Tiare
Tiare trirègne
La tiare papale, appelée aussi le trirègne (en latin tiara ou triregnum), est la triple couronne des papes.
La
tiare, utilisée solennellement pour exprimer le pouvoir spécifique au
pape, est distincte de la mitre, insigne liturgique des évêques, portée
également par les papes.
La
tiare est un couvre-chef élevé, généralement en argent, portant trois
couronnes d'or ; la tiare se termine en ogive et est le plus souvent
surmontée d'un globe et d'une croix. Derrière, comme pour la mitre, il y
a deux infules (rubans frangés tombant sur la nuque) marquées chacune
d'une croix.
L'usage
de la tiare comme couvre-chef « concret » du pape est récemment tombé
en désuétude depuis le pontificat de Paul VI, mais la tiare figure
toujours dans les armoiries du Saint-Siège et sur le drapeau du Vatican
et on continue de coiffer de la tiare la statue en bronze de saint
Pierre, dans la basilique vaticane, le 29 juin, fête des saints Pierre
et Paul. Benoît XVI est le premier pape a avoir remplacé la tiare par
une mître sur la première version de ses armoiries personnelles.
Pourtant, un nouveau blason pontifical du Pape Benoît XVI a vu le jour
en octobre 2010, orné cette fois ci selon l'usage traditionnel, de la
tiare.
Signification
La triple couronne exprime et symbolise le triple pouvoir du pape :
- pouvoir d'Ordre sacré (en tant que Vicaire du Christ et successeur de Pierre, il nomme les évêques et est par excellence le "grand prêtre" ici-bas),
- pouvoir de Juridiction (en vertu du pouvoir des clefs, celui de lier et délier sur la terre et au ciel),
- pouvoir de Magistère (en vertu de l'infaillibilité pontificale).
La
signification de ces trois couronnes a évolué au cours de l'histoire.
Traditionnellement, ce triple pouvoir était également exprimé par ces
trois titres, qui avaient à l'origine un accent plus « temporel » ou
« politique » :
- Père des rois,
- Régent du monde,
- Vicaire du Christ.
On a également donné d'autres interprétations à cette triple couronne.
L'une
d'elle veut que le pape, en tant que Vicaire du Christ doué du pouvoir
de lier et de délier sur terre et au ciel (pouvoir des clefs) soit donc à
la tête de l'Eglise militante (sur terre), souffrante (au purgatoire)
et triomphante (au Ciel).
Une
autre parle des trois fonctions des papes : prêtre (évêque de Rome),
roi (chef d'État souverain) et enseignant (arbitre et magistère suprême,
doté de l'infaillibilité). On parle aussi du Pape en tant que souverain
sacrificateur, grand juge, et seul législateur des chrétiens.
Une
autre, enfin, concerne les pouvoirs temporels (le pape était un
souverain), spirituels (chef de l'Eglise catholique) et l'autorité sur
les princes (c'était le pape qui les couronnait, et il pouvait les
déposer ou même excommunier)
Histoire
Innocent III (1219), fresque de l'abbaye du Sacro Speco
Léon XIII
Tiare de Pie XI
Tiare de Paul VI
Tiare de Benoît XVI qui lui a été offerte en 2011 et qui n'a jamais été utilisée au cours d'une célébration liturgique
Apparition de la tiare
Au
début, la tiare était une sorte de "toque" fermée, qu'on accompagna
d'une couronne à partir de 1130, pour exprimer le pouvoir souverain du
pape sur le "Patrimoine de Pierre", c'est-à-dire les États de l'Église.
L'origine de la première couronne paraît cependant très antérieure,
selon certains historiens. En effet, pour la guerre qu'il mena à partir
de son baptême (vers 498) contre les Wisigoths, et qui devait se
terminer par la bataille de Vouillé (507), Clovis avait reçu le soutien
d’Anastase Ier, empereur
d’Orient qui portait le titre d’empereur romain bien qu’il siégeât à
Constantinople : Anastase envoya à Clovis des lettres de consul, qu’il
accompagna des ornements de la dignité d’Auguste. En la basilique
Saint-Martin de Tours, Clovis revêtit ces ornements et ceignit son front
du diadème, dont il fit ensuite présent au pape Hormisdas (Liber
pontificalis, LIV, 10): c'est ce qui a constitué la première couronne de
la tiare des souverains pontifes (Pfeffel et Anquetil se trompent en
affirmant que le diadème fut envoyé au pape Symmaque). Le geste
d'hommage de Clovis viendrait ainsi ratifier l'interprétation selon
laquelle la première couronne de la tiare vient marquer que le pape est
père des rois (V. ci-dessus).
