Sainte Sara (1er s.)
Sara la noire (Sara e Kali en langue romani), est une sainte vénérée par les Roms aux Saintes-Maries-de-la-Mer en Camargue.
Une légende fait d'elle la servante des Maries honorées en Provence.
Une autre légende la tient pour une païenne de haute naissance, convertie à la religion d'Abraham.
Dans la tradition chrétienne
Sara
viendrait de Haute-Égypte et serait la servante noire de Marie
Salomé et Marie Jacobé ; après la Crucifixion de Jésus, Marie-Salomé,
Marie Jacob et Marie Madeleine auraient dérivé sur une barque vers la
côte provençale, au lieu dit Oppidum-Râ, ou Notre-Dame-de-Ratis
(Râ devenant Ratis, ou barque) (Droit, 1961, 19) ; le nom passant à
Notre-Dame-de-la-Mer, puis aux Saintes-Maries-de-la-Mer en 1838.
D'autres versions de la légende incluent Joseph d'Arimathie, le porteur du saint Graal.
En France, le jour officiel de leur pèlerinage est le 24 mai.
Le film de Tony Gatlif, Latcho Drom (1993) montre cette procession annuelle.
La fête de sainte Sara est le 9 octobre.
Histoire du culte
Bien
que la tradition des Maries soit assez ancienne, elle apparaît dans
la Légende dorée du XIIIe siècle, Sarah - Sara chez les gitans n'a pas
de h selon les propos recueillis par Rolf Kesselring - n'apparaît pas avant 1521 dans La Légende des Saintes-Mariesde Vincent Philippon.
Au début du XVIIIe siècle, Jean de Labrune écrit :
« L'an
1447 il [ René d'Anjou ] envoya demander des Bulles au Pape Nicolas
V pour proceder à l'inquisition de ces Corps Saints ; ce qui lui ayant
été accordé, les Os des Maries furent mis dans de riches & superbes
Châsses. Pour Sainte Sara,
comme elle n'étoit pas de la qualité de ses Maîtresses, ses ossemens ne
furent renfermez que dans une simple caisse, qu'on plaça sous un Autel
dans une Chapelle soûterraine. »
Son culte n'a laissé aucune trace avant 1800.
De
tradition provençale, il reprend les rites de celui des « saintes
Maries de la mer », dont elle est la servante selon la tradition
hagiographique. Fernand Benoit, qui fut le premier historien à décrypter
ce folklore, souligne que comme pour Marie Jacobé, Marie Salomé et
Marie Magdeleine, c'est une procession à la mer que font
les Bohémiens depuis 1936.
Elle précède d'un jour celle des Maries, et la statue de Sarah la noire est immergée jusqu'à mi-corps.
En Camargue, l'immersion rituelle dans la mer obéit à une tradition séculaire.
Déjà au XVIIe siècle,
en souvenir de la légende de la Madelaine qui explique que la barque
aborda sur ces rivages, les Camarguaises et Camarguais se rendaient à
travers les bois et les vignes, sur la plage, alors éloignée de
plusieurs kilomètres de l'église des Saintes, et se prosternaient à
genoux dans la mer.
« Le
rite de la navigation du « char naval », dépouillé de la légende du
débarquement, apparaît comme une cérémonie complexe qui unit procession
du char à travers la campagne et pratique de l'immersion des reliques,
il se rattache aux processions agraires et purificatrices qui nous ont
été conservées par les fêtes des Rogations et du Carnaval »
— Fernand Benoit, La Provence et le Comtat Venaissin, Arts et traditions populaires.
Et
l'historien de souligner que ces processions à la mer participent au
caractère même de la civilisation provençale et à sa crainte
respectueuse de la Méditerranée puisqu'elles se retrouvent tant
aux Saintes-Maries-de-la-Mer,
qu'à Fréjus, Monaco, Saint-Tropez ou Collioure, liées à d'autres saints
ou saintes.
Les influences
Kâlî
Sarah-la-Kali
(Sarah la noire) peut rappeler la déesse indienne Kâlî (Bhadrakali,
Uma, Durga, et Syama) (Fonseca, 1995, 106-107).
Cette appellation concorde avec l'hypothèse de la provenance indienne des Roms vers le IXe siècle.
Elle
serait alors une manifestation syncrétique et christianisée de
Kali. Durga, autre nom de Kali, déesse de la création, de la maladie et
de la mort, pourvue d'un visage noir, est aussi immergée dans l'eau tous
les ans en Inde. (Weyrauch, 2001, 262), bien que la
hiérarchie catholique romaine tente de garder le pélerinage
des Saintes-Maries-de-la-Mer dans le giron officiel de la chrétienneté.
