Notre-Dame de Chartres
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Le voile de la Vierge
CHAPITRE TROISIÈME.
Du vêtement de la très-sainte Vierge, vulgairement appelé SAINTE CHEMISE.
L'intérêt si puissant qui s'attache à cette précieuse relique, sous le double point de vue de la science et de la religion, m'engage à m'étendre longuement : je serai toujours fidèle et exact.
Je traiterai, dans cinq paragraphes, les points suivants :
1° des divers vêtements de la sainte Vierge en général ;
2° des vêtements de la sainte Vierge à Constantinople ;
3° des vêtements de la sainte Vierge existant en Occident ;
4° du vêtement de la sainte Vierge dans le trésor de la cathédrale de Chartres ;
5° de l'histoire de ce dernier vêtement jusqu'à nos jours.
1. Des vêtements de la sainte Vierge en général.
Une fidèle tradition nous apprend que la Mère de Dieu, au moment de sa mort, fit donner ses vêtements à deux pauvres veuves, ses voisines.
« Au reste, dit Nicéphore Calliste, historien trop décrié depuis deux siècles, toutes les femmes renommées de la ville de Jérusalem qui luy apartenoient ou par familiarité et amitié, ou par affinité de race et alliance, la vindrent veoir. » En la présence d'icelles, la saincte Vierge ordonna et enjoignit au disciple Vierge et autres du logis, de donner ses deux habillements à deux vefves ses voisines, qui entre toutes lui avoient porté plus d'amitié et révérence. »
Du vêtement de la très-sainte Vierge, vulgairement appelé SAINTE CHEMISE.
L'intérêt si puissant qui s'attache à cette précieuse relique, sous le double point de vue de la science et de la religion, m'engage à m'étendre longuement : je serai toujours fidèle et exact.
Je traiterai, dans cinq paragraphes, les points suivants :
1° des divers vêtements de la sainte Vierge en général ;
2° des vêtements de la sainte Vierge à Constantinople ;
3° des vêtements de la sainte Vierge existant en Occident ;
4° du vêtement de la sainte Vierge dans le trésor de la cathédrale de Chartres ;
5° de l'histoire de ce dernier vêtement jusqu'à nos jours.
1. Des vêtements de la sainte Vierge en général.
Une fidèle tradition nous apprend que la Mère de Dieu, au moment de sa mort, fit donner ses vêtements à deux pauvres veuves, ses voisines.
« Au reste, dit Nicéphore Calliste, historien trop décrié depuis deux siècles, toutes les femmes renommées de la ville de Jérusalem qui luy apartenoient ou par familiarité et amitié, ou par affinité de race et alliance, la vindrent veoir. » En la présence d'icelles, la saincte Vierge ordonna et enjoignit au disciple Vierge et autres du logis, de donner ses deux habillements à deux vefves ses voisines, qui entre toutes lui avoient porté plus d'amitié et révérence. »
Quels
étaient ces vêtements légués par la très sainte Vierge ? il n'est pas
difficile de le deviner ; c'étaient les vêtements ordinaires des femmes
juives de son temps. Or, d'après la sainte Ecriture et l'archéologie
biblique, le costume des femmes se composait d'une tunique, d'une robe,
d'une ceinture, d'un manteau et d'un voile.
Quelques mots d'explication sur chacun d'eux.
La tunique appelée kathoneth en hébreu, se portait sur la peau et remplaçait notre chemise. Elle était le plus souvent faite d'une étoffe de lin ou de coton. Elle avait les manches longues et larges et descendait jusqu'à mi-jambe ou même jusqu'aux pieds ; ordinairement elle était sans couture et d'un seul tissu avec les manches. Telle est la tunique de N.-S.-J.-C. conservée à Trêves. La tunique, tunica , fut souvent appelée par les Pères latins camisia. De là le nom de sancta camisia donné au vêtement de Chartres, parce que l'on croyait posséder une tunique de la sainte Vierge.
Quelques mots d'explication sur chacun d'eux.
La tunique appelée kathoneth en hébreu, se portait sur la peau et remplaçait notre chemise. Elle était le plus souvent faite d'une étoffe de lin ou de coton. Elle avait les manches longues et larges et descendait jusqu'à mi-jambe ou même jusqu'aux pieds ; ordinairement elle était sans couture et d'un seul tissu avec les manches. Telle est la tunique de N.-S.-J.-C. conservée à Trêves. La tunique, tunica , fut souvent appelée par les Pères latins camisia. De là le nom de sancta camisia donné au vêtement de Chartres, parce que l'on croyait posséder une tunique de la sainte Vierge.
La
robe ou mehil se mettait au-dessus de la tunique ; elle était sans
manches et descendait jusqu'aux talons ou au moins au-dessous du genou.
Ce double vêtement était retenu autour des reins par une ceinture de lin ou de laine ; elle était ornée de broderies d'or et de franges pour les femmes de qualité.
Le manteau que les Hébreux nommaient scimla, n'était qu'un grand morceau d'étoffe carré ou oblong sans coupe, presque toujours de couleur blanche. Il s'ajustait autour du corps de diverses manières. Les burnous ou manteaux que portent encore les Kabyles et les Arabes rappellent parfaitement le scimla des Juifs, si l'on en ôte la cape. Le supparum des Latins ressemblait aussi beaucoup au manteau juif.
Le voile était l'ornement obligé des femmes juives, quand elles sortaient : c'est encore l'usage de l'Orient. Le voile était le plus souvent confectionné avec une sorte de gaze légère, qui chez les riches était brodée en or ou en soie. Les dimensions n'en étaient pas grandes ; il servait seulement à couvrir le visage.
Ce double vêtement était retenu autour des reins par une ceinture de lin ou de laine ; elle était ornée de broderies d'or et de franges pour les femmes de qualité.
Le manteau que les Hébreux nommaient scimla, n'était qu'un grand morceau d'étoffe carré ou oblong sans coupe, presque toujours de couleur blanche. Il s'ajustait autour du corps de diverses manières. Les burnous ou manteaux que portent encore les Kabyles et les Arabes rappellent parfaitement le scimla des Juifs, si l'on en ôte la cape. Le supparum des Latins ressemblait aussi beaucoup au manteau juif.
Le voile était l'ornement obligé des femmes juives, quand elles sortaient : c'est encore l'usage de l'Orient. Le voile était le plus souvent confectionné avec une sorte de gaze légère, qui chez les riches était brodée en or ou en soie. Les dimensions n'en étaient pas grandes ; il servait seulement à couvrir le visage.
On
le voit, l'héritage de la sainte Mère de Dieu se composait
très-probablement de deux tuniques, de deux robes, de deux ceintures, de
deux manteaux et de deux voiles. Il est naturel de croire que tous ces
précieux vêtements ont été conservés avec un soin religieux par les
premiers fidèles.
On
peut encore regarder comme vêtements de la très-sainte Vierge, les
bandelettes et les suaires, confectionnés sans doute avec les plus
riches étoffes, selon la coutume des Juifs. Marie en s'élevant au ciel a
laissé ses vêtements funèbres dans son tombeau pour servir à la
consolation des fidèles ; et ils y restèrent jusqu'au 3e siècle, comme
nous le dirons plus loin.
Voila
certes bien des vêtements que Marie a laissés sur la terre ; et voilà
ce qui explique leur présence dans un si grand nombre d'églises de
l'Orient et de l'Occident.
2. Des vêtements de Marie à Constantinople.
Le
premier vêtement de la très-sainte Vierge que vit Constantinople, fut
apporté en 326 par l'impératrice sainte Hélène ; elle l'avait trouvé en
Palestine après de longues recherches. C'était un voile.
Au
commencement du 5° siècle, l'empereur Arcade s'estime heureux de
posséder une ceinture de la très-sainte Vierge ; il fit enchâsser
magnifiquement cette précieuse relique. Saint Germain , patriarche de
Constantinople, a un éloquent discours sur l'adoration de cette
ceinture.
Vers
450, d'autres vêtements, saintes reliques de l'auguste Mère de Dieu,
furent encore apportés dans la nouvelle Rome. Saint Germain, patriarche
de Constantinople, va nous apprendre en quelles circonstances : «
L'emperière Pulchérie, espouse
de l'empereur Martian , auquel Léon I succéda, entre autres églises
qu'elle fit bâtir dans cette métropole du Levant, elle en fit construire
une en l'honneur de la bienheureuse Vierge au palais de Blachernes ; et
Juvénal, patriarche de Jérusalem, et autres évesques de Palestine étant
venus à Constantinople, elle dit à ce patriarche qu'elle avoit apprins
que le corps de la très-sainte Vierge avoit esté inhumé en Gethsémani
près de Jérusalem, qu'elle vouloit qu'il fût apporté à Constantinople
pour en être la garde et la tutèle. Juvénal lui aiant remontré qu'il se
trouvoit par les histoires anciennes que le sépulere de cette Mère de
Dieu aiant été ouvert, on n'y avoit point trouvé son corps, qu'on croit
avoir été transporté dans la gloire, et qu'il n'y avoit dedans que ses
vêtements qui y étoient demeurés avec le drap ou linceul dans lequel
elle avoit été ensevelie ; lesquelles choses elle commanda lui être
apportées et les fit honorablement poser dans cette nouvelle église. »
Nicéphore parle comme saint Germain :
«
Le sacré temple de la Mère de Dieu appelé Blachernes fut édifié par
cette bonne dame Pulchérie ; elle y fit garder avec grande révérence le
suaire et les linges des funérailles de la Mère de Verbe divin » Une
fête fut instituée pour conserver le souvenir de cette translation ;
elle se célébrait le 26 janvier.
Plus tard on apporta encore à Constantinople une tunique de Marie trouvée à Jérusalem chez une religieuse vierge.
Enfin l'an 473 vit encore arriver à Constantinople un vêtement de la sainte Vierge. Nous demandons au pieux lecteur la permission de lui mettre sous les yeux le chapitre où Nicéphore raconte comment le vénérable vestement de la très saincte Mère de Dieu fut apporté de Jérusalem et remis en l'église ronde bastie par l'empereur Léon.
« Sous l'empire de Léon, la robe vénérable de la saincte et immaculée Vierge fut apportée à Constantinople en telle manière : C'est que la saincte Mère de Dieu allant de vie à trespas, la délaissa à une femme non mariée, on qui pour lors étoit vcfve, de la nation des Juifs, et demeura entière et sans corruption jusques à ce temps dont nous parlons, et fit beaucoup de miracles. Mais ainsi que Candide et Galbe, frères germains, promus de la dignité des Patriccs, cstoyent en pèlerinage à Jérusalem, y visitoyent diligemment tous les saincts lieux, et les baisoyent en grande révérence, mesme par les pays de Galilée, ils y trouvèrent ce thrésor contregarde soigneusement chez une Juifve, et advisèrent aux moyens de l'en transporter. Ce qu'ils firent ; car ayant visité toutes les singularités de la ville de Jérusalem, salué et fait leur dévotion à chaque lieu sainct, voulant partir de la Palestine, ils firent tailler une châsse ou quesse de mesme longueur et largeur que celle où estoit ressérée cette divine robe de la Mère de Dieu, et par quelque ruse et finesse la mirent toute vuide en son lieu, estant couverte et accoustrée du parement accoutumé et prindrent l'autre avec la sainte robe, de laquelle estant chargez retournèrent diligemment à Constantinople avec délibération de poser et cacher ce précieux thrésor es faulxbourgs, en un temple nommé Blachernes. Mais certainement ils entreprindrent chose qu'ils ne pouvoyent exécuter ; car mesme ils furent contraints outre leur gré et volonté, de la porter à l'empereur. Pour laquelle il fut tant joyeux que l'on pourrait croire, et la fit colloquer avec grande révérence en la chapelle ronde qu'il fit bastir, en laquelle elle est à présent gardée entière, comme quelque rempart perpétuel et fort inexpugnable pour la tuition de la ville , et donne guérison à maladies diverses, et par les miracles qui s'y font, surmonte nature et la force du temps. Ainsi Pulchérie, notable dame et princesse, fit bastir le grand temple de Blachernes en l'honneur de la Mère de Dieu, auquel elle fit poser les bandelettes et linges de la sépulture ; et Léon-le-grand en fit construire un autre auquel il consacra et dédia honorablement la robe de la même Vierge. »
— Cette robe de la sainte Vierge se trouvait encore à Constantinople, lorsque Nicéphore écrivait son Histoire ecclésiastique, l'an 1333. Elle ne fut donc pas donnée à Charlemagne, comme l'avancent niaisement Rouillard et Sablon.
Enfin l'an 473 vit encore arriver à Constantinople un vêtement de la sainte Vierge. Nous demandons au pieux lecteur la permission de lui mettre sous les yeux le chapitre où Nicéphore raconte comment le vénérable vestement de la très saincte Mère de Dieu fut apporté de Jérusalem et remis en l'église ronde bastie par l'empereur Léon.