Boniface
VIII y ajouta une deuxième couronne en 1301. Par là, il voulait
signifier son autorité spirituelle au-dessus de l'autorité civile. Cet
ajout intervient en lien avec le conflit opposant Philippe le Bel au
Saint-Siège (V. cependant ci-dessous).
En
1342, Benoît XII ajouta une troisième couronne pour symboliser
l'autorité morale du Pape sur tous les souverains civils. Ce faisant, il
réaffirmait également la possession d'Avignon. Selon Pfeffel, c'est
Jean XXII qui ajouta cette troisième couronne, et le Grand Dictionnaire
Historique de Moreri (6e éd.) nomme ici Urbain V, et le Brewer's
Dictionary of Phrase & Fable (millennium edition) désigne à ce titre
Benoît XI ou Clément V; bref, l'incertitude est grande à ce sujet, ce
qui rend difficile l'interpération symbolique des trois couronnes, faute
d'en situer l'occasion exacte.
Signification de la tiare
Avec
la prudence qui s'impose, on pourrait avancer l'analyse suivante. Les
papes ont porté à l'origine le bonnet conique symbole traditionnel de
souveraineté en Orient, qui avait l'intérêt de constituer un couvre-chef
distinct de la mitre des évêques (étant d'ailleurs rappelé que les
anciens rois d'Asie, qui portaient ordinairement la mitre, ne coiffaient
la tiare que dans les occasions de parade). Comme il avait été naturel
pour les papes de reprendre une symbolique liée aux empereurs de Rome
antique (lesquels avaient entre autres qualités celle de Pontifex
Maximus depuis Auguste), ils s'arrogèrent aisément cette coiffe que les
empereurs romains d'Orient - les seuls empereurs romains qui restaient -
avaient adoptée à la suite des rois assyriens et perses qui avaient
inauguré l'idée d'un roi des rois, c'est-à-dire d'un empereur. S'y
ajouta, par l'hommage d'un roi fraîchement converti - Clovis : V.
ci-dessus -, une première couronne, avant qu'une occasion ne constituât
l'origine d'une seconde couronne. Cette occasion est restée obscure,
l'unanimité des historiens qui se recopient comme d'habitude, semblant
provenir d'un ouvrage du XVIIIe siècle (J.Garampi,
Illustrazione di un antico sigillo della Garfagnana, Rome 1762), époque
où l'on réécrivit activement l'histoire de l'Occident.
Il
est bien sûr explicable qu'on ait relié ce fait hypothétique à Boniface
VIII (1294-1303), qui s'occupa beaucoup de combattre le pouvoir
ascendant des rois, et qui apparut à plusieurs reprises revêtu d'atours
impériaux qu'il substituait occasionnellement aux habits pontificaux. Ce
n'est cependant pas très plausible, parce que précisément ce pape, à
l'encontre des théories communes du moyen âge en Occident, estimait
qu'il n'y avait pas deux principes (le spirituel et le temporel), mais
un seul, celui de la souveraine puissance spirituelle, toute autre
croyance étant un reste de manichéisme (bulle Unam Sanctam): comment
donc imaginer qu'un pape nourri de telles conceptions, c'est-à-dire tout
occupé de nier la dualité des ordres ou la théorie des deux glaives, et
par ailleurs si sensible à la symbolique des instruments du pouvoir,
ait pu ajouter une seconde couronne à la tiare ? Toujours est-il que si,
pour une occasion ou une autre, un souverain pontife eut l'idée de la
seconde couronne, on ne pouvait en rester à deux : on parvint
naturellement et très vite à trois, parce qu'il s'agit du chiffre
éminemment sacré de la symbolique chrétienne; par ailleurs, ce chiffre
vertueux appartient à la tradition indo-européenne comme l'ont établi
Benvéniste et Dumézil. À Rome déjà, la souveraineté dans sa forme la
plus pure se manifeste sous trois formes : l'autorité civile, l'autorité
militaire, l'autorité religieuse.
