Miracle Eucharistique Calanda 1640
Miguel Juan Pellicer reçoit le baptême le 25 mars 1617.
Il est le deuxième des huit enfants de modestes agriculteurs qui mènent une vie vertueuse.
L’instruction de l’enfant se réduit au catéchisme.
Cette
formation religieuse élémentaire enracine en lui une foi catholique
simple et solide, fondée sur la réception régulière des Sacrements et
sur une ardente et filiale dévotion à la Vierge Marie, vénérée à
Saragosse sous l’appellation de «Nuestra Señora del Pilar» (Notre-Dame
du Pilier), Patronne de l’Espagne.
Vers
l’âge de dix-neuf ou vingt ans, Miguel s’installe comme ouvrier
agricole, au service d’un oncle maternel, dans la province de Valence.
À
la fin de juillet 1637, alors qu’il conduit vers la ferme deux mulets
traînant une charrette chargée de blé, il tombe de l’attelage et une des
roues de la charrette passe sur sa jambe, au-dessous du genou,
provoquant la fracture du tibia.
L’oncle
Jaime transporte sans retard le blessé à la petite ville voisine, puis à
une soixantaine de kilomètres de là, à Valence, où il arrive le 3 août.
Miguel y reste cinq jours, au cours desquels lui sont appliqués divers remèdes qui restent sans effet.
Il retourne alors à Saragosse où il parvient dans les premiers jours d’octobre 1637.
Épuisé et fiévreux, il est admis au Real Hospital de Gracia.
Là,
il est examiné par Juan de Estanga, professeur à l’université de
Saragosse, chef du service de chirurgie, et par deux maîtres
chirurgiens, Diego Millaruelo et Miguel Beltran.
Ces
praticiens, ayant constaté la gangrène avancée de la jambe concluent
que le seul moyen de sauver la vie du malade est l’amputation.
Lorsqu’ils
témoigneront devant les juges, ces médecins décriront la jambe comme
«très phlegmoneuse et gangrenée», au point de paraître «noire».
Vers
la mi-octobre, Estanga et Millaruelo procèdent à l’opération: ils
coupent la jambe droite «quatre doigts au-dessous du genou». Bien
qu’assoupi par la boisson alcoolisée et narcotique en usage à l’époque,
le patient ressent des douleurs atroces: «Dans son tourment, diront les
témoins, le jeune homme invoquait sans cesse et avec beaucoup de ferveur
la Vierge du Pilier». Un étudiant en chirurgie, du nom de Juan Lorenzo
García est chargé de recueillir la jambe coupée et de l’enterrer
dignement dans la partie du cimetière de l’hôpital réservée à cet usage.
À cette époque de foi, le respect envers le corps destiné à
ressusciter, imposait que même les restes anatomiques fussent traités
avec piété. García attestera plus tard avoir enterré le morceau de
jambe, horizontalement, «dans un trou profond d’un empan», soit vingt et
un centimètres selon la mesure aragonaise.
Après
quelques mois de séjour à l’hôpital, avant même que sa plaie ne soit
parfaitement cicatrisée, Miguel se rend au sanctuaire «du Pilier», à
environ un kilomètre, et remercie la Vierge «de lui avoir sauvé la vie,
afin qu’il pût continuer à la servir et à lui manifester sa dévotion» ;
puis il la prie instamment de lui obtenir de «pouvoir vivre de son
travail».
Au printemps 1638, l’administration de l’hôpital lui fournit une jambe de bois et une béquille.
Pour
survivre, le jeune homme n’a d’autre solution que de se faire
«pordiosero», c’est-à-dire mendiant autorisé par le Chapitre des
chanoines du sanctuaire «du Pilier».
Saragosse compte alors vingt-cinq mille habitants : la plupart vont «saluer la Vierge» chaque jour.
L’attention de ces innombrables visiteurs est attirée par le visage souffrant de ce jeune estropié qui sollicite leur charité.
Miguel assiste chaque jour à la Sainte Messe dans le sanctuaire ; à la
fin de celle-ci, il enduit son moignon avec l’huile des lampes qui
brûlent en permanence devant la statue de Notre-Dame du Pilier.
Le
professeur Estanga a beau lui expliquer que ces onctions auront pour
effet de retarder la cicatrisation de sa plaie, Miguel continue son
geste de dévotion: cet acte de foi dans la puissance de la Vierge prime,
pour lui, sur les règles sanitaires.
Au début de 1640, Miguel rentre dans son pays natal.
Il
arrive à Calanda, monté sur un petit âne, au mois de mars. Son voyage
d’environ 120 kilomètres l’a épuisé ; mais l’affectueux accueil de ses
parents lui redonne des forces.
Miguel va avoir 23 ans.
