès
que Dieu a perçu en nous le moindre germe de bon vouloir, il verse en
lui sa lumière, l’affermit, nous attirant au salut, faisant grandir
cette semence, soit qu’il l’ait semée lui-même, soit qu’il l’ait vu
pousser par notre effort » (Coll., 13, 8).
Thérapeutique des passions
Cassien
rapporte l'enseignement des Pères égyptiens dans la lutte contre les
passions. Ils ne s'agit pas simplement de les condamner. Les passions
sont des maladies de l'âme. La guérison nécessite leur connaissance et
leur étude, afin d'en acquérir une science médicale. Semblables aux plus
habiles médecins, les pères spirituels ne doivent pas se contenter "de
soigner les maladies déclarées, ils vont au-devant de celles qui
menacent, et savent les prévenir par leurs conseils et leurs remèdes.".
Il
faut pour cela expliquer "les différentes sortes de maladies", "leur
origine et leurs causes", sans quoi "il sera impossible de donner des
remèdes aux malades et de conserver la santé de ceux qui se portent
bien". Les autres sont alors non la cause, mais les révélateurs de nos
maladies, et en tant que tels sont une aide bénéfiques. "La conduite du
prochain ne nous porterait jamais au péché, si nous n’avions dans notre
cœur le principe de toutes les fautes."
Cassien
reprend la classifications en huit mauvaises pensées fondamentales,
engendrant toutes les autres pensées. Ces huit pensées (ou vices)
peuvent être réparties selon les facultés de l'âme. Celles qui
concernent le concupiscible, l'irascible et l'esprit.
« Les
orgies et l’ivrognerie viennent de la gourmandise ; les grossièretés,
les bouffonneries, les moqueries et les sottises, naissent de la
luxure ; l’avarice engendre le mensonge, la tromperie, le vol, les faux
témoignages, la recherche de gains malhonnêtes, les violences, la
dureté, la cupidité ; la colère suscite homicides, clameurs,
indignations ; la tristesse enfante la rancune, l’amertume, la
pusillanimité, le désespoir ; l’acédie fait naître l’oisiveté, la
somnolence, l’importunité, l’agitation inutile, le vagabondage,
l’inconstance, corporelle ou spirituelle, le bavardage, la curiosité ;
la vaine gloire est la mère des querelles, des sectes, de l’arrogance,
du parti pris pour les nouveautés ; quant à l’orgueil, il produit le
mépris, l’envie, l’insoumission, les blasphèmes, les critiques, le
dénigrement. »
- 1) L'esprit de gourmandise
Le
combat spirituel commence donc par le jeûne modéré, en s'efforçant de
convertir son esprit vers des sujets lui faisant oublier les biens
terrestres :
« Nous
ne pourrons jamais repousser les tentations de la gourmandise, si notre
âme ne trouve pas, en s’appliquant à la contemplation divine, une joie plus grande
dans l’amour des vertus et dans la beauté des choses célestes. Celui
qui méprise comme périssables les choses présentes et qui regarde sans
cesse celles qui sont immuables et éternelles, pourra déjà goûter en
lui-même, quoiqu’il soit encore dans une terre fragile, le bonheur qui
l’attend au ciel ».
Ce jeûne est autant corporel que psychique (colère, médisance, envie, etc.).
- 2) L'esprit de luxure
Il
ne s'agit pas seulement de l'acte, mais de l'attitude, de la manière
dont nous regardons les femmes, selon la Parole du Christ lui-même :
« Celui qui regarde une femme avec un mauvais désir, a déjà commis
l’adultère dans son cœur. » (Mt 5, 2). Il s'agit donc de "garder son
cœur".
- 3) L'esprit d'avarice
Au
contraire des autres passions, qui appartiennent en partie à notre
nature, celle-ci n'est pas naturelle. Elle commence par de petits
soucis.
- 4) L'esprit de colère
Il
nous est permis une seule colère : celle que nous dirigeons contre les
mauvaises pensées. Un danger consiste à vouloir échapper à la colère
dans la solitude. Nous attribuons alors la faute de notre colère à nos
frères plutôt qu'à notre impatience. Pour éviter la colère, nous ne
devons pas exiger ni chercher la perfection de notre prochain, mais la
nôtre ; ce n'est pas la patience des autres qu'il nous faut développer
mais notre propre douceur. Il ne faut pas croire qu'il existe des
colères justes envers le prochain, car alors nous prenons le risque de
l'aveuglement : « Il faut que l’athlète du Christ qui veut bien
combattre, déracine en lui la colère. Le remède le plus parfait pour
guérir cette maladie, est de croire d’abord qu’il ne nous est jamais
permis de nous irriter pour des causes justes ou injustes ; car nous
devons savoir que nous perdrons la lumière de la discrétion, la sûreté
du conseil, l’honnêteté même et le sentiment de la justice, dès que
cette passion aveuglera notre cœur. Elle troublera bientôt la pureté de
notre âme qui ne pourra plus être le temple du Saint-Esprit. Il ne nous
sera plus permis de prier, et Dieu ne nous écoutera pas, tant que nous
serons en colère ».
- 5) L'esprit de tristesse
La
tristesse peut avoir une cause connue : "un mouvement de colère, que
nous avons eu, un désir trompé, un profit perdu, le regret de n’avoir
pas obtenu ce que nous avions espéré" ; mais aussi aucune cause
apparente : "Quelquefois, sans aucune cause apparente qui puisse nous
faire tomber dans cet état fâcheux, la malice du démon nous jette tout à
coup dans un tel abattement, que nous ne pouvons plus recevoir avec
notre joie ordinaire les personnes que nous aimons le mieux". C'est une
illusion de croire que fuir les relations nous rendra notre bonheur : ce
n'est pas par la fuite des hommes, mais par la patience que
s'acquiert la perfection du cœur. La patience, une fois acquise, nous
fait conserver la paix même au milieu de ceux qui n'en ont aucune.