« Sous l'empire de Léon, la robe vénérable de la saincte et immaculée Vierge fut apportée à Constantinople en telle manière : C'est que la saincte Mère de Dieu allant de vie à trespas, la délaissa à une femme non mariée, on qui pour lors étoit vcfve, de la nation des Juifs, et demeura entière et sans corruption jusques à ce temps dont nous parlons, et fit beaucoup de miracles. Mais ainsi que Candide et Galbe, frères germains, promus de la dignité des Patriccs, cstoyent en pèlerinage à Jérusalem, y visitoyent diligemment tous les saincts lieux, et les baisoyent en grande révérence, mesme par les pays de Galilée, ils y trouvèrent ce thrésor contregarde soigneusement chez une Juifve, et advisèrent aux moyens de l'en transporter. Ce qu'ils firent ; car ayant visité toutes les singularités de la ville de Jérusalem, salué et fait leur dévotion à chaque lieu sainct, voulant partir de la Palestine, ils firent tailler une châsse ou quesse de mesme longueur et largeur que celle où estoit ressérée cette divine robe de la Mère de Dieu, et par quelque ruse et finesse la mirent toute vuide en son lieu, estant couverte et accoustrée du parement accoutumé et prindrent l'autre avec la sainte robe, de laquelle estant chargez retournèrent diligemment à Constantinople avec délibération de poser et cacher ce précieux thrésor es faulxbourgs, en un temple nommé Blachernes. Mais certainement ils entreprindrent chose qu'ils ne pouvoyent exécuter ; car mesme ils furent contraints outre leur gré et volonté, de la porter à l'empereur. Pour laquelle il fut tant joyeux que l'on pourrait croire, et la fit colloquer avec grande révérence en la chapelle ronde qu'il fit bastir, en laquelle elle est à présent gardée entière, comme quelque rempart perpétuel et fort inexpugnable pour la tuition de la ville , et donne guérison à maladies diverses, et par les miracles qui s'y font, surmonte nature et la force du temps. Ainsi Pulchérie, notable dame et princesse, fit bastir le grand temple de Blachernes en l'honneur de la Mère de Dieu, auquel elle fit poser les bandelettes et linges de la sépulture ; et Léon-le-grand en fit construire un autre auquel il consacra et dédia honorablement la robe de la même Vierge. »
— Cette robe de la sainte Vierge se trouvait encore à Constantinople, lorsque Nicéphore écrivait son Histoire ecclésiastique, l'an 1333. Elle ne fut donc pas donnée à Charlemagne, comme l'avancent niaisement Rouillard et Sablon.
Ainsi
dès la fin du Ve siècle, une partie des saints vêtements de Marie se
trouvèrent transportés à Constantinople, la ville des Reliques, comme
l'appellent des chroniqueurs du moyen âge, et qui elle-même s'estimait
la première ville de l'univers à cause des reliques insignes qu'elle
avait rassemblées dans ses riches sanctuaires. Les autres vêtements
restèrent dans la Palestine. Nous verrons dans le paragraphe suivant
comment quelques-uns de ces précieux gages vinrent en Occident.
3. Des vêtements de la sainte Vierge en Occident.
Le Voile de Marie que sainte Hélène avait eu le bonheur de rencontrer en Palestine, ne demeura pas longtemps à Constantinople ; une partie fut déposée dans l'église de Sainte-Croix à Rome ; l'autre fut donnée par l'impératrice à l'église de Trêves, sa patrie, en même temps qu'une autre relique plus précieuse encore, la sainte Robe de Notre seigneur Jésus-Christ, tissée par les mains de sa sainte Mère. Le Voile et la Robe font encore aujourd'hui la gloire de l'église de Trêves.
Tous les chroniqueurs de moyen âge sont d'accord pour admettre que vers l'an 792, l'empereur Constantin Porphyrogénète donna à Charlemagne plusieurs saintes reliques, parmi lesquelles se trouvait un vêtement de la très-sainte Vierge.
Charlemagne les reçut avec bonheur et les déposa dans l'église qu'il venait de faire construire à Aix la-Chapelle.
Cette double donation est représentée sur le vitrail de St-Charlemagne, dans la cathédrale de Chartres.
Les reliques se voient encore aujourd'hui à Aix-la-Chapelle, et la Robe de la sainte Vierge est conservée dans une châsse qui est un des plus magnifiques monuments d'ancienne orfèvrerie que le génie de la destruction et celui de la mode aient épargnés en Europe.
Cette châsse se montre avec beaucoup de solennité tous les sept ans, et y attire deux ou trois cent mille pèlerins de toutes les parties de l'Allemagne.
Le saint vêtement d'Aix-la-Chapelle est une tunique blanche, en coton, longue de cinq pieds et demi.
Le saint vêtement reçu par Charlemagne n'est donc pas à Chartres, comme l'ont écrit la plupart des historiens de notre cathédrale.
Un troisième vêtement de Marie fut apporté de Constantinople en France, à la prière de Charles le Chauve : Camisiam B. Mariœ, dit Vincent de Beauvais, Karolus calvus à Constantinopoli advehi fecerat.
Le saint vêtement était enveloppé d'un voile de gaze orné de broderies en soie et en or ; ce voile, qui existe encore, a peut-être appartenu à l'impératrice Irène ou à une autre princesse grecque.
D'autres vêtements de la sainte Vierge furent portés à Rome à une époque que l'histoire ne dit pas.
Voici la mention que M. le baron de Bussières consacre à ces reliques : « Dans la chapelle du chœur de la Confession de Saint-Pierre, on conserve une partie du voile de la sainte Vierge. — » Les magnifiques reliquaires conservés dans la chapelle de Saint-Nicolas contiennent une partie du voile et du vêtement de la sainte Vierge.— » Dans l'autel de ste Marie-Magdeleine, à la basilique de Latran, il y a une partie des vêtements de la sainte Vierge. »
La cathédrale d'Arras possédait naguère un voile de couleur blanche et une ceinture qui avaient appartenu à la très-sainte Vierge. Le pape Calixte III accorda des indulgences à ceux qui visitent ces saintes reliques.
La Sainte-Chapelle de Paris faisait jadis trophée d'avoir une grande partie d'une robe de la sainte Vierge.
L'église de Tongres (Limbourg), en Belgique, se glorifie encore de posséder un voile de la sainte Vierge ; ce voile est un tissu de laine et de soie.
L'Angleterre a possédé également des reliques de Marie. Une charte de l'an 1066, émanée du roi saint Edouard, nous apprend que ce saint monarque, après avoir rebâti l'église de Westminster, y déposa une grande quantité de reliques, qu'il tenait de ses ancêtres, lesquels les avaient obtenues des papes Léon IV et Martin II, et du roi Charles le Chauve. Ces reliques était deux parcelles de la vraie Croix, une partie d'un clou, un morceau de la tunique du Seigneur, des vêtements de la très sainte Vierge. L'église d'Oviédo en Espagne possède aussi une portion de la robe de la sainte Vierge.
Enfin l'on trouve, ou l'on trouvait jadis, des fragments plus ou moins considérables des vêtements de la Mère de Dieu dans les églises d'Assise, de Forli, de Malte, de Limoges, de Lille, de Douai, de Saint-Denis, de Vivier-en-Brie, de Soissons, de Nanci, de Saint-Omer, de Bruges, de Marly lez-Valenciennes, etc.
Toutes ces saintes reliques furent apportées de Constantinople et de la Palestine durant les Croisades.
Une quantité innombrable de reliques passa dans l'occident, après la prise de Constantinople par les Croisés, prise à laquelle le désir d'en posséder contribua avec plusieurs autres causes.
Les princes et les grands entreprenaient des voyages en Palestine, dans l'espoir de revenir chargés de précieuses reliques.
Les évêques croisés s'en procuraient avant de retourner dans leurs diocèses et en donnaient à leur propre église, à leurs amis, à des couvents qui leur avoient offert l'hospitalité pendant leur voyage. Il y eut des abbayes qui firent partir exprès des députés pour Constantinople.
4. Du vêtement de la sainte Vierge à Chartres.
Il est certain que Charles le Chauve a donné à l'église de Notre-Dame de Chartres le saint vêtement qu'il avait fait venir de Constantinople.
Cette donation est un fait historique sur lequel il n'est pas permis d'élever le moindre doute.
Le Poème des miracles est exprès sur ce point : Précieus don en fit et noble à Chartres un grant roi de France ; Charles-le-Chauve eut nom d'enfance. Ce roi à Chartres la dona.
Toutes les chroniques en font mention, comme on peut le voir dans les Historiens de France de D. Bouquet ; toutefois aucun chroniqueur n'assigne la date précise de cette donation ; mais il est très-probable qu'elle eut lieu lors du pèlerinage que Charles le Chauve fit à Chartres, aux kalendes d'août 867.
Si nous n'avons plus les titres de cette donation, c'est parce qu'ils ont été brûlés par le vaste incendie de 1020. Le pieux empereur en donnant ce saint vêtement à notre ville voulait sans doute récompenser les Chartrains qui, en 854, avaient vu leur ville renversée jusqu'au sol par le fer et la flamme, et qui s'étaient empressés de la relever pour arrêter de nouveau les Normands.
« Il y eut, dit Rouillard, au don de ce joyau beaucoup de la providence et du bienfaict de Dieu, en ce que cette saincte Chemise fut baillée pour tutèle à la ville, au temps qu'elle en eut besoing extrême contre les ennemis qui vindrent l'assiéger. »
Nous avons vu tout-à-l'heure quelles étaient les différentes sortes de vêtements que la très-sainte Vierge portait, comme toutes les femmes juives de son temps.
Il est naturel de rechercher maintenant quelle est la nature du saint vêtement de Chartres : est-ce une tunique, une robe, un manteau ?
Si nous consultons tous les anciens chroniqueurs, tous les historiens de Chartres, tous les actes du chapitre, nous trouverons qu'il y a unanimité pour appeler ce vêtement, tunique, sainte chemise, tunica, sancta camisa. Un seul écrivain du moyen âge le nomme supparum, mante ou grand voile ; c'est Guillaume de Jumiège. Mais si, armé de la critique et de l'archéologie biblique, nous examinons le vêtement en lui-même, nous serons obligés de dire que, sauf Guillaume de Jumiége, tout le monde s'est trompé sur sa nature, comme le reconnaît Mgr. de Lubersac, dans le procès-verbal dressé par ses ordres le 8 mars 1820 :
« Ce n'était pas ce que l'on nomme une chemise, comme on l'avait cru constamment ; mais un vêtement ayant appartenu à la plus pure de toutes les créatures, et servi habituellement à lui couvrir la tête, et investir en même temps toute sa personne sacrée, etc. »
En effet, quand avant 1793, le vêtement de Chartres était entier, il se composait d'un grand morceau d'étoffe oblong, sans couture ni coupe, d'environ trois mètres de longueur et large de deux mètres. Or ce n'est pas là la forme de la tunique ni de la robe hébraïques ; c'est la forme du manteau, du scimla, du supparum, comme nous l'avons dit au premier paragraphe de ce chapitre. Une erreur aussi générale sur la nature du saint Vêtement de Chartres, ne peut s'expliquer que par une seule cause : c'est que jusqu'à ces derniers temps, on n'aura pas osé la déployer pour l'examiner, et cela à cause du respect profond qu'on lui portait.
Une autre question se présente : La critique et l'archéologie permettent-elles de croire que le vénérable Vêtement de Chartres a pu appartenir à la sainte Mère de Dieu et des hommes ?
Quant à l'archéologie , elle ne peut rien objecter à la pieuse tradition chartraine ; car il y avait alors des tissus semblables à celui de Chartres, et ces tissus se faisaient surtout en Syrie et en Palestine.
Mais la critique peut faire remarquer que ce vêtement est un tissu de soie ; or la soie était fort rare chez les Hébreux. Saint Jean, dans l'Apocalypse, la range parmi les étoffes les plus précieuses. Ce qui prouve, dit Pareau, que dans les derniers temps de leur république, les Hébreux en faisaient le plus grand cas. Mais si les étoffes de soie étaient si précieuses et si rares à cette époque, pouvons-nous croire que l'humble Vierge de Nazareth en ait porté, elle qui a vécu et voulu vivre dans la plus grande pauvreté ? Non, cela n'est pas admissible.
Aussi n'hésiterions-nous pas un seul instant à déclarer que l'étoffe de Chartres n'est pas à nos yeux une relique de la sainte Vierge, si nous ne savions qu'une étoffe de soie a pu être employée pour ensevelir la Mère de Dieu. En effet les Juifs ensevelissaient les morts avec les plus riches étoffes, avec leurs habits les plus précieux. Or nous ne pouvons douter que les fidèles de Jérusalem, parmi lesquels on comptait un grand nombre de personnes riches, n'aient voulu ensevelir la Mère de leur divin Maître avec des vêtements de soie.
