Geneviève de Brabant
Geneviève de Brabant
Du
temps de Hildolf, archevêque de Trêves, vivait dans cette ville le
comte palatin Siegfried, avec Geneviève son épouse, fille du duc de
Brabant, belle et vertueuse femme.
Or,
il arriva qu'une expédition contre les infidèles dut avoir lieu, et que
Siegfried fut obligé de partir pour la guerre ; alors il recommanda à
Geneviève de vivre paisible et retirée dans son château de Simmern,
situé dans le Mayenfeld ; il chargea aussi un de ses serviteurs nommé
Golo, en qui il avait une grande confiance, de surveiller
particulièrement la conduite de son épouse.
Mais la nuit qui précéda son départ, Geneviève, dans les embrassements de son époux, avait conçu un fils.
Source photo : http://fr.wikisource.org/wiki/Genevi%C3%A8ve_de_Brabant
Peu
de temps après que Siegfried fut parti, Golo se sentit enflammé d'un
amour coupable pour la belle Geneviève ; ne pouvant plus le tenir caché,
il le déclara à la comtesse palatine, mais elle le repoussa avec
horreur.
Alors
Golo fabriqua de fausses lettres qui disaient que Siegfried avait été
englouti dans la mer avec toute sa suite, et il les lut à la comtesse.
« Maintenant, lui dît-il, tout le royaume m'appartient, et vous pouvez m'aimer sans crime. »
Mais
lorsqu'il voulut l'embrasser, elle lui donna sur la face un grand coup
de son poing fermé, et il vit bien qu'il ne pouvait réussir.
Alors,
il changea de tactique, enleva à la noble femme tous ses serviteurs et
servantes, de sorte que dans sa grossesse elle fut dans le plus grand
embarras.
Quand
le terme fut venu, Geneviève mit au monde un fils d'une grande beauté ;
et personne, à l'exception d'une vieille blanchisseuse, ne fut là pour
l'assister ou la consoler.
Enfin, elle apprit que le comte palatin vivait et allait être bientôt de retour.
« Où est maintenant Siegfried ? demanda-t-elle au messager.
— A Strasbourg, répondit-il. »
Puis il alla trouver Golo pour lui porter la même nouvelle.
Golo eut une vive frayeur, et se regarda comme perdu.
Une
vieille sorcière eut avec lui un entretien et lui demanda pourquoi il
s'inquiétait tant de si peu de chose : la comtesse est accouchée à une
époque où personne ne peut dire si ce n'est point le cuisinier ou tout
autre qui est le père de l'enfant ; tu n'as qu'à dire au comte palatin
qu'elle a eu commerce avec le cuisinier ; il la fera tuer, et tu seras
tranquille. »
Golo dit : « Le conseil est bon. »
Puis il alla en toute hâte au-devant de son maître et lui débita cette calomnie.
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Siegfried frissonna, et dans sa douleur soupira profondément.
Alors Golo lui dit : Maître, il ne convient pas que tu la gardes plus longtemps pour femme.
— Que dois-je faire ? dit le comte.
— Je veux, répondit le perfide, la conduire à la nier avec son enfant, et la noyer.
Siegfried ayant consenti, Golo prit Geneviève et l'enfant et les donna aux domestiques pour les tuer.
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Les domestiques les conduisirent dans la forêt ; là, un d'entre eux se mit à dire : « Qu'ont fait ces innocents ? »
Et il s'établit à ce propos un échange de paroles ; pas un ne trouva la
moindre chose à dire contre la comtesse, et n'imaginait la raison pour
laquelle il fallait la tuer.
« II vaut mieux, dirent-ils, que nous les laissions ici déchirer par
les bêtes féroces que de souiller nos mains de leur sang. »
Ils laissèrent donc Geneviève seule dans la forêt sauvage et s'en allèrent.
Mais,
comme ils devaient rapporter à Golo une preuve qu'ils avaient exécuté
ses ordres, l'un d'eux conseilla de couper la langue au chien qui les
avait suivis.
Lorsqu'ils furent devant Golo, celui-ci leur dit : « Où les avez-vous laisses ?
— Ils sont tués, répondirent-ils.»
Et ils montrèrent la langue de Geneviève.
Cependant
Geneviève pleurait et priait dans la forêt déserte ; son enfant n'avait
pas encore trente jours et elle n'avait plus dans ses mamelles de lait
pour l'allaiter.
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Comme
elle invoquait l'assistance de la Sainte-Vierge, tout à coup une biche
s'élança à travers le bois et se coucha auprès de l'enfant ; Geneviève
mit le pis de la biche dans la bouche du petit enfant qui le téta.
Elle demeura en ce lieu six ans et trois mois, se nourrissant elle-même
d'herbes et de racine qu'elle trouvait dans la forêt ; ils habitaient
sous une hutte faite de branchages, que la pauvre femme avait assemblés
du mieux qu'elle avait pu.