« Lors
du festival rom qui eut lieu pendant le premier Congrès international
rom en 1971, une grande affiche fut diffusée partout. Elle montrait une
procession avec Sainte Sara et une légende expliquait : « La statue de
sainte Sara sera portée sur les épaules des Roms. Sainte Sara, la grande
sainte protectrice des Roms, représente la forme christianisé de la
déesse indienne Kãli. Déesse du Destin et de la Bonne Fortune, elle a
été respectée par le peuple des Roms depuis que les premiers d'entre eux
quittèrent leur patrie d'origine dans le Nord de l'Inde il y a mille
ans... » Pour marquer la fin dudit festival, la statue de sainte Sara
eut droit à une grande procession à la fin de laquelle elle fut immergée
dans une pièce d'eau voisine. Ceci fut fait très exactement de la même
manière que lors des fêtes d'octobre du Durga Puja en Inde. »
— Régis Blanchet, Un peuple-mémoire les Roms
Cette
origine hindoue de Sainte Sara se confirmerait aussi dans le fait que
la statue n'est pas exposée dans une église mais dans la crypte.
Selon les Roms, la Sainte vient d'un temps où les églises n'existaient pas.
Même
si les habits de Sainte Sara sont différents de ceux de Kâlî (la Déesse
est nue, « vêtue » de sa longue chevelure), sa face noire, quant à
elle, l'a relie clairement à la représentation de la Déesse hindoue.
Lors
du culte à « Sara-Kâlî », on vient d'abord illuminer des bougies, et
l'on porte un baiser respectueux sur un pied ou le bas de la robe de la
statue sacrée. L'après-midi, vers quatre heures, la Sainte est portée
sur les épaules des hommes qui se dirigent vers la mer où elle sera
immergée comme le sont les divinités hindoues lors de leur fête.
La
Sainte Sara-Kâlî des Roms est la Déesse protectrice de leur peuple, une
Déesse particulière dont le seul rôle est d'écouter et d'entendre
les prières de ses dévots et de les accompagner dans toutes leurs
vicissitudes en leur offrant une protection « magique » (Mâyâ) ou divine ; cela correspond à la mythologie hindoue :
« Au
début des temps eut lieu la naissance des Rajputs – ou des Chauhan –,
peuple de guerriers sacrés dévoués contre les forces négatives de
l'univers. Leur naissance vient d'une grande incantation que saint
Vashista fit aux dieux lors d'un sacrifice du feu sur lemont
Abu [au Gujarat]. Il demandait à ce que les forces du mal soient
vaincues afin d'engendrer un monde meilleur. Trois déesses
l'entendirent. Shaktidevi – déesse de la Force – chevauchant un lion et
armée de son Trúsul (un trident sacré),
decendit dans le monde des hommes et bénit les Chauban pour leur donner
sa force. Ainsi firent Ãsãpuranã – une déesse des Souhaits – et Kãlikã
(Kãli) qui promit de toujours écouter les prières des Rajputs et des
Chauhan. »
— Régis Blanchet, Un peuple-mémoire les Roms .
Mère Kâlî est
une des facettes majeures de la Mâyâ primordiale (« Magie, illusion
cosmique »), véritable substrat de l'univers dans son ensemble9.
Ses attributs, lui permettant de vaincre tous les ennemis du Bien, en
ont fait la Déesse privilégiée des Kshatriyas, et par voie de
conséquence des Jats, des Chauhan et des Rajputs dont une des branches
disloquées par les envahisseurs islamiques formera un des plus
importants contingents roms en partance vers l'ouest, leur servitude
abolie dans l'Empire musulman.
Les
dieux et déesses hindous sont multiformes et aux noms infinis, et
chaque entité primordiale peut engendrer une série de Dieux et de
Déesses secondaires qui ne sont rien d'autre que des hypostases en
fonction qui changent de place dans la hiérarchie cosmique selon leurs
œuvres et leurs dévots (d'où le fait que les Divinités hindoues n'ont
généralement pas d'enfants).
Ainsi, pour éliminer deux démons puissants,Canda et Munda, la Yakshini Ambikâ fait apparaître Kâlî :
« Ambikâ
se mit dans une colère terrible, ce pourquoi elle devint noire comme
l'encre. De son front, la face violemment froncée, sortit
soudainement Kâlî dans une apparence terrible, armée d'une épée et
d'une corde. Portant une couronne, décorée d’une guirlande de crânes,
revêtue d’une peau de tigre (…) elle dévora les hôtes des ennemis des
Dieux. »
— Dévi Mahâtmya (Sri Durgâ-Saptsati).