C'est une conjecture qui paraîtra une certitude pour quiconque réfléchira à la profonde et religieuse vénération que durent avoir les apôtres et les premiers chrétiens pour la dépouille mortelle de Marie. Il est même probable que ce vêtement était un manteau ou scimlà appartenant à une riche chrétienne de Jérusalem, peut-être à sainte Marie-Madeleine, qui portait à la sainte Mère de Jésus un si tendre et si généreux amour.
Nous avons vu, au premier paragraphe de ce chapitre, que les vêtements funèbres de Marie ont été, vers l'an 450, portés à Constantinople par Juvénal, patriarche de Jérusalem.
D'un autre côté, nous savons que Charles le Chauve a fait venir de Constantinople la sainte relique tutèle de Chartres.
Ces deux circonstances ne nous permettent-elles pas de penser qu'elle est un des vêtements qui ont servi à ensevelir la Mère de Dieu ?
Certes, nous avouons volontiers que tout ce que nous venons de dire, ne prouve pas péremptoirement que le vénérable vêtement de Chartres soit une relique de la très-sainte Vierge.
Malheureusement les divers incendies de la cathédrale ont détruit tous les monuments qui pouvaient nous servir de preuves historiques.
Néanmoins il nous semble que nous pouvons conclure sans témérité que la tradition chartraine repose sur d'assez respectables fondements, qu'elle a pour elle toutes les vraisemblances.
Le paragraphe suivant fournira d'autres preuves morales en faveur de la relique de Chartres ; nous voulons parler des miracles éclatants qui s'opérèrent par elle, et des pieux hommages qu'elle reçut de la part des Rois, des Pontifes, des Princes, des grands, des hommes distingués par leurs vertus et leurs talents, comme de la part des simples habitants des champs.
Après cela n'aurons-nous pas le droit de nous écrier, avec le savant et pieux auteur de l'Histoire de Notre-Dame de Lorette : « Quand un fait, quelque extraordinaire qu'il puisse être, se trouve appuyé sur des monuments publics, sur des témoignages respectables, sur un consentement unanime, sur une suite non interrompue de miracles, il me paraît, je ne dis pas difficile, mais absolument impossible de le nier sans manquer à toutes les règles de la raison et du bon sens. »
5 Histoire du saint Vêtement de Chartres.
Nous passerons ici succinctement en revue tous les faits historiques où la précieuse relique est intervenue.
Il y avait déjà quarante ans que sa présence réjouissait les Chartrains, et qu'elle recevait leurs hommages quotidiens, quand elle se montra vraiment la tutèle de la ville, Tutela Carnotensis.
Voici le fait tel qu'il est raconté par Paul, moine de l'abbaye de Saint-Père, lequel écrivait un siècle après l'événement :
Je ferai ici le récit du siège de Chartres qui eut lieu sous l'épiscopat de Gantelme (en l'an 911) ; je le ferai tant à cause de la nouveauté du temps, qu'à cause du miracle qu'en cette occurrence le Seigneur Jésus a daigne opérer par l'intervention de sa Mère, la bienheureuse Vierge Marie. Car les païens venus d'au-delà les mers, sous la conduite de leur chef Rollon, ayant débarqué en Neustrie, s'emparèrent de la plus grande partie de la province ; déjà ils avoient pris sept villes, lorsque poussés par l'amour du butin, ils descendirent la Seine, et vinrent assiéger Paris ; mais bientôt ils levèrent le siége, et, revenant sur leurs pas, ils remontèrent la Seine jusqu'à Inguialdi ; là ils amarrèrent leurs vaisseaux, et d'un pas rapide ils accoururent devant Chartres pour l'assiéger. Mais l'évêque Gantelme, ayant appris par révélation les dangers qui menaçaient sa ville épiscopale, fit demander des secours au comte de Poitiers, au duc de Bourgogne, et à deux puissants comtes de France, lesquels au jour indiqué par le prélat arrivèrent avec une nombreuse armée pour secourir un peuple chrétien. Cependant les païens, confiant dans leur courage et dans leurs armes, pressaient la ville, et se hâtaient de s'en emparer. Mais le pontife, dès l'aube du jour auquel les secours dévaient lui arriver, ordonna à tous les habitants de prendre leurs armes et de se rendre aux portes. Lui-même, prenant la Tunique intérieure de la Mère de Dieu, il se plaça sur la Porte-Neuve et l'exposa aux regards des païens. En même temps il fait ouvrir les portes, et commande aux chrétiens de courir à l'ennemi. Alors les chrétiens pleins de confiance dans le Dieu tout-puissant se battent avec un courage indomptable ; tandis que les païens abandonnés de Dieu se trouvent sans force pour soutenir le combat. D'un côté ils sont assaillis par les Chartrains ; de l'autre ils sont pris à dos par l'armée de secours. On en fit un si grand carnage, que les monceaux de cadavres arrêtèrent le cours de la rivière, et tous ils auraient péri en ce jour par le glaive vengeur, si les derniers, craignant une mort certaine, n'avaient reculé. A l'entrée de la nuit ils gagnèrent la montagne de Lèves, et ils y firent à la hâte des retranchements avec des peaux d'animaux. Les chrétiens les poursuivirent, cernant la montagne pour attaquer les fuyards le lendemain matin. Ce que voyant les païens, ils en furent épouvantés ; ils se demandèrent comment ils pourraient se tirer de ce péril extrême ; ils s'arrétèrent à un stratagème qui leur réussit ; ils choisirent trois de leurs plus vaillants guerriers qui sortirent du camp en secret, et allèrent au loin sonner de la trompette. A ce bruit les chrétiens craignirent que des troupes fraîches ne vinssent au secours des païens ; ils se groupèrent en une seule masse pour être prêts à tout événement. » Et les païens voyant des issues libres sortirent du camp peu à peu et en silence, abandonnant tous leurs bagages ; ils retournèrent promptement à leurs vaisseaux, d'où ils rentrèrent chez eux, sans oublier leur confusion et leurs pertes ; ce qui fait qu'ils ne revinrent plus vers la ville de Chartres. »
Cette défaite fut regardée comme un miracle.
C'en était un, en effet, de voir ainsi fuir Rollon, jusqu'alors la terreur des Français ; sur quoi un auteur de ce siècle lui adresse ces paroles :
«Prince belliqueux ne rougis pas de ta défaite ; ce ne sont ni les Français ni les Bourguignons qui te mettent en fuite, c'est la Tunique de la Mère de Dieu. »
Le Poème des Miracles raconte le même fait ; mais il y ajoute des circonstances plus miraculeuses :
« Les Chartrains, dit-il, mirent flotter en guise d'enseigne la sainte Chemise sur les creneaux des murs de la ville. Quand les ennemis l'aperçurent, ils en firent le sujet de mille plaisanteries ; ils se mirent à siffler et à rire ; ils lancèrent contre elle leurs javelots et leurs flèches. » Mais Dieu qui vit leur impiété, en tira vengeance : il les frappa de cécité, en sorte que ne voyant plus, ils ne pouvaient ni reculer ni avancer. »
C'est ainsi que le saint vêtement de la Mère de Dieu délivra Chartres de la fureur des Normands : la ville fut mieux défendue par les prières de Marie que par ses hautes murailles de pierre.
Le Voile de Marie que sainte Hélène avait eu le bonheur de rencontrer en Palestine, ne demeura pas longtemps à Constantinople ; une partie fut déposée dans l'église de Sainte-Croix à Rome ; l'autre fut donnée par l'impératrice à l'église de Trêves, sa patrie, en même temps qu'une autre relique plus précieuse encore, la sainte Robe de Notre seigneur Jésus-Christ, tissée par les mains de sa sainte Mère. Le Voile et la Robe font encore aujourd'hui la gloire de l'église de Trêves.
Tous les chroniqueurs de moyen âge sont d'accord pour admettre que vers l'an 792, l'empereur Constantin Porphyrogénète donna à Charlemagne plusieurs saintes reliques, parmi lesquelles se trouvait un vêtement de la très-sainte Vierge.
Charlemagne les reçut avec bonheur et les déposa dans l'église qu'il venait de faire construire à Aix la-Chapelle.
Cette double donation est représentée sur le vitrail de St-Charlemagne, dans la cathédrale de Chartres.
Les reliques se voient encore aujourd'hui à Aix-la-Chapelle, et la Robe de la sainte Vierge est conservée dans une châsse qui est un des plus magnifiques monuments d'ancienne orfèvrerie que le génie de la destruction et celui de la mode aient épargnés en Europe.
Cette châsse se montre avec beaucoup de solennité tous les sept ans, et y attire deux ou trois cent mille pèlerins de toutes les parties de l'Allemagne.
Le saint vêtement d'Aix-la-Chapelle est une tunique blanche, en coton, longue de cinq pieds et demi.
Le saint vêtement reçu par Charlemagne n'est donc pas à Chartres, comme l'ont écrit la plupart des historiens de notre cathédrale.
Un troisième vêtement de Marie fut apporté de Constantinople en France, à la prière de Charles le Chauve : Camisiam B. Mariœ, dit Vincent de Beauvais, Karolus calvus à Constantinopoli advehi fecerat.
Le saint vêtement était enveloppé d'un voile de gaze orné de broderies en soie et en or ; ce voile, qui existe encore, a peut-être appartenu à l'impératrice Irène ou à une autre princesse grecque.
D'autres vêtements de la sainte Vierge furent portés à Rome à une époque que l'histoire ne dit pas.
Voici la mention que M. le baron de Bussières consacre à ces reliques : « Dans la chapelle du chœur de la Confession de Saint-Pierre, on conserve une partie du voile de la sainte Vierge. — » Les magnifiques reliquaires conservés dans la chapelle de Saint-Nicolas contiennent une partie du voile et du vêtement de la sainte Vierge.— » Dans l'autel de ste Marie-Magdeleine, à la basilique de Latran, il y a une partie des vêtements de la sainte Vierge. »
La cathédrale d'Arras possédait naguère un voile de couleur blanche et une ceinture qui avaient appartenu à la très-sainte Vierge. Le pape Calixte III accorda des indulgences à ceux qui visitent ces saintes reliques.
La Sainte-Chapelle de Paris faisait jadis trophée d'avoir une grande partie d'une robe de la sainte Vierge.
L'église de Tongres (Limbourg), en Belgique, se glorifie encore de posséder un voile de la sainte Vierge ; ce voile est un tissu de laine et de soie.
L'Angleterre a possédé également des reliques de Marie. Une charte de l'an 1066, émanée du roi saint Edouard, nous apprend que ce saint monarque, après avoir rebâti l'église de Westminster, y déposa une grande quantité de reliques, qu'il tenait de ses ancêtres, lesquels les avaient obtenues des papes Léon IV et Martin II, et du roi Charles le Chauve. Ces reliques était deux parcelles de la vraie Croix, une partie d'un clou, un morceau de la tunique du Seigneur, des vêtements de la très sainte Vierge. L'église d'Oviédo en Espagne possède aussi une portion de la robe de la sainte Vierge.
Enfin l'on trouve, ou l'on trouvait jadis, des fragments plus ou moins considérables des vêtements de la Mère de Dieu dans les églises d'Assise, de Forli, de Malte, de Limoges, de Lille, de Douai, de Saint-Denis, de Vivier-en-Brie, de Soissons, de Nanci, de Saint-Omer, de Bruges, de Marly lez-Valenciennes, etc.
Toutes ces saintes reliques furent apportées de Constantinople et de la Palestine durant les Croisades.
Une quantité innombrable de reliques passa dans l'occident, après la prise de Constantinople par les Croisés, prise à laquelle le désir d'en posséder contribua avec plusieurs autres causes.
Les princes et les grands entreprenaient des voyages en Palestine, dans l'espoir de revenir chargés de précieuses reliques.
Les évêques croisés s'en procuraient avant de retourner dans leurs diocèses et en donnaient à leur propre église, à leurs amis, à des couvents qui leur avoient offert l'hospitalité pendant leur voyage. Il y eut des abbayes qui firent partir exprès des députés pour Constantinople.
4. Du vêtement de la sainte Vierge à Chartres.
Il est certain que Charles le Chauve a donné à l'église de Notre-Dame de Chartres le saint vêtement qu'il avait fait venir de Constantinople.
Cette donation est un fait historique sur lequel il n'est pas permis d'élever le moindre doute.
Le Poème des miracles est exprès sur ce point : Précieus don en fit et noble à Chartres un grant roi de France ; Charles-le-Chauve eut nom d'enfance. Ce roi à Chartres la dona.
Toutes les chroniques en font mention, comme on peut le voir dans les Historiens de France de D. Bouquet ; toutefois aucun chroniqueur n'assigne la date précise de cette donation ; mais il est très-probable qu'elle eut lieu lors du pèlerinage que Charles le Chauve fit à Chartres, aux kalendes d'août 867.
Si nous n'avons plus les titres de cette donation, c'est parce qu'ils ont été brûlés par le vaste incendie de 1020. Le pieux empereur en donnant ce saint vêtement à notre ville voulait sans doute récompenser les Chartrains qui, en 854, avaient vu leur ville renversée jusqu'au sol par le fer et la flamme, et qui s'étaient empressés de la relever pour arrêter de nouveau les Normands.