Tandis que si l'on fuit, nous ne l'acquerrons jamais, nous serons
capable de nous mettre en colère même envers des gens meilleurs que
nous. Par ailleurs, "les occasions de trouble qui nous feraient fuir les
hommes, ne nous manqueront jamais dans nos rapports avec eux ; mais en
nous en séparant, nous n’éviterons pas les causes de notre tristesse ;
nous en changerons seulement".
Il
existe cependant une bonne tristesse, celle qui accompagne le deuil de
la beauté et du bien perdu lors de notre chute. Cette douleur
s'accompagne toujours de douceur et de bonté.
- 6) L'esprit d'acédie
C'est
"l'ennui, l'engourdissement du cœur". Elle est une forme de dégoût, de
paresse. Dégoût pour le travail, pour sa demeure (lassitude), envers ses
frères... Le moine pris d'acédie se plaint de ne pas arriver à
travailler, mais reporte la faute sur son environnement. Souvent, le
moine pris d'acédie ressent une continuelle fatigue et un fort besoin de
manger. Il ne pense plus qu'à manger. Il est incapable de demeurer sur
une même tâche.
Le travail manuel est l'un des meilleurs remèdes contre l'acédie.
« Saint
Paul, ce grand médecin des âmes, connaissait dès l’origine cette
contagion de l’acédie qui pouvait les atteindre, et l’Esprit Saint lui
révéla sans doute qu’elle ferait des ravages parmi les moines. Aussi se
hâte-t-il de la combattre par les conseils les plus salutaires. En
écrivant aux Thessaloniciens, il commence comme un habile médecin, à
traiter doucement ses malades et à les encourager par de bonnes paroles.
Il les loue d’abord de leur charité, afin de calmer ainsi
l’inflammation du mal et de pouvoir leur appliquer des remèdes plus
énergiques, lorsque l’irritation de l’amour-propre ne sera plus à
craindre. Il cherche à guérir par ses conseils salutaires ses enfants
malades, en leur disant : “Nous avertissons ceux qui vivent (dans
l’oisiveté) et nous les conjurons, par Notre Seigneur Jésus-Christ, de
manger leur pain, en travaillant paisiblement” (2 Th 3, 12). Par ce
précepte du travail, cet admirable médecin des âmes guérit toutes les
plaies que cause l’acédie ; il sait bien que toutes les autres maladies
qui naissent sur cette tige maudite, disparaîtront dès que leur racine
sera détruite ».
Les
moines d'Égypte ne restaient jamais oisifs, mais s'occupaient de gagner
par eux-mêmes leur nourriture. Ils travaillent même plus qu'ils n'en
ont besoin pour leur propre survie, et font don du surplus aux régions
atteintes de la famine ou aux prisonniers.
- 7) L'esprit de vaine gloire
Ce
vice est un des plus difficile à vaincre, car il s'attache aussi bien
aux vertus. Par ailleurs, les occasions de l'éveiller ne manquent pas.
Elle s'arme de l'imagination. L'envie y est attachée, car il s'agit
d'être en concurrence avec son prochain. Pour lutter contre la vaine
gloire, il faut éviter tout ce qui, dans nos rapports avec nos frères,
pourrait nous faire remarquer.
- 8) L'esprit d'orgueil
Contre l'orgueil, qui s'attache aux vertus, il n'est que la crainte de Dieu, la douceur et la simplicité.
La prière continuelle
On trouve chez saint Jean Cassien l'un des premières formulations de ce qu'on appellera la prière monologique.
Cette prière consiste à répéter continuellement une formule courte.
Cette formule, répétée tout le long du jour, permet de garder
continuellement le souvenir de Dieu au milieu de toutes nos occupations.
Si elle semble inconnue de saint Jean Cassien, la tradition hésychaste
privilégiera par la suite comme prière la répétition de la prière dite
"de Jésus" : "Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, fais-nous
miséricorde."
« Tout
moine qui vise au souvenir continuel de Dieu doit s’accoutumer à
murmurer intérieurement et à repasser sans cesse dans son cœur la
formule que je vais vous livrer, et chasser pour cela la multitude des
autres pensées, car il ne pourra s’y tenir que s’il s’affranchit de tous
les soucis et sollicitudes du corps. C’est là une doctrine à laquelle
nous avons été initiés par les rares survivants des plus anciens Pères,
et que nous ne livrons de même qu’à de rares privilégiés, qui aient
vraiment soif de la connaître. »
« Pour
conserver continuellement le souvenir de Dieu, vous devez donc sans
cesse garder présente dans votre esprit cette sainte formule : Mon Dieu, viens à mon aide ; Seigneur : hâte-toi de me secourir
(Psaume 69, 2). Ce n’est pas sans raison que ce verset a été choisi
parmi toute l’Écriture Sainte. Il exprime tous les sentiments que peut
concevoir la nature humaine, il convient parfaitement à tous les états
et à toutes les tentations. On y trouve l’invocation de Dieu contre tous
les dangers, l’humilité d’une humble et pieuse confession, la vigilance
qui procède d’une attention et d’une crainte continuelles, la
considération de notre fragilité, la confiance d’être exaucé,
l’assurance d’un secours toujours présent et prêt à intervenir. Car
celui qui invoque sans cesse son Protecteur est assuré de l’avoir
toujours présent. »
La prière pure
La prière pure est l'activité spirituelle, du mens (l'esprit), et non de l'anima
(l'âme psychique, le siège des sentiments). L'homme qui a atteint la
prière pure n'a plus conscience de prier. Cassien rapporte cette parole
de saint Antoine le Grand : "Il n'a pas atteint la perfection de la
prière, celui qui a conscience qu'il prie." La prière pure exclut tout
concept autant que toute image.
"Non
seulement cette prière n’est habitée par aucune image, mais encore elle
se fait sans le moyens des paroles ou des expressions ; elle s’élance
toute de feu, dans une continuelle vivacité de l’esprit, une tension de
l’âme avec un indicible transport. Emportée en dehors des sens, et de
toute chose visible, elle s’écoule vers Dieu par des soupirs et
d’ineffables gémissements"
"Tel
doit être le but du solitaire ; c’est à quoi doit tendre tout son
effort : mériter de posséder dès cette vie, une image de la future
béatitude, et d’avoir comme un avant-goût, dans son corps mortel, de la
vie et de la gloire du ciel. Tel est, dis-je, le terme de toute la
perfection : que l’âme soit à ce point délestée des pesanteurs
charnelles, qu’elle monte chaque jour vers les sublimes réalités
spirituelles, jusqu’à ce que toute sa vie, tout le mouvement du cœur
deviennent une prière unique et ininterrompue »
Diadoque de Photicé
Article détaillé : Diadoque de Photicé.
Saint
Diadoque de Photicé fut, selon le mot de Meyendorf, "l'un des grands
popularisateurs de la spiritualité du désert dans le monde byzantin".
Évêque de Photicé en Épire, au Ve siècle, il participa au concile de
Chalcédoine en 451. Il y défend l'union de la nature humaine et divine
dans le Christ Jésus. Il s'opposa par ailleurs au messalianisme. Contre
les messaliens, il affirma l'insuffisance de la seule prière dans la
voie de l'union à Dieu et la nécessité de la participation aux saints
sacrements.
Selon
saint Diadoque de Photicé, la grâce nous est déjà donnée par le
baptême, la communion, mais la pratique de la prière nous permet
d'actualiser notre ressemblance avec Dieu, ne l'amener à sa perfection :
« Tous les hommes, nous sommes à l'image de Dieu (Genèse, 1,27). Mais être à la ressemblance
est le propre de ceux-là seuls qui, par beaucoup d'amour, ont asservi à
Dieu leur liberté. Quand, en effet, nous ne sommes pas à nous-mêmes (1
Corinthiens 6:19), alors nous sommes semblables à Celui qui nous a
réconciliés avec Lui (2 Corinthiens 5,18) par amour. »
« Par
le baptême de la nouvelle naissance, la sainte grâce nous accorde deux
biens, dont l'un surpasse infiniment l'autre. Mais le premier, elle nous
le donne tout de suite : car elle nous renouvelle dans l'eau même et
fait briller tous les traits de l'âme, c'est-à-dire l'image de Dieu, en effaçant tous les plis de notre péché. Quant à l'autre, elle attend de le mettre en oeuvre avec nous : c'est la ressemblance. »
« La
grâce cache sa présence chez les baptisés, dans l'attente du propos de
l'âme : quand l'homme tout entier s'est tourné vers le Seigneur, alors,
avec un sentiment indicible, elle manifeste sa présence au cœur... Là
dessus, si l'homme commence à avancer par l'observation des
commandements et invoque sans trêve le Seigneur Jésus, alors le feu de
la grâce divine s'étend même aux sens extérieurs du cœur. »
Diadoque
de Photicé, à la pratique de la prière continuelle dont Jean Cassien
nous donnait l'un des premiers témoignages, associe le Nom de Jésus. Le
souvenir du Nom devient le centre même de cette prière continuelle.
« L’intellect
exige absolument de nous, quand nous fermons toutes ses issues par le
souvenir de Dieu, une œuvre qui doive satisfaire son besoin d’activité.
Il faut donc lui donner le "Seigneur Jésus" comme la seule occupation
qui réponde entièrement à son but. Personne en effet, est-il écrit, ne dit "Jésus est Seigneur", si ce n’est dans l’Esprit-Saint
(1 Co 12, 3). Mais qu’en tout temps il contemple si exclusivement cette
parole dans ses propres trésors qu’il ne se détourne vers aucune
imagination. Tous ceux, en effet, qui méditent sans cesse dans la
profondeur de leur cœur, ce saint et glorieux Nom, ceux-là peuvent aussi
voir enfin la lumière de leur propre intellect. Car, maintenu avec un
soin étroit par la pensée, il consume, dans un sentiment intense, toute
la souillure qui couvre la surface de l’âme ; et en effet, Notre Dieu, est-il dit, est un feu dévorant
(Dt 4, 24). Par suite, désormais, le Seigneur sollicite l’âme à un
grand amour de sa propre gloire. Car lorsqu’il persiste, par la mémoire
intellectuelle, dans la ferveur du cœur : ce Nom glorieux et si
désirable implante en nous l’habitude d’en aimer la bonté sans que rien
désormais ne s’y oppose. C’est là en effet la perle précieuse qu’on peut
acheter en vendant tous ses biens, pour jouir, à sa découverte, d’une
joie ineffable. »
Cette invocation, soutenue par l'aide surnaturelle de la grâce, doit pouvoir se faire même pendant le sommeil :
« Car
elle porte alors cette grâce qui médite avec l'âme et appelle avec elle
"Seigneur Jésus Christ" comme une mère appelle apprendrait à son fils
et répéterait avec lui le nom "Père" jusqu'à ce que, au lieu de tout
autre langage enfantin, elle le rende capable d'appeler clairement son
père, même pendant son sommeil. »
Grégoire de Nysse
Article détaillé : Grégoire de Nysse.