La
signification métaphysique de cette mythologie est que l'Esprit
primodial est féminin dans l'hindouisme ; c'est la Mâyâ originelle et
vénérée, Génitrice de tout l'univers :
« La
Dévi (déesse) dit : « Je suis seule ici en ce monde. Tout autre être
procède de moi. Toutes les Déesses ne sont que des attributs issus de
moi-même et ne revenant qu'à moi-même. » Par toi seules, la Mère, le
monde est rempli. Tu provoques les incarnations de tous les êtres
terrestres, mais aussi celles des démons et des Dieux. Mère de toutes
les créatures, tu es aussi le Temps et présides à tous les changements,
toutes les mutations, tous les passages. Tu es le pouvoir de création
mais aussi de destruction. »
— Mârkandéya Purâna (मार्कण्डेय पुराण).
Le commentaire de ce passage, par W. R. Rishi, dans son ouvrage Roma , est le suivant :
« Ce
texte fait référence à Kâlî en tant que partie féminine de Kâla,
le Temps. Le Temps est le grand Destructeur, mais aussi le Grand
Sauveur. Il tue, mais aussi garde en lui-même le secret de l'immortalité
(Yama) comme peut le faire l'effrayant, l'errant, le porteur de
crânes, Bhairava, qui, quand il est correctement prié, détruit toutes
les peurs et tous les ennemis. Cette divinité première (Mâyâ) –
etKâlî est une des formes, noire et en colère purificatrice – soulage
toutes les souffrances, est sans notion de faute ou de péché. Elle peut
aussi prendre le nom de Kaumâri. Elle est la déesse de la Bonne Fortune,
modeste, d'une grande sagesse et porteuse d'une foi saine. Elle est la
Grande Nuit et la Grande Illusion, terrible avec ses flammes, ses
aspects coupants et ses capacités à tuer les démons. »
Voici un chant de la Déesse Kâlî qui précise sa fonction divine :
« Celui
qui est perdu dans une forêt en feu, ou celui qui est attaqué par des
brigands dans un coin solitaire, ou celui qui est capturé par l'ennemi,
ou celui qui est poursuivi par un lion, ou un tigre, ou par
des éléphants sauvages, ou celui qui, sous les ordres d'un roi mauvais
est condamné à mort ou a été emprisonné, ou celui dont le bateau est
secoué dans une tempête ou sous une pluie battante, ou ceux qui sont
confrontés à de terribles épreuves, ou qui sont affligés et dans la
peine, que ces hommes se souviennent seulement de mon histoire et ils
seront écartés de toutes ces embûches. Par mon pouvoir, lions, voleurs,
ennemis, etc. sont écartés de ceux qui font appel à moi9. »
Et contrairement aux préjugés « gadjé »
sur la Déesse Kâlî, cette Déesse, malgré son aspect effectivement
terrifiant (qui est celui du Temps et de la puissance divine contre les
démons), est une des Déesses hindoues considérée comme la plus
maternelle et la plus compatissante ; les hindous connaisseurs de
sa mythologie et des autres traditions sacrées savent que la
Déesse Kâlî enseigne à vivre selon l'Ahimsâ, à être végétarien, et à
être compatissant envers toutes les créatures.
La vierge noire
Sara la noire rappelle aussi le culte de la Vierge noire, avec qui elle est parfois confondue.
D'après Franz de Ville (Tziganes, Bruxelles 1956), Sara était rom :
L'un des premiers membres de notre peuple à recevoir la première Révélation fut Sara la Kali.
Elle était de naissance noble et dirigeait sa tribu sur les rives du Rhône.
Elle connaissait les secrets qui lui avaient été transmis...
Les
Roms à cette période pratiquaient une religion polythéiste, et une fois
par an ils portaient sur leurs épaules la statue d'Ishtar (Astarté) et
allaient dans la mer pour y recevoir sa bénédiction.
Un
jour, Sara eut une vision qui l'informa que les saintes présentes à la
mort de Jésus allaient venir, et qu'elle devait les aider. Sara les vit
arriver sur leur embarcation.
La
mer était agitée, et le bateau menaçait de se renverser. Marie Salomé
jeta son manteau sur les vagues et, l'utilisant comme un radeau, Sara
flotta vers les saintes et les aida à atteindre la terre ferme par la
prière.
D'après
la tradition, le bateau transportait Marie Salomé, femme de Zébédée et
mère de Jean et Jacques le Majeur ; Marie Jacobé, femme de Clopas, mère
de l'apôtre Jacques le Mineur, et possible cousine de la Vierge Marie
; Marie Madeleine ; Sainte Sara ; Lazare ; Marthe, la sœur de Lazare
; Saint Maximin.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire