Notre-Dame de Déols (Déols)

Notre-Dame de Déols
(Déols)


Déols, situé à un quart de lieue de Châteauroux, sur le bord opposé de la rivière de l'Indre, a vu le culte de Marie en honneur dès les premiers siècles du christianisme ; car l'histoire des archevêques de Bourges, intitulée Patriarchïum Bituricense, racontant la Vie de saint Géronce, qui gouvernait ce diocèse au huitième siècle, parle d'une église de Marie fondée sur le territoire de Déols, dans les temps anciens, et où priaient des ermites qui habitaient tout autour ". Erat eo tempore nemusculum in quo antiquitiis fundatafuit ecclesia in honore bealœ Mariœ, juxla mansiones otim ab eremitis habitatas.
Or, les temps anciens, par rapport au huitième siècle, sont évidemment les premiers siècles de l'Église.
Sous saint Géronce, cet ermitage fut détruit ; et, sur ses ruines, on bâtit une église qui fut l'église paroissiale, a laquelle on donna plus tard le vocable de Notre-Dame la Petite, sans doute par comparaison avec la grande église monumentale de l'abbaye.
En 917, Ebbon, prince de Déols et digne neveu de l'archevêque Géronce, éleva dans ces lieux le culte de la sainte Vierge au plus haut degré d'honneur par ses actes et ses exemples.
A l'imitation de Guillaume le Pieux, duc d'Aquitaine, son suzerain et son ami, qui, huit ans auparavant, avait fondé le monastère de Cluny, il fonda l'abbaye de Notre-Dame de Déols, en statuant, porte l'acte de fondation, « que ce monastère était établi en l'honneur de la bienheureuse Marie, toujours vierge ; que les moines y vivraient selon la règle de saint Benoît, et que Bernon en serait abbé tant qu'il vivrait ».
Le pieux Ebbon fit plus encore : en même temps qu'il fondait l'abbaye dans la capitale de son fief, il donna par acte solennel à la bienheureuse Mère de Dieu toute la principauté déoloise :
« Je donne, dit-il, à Marie et aux apôtres saint Pierre et saint Paul toutes les choses qui m'appartiennent dans le Berry. »
Et l'auteur de la translation des reliques de saint Gildas nous fait connaître que sa principauté s'étendait des rives du Cher jusqu'à la rivière de l'Anglin et de la Gartempe, en Poitou ; c'est-à-dire comprenait tout le bas Berri, qui fut ainsi consacré par ce prince à la sainte Vierge.
Conformément à l'acte de fondation, Bernon prit possession du monastère avec une colonie de religieux de Cluny, et y fit fleurir, avec la dévotion à la sainte Vierge, les plus sublimes vertus.
Cet homme admirable gouvernait à la fois six autres monastères, la Baulme, Gigny, Athice, Vézelay, Cluny, Massay ; tant on tenait à se ranger sous l'habile direction d'un si saint religieux ; et cependant, au milieu de tant d'occupations, il ne perdait rien de son esprit de prière, ni ne diminuait rien des austérités de la règle.
Sous sa conduite, Notre-Dame de Déols acquit une grande célébrité : on venait la prier de toutes parts, et elle répondait à ces prières par des miracles.
L'abbaye prit pour écusson un fond d'argent à trois faces de gueules, et pour exergue ces paroles, qui nous révèlent sa splendeur : Dote use monasterium primum et nobitissimum.
A la mort du bienheureux Bernon, qui arriva en 927, saint Odon lui succéda dans le gouvernement des monastères de Déols, de Massay et de Cluny ; et sous la direction d'un maître si habile dans la science des saints, la renommée de Notre-Dame de Déols ne fit que grandir encore.
Malheureusement, en 935 et en 941, les Normands envahirent la contrée, firent du monastère une grande ruine et tuèrent Ebbon lui-même.
Mais Raoul Ier, son fils, répara tant de désastres ; et non content de relever l'édifice renversé, il céda aux religieux son château de Déols, avec ses dépendances.