Grégoire
de Nysse interroge le mystère de la paradoxale connaissance de Dieu.
L'homme qui s'approche de Dieu ne peut que ressentir sa transcendance,
mais cette approche même est le signe que le Dieu vivant, dans son
amour, se communique à l'homme. Si l'homme peut connaître Dieu, ce n'est
jamais dans la nature même de Dieu, au-delà de toute saisie, de toute
essence, mais dans les énergies divines par lesquelles la divinité se
communique. Cette distinction entre la nature divine et ses énergies
sera reprise par saint Grégoire Palamas.
« La
plupart des gens croient que le terme de "Divinité" s'applique à
proprement parler à la nature divine... Mais nous, nous suivons les
indications de l'Écriture et nous savons que cette nature est innommable
et indicible ; nous disons que tout nom divin, qu'il soit inventé par
les hommes ou transmis par l'Écriture, ne fait qu'expliquer des concepts
relatifs à la nature, tandis que le sens de la nature elle-même n'est
pas compris par lui... Donc puisque nous concevons les diverses énergies
de la Puissance transcendante, nous tirons les appellation de chacune
des énergies qui nous sont connues... »
Si
Dieu se laisse connaître dans la prière pure, si l'état accompli du
chrétien repose dans l'union intime avec Dieu, cette présence intime de
Dieu dans le Cœur "ne peut jamais être autre chose qu'un acte (energeia)
libre de Dieu qui reste inaccessible dans son essence".
Maxime le Confesseur
Article détaillé : Maxime le Confesseur.
Jean Climaque et l'Échelle sainte
Article détaillé : Jean Climaque.
Syméon le Nouveau Théologien
Article détaillé : Syméon le Nouveau Théologien.
Grégoire Palamas
Article détaillé : Grégoire Palamas.
L’objectif le plus élevé de la voie hésychaste est la connaissance par expérience de Dieu. Au XIVe siècle,
la possibilité de cette expérience de Dieu a été contestée par un moine
calabrais, Barlaam, qui bien que membre de l'Église orthodoxe, était
fortement influencé par la théologie scolastique occidentale. Barlaam
affirmait que notre connaissance de Dieu ne pouvait être que
propositionnelle. La pratique de l’hésychasme a été défendue par Saint
Grégoire Palamas, dont le nom est fêté le deuxième dimanche du Grand
Carême orthodoxe. Il est considéré comme le principal représentant de la
tradition hésychaste.
Barlaam
le Calabrais, évoquant certaines pratiques « psychophysiques », s'était
moqué des hésychastes, en les traitant d'« omphalopsyques » (dont l'âme
est dans le nombril), les accusant de prétendre voir Dieu en
contemplant leur nombril.
Païssy Vélichkovsky
Article détaillé : Païssy Velitchkovsky.
Saint
Païssy Velitchkovsky et ses disciples répandirent l’hésychasme en
Russie et en Roumanie, même si la pratique de la prière de Jésus était
déjà connu en Russie, comme l’atteste la pratique autonome de saint
Seraphim de Sarov.
La tradition hésychaste dans l’Église d’Occident
Si
saint Jean Cassien n'est pas représenté dans la Philocalie des Pères
neptiques à l'exception de deux brefs extraits, cela est probablement dû
au fait qu'il écrivait en latin. Cependant, ses œuvres (Les institutions cénobitiques et les Conférences)
sont la transmission des doctrines ascétiques des moines d'Égypte, et
en particulier d'Évagre à l'Occident. Ces ouvrages ont constitué la base
d'une grande partie de la spiritualité de l'Ordre de saint Benoît et
des ordres qui en ont dérivé. Ainsi, la tradition de saint Jean Cassien
en Occident concernant la pratique spirituelle de l'ermite peut être
considérée comme une tradition parallèle et puisant ses origines dans la
même source que celle de hésychasme pour l'Église orthodoxe.
Par
ailleurs, la théologie catholique enseigne, suivant le saint catholique
Thomas d'Aquin, que la grâce divine est toujours créée et que l'essence
divine est acte pur, ce qui a pour conséquence d'unir les deux
phénomènes en un seul. Ainsi, la distinction entre « essence » et « énergie » en Dieu, exprimée par le saint orthodoxe Grégoire Palamas (dans sa Défense des hésychastes)
n'a jamais été reconnue par l'Église catholique. Cette distinction
permet de rendre compte, selon l'enseignement de l'Église orthodoxe, de
la possibilité pour l'homme de participer aux énergies de Dieu, sans
jamais prétendre accéder à son essence, au-delà de toute chose et
inconnaissable.