« Il y eut, dit Rouillard, au don de ce joyau beaucoup de la providence et du bienfaict de Dieu, en ce que cette saincte Chemise fut baillée pour tutèle à la ville, au temps qu'elle en eut besoing extrême contre les ennemis qui vindrent l'assiéger. »
Nous avons vu tout-à-l'heure quelles étaient les différentes sortes de vêtements que la très-sainte Vierge portait, comme toutes les femmes juives de son temps.
Il est naturel de rechercher maintenant quelle est la nature du saint vêtement de Chartres : est-ce une tunique, une robe, un manteau ?
Si nous consultons tous les anciens chroniqueurs, tous les historiens de Chartres, tous les actes du chapitre, nous trouverons qu'il y a unanimité pour appeler ce vêtement, tunique, sainte chemise, tunica, sancta camisa. Un seul écrivain du moyen âge le nomme supparum, mante ou grand voile ; c'est Guillaume de Jumiège. Mais si, armé de la critique et de l'archéologie biblique, nous examinons le vêtement en lui-même, nous serons obligés de dire que, sauf Guillaume de Jumiége, tout le monde s'est trompé sur sa nature, comme le reconnaît Mgr. de Lubersac, dans le procès-verbal dressé par ses ordres le 8 mars 1820 :
« Ce n'était pas ce que l'on nomme une chemise, comme on l'avait cru constamment ; mais un vêtement ayant appartenu à la plus pure de toutes les créatures, et servi habituellement à lui couvrir la tête, et investir en même temps toute sa personne sacrée, etc. »
En effet, quand avant 1793, le vêtement de Chartres était entier, il se composait d'un grand morceau d'étoffe oblong, sans couture ni coupe, d'environ trois mètres de longueur et large de deux mètres. Or ce n'est pas là la forme de la tunique ni de la robe hébraïques ; c'est la forme du manteau, du scimla, du supparum, comme nous l'avons dit au premier paragraphe de ce chapitre. Une erreur aussi générale sur la nature du saint Vêtement de Chartres, ne peut s'expliquer que par une seule cause : c'est que jusqu'à ces derniers temps, on n'aura pas osé la déployer pour l'examiner, et cela à cause du respect profond qu'on lui portait.
Une autre question se présente : La critique et l'archéologie permettent-elles de croire que le vénérable Vêtement de Chartres a pu appartenir à la sainte Mère de Dieu et des hommes ?
Quant à l'archéologie , elle ne peut rien objecter à la pieuse tradition chartraine ; car il y avait alors des tissus semblables à celui de Chartres, et ces tissus se faisaient surtout en Syrie et en Palestine.
Mais la critique peut faire remarquer que ce vêtement est un tissu de soie ; or la soie était fort rare chez les Hébreux. Saint Jean, dans l'Apocalypse, la range parmi les étoffes les plus précieuses. Ce qui prouve, dit Pareau, que dans les derniers temps de leur république, les Hébreux en faisaient le plus grand cas. Mais si les étoffes de soie étaient si précieuses et si rares à cette époque, pouvons-nous croire que l'humble Vierge de Nazareth en ait porté, elle qui a vécu et voulu vivre dans la plus grande pauvreté ? Non, cela n'est pas admissible.
Aussi n'hésiterions-nous pas un seul instant à déclarer que l'étoffe de Chartres n'est pas à nos yeux une relique de la sainte Vierge, si nous ne savions qu'une étoffe de soie a pu être employée pour ensevelir la Mère de Dieu. En effet les Juifs ensevelissaient les morts avec les plus riches étoffes, avec leurs habits les plus précieux. Or nous ne pouvons douter que les fidèles de Jérusalem, parmi lesquels on comptait un grand nombre de personnes riches, n'aient voulu ensevelir la Mère de leur divin Maître avec des vêtements de soie.
C'est une conjecture qui paraîtra une certitude pour quiconque réfléchira à la profonde et religieuse vénération que durent avoir les apôtres et les premiers chrétiens pour la dépouille mortelle de Marie. Il est même probable que ce vêtement était un manteau ou scimlà appartenant à une riche chrétienne de Jérusalem, peut-être à sainte Marie-Madeleine, qui portait à la sainte Mère de Jésus un si tendre et si généreux amour.
Nous avons vu, au premier paragraphe de ce chapitre, que les vêtements funèbres de Marie ont été, vers l'an 450, portés à Constantinople par Juvénal, patriarche de Jérusalem.
D'un autre côté, nous savons que Charles le Chauve a fait venir de Constantinople la sainte relique tutèle de Chartres.
Ces deux circonstances ne nous permettent-elles pas de penser qu'elle est un des vêtements qui ont servi à ensevelir la Mère de Dieu ?
Certes, nous avouons volontiers que tout ce que nous venons de dire, ne prouve pas péremptoirement que le vénérable vêtement de Chartres soit une relique de la très-sainte Vierge.
Malheureusement les divers incendies de la cathédrale ont détruit tous les monuments qui pouvaient nous servir de preuves historiques.
Néanmoins il nous semble que nous pouvons conclure sans témérité que la tradition chartraine repose sur d'assez respectables fondements, qu'elle a pour elle toutes les vraisemblances.
Le paragraphe suivant fournira d'autres preuves morales en faveur de la relique de Chartres ; nous voulons parler des miracles éclatants qui s'opérèrent par elle, et des pieux hommages qu'elle reçut de la part des Rois, des Pontifes, des Princes, des grands, des hommes distingués par leurs vertus et leurs talents, comme de la part des simples habitants des champs.
Après cela n'aurons-nous pas le droit de nous écrier, avec le savant et pieux auteur de l'Histoire de Notre-Dame de Lorette : « Quand un fait, quelque extraordinaire qu'il puisse être, se trouve appuyé sur des monuments publics, sur des témoignages respectables, sur un consentement unanime, sur une suite non interrompue de miracles, il me paraît, je ne dis pas difficile, mais absolument impossible de le nier sans manquer à toutes les règles de la raison et du bon sens. »
5 Histoire du saint Vêtement de Chartres.
Nous passerons ici succinctement en revue tous les faits historiques où la précieuse relique est intervenue.
Il y avait déjà quarante ans que sa présence réjouissait les Chartrains, et qu'elle recevait leurs hommages quotidiens, quand elle se montra vraiment la tutèle de la ville, Tutela Carnotensis.
Voici le fait tel qu'il est raconté par Paul, moine de l'abbaye de Saint-Père, lequel écrivait un siècle après l'événement :
Je ferai ici le récit du siège de Chartres qui eut lieu sous l'épiscopat de Gantelme (en l'an 911) ; je le ferai tant à cause de la nouveauté du temps, qu'à cause du miracle qu'en cette occurrence le Seigneur Jésus a daigne opérer par l'intervention de sa Mère, la bienheureuse Vierge Marie. Car les païens venus d'au-delà les mers, sous la conduite de leur chef Rollon, ayant débarqué en Neustrie, s'emparèrent de la plus grande partie de la province ; déjà ils avoient pris sept villes, lorsque poussés par l'amour du butin, ils descendirent la Seine, et vinrent assiéger Paris ; mais bientôt ils levèrent le siége, et, revenant sur leurs pas, ils remontèrent la Seine jusqu'à Inguialdi ; là ils amarrèrent leurs vaisseaux, et d'un pas rapide ils accoururent devant Chartres pour l'assiéger. Mais l'évêque Gantelme, ayant appris par révélation les dangers qui menaçaient sa ville épiscopale, fit demander des secours au comte de Poitiers, au duc de Bourgogne, et à deux puissants comtes de France, lesquels au jour indiqué par le prélat arrivèrent avec une nombreuse armée pour secourir un peuple chrétien. Cependant les païens, confiant dans leur courage et dans leurs armes, pressaient la ville, et se hâtaient de s'en emparer. Mais le pontife, dès l'aube du jour auquel les secours dévaient lui arriver, ordonna à tous les habitants de prendre leurs armes et de se rendre aux portes. Lui-même, prenant la Tunique intérieure de la Mère de Dieu, il se plaça sur la Porte-Neuve et l'exposa aux regards des païens. En même temps il fait ouvrir les portes, et commande aux chrétiens de courir à l'ennemi. Alors les chrétiens pleins de confiance dans le Dieu tout-puissant se battent avec un courage indomptable ; tandis que les païens abandonnés de Dieu se trouvent sans force pour soutenir le combat. D'un côté ils sont assaillis par les Chartrains ; de l'autre ils sont pris à dos par l'armée de secours. On en fit un si grand carnage, que les monceaux de cadavres arrêtèrent le cours de la rivière, et tous ils auraient péri en ce jour par le glaive vengeur, si les derniers, craignant une mort certaine, n'avaient reculé. A l'entrée de la nuit ils gagnèrent la montagne de Lèves, et ils y firent à la hâte des retranchements avec des peaux d'animaux. Les chrétiens les poursuivirent, cernant la montagne pour attaquer les fuyards le lendemain matin. Ce que voyant les païens, ils en furent épouvantés ; ils se demandèrent comment ils pourraient se tirer de ce péril extrême ; ils s'arrétèrent à un stratagème qui leur réussit ; ils choisirent trois de leurs plus vaillants guerriers qui sortirent du camp en secret, et allèrent au loin sonner de la trompette. A ce bruit les chrétiens craignirent que des troupes fraîches ne vinssent au secours des païens ; ils se groupèrent en une seule masse pour être prêts à tout événement. » Et les païens voyant des issues libres sortirent du camp peu à peu et en silence, abandonnant tous leurs bagages ; ils retournèrent promptement à leurs vaisseaux, d'où ils rentrèrent chez eux, sans oublier leur confusion et leurs pertes ; ce qui fait qu'ils ne revinrent plus vers la ville de Chartres. »
Cette défaite fut regardée comme un miracle.
C'en était un, en effet, de voir ainsi fuir Rollon, jusqu'alors la terreur des Français ; sur quoi un auteur de ce siècle lui adresse ces paroles :
«Prince belliqueux ne rougis pas de ta défaite ; ce ne sont ni les Français ni les Bourguignons qui te mettent en fuite, c'est la Tunique de la Mère de Dieu. »
Le Poème des Miracles raconte le même fait ; mais il y ajoute des circonstances plus miraculeuses :
« Les Chartrains, dit-il, mirent flotter en guise d'enseigne la sainte Chemise sur les creneaux des murs de la ville. Quand les ennemis l'aperçurent, ils en firent le sujet de mille plaisanteries ; ils se mirent à siffler et à rire ; ils lancèrent contre elle leurs javelots et leurs flèches. » Mais Dieu qui vit leur impiété, en tira vengeance : il les frappa de cécité, en sorte que ne voyant plus, ils ne pouvaient ni reculer ni avancer. »
C'est ainsi que le saint vêtement de la Mère de Dieu délivra Chartres de la fureur des Normands : la ville fut mieux défendue par les prières de Marie que par ses hautes murailles de pierre.
On
conçoit que dès lors les habitants entourèrent plus que jamais de leur
vénération la bienfaisante relique ; ils voulurent qu'elle fût placée
dans un coffret d'or pur.
Un
habile orfèvre eu fut chargé de l'œuvre ; c'était Teudon, qui, d'après
un nécrologe de l'abbaye de St Père, mourut le 18 des kalendes de
janvier en 991.
Il paraît que la châsse, ouvrage de Teudon, était un admirable chef-d'œuvre ; elle a été détruite en 1793.
Voici la description qu'en donne l'inventaire de 1682 :
«
La sainte châsse (longueur 25 pouces, largeur 10 pouces, hauteur 21
pouces), posée sur un brancard de vermeil doré, semé de fleurs de lis en
bosse. Cette sainte Châsse pesée avec son brancard fut trouvée de 93
livres juste. — Cette châsse est faite de bois de cèdre, couverte de
grandes plaques d'or (il y a environ 60 mares d'or et 10 d'argent), et
enrichie d'une infinité de perles, diamants, rubis, émeraudes, saphirs,
jacinthes, agates, turquoises, opales, topazes, onix, crhysolithes,
améthystes, grenats , girasols, sardoines, astriots, cassidoines,
caleédoines, héliotropes, et autres joyaux et présents. » Ceste pièce,
dîrai-je avec un pieux écrivain, représente nostre grande Reine, comme
jadis l'Arche d'alliance estoit la figure du grand Dieu des armées. »
En 998 une dame illustre voulut donner un gage de sa généreuse dévotion envers la sainte relique :
«
Un mémoire qui est au trésor des Chartres, porte que l'an neuf cent
nonante-huit, Rotelinde, mère d'Odon, qui lors estoit évesque de
Chartres, donna pour attacher à la dicte Châsse, quatre aigles d'or, que
l'on tient avoir été façonnés de la main de saint Eloy mesme, lorsqu'il
se mesloit d'orfavrerie.