Au
bout de ce laps de temps, il arriva que le comte Palatin donna une
grande chasse justement dans cette forêt ; et, comme les chasseurs
lançaient les chiens, ils aperçurent devant eux la même biche qui
nourrissait l'enfant de son lait.
Les
chasseurs la poursuivirent ; et, comme enfin elle n'avait pas d'autre
issue, elle s'enfuit vers le gîte où elle avait coutume de se rendre
chaque jour et se jeta, comme d'habitude, au pied de l'enfant.
Les chiens pénétrèrent jusqu'à elle, mais la mère prit un bâton et les écarta.
Dans
ce même moment, arriva le comte Palatin qui, voyant le prodige, ordonna
de rappeler les chiens et ensuite demanda à la femme si elle était
chrétienne.
Elle répondit : « Je suis chrétienne, mais je suis toute nue ; prête-moi ton manteau que je couvre ma nudité. »
Siegfried lui jeta son manteau, et elle s'en couvrit.
«Femme, lui dit-il, pourquoi ne t'es-tu pas procuré de la nourriture et des vêtements ? »
Elle
répondit : « Je n'ai pas de pain, je mange les herbes que je trouve
dans la forêt ; le temps a usé mes vêtements, et ils sont tombés en
lambeaux.
— Combien y a-t-il d'années que tu es venue ici ?
— J'habite ici depuis six ans et trois lunes.
— A qui appartient cet enfant ?
— C'est mon fils.
— Quel est le père de cet enfant ?
— Dieu le sait.
— Comment es-tu venue ici, et comment t'appelles-tu ?
— Mon nom est Geneviève. »
Quand le comte entendit ce nom, il pensa à son épouse, et un des
officiers de la chambre s'avançant, s'écria : « Pardieu ! je crois voir
notre maîtresse qui est morte depuis longtemps et qui avait une marque
au visage. »
Alors tout le monde regarda et vit qu'elle portait encore la marque.
« A -t-elle aussi encore l'anneau nuptial ? » demanda Siegfried.
Deux des chasseurs s'approchèrent et virent qu'elle portait encore l'anneau.
Aussitôt
le comte la prit dans ses bras, la couvrit de baisers, prit l'enfant en
pleurant, et dit : « C'est mon épouse ! c'est mon fils. »
Alors
la bonne Geneviève raconta à la lettre à ceux qui étaient présents, ce
qui lui était arrivé, et tous versèrent des larmes de joie.
En ce moment, arriva aussi le perfide Golo ; tous voulaient se précipiter sur lui et le tuer.
Mais le comte cria : « Saisissez-le, jusqu'à ce que nous ayons examiné quelle mort il mérite. »
On
obéit ; et ensuite Siegfried ordonna de prendre quatre bœufs qui
n'eussent point encore traîné la charrue, et d'atteler un de ces quatre
bœufs à chacun des quatre membres de l'infâme, deux aux pieds, deux aux
mains, et puis de les laisser aller.
Lorsqu'ils
eurent été attelés de cette façon, chacun des bœufs s'en alla avec son
membre, et le corps de Golo fut déchiré en quatre pièces.
Le
comte voulut alors conduire sa femme bien-aimée avec son jeune fils au
logis, mais Geneviève lui dit : « C'est en ce lieu que la sainte Vierge
m'a préservée des bêtes féroces et qu'elle a conservé mon enfant par le
moyen d'une biche ; ce lieu, je ne veux pas le quitter qu'il ne lui ait
été consacré.
Aussitôt
le comte envoya chercher Hildolf, à qui il raconta tout : l'évêque s'en
réjouit et consacra le lieu à la Sainte Vierge.
Après
la consécration, Siegfried emmena son épouse et son fils, et donna, un
repas solennel ; elle le pria de faire bâtir là une église ; ce qu'il
lui accorda.
La
comtesse Palatine ne put jamais digérer les aliments ordinaires ; et
elle se fit chercher, dans la forêt, les herbes qui étaient devenues sa
nourriture habituelle.
Mais elle ne vécut que peu de jours encore, et elle retourna comme une bienheureuse vers le Seigneur.
Siegfried
fit déposer sa dépouille mortelle dans l'église qu'il avait promis de
bâtir dans la forêt ; cette chapelle reçut le nom de Frauenkirche
(église de la Vierge) ; elle est située près de Meyen, plusieurs
miracles y ont été opérés.
Source : Livre "Les veillées allemandes: chroniques, contes" par Friedrich Melchior Grimm,L'Héritier
En savoir plus :
Livre : "Manuel des voyageurs sur le Rhin, tr. par l'abbé Henry" par Aloys Wilhelm Schreiber
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