Cependant,
et indépendamment de cette distinction - certes essentielle dans la
compréhension de l'Église orthodoxe - la spiritualité hésychaste, du
fait de sa richesse et de son ampleur, s'est fait connaître en dehors
des frontières de l'Église orthodoxe. Elle a pu être appréciée par des
spirituels catholiques, particulièrement si l'on en donne une définition
élargie comme la « recherche de la paix en Dieu ». C'est ainsi qu'un
livre écrit par un frère Carme la comprend comme « voie de la
tranquillité ». En ce sens, peut-il écrire sur son universalité :
« Aussi, très pédagogiquement, le Christ dit à Arsène : « Reste tranquille ! », ce qui en grec se dit « hésuchasé ! »
Cette pratique est à l'origine de l'hésychasme, courant monastique de
solitude qui, en réalité se confond avec les origines mêmes du
monachisme oriental. Ce fondement se retrouve dans toute vie et
recherche authentique de Dieu, en Orient comme en Occident. Il ne peut y
avoir de vie monastique, de vie de solitude ou de vie de relation
authentique à Dieu sans cette ascèse de la disponibilité à son œuvre
créatrice en nous, sans rester tranquille sous sa main puissante. »
L'anthropologie hésychaste
Il s'agit, par un certain mode de vie, de rétablir l'homme tel que Dieu l'a créé avant sa chute, à son image et à sa ressemblance
(Genèse, 1:26). Il faut ajouter que, selon la voie hésychaste, l'homme
peut non seulement rétablir en lui l'image de Dieu, mais devenir comme
"participant de la nature divine" (2 Pierre, 1:4). Selon l'Église
orthodoxe, en effet, l'Incarnation de Dieu dans le Christ avait comme
finalité de permettre à la nature humaine d'être déifiée. La voie
hésychaste n'est pas autre chose que la voie de cette déification, voie
d'union à Dieu. Cependant, cette union est une union d'amour. Il s'agit
d'une voie d'humilité, où l'on demande à Dieu de venir habiter dans
notre corps ("temple du Saint Esprit" selon Saint Paul, 1 corinthiens
6:19). Il ne saurait s'agir d'une technique ou d'une méthode permettant
d'accéder à la divinité par ses propres forces. Il s'agit au contraire
d'apprendre à s'ouvrir à la divinité, afin que ce ne soit plus notre
volonté propre qui travaille en nous, mais la volonté de Dieu.
La théologie hésychaste
La
théologie hésychaste est inséparable d'une ascèse, c'est-à-dire d'une
pratique. Devenir réellement théologien, ce n'est pas lire des livres,
c'est éprouver la vérité de la théologie dans l'expérience de la prière.
C'est ce qu'affirma Évagre, dans ses Chapitres sur la prière :
"Si tu es théologien, tu prieras vraiment, et si tu pries vraiment, tu
es théologien." La théologie n'est donc pas affaire de spécialistes,
d'universitaires, mais l'affaire de tous chrétiens, dont le sens de
l'existence est la connaissance de Dieu, une connaissance non pas
livresque, mais intime, intérieure, dans le cœur.
La Prière hésychaste
En guise d'introduction, nous citons ce propos de Monseigneur Kallistos Ware :
« De
même qu'il y a dans l'homme trois éléments, il y a trois principaux
degrés de prière : la prière vocale ou corporelle, la prière du
l'intellect, la prière du cœur (ou de l'intellect dans le cœur) qui est
la prière spirituelle. (note de l'auteur : la prière est une réalité
vivante, une rencontre personnelle avec le Dieu vivant ; elle ne saurait
donc être enfermée dans les limites d'une analyse rigide. La
classification donnée ici ne vaut donc qu'à titre d'indications
générales. Les lecteurs attentifs verront que les Père ne font pas
toujours usage des termes dans le même sens) »
L'exil volontaire
La
pratique hésychaste consiste à acquérir la paix et le silence
intérieurs et à s'isoler de l'affection des sens physiques. L'isolement
peut être physique : c'est fuir le monde et son agitation. Mais cet
isolement est vain, s'il n'aboutit pas à la capacité intérieure de se
retirer en soi-même. Les hésychastes interprètent l'injonction du Christ
dans l'Évangile de Matthieu : « Allez dans votre réduit pour prier »,
pour signifier qu'il est nécessaire de s'isoler des sens extérieurs et
de se tourner vers l'intérieur.
Saint
Jean Climaque prônait l'exil volontaire (troisième degré de l'Echelle
sainte) comme une condition de la vie spirituelle : "l'exil volontaire,
c'est l'abandon sans retour de tout ce qui, dans notre patrie, nous
empêche d'atteindre le but de la piété". "La retraite du monde, c'est
une haine volontaire et un reniement de la nature, en vue de parvenir à
ce qui est au-dessus de la nature."
La prière de Jésus et la prière du Cœur
Voir l'article : Prière de Jésus
Une
forme de prière spécifique caractérise l'oraison hésychaste : cette
forme consiste en l'invocation répétée du nom de Jésus au rythme de la
respiration. Cette forme est appelée "prière de Jésus" car il s'agit de
faire « descendre Jésus » dans le cœur, réceptacle du Saint-Esprit.
Cette forme est privilégiée, car elle permet de rester en prière en
permanence, tout le long du jour, au milieu des occupations du monde.
Elle permet à la fois une présence continuelle à la prière et le
souvenir perpétuel de Dieu. Cependant l'hésychasme ne peut être réduit à
une méthode de prière. Il faut par ailleurs remarquer que la prière
vocale n'est que la prémisse de la prière véritable, celle de l'union à
Dieu, au-delà de toute parole. C'est cette dernière prière que
l'orthodoxie nomme prière du cœur.
Dans
la solitude et retiré du monde, l’hésychaste répète la prière de Jésus:
"Seigneur Jésus-Christ, fils de Dieu, fais-moi miséricorde, à moi
pécheur." Il est important de signaler que jamais l'hésychaste ne traite
la prière de Jésus comme une formule magique, une chaîne de syllabes
dont la signification serait secondaire ou peu importante. L’hésychaste
doit s'efforcer de réciter la prière de Jésus en portant la plus grande
attention à son sens, l'animant d'une intention réelle.
La
tradition hésychaste insiste sur l'importance de la vigilance et de
l’attention. L’hésychaste doit s’efforcer à une extrême attention à la
fois à la conscience de son monde intérieur et à l'expression de la
prière de Jésus, sans laisser son esprit vagabonder. Tout en maintenant
sa pratique de la Prière de Jésus, qui devient comme naturelle et
perpétuelle, récitée vingt-quatre heures par jour, l’hésychaste doit
cultiver l'ascèse intérieure qu'est la sobre vigilance (nepsis) à
l'égard de ses pensées.