Le monastère reprit donc son ancienne splendeur ; et il continuait d'embaumer tout le pays de l'amour de la sainte Vierge, lorsqu'en 991, Raoul II, jaloux de continuer la bonne œuvre de son père et de son aïeul, trouvant les bâtiments de l'abbaye peu dignes de sa haute réputation et de l'affluence des pèlerins, fit tout rebâtir par les fondements, et en fit vraiment, selon l'exergue de son blason, le premier et le plus beau monastère du Berri, jrrhmum et nobitissimnm monasterium.
Trois choses grandissaient la réputation de Notre-Dame de Déols, et en faisaient pour le bas Berri ce qu'est Notre-Dame de Chartres pour la contrée qu'elle domine, les miracles qu'opérait la sainte Vierge, les vertus de ses religieux et leur science vraiment digne des enfants de saint Benoît.
Les miracles qui s'opéraient à Notre-Dame de Déols étaient si fréquents qu'un des religieux les plus éclairés et les plus saints du douzième siècle, Hervé de Déols, ayant entrepris d'écrire ceux qui arrivaient de son temps, en a composé un notable volume, que nous avons encore et qu'on peut lire au CLXXXI tome de la Patrologie.
Les vertus des religieux offraient un spectacle non moins édifiant que les miracles : leur régularité était admirable ; et telle était leur charité pour les pauvres que, non contents de nourrir tous ceux qui se présentaient, ils avaient établi à leur porte un hospice où tous les malades qu'on y apportait recevaient les soins délicats et attentifs que la religion inspire pour les membres souffrants de Jésus-Christ.
Parmi ces saints religieux, l'histoire a conservé le souvenir du bienheureux Josbert, qui, épris d'un tendre amour pour la très-sainte Vierge, chantait chaque jour en son honneur cinq psaumes dont la lettre initiale formait le nom de Marie, savoir : Magnificat ; Ad Dominum, cum tribularer ; Retribue servo tuo ; In convertendo ; Ad te levavi, et qui mérita par là qu'à sa mort une couronne de cinq belles roses, entourant sa tête sans l'intervention d'aucune main humaine, attestât combien le ciel avait eu pour agréable cet acte de piété filiale.
La Chronique de Vézelay nous raconte un autre miracle arrivé à Déols, et dans lequel il est bien permis de voir la récompense de la foi ardente et de la vive piété d'un religieux : c'est l'apparition de l'Enfant Jésus sur l'autel, en place de l'hostie consacrée : In dolensi cœnobio, cuidam monacho missas agenti, apparuit puer super altare, loco hostiœ, ante calicem.
Quant à la science des religieux de Déols, elle est incontestable.
Un d'entre eux, Hervé, l'historien des miracles de la sainte Vierge, dont nous avons déjà parlé, excellait dans l'interprétation de l'Écriture sainte, et a laissé des Commentaires remarquables sur Isaïe et sur les Épîtres de saint Paul ; un autre, Simon, depuis évêque d'Agen, était célèbre par son éloquence et sa sagesse, qui le firent nommer le Caton de son siècle ; éloge sans doute peu chrétien, encore moins ecclésiastique, mais qui nous révèle la haute idée qu'on avait de son mérite.
Ces maîtres habiles tenaient une école florissante, où de nombreux élèves venaient comme à un foyer de lumières et de science s'instruire et se former.
Une lettre d'Innocent III au monastère de Déols nous montre cette école pleine de vie et de gloire au treizième siècle, alors que les beaux jours de Cluny étaient déjà sur leur déclin.
C'était aux cloîtres de Déols que de grandes églises, et surtout l'église primatiale de Bourges, allaient souvent demander des évêques.
De là, entre autres, sortit le grand Hildebert, pour monter sur le siège de Bourges, où sa vie lui mérita de la part d'Oldéric, au VIIe livre de ses Chroniques, ce bel éloge, qu'orné de toutes les vertus, Hildebert montra à ceux qui veulent suivre Jésus-Christ le chemin de la sainteté, non-seulement par ses paroles, mais aussi par ses exemples. De là sortit Adalbert, qui, d'abbé de Déols devenu archevêque de Bourges, assista au concile de Clermont, où présidait Urbain II, et accompagna le pape dans ses voyages à Limoges, à Poitiers, à Angers, au Mans, à Vendôme et à Tours.