Utilisation de la tiare
À
l'origine, la tiare avait été un bonnet conique entouré d'un diadème ;
le fond d'étoffe fut de bonne heure constitué par un drap d'or empesé,
et c'est à l'époque gothique que le bonnet fut remplacé par un cône de
métal. La première tiare de ce type connut des vicissitudes à raison du
symbole de pouvoir temporel qu'elle représentait en particulier :
emportée à Avignon, elle fut rapportée à Rome par Grégoire XI, puis
remportée à Avignon par Clément VII; elle passa même en Espagne avec
l'antipape Benoît XIII avant d'être reprise par Martin V en 1429, puis
de disparaître en 1485 à la suite d'un vol (E. Müntz, La Tiare
pontificale du VIIIe au XVIe s. - Mém. de l'Acad. des Inscriptions,
1897). Par la suite, le Vatican conserva les tiares de diverses époques.
Au temps de la Révolution et des guerres d'Italie, les soldats français
en emportèrent plusieurs, dont on a perdu la trace; ils laissèrent
toutefois les plus belles, dont celles de Jules II et de Paul III. Pie
VI les donna toutes en paiement à la suite du traité de Tolentino, pour
n'en conserver qu'une, en carton. Après le concordat, Napoléon en offrit
une, particulièrement somptueuse, à Pie VII. C'est la tiare dite
napoléonienne.
Le
premier pape à avoir été solennellement couronné après son élection est
Nicolas II, en 1059. Lorsqu'on couronnait un pape, le cardinal chargé
de lui déposer la tiare sur le front lui disait: "Reçois cette tiare
ornée d'une triple couronne, et sache que tu es père, prince et roi, le
recteur de la terre et le vicaire de notre seigneur Jésus-Christ". Il
est possible que la première partie de la formule date de l'époque où
les papes combattaient activement dans l'ordre temporel l'affirmation du
pouvoir royal et la lente montée vers l'absolutisme, ce dont leur
couronnement par la triple couronne était le signe tangible; on aurait
ajouté la suite de la formule par des préoccupations plus spirituelles.
L'usage de la tiare dans les cérémonies solennelles a été abandonné au
cours du pontificat de Paul VI. Ce Pape avait reçu une tiare précieuse
de son diocèse (Milan) et l'a plus tard offerte aux pauvres (rachetée
par l'Archidiocèse de New York)Note 1,1 le 13 novembre 1964, devant tous les évêques, en plein concile Vatican II.
Jean-Paul Ier
a renoncé à la cérémonie du couronnement, avec son rite du Sic transit
gloria mundi. C'est l'élection par le conclave et son acceptation par
l'intéressé qui, ipso facto, confère la pleine juridiction au Pape. Des
cérémonies solennelles marquent le début du ministère pétrinien (comme
la remise de l'anneau du pêcheur, la prise de possession de la
cathédrale du Latran), mais n'ont pas de valeur juridique en plus de
leur sens symbolique.
Paul
VI est donc le dernier pape a avoir porté la tiare au cours d'une
célébration liturgique. On peut toutefois noter que ses successeurs
(hormis Jean Paul I décédé seulement un mois après son élection) ont eu
en leur possession une tiare. En effet en 1981, un groupe de catholiques
hongrois (alors pays communiste), ont offert à Jean-Paul II une tiare.
De même en 2011, une tiare réalisée par des orthodoxes bulgares a été
offerte au pape Benoît XVI de la part de catholiques allemands.
Toutefois ces deux tiares n'ont servi à aucun couronnement et n'ont
jamais été portées de façon officielle.
Afin
de resituer la papauté au sein de l'épiscopat, le pape Benoît XVI avait
renoncé à faire figurer la tiare dans la première version de ses
armoiries personnelles, la remplaçant par une mitre à trois bandes d'or
(rappelant les trois couronnes). À partir de l'angélus du 10 octobre
2010, une seconde version des armoiries apparait, cette fois ci avec la
tiare2,Note 2.
Ces deux versions cohabitent, la plus répandue étant celle avec la
mitre. Le pape François va dans ses armoiries à son tour privilégier la
mitre à trois bandes d'or3.
La
tiare demeure cependant dans les armoiries du Saint-Siège. En outre, la
mitre qui coiffe ses armoiries est d'argent et porte trois bandeaux
d'or, par référence au symbolisme de la tiare ; les trois bandeaux sont
reliés verticalement pour indiquer l'unité des pouvoirs d'Ordre, de
Juridiction et de Magistère dans la même personne.
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