La
prière de Jésus a été rapproché, par plusieurs historiens des
religions, de certaines pratiques du souffle orientales comme le mantra hindou ou le Zhikr soufi. Nous parlons plus longuement, plus bas dans cet article, du rapprochement de l'hésychasme à ces prières orientales.
La
prière hésychaste est une tradition chrétienne de prière où la
participation du corps est importante. Saint Jean du Sinaï a écrit :
«L'hésychaste est celui qui aspire à circonscrire l'incorporel dans une
demeure corporelle, — suprême paradoxe."
La méthode hésychaste et les pratiques de méditation orientales
La
pratique hésychaste peut, à première vue, être comparée - en raison de
l'attention accordée aux postures du corps, au rythme de la respiration,
à l'invocation perpetuelle - à la prière ou la méditation mystique des
religions orientales (bouddhisme, hindouisme, jaïnisme, et en
particulier avec le yoga) ou le soufisme. Cette ressemblance doit
cependant être nuancée, d'autant plus qu'elle est parfois rejetée par
ceux qui s’inscrivent dans la tradition mystique et orthodoxe de
l’hésychasme. En effet, les postures corporelles et la maîtrise de la
respiration sont considérées toutes deux comme secondaires par les
héritiers modernes de la tradition hésychaste au mont Athos (cf. Starets
Ephraim de Katounakia, édition grecque, p.114) et par les plus anciens
textes de la Philocalie (par exemple Sur les Deux méthodes de Prière de saint Grégoire du Sinaï),
insistant sur le rôle primordial de la Grâce de Dieu qui précède et
amène à leur plein accomplissement nos efforts. En aucun cas,
l'hésychasme ne saurait être considéré comme une « méthode » permettant
d'arriver à la déification par nos propres moyens.
Si
les postures corporelles et la maîtrise de la respiration sont
considérées comme secondaires, elles n'en ont pas moins leur importance.
Saint Grégoire Palamas fit ainsi la défense de l'utilité de l'existence
d'une telle méthode :
« Vois-tu,
Frère, comment Jean Climaque a montré que ce n'est pas seulement d'une
manière spirituelle, mais aussi d'une manière humaine, qu'il est
possible d'éprouver combien ceux qui choisissent d'être vraiment à
eux-mêmes et de porter dans l'homme intérieur le nom de moine, doivent
tout à fait envoyer et maintenir l'intelligence (noûs) au-dedans du
cœur ? Ainsi enseigner au novice à voir en eux-mêmes, et envoyer
au-dedans, par l'inspiration, leur propre intelligence, n'est nullement
déplacé. »
« Un
homme de bon sens ne saurait, en effet, empêcher l'intelligence qui ne
se contemple pas encore, de se recueillir elle-même par certains
procédés. Ceux qui viennent d’entreprendre cette lutte voient
continuellement leur esprit s’enfuir : à peine rassemblé ; il leur faut
donc le ramener à eux tout aussi continuellement ; dans leur
inexpérience, ils ne se rendent pas compte que rien au monde n’est plus
difficile à contempler et plus mobile que l’esprit. C’est pourquoi
certains leur recommandent de contrôler le va-et-vient du souffle et de
le retenir un peu, afin de retenir aussi l’esprit en veillant sur la
respiration jusqu’à ce qu’avec l’aide de Dieu ils aient progressé
jusqu’à ce qu’ils aient interdit leur esprit à tout ce qui l’entoure et
l’aient purifié, et qu’ils puissent le ramener véritablement à un
recueillement unifié. Et l’on peut constater que c’est là un effet
spontané de l’attention de l’esprit, car le va-et-vient du souffle
devient paisible lors de toute réflexion intense, surtout chez ceux qui
se trouvent, de corps et d’esprit, dans le repos... »
« Celui
qui cherche à faire revenir son esprit en lui-même afin de le pousser
non pas au mouvement en ligne droite (vers l’extérieur), mais au
mouvement circulaire et infaillible (du retour sur lui-même), au lieu de
promener son œil de-ci de-là, comment ne tirerait-il pas grand profit à
le fixer sur sa poitrine ou sur son nombril comme sur un point
d’appui ? Car non seulement il se ramassera ainsi extérieurement sur
lui-même, autant qu’il lui sera possible, conformément au mouvement
intérieur qu’il recherche pour son esprit, mais encore, en donnant une
telle posture à son corps, il enverra vers l’intérieur du cœur la
puissance de l’esprit qui s’écoule par la vue vers l’extérieur. »
La
pratique hésychaste, telle qu'elle est enracinée dans la tradition
orthodoxe, est par ailleurs pleinement intégrée à la vie liturgique et
sacramentelle de l'Église orthodoxe, comme le cycle quotidien de la
prière de l'Office divin et de la Divine Liturgie. Le détachement dans
l'ascèse de la prière à l'égard toute vie ecclésiale fut d'ailleurs
condamné, sous le nom de messalianisme, par des représentants importants
de la tradition hésychaste comme saint Diadoque de Photicé (nous
renvoyons à ce sujet à la partie historique de cet article). Si
l’hésychaste limite ses activités extérieures afin de préserver sa
prière, les prières liturgiques ne sont pas considérées comme des
activités extérieures, mais au contraire comme un soutien à la prière
intérieure. Il est ainsi toujours supposé, dans les textes hésychastes,
que celui-ci est un membre de l'Église orthodoxe, et qu'il en respecte
les prescriptions.
La nepsis ou l’attention intérieure comme ascèse
Les hésychastes aiment à citer ce précepte du Deutéronome
(15,19) : "Prête attention à toi-même !". Ils y voient l'injonction de
conserver une vigilance permanente, avec cette autre phrase du Cantique des cantiques : "Je dors, mais mon cœur veille".