Le
roi Robert, père de l'architecture religieuse, qui se montra le
généreux bienfaiteur de la cathédrale de Fulbert, voulut encore donner
un témoignage direct de son respect et de sa spéciale dévotion envers le
Vêtement de la Mère de Dieu; il offrit pour orner la sainte Châsse un
gros saphir en cabochon enchâssé dans un cercle plat de vermeil.
Voici venir un grand personnage qui apporte le tribut de ses hommages au vénérable Vêtement de
Chartres ; nous voulons parler de St Gilduin. Fils de Rudalenus,
seigneur de Dol, et neveu du baron du Puiset, il avait été élu par le
clergé et le peuple de Dôle pour être leur évêque. Il ne voulut jamais y
consentir ; il se rendit même à Rome pour faire agréer son refus par le
pape saint Grégoire VII. A son retour il voulut visiter en pèlerin le
sanctuaire de Notre-Dame de Chartres : il y passa les jours et les
nuits, devant la sainte Châsse, dans une continuelle et fervente prière.
C'est là qu'il tomba gravement malade ; il aurait voulu rendre le
dernier soupir sous le précieux Vêtement ; mais on le transporta à
l'abbaye de Saint-Père, où il mourut trois jours après, le 27 janvier
1077.
Quarante
ans après la mort de saint Gilduin , la précieuse relique se montre une
seconde fois la tutèle et l'inexpugnable rempart de Chartres.
Voici comment Rouillard raconte le fait arrivé l'an 1118 :
« Comme Louis le Gros, lors régnant, eust résolu de ruiner du tout
ladite ville, en haine du comte d'icelle nommé Thibaut IV, non-seulement
pour l'outrecuidance à laquelle il estoit parvenu d'avoir osé appeler
ledit Roi en duel, par un sien gentilhomme nommé André de Bordereuse ;
ains aussi pour avoir dit et proféré contre l'honneur d'icelui plusieurs
choses indignes.
«
Geoffroi de Lèves, lors évesques du lieu, dûraenl adverti de l'ire et
menaces dudicl prince, fit assembler son clergé, avec le reste du
peuple, et furent tous au-devant d'icelui en procession solennelle à
laquelle fut portée la Châsse de la saincte Chemise. Lors ledit Roi,
comme si la Vierge lui cust faict signe de la main : Âppaise-toi, et
n'offense mon peuple ; de colère qu'il estoit, devenant plus doux que la
mensuélude mesme, se mit humblement à genoux, comme autresfois un grand
roi devant le Pontife de Judée ; et au lieu de poursuivre la vengeance à
laquelle il s'estoit résolu, fit retirer toute son armée, défendit de
ne meffaire à aucun habitant ; lui, entra volontiers dans la ville, et
fit paroistre que la Vierge lui avoit donné si vive atteinte au cœur,
que ne se contentant des grâces ordinaires, que ladicte ville eust pu
recevoir de lui, il en voulut adjouster de nouvelles et extraordinaires ;
de faict il donna privilége au Chapitre de l'Église de pouvoir
affranchir ses esclaves : recours à ses patentes gardées au thrésor
dudict lieu. »
C'est
ainsi qu'un prince illustre, guerrier infatigable, se laissa désarmer
par l'amour et le respect dus à la sainte relique, tutèle de Chartres.
Parmi
les dévots bienfaiteurs de la sainte châsse, nous devons maintenant
compter un évêque de Chartres, Robert-le-Breton, qui mourut le 9 des
kalendes d'octobre 1164 : il donna beaucoup de pierres précieuses avec
son anneau pastoral pour servir d'ornement à la Châsse.
Il
ne nous reste aucun récit détaillé de l'incendie de 1020, sous
l'épiscopat de Fulbert : rien n'est venu nous apprendre comment la
précieuse relique put alors échapper aux flammes dévorantes. Mais nous
savons positivement ce qu'il en advint lors du terrible incendie de
1194. Le Poème des miracles de Notre-Dame de Chartres nous en donne un
ample récit, qui montre combien était vive et touchante la piété des
Chartrains envers le saint Vêtement. Voici la traduction de ce récit :
«
La douce Dame sauva du feu la précieuse relique ; sa sainte Chemise
contenue dans la châsse fut portée dans la grotte, située sous le maître
autel Par ce feu, bourgeois et cleres perdirent leurs meubles et leurs
maisons, leur avoir et leurs richesses ; ils en gémissaient
profondément. Mais cette douleur n'était rien en comparaison de celle
qu'ils éprouvaient à la vue de la
cathédrale qui n'offrait plus qu'un monceau de ruines ; alors ils
oublièrent leurs dommages pour ne songer qu'au dommage de leur église.
Et leur douleur ne connut plus de bornes, quand ils ne virent plus la
sainte Châsse ; hors d'eux-mêmes, ils couraient ça et là tout
éperdus.... Clercs et laïques se disaient : Ah Dieu ! ce malheur nous
est arrivé à cause de nos péchés ; c'est par nos méfaits que cette
relique est perdue. Elle était la gloire et l'honneur de notre ville ;
elle était la lumière et le miroir de Chartres et de tout le pays.
Comment pourrons-nous survivre à un si grand malheur ? Oui, si nous
étions bien avisés, nous nous expatrierions, nous quitterions notre
ville ; puisque nous avons perdu le glorieux trésor dont la joyeuse
présence illustrait et protégeait notre patrie. A quoi servira-t-il
maintenant de réédifier le cloître et l'église ? Sans la sainte Châsse
notre ville ne saurait plus nous plaire. Non, il n'y a plus de motifs
pour rebâtir nos demeures ; il vaut mieux que nous abandonnions la cité
malheureuse qui vient de perdre sa noblesse, son honneur, sa puissance.
— Telles étaient les plaintes des pieux Chartrains.
Mais
Dieu leur vint en aide ; le cardinal Mélior, qui se trouvait à
Chartres, fit réunir tout le peuple en la place où avait été l'église ;
quand l'assemblée fut complète, la sainte Châsse fut apportée de la
grotte ; l'évêque et le doyen du Chapitre la portaient sur leurs épaules
avec grande dévotion. A cette vue tout le peuple poussa des cris de
joie et d'allégresse. Tous se jetèrent à genoux en répandant de douces
larmes ; tous rendirent grâces à Dieu et à la glorieuse Reine qui avait
sauvé l'honneur et la gloire de leur cité. Après ces élans donnés à la
joie et à l'action de grâces, clercs et bourgeois demandèrent qu'on
construisît une riche et noble église, et à cette fin ils donnèrent
abondamment, jusqu'à leurs rentes et leurs meubles, chacun selon sa
fortune.
Lors pristrent tretuit à promestre
Dou leur agent donner et mestre
En feire riche église et noble,
Clers et borjois et rente et mueble
Abondonèrent en aie,
Chascun selon la menantie.
Dou leur agent donner et mestre
En feire riche église et noble,
Clers et borjois et rente et mueble
Abondonèrent en aie,
Chascun selon la menantie.
Mais
la protection de Marie ne s'arrêta pas à une simple préservation de son
vêtement ; il y eut des circonstances miraculeuses qui font dire au
trouvère du 13e siècle : « Voici un miracle qui surpasse tous les
autres, et qui arriva quand la sainte Châsse fut descendue dans la
crypte, au moment où la cathédrale était déjà tout en feu.
Ceux
qui s'étaient dévoués pour sauver la relique, ne pouvant revenirsur
leur pas, se hâtèrent de descendre dans la crypte, en fermant sur eux la
porte de fer. Ils demeurèrent là deux ou trois jours sans boire ni
manger. Mais la très-sainte Vierge les réconfortait invisiblement.
Cependant tout le monde croyait que ces hommes de courage et de piété
étaient morts, comme des martyrs, dans les tourments de la faim ou des
flammes :
Si cuidoit len certenement
Que ils fussent mort à torment
Et à martire et douleur,
Ou de fumée ou de chaleur,
Ou d'estre trop aval tenus.
Que ils fussent mort à torment
Et à martire et douleur,
Ou de fumée ou de chaleur,
Ou d'estre trop aval tenus.
Mais
tout le monde se trompait, car la sainte Dame de Chartres et son divin
Fils les gardèrent de tout péril. La porte de fer qui les protégeait,
tint bon contre tout ; des solives enflammées, des pierres, des tronçons
de colonnes tombèrent sur la porte, qui n'en éprouva aucun dommage ; le
plomb en fusion qui découlait de la toiture, ne pénétra pas à travers
les fissures ; les serrures, les gonds et les verroux restèrent intacts,
Car tout est en la garde à celle
Qui tous pécheurs sauve et garde.
Quand
le feu fut éteint, ces courageux enfants de Notre-Dame sortirent de la
crypte, au merveilleux ébahissementde tous leurs concitoyens, qui les
croyaient morts sous les débris fumants de la cathédrale. Tout le monde
les embrassa en pleurant, et en remerciant Dieu et sa sainte Mère de les
avoir préservés de tout mal par un miracle si évident.
Chacun de pilié en lermoie ,
Nus ne se tenist de plorer,
Dieux et Nostrc Dame aorer
En pristrent et à gracier
Et dou miracle à mercier.
Nus ne se tenist de plorer,
Dieux et Nostrc Dame aorer
En pristrent et à gracier
Et dou miracle à mercier.
La filiale dévotion des Chartrains envers la sainte châsse, était ingénieuse à inventer de nouvelles manières de l'honorer.
Ils regardaient comme un bonheur de passer sous la châsse ; dans leur
naïve et pieuse confiance, ils se croyaient dès lors sûrs de la
protection de la Reine du ciel.
Les
annales chartraines racontent que quand le roi Philippe-Auguste vint à
Chartres, en 1209, pour faire rendre justice aux chanoines outragés par
les habitants, il passa sous la châsse ; il déposa devant elle une pièce
d'étoffe de soie et un pain de cire, de la valeur de 200 livres parisis
(3,200 frs. de notre monnaie actuelle). C'était alors le temps où les
puissances de la terre savaient honorer le Ciel, et où les fronts les
plus altiers se courbaient dans la poussière devant Celle qui ne parut
ici-bas que comme l'humble servante du Seigneur.
A
ce propos, dit Rouillard, pourrais-je alléguer plusieurs miracles faits
journellement en l'église, en passant sous ladite Châsse, ceux qui
avaient besoin du secours de la Vierge : car anciennement elle était
d'ordinaire sur le maître-autel, et y avait toujours un chapelain exprès
pour la garde d'icelle. »
Non-seulement
nos pères aimaient à passer sous la sainte châsse, mais ils y faisaient
toucher des chemises ou d'autres objets ; et plus d'une fois, la Reine
des cieux s'est plu à récompenser la naïve piété de ses dévots enfants.
Je
ne citerai ici que le prodige du chevalier préservé d'une mort
certaine. Je ne fais que traduire en français les vers romans de Jehan
le Marchant.
«
En ce temps-là (vers l'an 1220), il y avait en Aquitaine, un chevalier
qui comptait de nombreux ennemis ; il n'ignorait pas qu'on cherchait à
lui ôter la vie.
A ce chevalier vint corage,
Qu'il iroit en pèlerinage
Qu'il iroit en pèlerinage
à Notre-Dame de Chartres. Il se mit en route ; arrivé à Chartres, il se rendit aussitôt à la cathédrale ; il y fit sa prière et son offrande, en suppliant Marie de le défendre contre tout péril ;
Après
avoir satisfait sa dévotion, le pieux chevalier retourna en sa terre
natale ; il la regardait comme une cuirasse impénétrable. La peur de ses
ennemis lui faisait ainsi revêtir ces chemises : il se persuadait
qu'aucune arme ne le pouvait transpercer, il ne craignait ni fer ni
acier ;
Un
jour il advint que revenant de chez un grand personnage, il cheminait
avec ses gens désarmés. Mais ses ennemis l'attendaient dans une
embuscade pour le tuer ; ils étaient nombreux, tous revêtus de hauberts
et armés d'épées bien tranchantes. Dès qu'ils aperçoivent le chevalier,
ils fondent sur lui
Il
est bientôt entouré de ceux qui le haïssent, et qui déjà se réjouissent
de pouvoir enfin lui ôter la vie. Ils le frappent hardiment à grands
coups d'épées, transpercent tous ses habits,
Aussi
les coups d'épées et de lances ne firent aucun mal au chevalier ; les
armes s'émoussaient comme sur un mur d'airain. Néanmoins il reçut de si
grands coups qu'une double cuirasse n'aurait pu le sauver de la mort.
Ses
ennemis sont frappés d'un indicible étonnement, en voyant qu'ils ne
peuvent blesser le chevalier. Celui-ci en souriant leur dit : Vous
n'êtes pas gens de bonheur ; mais vous êtes fous et mal inspirés, si
vous pensez pouvoir percer la cuirasse que la Reine du ciel a daigné me
prêter. C'est à elle que j'ai eu recours, et elle m'a défendu ;
Car j'ai la chemise vestue
Qui toucha à la sainte Chasse
De Chartres.
Qui toucha à la sainte Chasse
De Chartres.