Ne
pouvant aider les siens par son travail, il se remet à demander
l’aumône. Nombreux seront ceux qui témoigneront avoir vu le jeune mutilé
dans les villages des alentours de Calanda, monté sur un petit âne, sa
jambe coupée en évidence, pour interpeller la charité des habitants.
Le
29 mars 1640, on fête, cette année-là, le 1600e anniversaire de la
«venue en chair mortelle» de la Vierge Marie sur les bords de l’Èbre,
selon la persuasion des gens de la région.
C’est là l’origine de la vénération séculaire des Espagnols envers la Vierge du Pilier.
À
la même époque, paraît à Louvain (en Flandre alors espagnole)
«l’Augustinus», livre de l’évêque Cornelius Jansen, qui donnera son nom
au Jansénisme, doctrine tristement célèbre qui rejette comme indignes de
la foi pure, la dévotion mariale, la piété populaire, les pèlerinages,
les processions, l’attention des gens simples aux miracles…
Ce jeudi 29 mars, Miguel s’efforce d’aider les siens en remplissant de fumier les hottes dont est chargé le petit âne.
Il le fait neuf fois de suite, malgré sa difficulté à se tenir sur sa jambe de bois.
Le soir venu, il rentre à la maison, fatigué, son moignon plus endolori que d’habitude.
Cette nuit-là, les Pellicer doivent héberger, par ordre du gouverneur,
un des soldats de la Cavalerie royale qui marche vers la frontière pour
repousser les troupes françaises : Miguel est contraint de lui laisser
son lit et il couche sur un matelas à même le sol, dans la chambre de
ses parents.
Il s’y allonge, vers dix heures. Ayant enlevé sa jambe de bois, il
étend sur lui un simple manteau, trop court pour couvrir tout le corps,
car il a prêté sa couverture au soldat, puis il s’endort…
Entre dix heures et demie et onze heures, la mère de Miguel entre dans la chambre, une lampe à huile à la main.
Elle sent aussitôt «un parfum, une odeur suave».
Intriguée, elle lève sa lampe : du manteau qui couvre son fils
profondément endormi, dépassent non pas un, mais deux pieds, «l’un sur
l’autre, croisés».
Saisie de stupeur, elle va chercher son mari ; celui-ci soulève le
manteau : pas de doute, ce sont bien deux pieds, chacun au bout d’une
jambe !
Non sans peine, ils parviennent à réveiller leur fils.
Prenant
peu à peu conscience de ce qui s’est passé, Miguel en est émerveillé ;
la première parole qui lui vient sur les lèvres est pour demander à son
père de «lui donner la main, et de lui pardonner les offenses qu’il a pu
lui faire».
Cette
réaction spontanée et immédiate d’humilité, chez celui qui est le
bénéficiaire d’un prodige, est un signe très fort de l’origine divine de
celui-ci.
Lorsqu’on
lui demande, avec émotion, s’il a «quelque idée de la manière dont cela
est arrivé», le jeune homme répond qu’il n’en sait rien, mais que
lorsqu’on l’a tiré de son sommeil, «il était en train de rêver qu’il se
trouvait dans la Sainte Chapelle de Notre-Dame du Pilier et qu’il
oignait sa jambe coupée avec l’huile d’une lampe, comme il avait coutume
de le faire».
Il tient aussitôt pour certain que c’est Notre-Dame du Pilier qui lui a rapporté et remis en place sa jambe coupée.
Devant
le notaire, le lundi suivant, les parents affirment à leur tour qu’ils
«estiment et tiennent pour la vérité que la Très Sainte Vierge du Pilier
a prié son Fils, notre Rédempteur, et a obtenu de Dieu ce miracle, en
raison des prières de Miguel, ou parce que telles étaient Ses voies
mystérieuses».
Ces
Chrétiens voient clairement que ce n’est pas la Vierge qui «fait» les
miracles, mais que, par sa supplication, elle les obtient de la Sainte
Trinité.
Aussi
aimée et vénérée soit-elle, la Vierge n’est pas considérée comme une
déesse païenne, mais comme une intermédiaire entre nous et son Fils,
selon le rôle maternel que Celui-ci lui a lui-même imparti en disant à
saint Jean: Fils, voilà ta Mère (Jn 19, 27).
Revenu de sa première émotion, le jeune homme commence à mouvoir et à palper sa jambe.
À
l’observation, on découvre sur celle-ci des marques d’authenticité : la
première est la cicatrice laissée par la roue de la charrette qui a
fracturé le tibia ; il y a aussi la trace de l’excision d’un gros kyste,
lorsque Miguel était encore petit ; deux griffures profondes laissées
par une plante épineuse ; enfin, les traces de la morsure d’un chien sur
le mollet.
Miguel
et ses parents ont donc la certitude que «la Vierge du Pilier a obtenu
de Dieu Notre Seigneur la jambe qui avait été enterrée plus de deux ans
auparavant».
Ils le déclareront sous la foi du serment et sans hésitation, devant les juges de Saragosse.