Être
libéré des passions n'est possible que par la connaissance de leur
procédés. Cette connaissance consiste en une véritable médecine
spirituelle. Cependant cette thérapeutique est impossible sans la
vigilance de l'ascète à l'égard de ses propres pensées. C'est ainsi que
décrit saint Jean Climaque décrit la tâche de l'hésychaste :
« Le
chat surveille la souris et l'hésychaste guette la souris spirituelle.
Ne traite pas cet exemple de futile ; ou alors, c'est que tu n'as pas
encore connu l'hésychia. »
Puis, il décrit ainsi la pratique hésychaste :
« Installe-toi
sur une hauteur et surveille-toi toi-même, si toutefois tu sais le
faire ; tu verras alors comment les voleurs entrent pour dérober tes
grappes de raison, quand il le font, d'où ils viennent, combien et de
quelles sortes ils sont. Quand le veilleur est fatigué, il se lève pour
prier, puis il se rassied et reprend courageusement son premier
travail. »
Ce
passage montre l'importance, pour Saint Jean Climaque et à sa suite,
pour l'hésychasme, d'une ascèse spirituelle, d'une vigilance (en grec, nepsis)
permanente à l'égard de nos pensées (les mauvaises pensées,
s'introduisant dans notre esprit étant les «voleurs»). La plupart des
textes de la Philocalie traitent de cette vigilance et de l'analyse de
ces pensées dont il faut apprendre à distinguer l'origine. Cette analyse
« psychologique » (dans le sens d'une science de l'âme) doit beaucoup à
la description par Évagre le Pontique, dans ses œuvres, des huit
passions fondamentales.
La thérapeutique des passions
Il
ne s'agit pas seulement de condamner les passions comme autant de
péchés, mais de s'en guérir. Cette médecine de l'âme n'est possible que
par l'étude des causes et des formes que prennent les vices. La liste
des huit passions fondamentales établie par Évagre et reprise par saint
Jean Cassien, si elle est la source de la liste des 7 péchés capitaux,
s'en distingue pourtant radicalement dans l'esprit : il ne s'agit pas
dresser une liste des péchés les plus graves dans lesquels sont
susceptibles de tomber les hommes, mais de révéler les maladies
fondamentales de l'âme dont toutes les autres dérivent. Ces huit vices
fondamentaux ne sont donc pas les cas extrêmes des péchés (comment
imaginer la gourmandise comme péché extrême, mortel ?), mais au
contraire le fondement de tous les autres péchés, les racines même de
cette maladie de l'âme qu'est le péché. Pécher en effet, ce n'est pas
autre chose que dévier de son vrai but le désir (le terme grec traduit
par péché et qu'utilisait saint Paul, hamartia, signifie : "manquer la cible").
La
victoire sur le péché n'est possible que par une conversion intérieure à
une autre richesse, comme l'exprime saint Jean Cassien :
« Nous
ne pourrons jamais repousser les tentations de la gourmandise, si notre
âme ne trouve pas, en s’appliquant à la contemplation divine, une joie plus grande
dans l’amour des vertus et dans la beauté des choses célestes. Celui
qui méprise comme périssables les choses présentes et qui regarde sans
cesse celles qui sont immuables et éternelles, pourra déjà goûter en
lui-même, quoiqu’il soit encore dans une terre fragile, le bonheur qui
l’attend au ciel. »
Les
passions ne sont pas nécessairement mauvaises : elles ont souvent leur
place et leur utilité au sein de cette vie terrestre. C'est bien plutôt
qu'il ne faut pas être dominé par elles et les rétablir dans leur usage
auquel elles étaient destinées.
C'est
ainsi que la colère ne doit pas s'exercer contre son prochain, mais il
existe un juste usage de la colère : l'hésychaste se doit également
d'user d’une colère extrêmement dirigée et contrôlée contre les pensées
de tentation. Il en est de même de la tristesse, comme le souligne saint
Grégoire de Nysse comme saint Jean Cassien ou encore saint Paul : il
existe une bonne et une mauvaise tristesse. L'une est "la tristesse du
monde, qui produit la mort" (saint Paul, 2 Cor 7:10), l'autre est une
"tristesse selon Dieu" (saint Paul, 2 Cor 7:10). C'est ainsi que
s'exprime saint Grégoire de Nysse :
« Car
de même que le plaisir est tantôt bestial et irrationnel, tantôt pur et
immatériel, de même l’opposé du plaisir se divise en vice et en vertu.
Il existe donc aussi une forme de deuil que l’on peut considérer comme
heureux (cf. Mat. 5,4) et qu’il ne faut pas rejeter si l’on veut
acquérir (cf. 1 Tim. 4,4) la vertu; c’est le contraire de cet abattement
qui est irrationnel et servile. (...) Car on est vraiment en deuil
lorsque l’on perçoit ces biens que l’on a perdus par sa chute, et que
l’on compare cette vie périssable et souillée à cette béatitude intacte
dont on jouissait librement avant que l’on fasse de la liberté mauvais
usage, en voyant que plus le deuil pèse pour une vie telle que celle-ci,
plus vite on acquiert les biens que l’on désire. De fait, la perception
de la perte de la beauté suscite un zèle ardent pour les biens
désirés. »
« Puisqu’il
existe aussi un deuil salutaire, ainsi que notre discours l’a offert en
exemple, comprenez donc, vous qui êtes facilement portés à la passion
de la tristesse, que nous ne condamnons pas la tristesse, mais que nous
vous conseillons celle qui est bonne, plutôt que celle que nous blâmons.