A
ces mots, les ennemis s'arrêtent et jettent leurs armes à terre ; ils
oublient leur haine ; ils saluent le chevalier avec une sorte de respect
religieux et le supplient de vouloir bien leur pardonner. Quelle
puissance avait donc l'amour de la sainte Vierge sur ces rudes hommes de
guerre du moyen âge ?
Telle
était la profonde vénération de nos pères pour la sainte Châsse qu'ils
avaient cru ne devoir la laisser nettoyer, que par un seigneur député à
cet effet.
C'était
au seul seigneur du fief de Tachainville, vassal de l'évêque,
qu'appartenait cet honneur, ainsi qu'il résulte d'un aveu rendu à
l'évêque Robert de Joigny, en 1316 : «Fief de Tachainville, au seigneur
Jehan le Drouais Item la vuoille de grans Pasques laver la sainte
Châsse, et ni doit nul home metre la main se de par ledit monseigneur
Jehan n'est ; et iv setiers de vin moitié blan et moitié vermoil, 12
pains blanz de chapitre et une touaille de quoi ladite Châsse est
essuie, trois provendes d'avoine à cheval s et trois mez de poisson. »
Voici
un fait qui nous fournira une nouvelle preuve de cette profonde
vénération portée au saint Vêtement de Chartres : on y verra un roi
guerrier courber son front victorieux devant cette
précieuse relique, et le Chapitre délibérer solennellement pour en
autoriser l'exhibition ; car, à cette époque, la sainte Châsse était
déjà cachée à tous les regards, dans le trésor de la cathédrale, et on
ne la descendait que dans des occasions exceptionnelles.
En
1360, Edouard, roi d'Angleterre, avait traversé une partie de la France
en vainqueur, et il était venu mettre le siège devant Chartres, après
avoir refusé d'écouter le légat du Saint-Siége, et les députés du
Dauphin, qui le suppliaient de faire la paix avec le roi Jean, son
prisonnier.
«
Alors, dit le célèbre Froissart, il avint au roy d'Angleterre et à
toutes ses gens un grand miracle, lui étant devant Chartres, qui moult
humilia et brisa son courage ; car pendant que les traiteurs françois
alloient et préchoient ledit roy et son conseil, et encore nulle réponse
agréable n'en avoient ; un temps et un effondre et un orage si grand et
si horrible descendit du ciel en l'ost (armée) du roy d'Angleterre, que
il sembla bien proprement que le siècle dut finir ; car il chéoit de
l'air des pierres si grosses qu'elles tuoient hommes et chevaux, et en
furent les plus hardis ébahis. Et adonc regarda le Roy d'Angleterre
devers l'église Notre-Dame de Chartres, et se rendit et voua à
Notre-Dame dévotement, et promit, si comme il dit et confessa depuis,
que il s'accordcroit à la paix. »
En effet, quelques jours après, la paix est signée à Bretigny, commune de Sours, le jeudi 7 mai 1560.
Le
lendemain Edouard vint à Chartres faire ses dévotions avec les
principaux officiers de son armée. Il désirait voir et vénérer la sainte
Châsse.
Le Chapitre résolut de satisfaire aux désirs du roi, si toutefois le grand conseil de France le trouvait expédient.
Voici
la délibération du Chapitre : « Le jeudi après la fête de Saint-Jean
devant la Porte latine, 1360. Etant présents messieurs le chantre, le
sous-chantre, etc. Il a été ordonné par le Chapitre que la sainte Châsse
seroit retirée du lieu où elle est cachée, et qu'elle seroit montrée,
en l'endroit accoutumé, au roi d'Angleterre et à ses officiers, qui
doivent cette semaine se trouver à Chartres et venir à l'église en
pèlerinage et dévotion ; si toutefois cela est trouvé expédient par le
Conseil de France, résidant maintenant à Chartres, ou du moins par M.
Chancelier de France ou par M. du régent (dominum Regentis), et par
Simon de Bucy et le doyen de l'église.
Pour
faire la demande au conseil de France furent députés par le Chapitre,
le chantre, le chancelier et les autres chanoines qu'ils voulurent
choisir et avoir ; en même temps ils furent chargés de montrer la sainte
Châsse, en cas que ledit conseil le trouverait bon.
Le
vendredi suivant, étant présents les susdits, le Chapitre ordonna que
ladite sainte Châsse serait posée sur l'autel et montrée à tous, comme
il a été convenu, d'après le rapport du conseil, et parce que la paix a
été confirmée. »
Le
roi vint en effet ce jour-là à Chartres ; il était accompagné du duc de
Lancastre, du prince de Galles, du comte de la Marche et de plusieurs
hauts barons d'Angleterre.
Voici
en quels termes Froissart raconte le pieux pèlerinage d'Edouard III : «
Le roy d'Angleterre, quand il se partit, passa parmi la cité de
Chartres et y hébergea une nuit. A lendemain vint-il moult dévotement,
et ses enfants, en l'église Notre-Dame, et y ouirent la messe et y
firent grandes offrandes, et puis s'en partirent et montèrent à cheval
».
Peu d'années après ce pieux pèlerinage, la sainte Châsse
vit deux fois devant elle le roi de France, Charles ; il y vint en 1366
et en 1367, et dans cette double occasion, il montra une royale
générosité envers Notre-Dame.
Parmi
les dons qu'il fit, on admira surtout un camée antique, qui fut placé
au haut du pignon de la sainte Châsse ; l'inventaire de 1682 le décrit
en ces termes : « Au haut du pignon est une grande agate ovale, sur
laquelle est taillé un Jupiter. Le cadre est ovale et en or. Au bas, un
écusson couronné aux s aux armes de France. On lit sur la couronne :
a LE ROI CHARLES V, FILS DU ROI JEAN, DONNA CETTE
Agate
A L'église En 1367. Estimée 6,000 liv. Ce beau camée se voit depuis
1793, au cabinet des médailles à Paris ; c'est un des plus remarquables
de cette riche collection par la perfection du travail et le volume de
la pierre.
Le quatorzième siècle ne rendit pas à la sainte Châsse de moindres hommages.
On
vit accourir devant elle presque tous les rois et les reines de France
qui régnèrent durant ce siècle ; on vit aussi une foule de princes et de
personnages distingués. Plusieurs y ont laissé de riches offrandes.
C'est
ainsi que le prince Louis de Bourbon, tige de la branche royale dont
est issu Henri IV , donna un tableau d'or ovale, à deux faces : sur
l'une sainte Marie-Madeleine, accompagnée de Louis, comte de Vendôme ;
sur l'autre se lit :
Nous,
Louis de Bourbon, comte de Vendôme, avons donné ce tableau à l'église
N.-D. de Chartres, et y donnons par chacun an, à toujours, une once d'or
à prendre sur notre dit comté de Vendôme. Fait l'an 1404, au mois
d'août. »
Ce tableau d'or a orné la sainte Châsse jusqu'en 1793.
—
Un autre prince français, qui a voulu n'être connu que de Dieu seul,
enrichit la sainte Châsse d'un magnifique diamant, décrit par
l'inventaire de 1682 : « Un diamant non taillé, de la longueur d'un
pouce sur 9 lignes, tant de largeur que de hauteur, encastré dans un
chaton d'or ovale de filigrane , enrichi de petits rubis et turquoises ;
il est d'une très-belle roche, et serait d'un prix considérable s'il
était travaillé, étant plus gros que le tiers de celui du duc de Toscane
, estimé plus de 2 millions. »
—
Un grand seigneur, qui s'est aussi caché derrière un voile
impénétrable, fit placer sur le second côté de la sainte Châsse une
manière de portique ; au milieu, une Vierge d'or tenant son Fils. Pèse 1
marc, 1 once, 2 gros. »
—
Un magnifique camée fut encore mis sur la sainte Châsse, vers 1350, par
une main inconnue ; il avait 2 pouces de haut, et représentait une
Diane à la chasse.
Le seizième siècle s'ouvre par la riche offrande de la reine duchesse Anne de Bretagne.
C'était
une ceinture d'or (pesant 3 mares 1 once, estimée 500 écus),
environnant le bas de la Châsse, et enrichie de 15 rubis, 10 saphirs et
64 perles. A un des bouts il y a une grosse agrafe en or, et à l'autre
un onix servant de bouton. Donnée en 1506 par la reine Anne de Bretagne,
qui y joignit deux bracelets d'or émaillés, attachés au-dessous de
cette ceinture. »
La
première spoliation de la sainte Châsse eut lieu en 1562 , par ordre du
roi Charles IX, à cause des nécessités du royaume, pour écarter les
hérétiques ; il fut bien ôté de la sainte Châsse 40 belles pièces d'or
de plusieurs histoires. »
A cette déplorable époque, toutes les reliques de l'église de Chartres
furent portées, par ordre des commissaires du roi, à l'hôtel de la Fleur
de Lis, près de la porte Guillaume, où ils étaient descendus. Toutes
ces pieuses richesses y furent évaluées, et ensuite conduites à Paris
pour y être vendues.
Les
Chartrains montrèrent alors quel était leur vif attachement pour la
sainte Châsse : ils ne voulurent jamais permettre qu'elle sortît de
l'église, et ils donnèrent des otages pour en répondre à Paris.
Mais
le roi touché d'une si courageuse piété renvoya les otages à Chartres,
et ne voulut pas qu'on mit la main sur la sainte Châsse.
C'est
encore au 16° siècle que l'on voit devenir plus fréquent l'usage de
descendre la sainte Châsse et de la porter en procession jusqu'à
l'abbaye de Saint-Père, à celle de Josaphat.
Mais cela ne se faisait que dans les grandes calamités publiques, ou dans des occasions solennelles.
C'est
ainsi qu'en 1506, la sainte Châsse fut portée à l'abbaye de Saint-Père
pour remercier le Seigneur et sa sainte Mère d'avoir préservé du feu
l'église et la ville.
L'évêque
lui-même, René d'Illiers, portait la sainte Châsse avec le doyen du
Chapitre, et ils marchaient pieds nus ainsi que presque tous les
assistants.
Le
corps de ville s'assembla même pour régler cette procession en ce qui
le concernait ; en effet on lit dans les registres de la chambre de
ville : « 1er aoust 1506 : assemblée en laquelle a esté ordonné,
appointé qu'il sera crié à son de trompe par les carrefours de cette
ville et fait commandement, de par le Roi et M. le bailly de Chartres, à
tous les habitants de cette ville, que demain, en faisant la procession
générale ordonnée estre faite en l'église de Saint-Père en Vallée, en
laquelle sera portée la Châsse pour rendre louanges à Dieu et à la
Vierge Marie d'avoir préservé l'église et la ville du feu, ils aillent
en grande révérence, deux à deux, sans foule ni tourbe ; et qu'on
nettoyé les immondices des rues. » Cette pieuse sollicitude ne saurait
être assez louée.
Divers manuscrits font mention des processions solennelles qui eurent lieu en 1523,1583, 1615, 1636,1681,1693 et 1708.
Qu'on nous permette de transcrire ici le récit détaillé de la
procession du 18 juin 1681 ; ce récit, fait par un témoin oculaire, nous
donnera une idée de la pompe dont on entourait ces cérémonies sacrées.
Mais avant de commencer notre récit, disons le motif de la procession.
En
cette année 1681, une sécheresse extrême, qui dura depuis le mois de
février jusques vers la fin de juin, avait tellement arrêté la
végétation au point que les blés et les autres céréales ne paraissaient
pas plus avancés qu'en plein hiver.
C'est
alors que M. de Neuville ordonna des prières publiques dans tout son
diocèse et une procession de la sainte Châsse à Josaphat.
Quelque
temps après, des pluies abondantes rendirent la fécondité à la terre,
et procurèrent une riche récolte, contre l'attente de tout le monde.
Maintenant voici le récit quelque peu emphatique de D. Fabien Buttereux, en son histoire de Josaphat :
«
Le mercredy, 18° du mois de juin 1681, la 5e année du souverain
pontificat d'Innocent XI, pape, la 38° année de Louis quatorzième
surnommé le Grand, roy de France cl de Navarre, la 24e année du
pontificat de messire Ferdinand de Neufville, évesque de Chartres, la
30e année depuis que messire Gabriel de Rothclin fut fait abbé
commendataire de l'abbaye de Josaphat, et la première année du R. P. D.
Nicolas Sacquespré, prieur de Josaphat ;
II
fut fait une procession générale de la sainte Châsse, dans laquelle est
renfermée la chemise de la sainte Vierge Marie, mère de N. S. J. C, en
l'abbaye de Josaphat lès Chartres ; à cette procession assistèrent tous
les chanoines de l'église cathédrale de Chartres, tous les religieux,
tant exempts que non exempts, avec messieurs les curés, tant de la ville
et la banlieue que de beaucoup d'autres paroisses es environs, qui
eurent la dévotion d'y assister, quoique ils n'y eussent pas été mandez ;
ils estoient tous revêtus de chappes.