Une
gazette de l’époque, «l’Aviso Histórico», écrit en date du 4 juin 1640,
veille de l’ouverture du procès, que, malgré les recherches faites dans
le cimetière de l’Hôpital de Saragosse, la jambe enterrée n’a pas été
retrouvée : le trou qui la contenait était vide !
Dès
l’aube du 30 mars, vendredi de la Passion, fête de Notre-Dame des Sept
Douleurs, l’incroyable nouvelle se répand dans tout le bourg.
Don
Juseppe Herrero, vicaire de la paroisse, arrive chez les Pellicer,
suivi du «justicia», qui cumule les fonctions de juge de paix et de
responsable de l’ordre public, du maire et de son adjoint, du notaire
royal et des deux médecins de Calanda.
Une procession se forme pour accompagner le jeune miraculé à l’église paroissiale, où le reste des habitants l’attend.
Tous,
disent les documents, sont abasourdis en le voyant de nouveau avec sa
jambe droite, alors qu’ils l’avaient vu avec une seule jambe jusqu’à la
veille au soir.
Le miraculé se confesse, et reçoit la sainte Communion au cours de la Messe d’action de grâces célébrée par le vicaire.
Pourtant,
la jambe n’a pas, au début, un bel aspect : couleur violacée, doigts de
pied recourbés, muscles atrophiés et surtout, longueur inférieure à
celle de la jambe gauche de quelques centimètres.
Il faut trois jours pour que la jambe reprenne son aspect normal, avec sa souplesse et sa force.
Ces
circonstances, soigneusement observées et étudiées lors du procès,
confirment qu’il ne s’agit pas d’un numéro d’illusionnisme ; elles
prouvent que la jambe restituée est bien la même que celle qui avait été
enterrée deux ans et cinq mois auparavant, à plus de 100 km de
distance…
Au
mois de juin suivant, les témoins affirment devant les juges de
Saragosse que Miguel «peut appuyer son talon par terre, bouger ses
orteils, courir sans difficulté».
On
constate en outre que, depuis fin mars, le membre récupéré s’est
«allongé de presque trois doigts», et qu’il est à présent aussi long que
l’autre.
Une
seule marque ne disparaît pas : la cicatrice qui forme un cercle rouge à
l’endroit où le segment de jambe s’est réuni à l’autre. C’est comme une
marque indélébile du prodige.
«Il
faudrait donc qu’un miracle fût constaté par un certain nombre de
personnes sensées qui n’eussent aucun intérêt dans la chose, affirmait
Voltaire.
Et
il faudrait que leurs témoignages fussent enregistrés en bonne et due
forme : en effet, si nous avons besoin de tant de formalités pour des
actes tels que l’achat d’une maison, un contrat de mariage, un
testament, combien n’en faudrait-il pas pour vérifier des choses
naturellement impossibles ?» (Article «Miracle» de son Dictionnaire
philosophique).
Or, cent vingt ans auparavant, un tel acte a précisément été dressé à Calanda.
Le
lundi 1er avril 1640, quatrième jour après le prodige, le curé et un
vicaire de Mazaleón, bourg éloigné de 50 km, se déplacent avec le
notaire royal de l’endroit pour vérifier la réalité des faits et en
dressent un acte officiel.
À la fin du même mois d’avril, la famille Pellicer décide d’aller remercier la Vierge du Pilier.
À Saragosse, la municipalité demande que s’ouvre un procès, pour que toute la lumière soit faite sur l’événement.
Le
5 juin, soit deux mois et une semaine après l’événement, le procès
canonique est officiellement ouvert. Il est public et non à huis clos.
Plus de cent personnes de conditions sociales diverses y prennent part.
Contre
la fiabilité de ce procès, aucune voix discordante ne s’est jamais
élevée. Le 27 avril 1641, l’archevêque rend solennellement sa sentence.
Il déclare «admirable et miraculeuse» la restitution de la jambe
droite, précédemment amputée, dont a bénéficié Miguel Juan Pellicer,
natif de Calanda.
Le
miracle de Calanda, impensable et pourtant parfaitement attesté, est de
nature à conforter notre foi dans l’existence d’un monde invisible,
celui de Dieu et de son Royaume éternel, auquel nous sommes appelés à
participer en tant qu’enfants adoptifs.
Là
est la réalité suprême et éternelle, à laquelle nous devons rapporter
toutes les autres, comme un homme prudent ordonne les moyens à la fin.
Les
miracles nous révèlent surtout le Cœur aimant et miséricordieux de Dieu
pour l’homme, particulièrement pour l’homme qui souffre, qui est dans
le besoin, qui implore la guérison, le pardon et la pitié.
Ils
contribuent à nous établir dans une espérance indéfectible en la
miséricorde de Dieu et nous incitent à dire souvent : «Jésus, j’ai
confiance en Vous !»
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