Ne vous attristez donc pas de “la tristesse du monde, qui produit la
mort” (2 Cor. 7,10), comme le dit l’Apôtre, mais de “la tristesse selon
Dieu” (2 Cor. 7,10), dont la fin est le salut de l’âme[46]. Car les
larmes versées au hasard et en vain sur les morts peuvent même entraîner
la condamnation de [68] celui qui gère mal ce qui est utile. De fait,
si “Celui qui a fait l’univers avec sagesse” (Ps. 103,24) a fixé dans
notre nature cette disposition à la tristesse, afin qu’elle nous purifie
du péché qui nous dominait auparavant et soit un viatique qui permette
d’avoir part aux biens espérés, peut-être celui qui pleure en vain et
inutilement sera-t-il accusé par son propre Maître comme, dans
l’Évangile (cf. Luc 16,1sq), le mauvais intendant qui a dilapidé
inutilement la richesse qui lui avait été confiée; car tout ce qui est
utilisé en vue du bien est une richesse qui est comptée parmi les plus
précieux des trésors. »
La garde du Cœur
L’hésychaste s'efforce, selon le conseil des Pères, de faire descendre son esprit (ou intelligence, en grec noûs)
dans son cœur. Si cette descente de l'esprit dans le cœur a pu être
comprise d'une façon littérale et non métaphorique, comme se rapportant
au cœur physique, ce qui est véritablement recherché, c'est le « lieu du
cœur » comme lieu le plus intérieur de la personne, où s'unifie le
corps et l'esprit. L'objectif, à ce stade, est de continuer la pratique
de la prière de Jésus avec l'esprit dans le cœur, en ayant une pratique
libre d'images et d'affections extérieures (voir Pros Theodoulon). Ce
qui signifie que par l'exercice de la sobriété (l'ascèse mentale contre
les pensées de tentation), l’hésychaste arrive à une pratique
incessante, continuelle, de la prière de Jésus avec son esprit et dans
son cœur, où sa conscience n'est plus occupée par l’apparition spontanée
d’images : son esprit a une certaine immobilité et comme vide, ponctué
seulement par la répétition incessante de la prière de Jésus.
Cette
étape est appelée la garde du cœur. Il s'agit d'un stade très avancé de
la pratique ascétique et spirituelle, et tenter d'y accéder
prématurément, surtout avec des techniques psychophysiques, peut
provoquer de très graves dangers spirituels et émotionnels. Saint
Théophane le Reclus a déjà fait remarquer que la respiration et les
postures corporelles techniques ont été pratiquement interdit dans sa
jeunesse, puisqu'au lieu d'avoir l'Esprit de Dieu, les gens n'ont réussi
seulement qu'« à ruiner leurs poumons ».
La
garde de l'âme est l'objectif concret de l’hésychaste. Elle est un
effort permanent jusqu’aux derniers instants. C’est dans la garde de
l'esprit qu'il est porté à la contemplation par la grâce de Dieu.
L'expérience de Dieu
Les hésychastes expérimentent généralement la contemplation de Dieu comme Lumière (la Lumière incréée
dont parle saint Grégoire Palamas ou encore saint Syméon le Nouveau
Théologien). Quand l'hésychaste, par la miséricorde de Dieu, vit une
telle expérience, il n'y demeure pas pendant une durée très longue (sauf
de rares exceptions, comme par exemple dans la Vie de saint Savas le Fou en Christ, écrite par saint Philotheos Kokkinos au XIVe siècle), mais il retourne dans l'état où il doit continuer d'exercer la garde du cœur.
La
tradition orthodoxe met en garde contre toute recherche de l'extase
comme fin en soi. L’hésychasme est une tradition complexe de pratiques
ascétique ancrées dans la doctrine et la pratique de l'Église orthodoxe
et destinés à purifier les membres de l'Église orthodoxe et à les
préparer à rencontrer Dieu quand, et si Dieu le veut, et par la grâce de
Dieu. Le but est d'acquérir, par le biais de la purification et de la
Grâce, l' Esprit Saint et le salut. Tous états extatiques ou
autres phénomènes inhabituels qui peuvent se produire dans le courant de
la pratique hésychaste sont à l’égard de cette fin considérés comme
secondaires et sans importance, voire dangereux. Bien plus, la recherche
d'expériences « spirituelles » inhabituelles peut en elle-même causer
beaucoup de tort, au détriment de l'âme et de l'esprit du chercheur. Une
telle recherche d'expériences « spirituelles » peut conduire à
l'illusion spirituelle (en russe prelest, en grec plans),
- l'antonyme de la sobriété - dans laquelle une personne se croit déjà
sainte, a des hallucinations et « voit » des Anges, le Christ, etc. Cet
état d'illusion spirituelle est, d’une manière superficielle et égoïste,
agréable, mais peut conduire à la folie et au suicide, et, d'après les
pères hésychastes, rend impossible le salut véritable.
« Le
Nom du Verbe incarné s'attache aux fonctions essentielles de l'être :
il est présent dans le "cœur", il est lié au souffle. Il faut remarquer
cependant que les grands spirituels orientaux de la "prière
ininterrompue" sont unanimes à mettre en garde contre toute confusion de
ce "souvenir de Jésus" et les effets que pourraient produire dans l'âme
du chrétien la simple imagination. Jamais ce "souvenir" ne devient une
"méditation" sur tel ou tel épisode de la vie du Christ, jamais le
novice n'est appelé à se figurer une image extérieure à lui-même : c'est
la présence de Jésus à l'intérieur de son être, à laquelle la vie
sacramentelle donne une réalité pleine et existentielle, indépendante de
l'imagination, que les moine est appelé à prendre en conscience. La
vision lumineuse dont il pourra alors bénéficier ne sera donc ni un
symbole, ni un effet de l'imagination, mais une théophanie aussi
véritable que celle du Mont Thabor, puisqu'elle manifestera le même
corps déifié du Christ. »
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