Pour
s'y bien préparer, monseigneur de Chartres ordonna trois jours de
jeûne, à savoir le lundy, le mardy et le vendredy ensuivant, tant à ceux
de la ville que de la banlieue, afin d'obtenir, par les mérites et
intercession de la très-sainte Vierge, de la pluie, d'autant qu'il y
avoit plus de deux mois qu'il navoit plu, ce qui faisoit craindre une
grande stérilité. De plus, il ordonna que le jour de la procession,
l'office se feroit de la sainte Vierge comme aux fêtes doubles pour la
ville et banlieue ; et pour la cathédrale, l'office se feroit avec la
solennité des festes de seconde classe, L'office du jour estant donc dit
à la cathédrale, sur les six heures du matin, l'on tira la sainte
Châsse du trésor, qui fut portée sur le grand autel par les deux
premières dignités, et cependant quatre enfants de chœur ayant chacun en
la main un flambeau chantèrent : Domine, non secundum peccata, etc. La
prière estant finie, l'on fit partir la procession sur les six heures et
demie pour aller à l'église de Nostre-Dame de Josaphat. Tout le clergé
estoit revêtu de chappes, et au milieu du clergé toutes les reliques
estoient portées par des ecclésiastiques à qui appartenoient les saintes
reliques. La première qui marchoit estoit celle des RR. Pères Jacobins,
la seconde desaint Prest, la troisième de saint Maurice, la quatrième
celle de sainte Foy, la cinquième celle de saint Aignan, évesque de
Chartres, la sixième celle des RR. Pères chanoines réguliers de
Saint-Jean en vallée, la septième celle des chanoines de Saint-André, la
huitième celle de sainte Soline des RR. Pères religieux bénédictins de
Saint-Père en Vallée, la neufvjème celle de saint Thaurin, évesque
d'Evreux, portée par le curé de Paysi et un autre ecclésiastique, et
supportée par plusieurs habitants dudit Paysi qui estoient nuds-pieds et
revêtus d'aubes ayant des couronnes et chapeaux de fleurs à leurs
testes, la dixième le reliquaire du bois de la vraie Croix de N. S. J.
C, et la dernière la sainte Châsse portée par messieurs les chanoines,
chacun à son tour, selon les stations qui furent marquées par messieurs
de l'œuvre, tant pour aller que pour revenir, selon l'ordonnance de
messieurs du Chapitre, et tous le portèrent, depuis la première dignité
jusqu'au dernier des chanoines qui estoit dans les ordres majeurs.
La
sainte Châsse estoit accompagnée de quatre marguilliers clercs qui
tenoient chacun de son costé, le coin du drap d'or qui estoit attaché
dessous la sainte Châsse, de crainte qu'il ne tombât par terre quelques
pierreries dont elle est toute couverte, ayant aussi le chaperon sur
l'épaule et de l'autre main tenant une verge blanche. Suivoient ensuite
deux orpheuvres qui marchoient derrière la sainte Châsse.
Toutes
les rues par où devoit passer la procession estoient tendues de
tapisseries. La susdite procession estoit accompagnée de messieurs du
Présidial, de Ville, de l'Election et du Grenier à sel et aussi du Corps
des marchands. L'on mit plusieurs tables le long du chemin pour y
reposer les saintes reliques en la nécessité ; mais la sainte Châsse ne
reposa sur aucune, car lorsqu'il estoit besoing de changer, les quatre
marguilliers qui l'accompagnoient, la soutenoient pour faciliter le
changement. Pour empêcher la foule du peuple qui n'est que trop
ordinaire à ces sortes de cérémonies, messieurs de Ville mandèrent le
Vidame avec sa cinquantaine, dont il y eut une partie qui accompagnoit
la procession, et l'autre fut envoyée à l'abbaye pour en garder les
portes et empescher le monde d'entrer en l'église ; ce qu'ils
exécutèrent fidèlement, tenant toujours la grande porte fermée, et on
ouvroit la petite porte seulement pour la nécessité, jusqu'à ce que la
procession arrivast au monastère, car alors ils ouvrirent l'une et
l'autre et se mirent à la porte de l'église pour empescher non-seulement
le peuple, mais même tous ceux qui tenoient les torches allumées qui
estoient en grand nombre, car chaque corps de métier en avoit plusieurs,
sans compter celles de messieurs les Chanoines, de messieurs de Ville,
du Présidial, de l'Election et du Grenier à sel. Ils alloient tous, deux
à deux, en bel ordre ; suyvoient les bannières et les croix de toutes
les paroisses, tant de la ville que des champs, qui demeurèrent tous
aussi à la porte de l'église sans y entrer ; après les croix tous les
petits pauvres venoient ensuite ; après les petits pauvres tous les
religieux mendiants ; après eux les prieurs, les curés, les prêtres des
séminaires qui alloient de côté avec messieurs les curés, les chanoines
réguliers de Saint-Jean, les chanoines de Saint-André, les religieux de
Saint-Père en Vallée, et les derniers tous les chanoines avec la sainte
Châsse, le reliquaire du bois de la vraie Croix et de saint Thaurin. Les
autres châsses et reliquaires marchoient au milieu du corps soit de
religieux soit de curés à qui appartenoient lesdites reliques, eu sorte
que les reliquaires des Jacobins marchoient au milieu des Jacobins, et
ainsi des autres.
«
La procession arriva à l'église de Josaphat sur les huit heures et
demie, qui estoit magnifiquement ornée et tendue de double rang de
tapisserie de haute lice, tant dans toute la nef que dans le chœur, et
pour la chapelle de la sainte Vierge et le tour du chœur estoit
seulement tendue d'un seul rang de tapisseries. Les deux ailes de la nef
estoient par bas parées de beaux parements d'autels, de croix, etc. ;
sur le haut de la clôture qui sépare le chœur d'avec la nef, il y a voit
quatorze chandeliers avec chacun un cierge de demi-livre pesant, et
entre chaque chandelier il y avoit autant de beaux vases de porcelaine
avec de beaux bouquets dedans.
Pour
le grand autel, il estoit paré magnifiquement de nos saintes reliques,
d'une grande croix d'argent et quatorze grands chandeliers d'argent dont
il y avoit six du thrésort de NostreDame de sous-terre, et six autres
appartcnoient aux RR. Pères Jacobins avec la grande croix d'argent, sans
compter tous les flambeaux d'argent et beaucoup de gros vases d'argent
qui estoicnt posés de costé et d'autre du grand autel.
Aux
deux costés du grand autel, assez proches des galeries, estoient posées
deux longues tables couvertes de grandes tapisseries et sur icelles de
grandes tavaioles où furent posées les reliques; et pour la sainte
Châsse, on fit un petit throsne à part au milieu du presbytère où elle
fut mise et y demeura pendant toute la grande messe.
Ceux
qui entrèrent dans le chœur, furent les Chanoines de la cathédrale, les
religieux de Saint Père en Vallée, les chanoines de Saint-André, les
chanoines réguliers de Saint-Jean, et les curés tant de la ville que de
la banlieue. Les autres curés des villages et les prestres avec tous les
religieux mendiants estoient dans la nef et autour du chœur. Il y avoit
tout le long du chœur, de chaque costé, quatre rangs de bancelles tout
couvertes de tapisseries à fleurs de lys qui estoient suffisantes pour
asseoir tous ceux qui estoient dans le chœur. On avoit préparé de plus
trois escabeaux de tapisserie pour les trois chantres.
Dans
le presbytère tout estoit rempli de bancelles couvertes aussi de
tapisseries pour messieurs du Présidial, de Ville, de l'Élection et du
grenier à sel. Pour le corps des marchands, on avoit préparé des
bancelles dans la chapelle de la sainte Vierge, qui estoit très-bien
parée, estant toute tendue de belles tapisseries de haute lice ; et pour
l'autel rien n'y manquoit pour sa beauté et son ornement. Outre les
tableaux, il y avoit grand nombre de flambeaux d'argent, avec autant de
cierges d'un quarteron qui furent tous allumés, au commencement de la
procession.
Tout
le clergé estant entré dans l'église, on chanta la grande messe en
musique, qui fut célébrée par M. Pinard, chanoine et grand pénitencier,
que messieurs du Chapitre choisirent pour cet effet. Pour les ornements
nécessaires pour le célébrant, le diacre, le sous-diacre et les trois
chantres, nous eusmes les ornements de messieurs les chanoines. On mit
dès le commencement de la grande messe le calice sur le grand autel. On
avoit préparé une écharpe pour le sous-diacre, qui ne servit point, à
cause qu'il n'en porte que dans leur église.
Le
célébrant, le diacre et le sous-diacre ne s'assirent point pendant le
Gloria in excelsis et le Credo (je spécifie ceci, afin qu'on y prenne
garde , quand la même cérémonie arrivera une autre fois).
«
La messe fut chantée de la sainte Vierge dont la premiere oraison
estoit de la Vierge, lu seconde de la Croix, la troisième de saint
Thaurin, la quatrième des saintes reliques, la cinquième pour la pluie,
la sixième pour le Roy, et la septième pour la paix. La grande messe
estant finie, la procession s'en retourna dans le mesme ordre qu'elle
estoit venue, en chantant en musique les litanies de la sainte Vierge.
Elle arriva à la cathédrale un peu après midy.
Il
y avoit 45 ans que la sainte Châsse n'avoit été descendue. On ne la
descend que dans l'extrémité, et toutes les fois qu'on le fait, ce n'est
que pour la porter à Nostre-Dame de Josaphat lès Chartres. »
L'usage
de ces processions continue encore dans les calamités publiques; et il
est à remarquer qu'elles ont toujours eu lieu sur les plus vives
instances du peuple chartrain, si confiant dans le pouvoir de Marie.
En 1852 et en 1849, la sainte Châsse fut portée processionnellement
dans les principaux quartiers de la ville, comme pour les étreindre
d'un cordon sanitaire contre le choléra qui sévissait alors à Chartres,
ainsi que dans presque toute la France.
La
procession du 26 août 1832 mérite d'être rapportée ici. La ville était
plongée dans la plus profonde consternation ; car depuis trois semaines
le choléra faisait chaque jour de nombreuses victimes : on en compta
jusqu'à 24 en une seule journée ; c'était un nombre considérable pour
une ville qui contenait à peine douze mille habitants, puisque durant
ces jours de désolation tous ceux qui le purent, s'éloignèrent de ce
théâtre de mort.
Une
même pensée s'éleva alors dans tous les cœurs : l'intercession de
Notre-Dame, se disait-on, peut seule arrêter les ravages du terrible
fléau.
Le peuple de la basse-ville et des faubourgs surtout demandait à grands cris la procession de la sainte Châsse.
Mgr.
Clausel de Montais, évêque de Chartres, céda bien volontiers au désir
de son peuple, et il ordonna que la procession demandée, à laquelle
assisteraient tout le Chapitre de la cathédrale et le clergé des
paroisses et des séminaires, aurait lieu le dimanche 26 août, à l'issue
des vêpres.
Elle
se fit avec la plus grande solennité ; Mgr. l'évêque la présida. La
sainte Châsse, tutèle des Chartrains, y était portée avec une profonde
vénération. Le pieux cortége était suivi par tous les habitants de la
ville et des villages voisins ; tous donnèrent les marques les plus
touchantes de recueillement, de dévotion et de confiance en Marie. Oh !
que ce fut un touchant spectacle que cette foule qui se pressait à
l'envi autour du saint Vêtement, sauve-garde de la cité carnute !
L'espoir
du peuple ne fut pas trompé : la divine Consolatrice des affligés
exauça les prières qui lui furent adressées avec larmes, en ce jour
d'imposante solennité.
Le
choléra cessa tout-à-coup ; un impie contempteur de la sainte confiance
de ses concitoyens fut seul frappé encore par la cruelle maladie, comme
pour rendre le miracle plus visible à tous les yeux.
A
partir du lendemain , on ne compta plus un malade nouveau, ainsi que
l'ont attesté les rapports des médecins et des prêtres de la ville ;
tandis que la veille, le terrible fléau avait frappé de mort dix-sept
personnes. On remarqua aussi que tous les cholériques atteints le jour
de la procession entrèrent en convalescence immédiatement après, et
trouvèrent tous une entière guérison.
Une
cessation aussi subite et aussi contraire à la marche ordinaire du
fléau frappa tous les esprits, et, à l'exception de quelques hommes qui
s'obstinent à ne jamais reconnaître l'intervention céleste, et qui
veulent tout expliquer par l'électricité et les variations
atmosphériques, tous s'écrièrent avec admiration et reconnaissance : Le
doigt de Dieu est là ! Tous se plurent à reconnaître dans cette guérison
miraculeuse l'effet de la puissante intervention de Marie, patronne de
la ville et du diocèse.
Pour
en perpétuer le souvenir et pour témoigner de leur gratitude, les
habitants de la ville firent frapper une grande médaille en or.
En
voici la description : le fond représente l'entrée de la cathédrale ;
au bas un cholérique portant une croix sur sa poitrine, et levant les
mains vers la très-sainte Vierge ; à gauche la souriante Marie implore
pour sa ville de Chartres le Père éternel, qui apparaît porté sur des
nuages ; il tourne ses regards vers Marie prosternée à ses pieds, et de
sa main gauche il arrête le bras de l'ange exterminateur,
personnification du choléra.
Comme exergue on lit ces mots de saint Bernard : In periculis, in angustiis, Mariant cogita, Mariam invoca ;
—
Dans vos dangers et vos angoisses, pensez à Marie, invoquez Marie. Au
bas se lit l'inscription suivante : Volé à Notre-Dame de Chartres par
les habitants de la ville, en reconnaissance de la cessation du choléra
morbus, qui eut lieu à la suite de la procession solennelle célébrée
pour obtenir sa puissante intercession, le dimanche XXVI août
MDCCCXXXII.
Mgr. l'évêque voulut en outre qu'un monument liturgique éternisât la mémoire de cette délivrance miraculeuse.
II
ordonna que chaque année le dimanche le plus rapproché du 26 août, on
ferait, dans les églises de la ville, une procession en l'honneur de la
très-sainte Vierge, pour rendre grâces à Dieu de la cessation du
choléra.
Voici
en quels termes l'ordo diocésain la commande : Hodie post vesperas, in
ecclesid cathedrali ac in ecelesiis S. Petri et S. Aniani, ad
persolvendas Deo gralias pro cessatione morbi dicti choléra-morbus anno
1832, ... fit Processio in Iwnorem B. M. V. cum sahiti S. S. Sacramenti,
in qud cantalur Te Deum.
— Quant Processionem, singulis annis in perpetuum, dominied diei 26 aitgusti proximd faciendam D. D. Episcopus Mandavit.
Cette fête liturgique est la plus haute garantie donnée à l'authenticité du miracle.
Depuis
la miraculeuse procession de 1832, il est d'usage de porter la sainte
Châsse dans la procession du 15 août. Mais elle n'est plus portée comme
autrefois par les chanoines ; ce sont des ecclésiastiques pèlerins, ou à
leur défaut de jeunes lévites du séminaire qui ont cet honneur. — Telle
est la vénération traditionnelle du peuple chartrain pour la sainte
Châsse, qu'à son passage dans les rues et sur les places publiques,
toutes les tètes se découvrent et tous les genoux fléchissent.
Depuis
la mise du saint Vêtement dans la Châsse d'or, œuvre de Teudon, il ne
paraît pas avoir été examiné ou retiré de la Châsse avant 1712. A cette
époque, Mgr. de Mérinville fit ouvrir la sainte Châsse et décrire le
précieux Vêtement. Nous possédons encore le procès-verbal de cette
ouverture.
Quand
l'affreuse révolution de 1793 vint s'abattre sur la cathédrale de
Chartres avec toutes les fureurs du vandalisme le plus sauvage, la
sainte Châsse fut brisée, et le saint Vêtement partagé en deux portions
qui furent gardées par les hommes chargés de cette sacrilège spoliation.
Plus tard ces portions tombèrent entre des mains pieuses qui les
conservèrent précieusement. En 1820, elles furent authentiquement
reconnues par Mgr. de Lubersac, ancien évêque de Chartres, et placées
dans un petit coffret en vermeil.
Deux
ans plus tard , S. E. le cardinal Latil, alors évêque de Chartres, fit
placer sur le coffret deux cœurs en or, donnés par la duchesse
d'Angoulème, et il le posa sous une sorte de baldaquin en bronze doré.
Dans son procès-verbal, l'éminent prélat déclare y avoir fait ajouter
deux cœurs en or unis ensemble, enrichis d'or de couleur : l'un entouré
d'une couronne d'épines, surmonté d'une croix, dans lequel est inclus un
petit papier sur lequel sont écrits à la main ces mots : l'Eglise de
France ; l'autre cœur, entouré d'une couronne de roses blanches,
transpercé d'un glaive, surmonté d'une branche de lis et dans lequel est
inclus un autre papier sur lequel sont pareillement écrits ces mots :
Le roi et la famille royale ; une chaînette d'or descend du milieu des
deux cœurs sur la croix placée sur la partie supérieure dudit
reliquaire. » Ensuite il ajoute : « Nous l'avons déposé dans une châsse
de bronze doré, par nous bénite à cet effet avec les cérémonies
accoutumées ; ladite châsse formant un monument gothique soutenu par
huit pilastres, surmontés d'ogives du même métal et enrichies de
médaillons peints sur émail, représentant les douze apôtres : au-dessus
des ogives règne une galerie formant un pourtour garni de pierres bleues
et rouges, au milieu desquels s'élève une tour carrée à jour, surmontée
d'une flèche ou petit clocher terminé par une croix : ledit clocher
décoré sur ses côtés de quatre grosses topazes, et garni dans son
pourtour de pierreries semblables à celles de la susdite galerie. Deux
inscriptions en latin, rapportées à la suite des présentes, sont gravées
sur les deux faces latérales inférieures de ladite tour, dans
l'intérieur de laquelle est placée une image de la très-sainte Vierge en
argent doré. Ladite châsse, longue à la base de 19 pouces sur environ
12 de largeur, porte trois pieds de hauteur depuis sa base jusqu'à la
croix placée sur le clocher ; dans l'intérieur, à la hauteur des ogives,
elle est revêtue de verres bleus. »
L'édicule
gothique de Mgr. de Latil existe encore ; mais le reliquaire donné par
Mgr de Lubersac a été remplacé par un autre en 1849 ; l'ordonnance
épiscopale qui suit, énonce les motifs de cette substitution :
« Claude-Hippolyte Clausel de Montals, par la miséricorde divine et l'autorité du Saint-Siége apostolique, évêque de Chartres ;
Considérant
que le coffret dans lequel la relique de la sainte Tunique de
Notre-Dame a été renfermée depuis la révolution par Mgr. de Lubersac,
ancien évêque de Chartres, est d'une disposition fâcheuse, attendues que
les ouvertures de ce coffret laissent voir plusieurs autres reliques
des saints, et nullement celle qui est l'objet principal de la
vénération des fidèles ;
Considérant
d'ailleurs qu'il est contraire aux lois de l'Eglise de renfermer dans
un même reliquaire, destiné à être exposé publiquement, des reliques qui
ont droit à un culte d'un degré différent, telles que celles de la
vraie Croix, des vêtements de la Mère de Dieu, et des ossements des
saints et saintes ;
Considérant
qu'un coffret, précieux par le genre délicat de son orfèvrerie, a été
donné par feue mademoiselle de Byss, bienfaitrice de l'église
cathédrale, à l'effet d'être substitué à celui de Mgr. de Lubersac.
Considérant
enfin que ce précédent coffret, qui a son double exactement pareil,
sera très-apte à renfermer, ainsi que l'autre, les diverses reliques des
saints apôtres, martyrs, confesseurs et évêques de Chartres, qui sont
conservées dans le trésor de l'église.
Par
ces motifs, nous avons établi, à l'effet de transporter ladite relique
de la bienheureuse Vierge Marie de l'ancien coffret dans le nouveau, une
commission composée de Mgr. Pie, notre vicaire-général, évêque nommé de
Poitiers, de M. Sureau, vicaire-général, de M. Olivier-Dengihoul,
chanoine secrétaire-général de notre évêché, de M. Vilbert, chanoine,
secrétaire-adjoint, de M. Germond, chanoine-honoraire, notre secrétaire
intime, et de M. Baret, chanoine-honoraire, premier vicaire de la
paroisse N.-D. dans notre église cathédrale.
Et
après avoir porté les peines de droit ipso facto contre quiconque
détournerait la moindre partie de ladite relique insigne que nous avons
promis de conserver entière à notre église,
Nous
avons autorisé la commission susdite à procéder à l'ouverture de la
sainte Châsse, à la condition expresse que la sainte relique sera, après
un premier examen, exactement replacée sous nos sceaux, jusqu'au moment
où elle sera définitivement disposée et authentiquement renfermée dans
le nouveau coffret.
Donné
à Chartres, à notre palais épiscopal, sous notre seing, le sceau de nos
armes et le contre-seing de notre secrétaire, le lundi neuf juillet de
l'an de grâce mil huit cent quarante-neuf.
L. S. † C. H. évêque de Chartres,
par mandement de Mgr. OLIVIER-DENGIHOUL, ch. secret, g.
La
commission ne tarda pas à commencer l'œuvre dont elle était chargée ;
ses opérations sont consignées dans le procès-verbal suivant, en date du
1er août 1849 :
Claude-Hippolyte Clausel de Montals, par la miséricorde divine et l'autorité du Saint-Siége apostolique, évêque de Chartres,
Savoir
faisons que la commission par nous instituée conformément à
l'ordonnance ci-dessus du 9 juillet dernier, a fait l'ouverture du
coffret renfermant le précieux Vêtement appelé Tunique et plus tard
Chemise de la bienheureuse Vierge Marie, Mère de Dieu ; qu'elle a trouvé
cette sainte relique dans un état très-satisfaisant : elle se compose
de deux morceaux de la même étoffe de soie blanche écrue, dont l'un est
long de deux mètres douze centimètres, sur quarante centimètres de
largeur ; et l'autre long de vingt-cinq centimètres sur vingt-quatre de
large. A cette Tunique de la bienheureuse Mère de Dieu, telle qu'elle
est décrite dans les procès-verbaux de nos prédécesseurs, Mgr.
Charles-François de Mériville, du 13 mars 1712 et de Mgr. J.-B.-Joseph
de Lubersac, du 8 mars 1820, se trouve joint un voile d'une étoffe plus
légère et plus claire, qui est désigné dans les procès-verbaux susdits
comme l'enveloppe de la Tunique de la très-sainte Vierge, et qu'on croit
avoir été un voile de l'impératrice Irène. Ce voile remarquable par
plusieurs ornements bysantins qui le tenaient aux deux extrémités, a été
copié et dessiné avec soin par M. Paul Durand, docteur médecin et
artiste-archéologue, de notre ville épiscopale, qui a été admis à
l'ouverture de la sainte Châsse ou coffret susdit.
Cette
première opération terminée, le saint Vêtement de la bienheureuse Mère
et l'enveloppe qui y était jointe, ont été plies soigneusement et placés
sur un coussin de drap d'or, de manière que le Vêtement de la sainte
Vierge formant plusieurs plis gradués et placé au-dessus, fût facilement
visible, et que l'enveloppe pliée par-dessous laissât apercevoir une
partie des franges et ornements bysantins dont nous parlons plus haut.
Cette sainte relique est assujettie par six cordons d'or liés deux à deux par-dessus et terminés par des petits glands d'or.
Le
tout a été déposé dans un petit coffret de bois de cèdre préparé
exprès, long de 35 centimètres, haut de 12, et large de 10 centimètres,
garni à l'intérieur de soie blanche et pourvu de six ouvertures, trois
de chaque côté, ayant la forme de trèfles à quatre feuilles, du genre de
ceux du moyen âge.
Ce
coffret, qui a été bénit avant le dépôt de la sainte relique, a été
scellé du sceau de nos armes, apposé en trois endroits sur de la cire
rouge, aux points de réunion des rubans de soie rouge qui en empêchent
l'ouverture.
Et
ledit coffret de bois a été placé dans le nouveau coffret de cuivre
ciselé et doré en forme de reliquaire du moyen âge, que notre cathédrale
doit à la munificence de feue mademoiselle de Byss.
Cette
opération a été faite en présence de Mgr Pie, notre vicaire-général,
évêque nommé de Poitiers, et des autres membres de la commission par
nous instituée le 9 juillet précédent et désignés dans notre ordonnance
ci-dessus rapportée, et de plus en présence du révérend docteur Tandy,
missionnaire apostolique à Bambury, comté d'Oxford, doyen du doyenné de
Saint-Augustin, dans le district central d'Angleterre, et de M. Paul
Durand, docteur et archéologue résidant à Chartres ; lesquels ont signé
avec nous ce présent procès-verbal.
A
Chartres, en notre palais épiscopal, sous le sceau de nos armes, notre
seing et le contre-seing de notre secrétaire, le mercredi premier août
de l'an de grâce mil huit cent quarante-neuf.
L. S. † C. H. évoque de Chartres.
Louis-edouard Pie , évéque nommé de Poitiers.
J. N. Tandy , miss, apost.
Sureau, vicaire gén.
P. Durand.
Baret, ch. hon. vie. de N. D.
C. A. Vilbert, ch. hon. secr.
E. Germond, ch.hon. secr.
Oxivier-denghioul , ch. secr. général.
Le
nouveau coffret enrichi de filigranes, d'émaux et de cabochons, a été
fait par M. Cahier, orfèvre à Paris. — La sainte Châsse repose dans le
trésor de la cathédrale, c'est-à-dire dans une grande armoire pratiquée
dans le mur de la clôture du chœur. Les sacristains la montrent aux
pèlerins.
Source : Livre "Manuel du pèlerin à Notre-Dame de Chartres" par Marcel-Joseph Bulteau
Chartres |
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