Aussi les souverains pontifes honorèrent-ils à l'envi Notre-Dame de Déols.
En 1106, Pascal II vint en consacrer l'église, cédant a l'évêque de Plaisance la consécration de l'autel de la sainte Vierge ; à Léger, archevêque de Bourges, la consécration de l'autel de saint André, et se réservant à lui-même la consécration de l'autel des saints apôtres Pierre et Paul.
En 1161, Alexandre III, forcé de quitter l'Italie, d'où le pourchassait l'empereur Frédéric Barberousse, se réfugia à Déols, et y séjourna depuis le mois de septembre de cette année jusqu'au 1er août de l'année suivante, sauf deux absences, l'une pour poser la première pierre de l'église Notre-Dame de Paris, l'autre pour réconcilier les religieux de Cluny avec les chanoines de Tours.
Pendant ce temps, Déols eut la gloire d'être, comme une autre Rome, le centre du gouvernement de l'Église.
De là partirent jusqu à cinq lettres successives pour le roi de France ; d'autres pour l'archevêque de Salzbourg, les clercs de Notre-Dame de Chartres et l'abbaye de l'Aumône, dans le même diocèse ; d'autres pour l'archevêque de Reims, frère de Louis VII, pour un monastère d'Espagne, pour l'église de Burgos, pour l'archevêque de Tolède et le chapitre de Pampelune ; d'autres enfin pour le couvent de Saint-Maximin, pour les moines de Cluny et le comte du Forêt ; et pendant que Déols voyait de son sein ce grand pape gouverner le monde, cette insigne abbaye eut de plus l'honneur de recevoir dans ses cloîtres Henri II, roi d'Angleterre, de l'y contempler prosterné aux pieds du pape, refusant humblement le fauteuil qu'on lui avait préparé, et s'asseyant par terre avec ses barons, par respect pour la majesté du pontife.
D'autres gloires étaient encore réservées à Notre-Dame de Déols : en 1228, Honorius III honora ce sanctuaire de sa visite ; et en 1306, Clément V y demeura deux mois, accompagné de treize cardinaux, de plusieurs évêques, abbés et gentilshommes.
Enfin dans tous les temps, les souverains pontifes ont témoigné leur vénération pour Notre-Dame de Déols, les uns en lui accordant des exemptions et des priviléges, les autres en lui octroyant des indulgences ; et, de nos jours même, Pie IX, jaloux de se placer sous son puissant patronage, lui a envoyé un cierge magnifique, décoré de ses armes et de l'image de l'Immaculée Conception, avec la faveur dune indulgence plénière pour quiconque irait prier devant l'image vénérée.
Enfin la voix publique, traduisant les sentiments du saint-siège, nomma l'abbaye de Notre-Dame de Déols la plus belle perle de la couronne du Berri et la mamelle de saint Pierre, sans doute parce qu'elle se plaisait à nourrir de sa plus pure substance les souverains pontifes en exil ou en voyage.
Le miracle
Toutefois, quelque honorables que fussent ces témoignages de vénération venus du saint-siège, il est un fait historique qui relève bien plus haut encore le sanctuaire de Notre-Dame de Déols, c'est le miracle du 29 mai 1187.
Alors les Anglais, au sein de la France, étaient poursuivis par Philippe-Auguste, qui voulait recouvrer ses États envahis ; et le duc Richard venait d'envoyer camper une partie de ses troupes à Déols pour protéger cette ville contre le roi de France qui assiégeait Châteauroux.
Ses soldats, dans leurs moments de loisir, se mirent à jouer aux dés devant le portail de l'église, dans lequel était placée une image de la sainte Vierge tenant l'Enfant Jésus entre ses bras.
Un d'eux perd plusieurs parties de suite ; ses camarades, heureux et fiers d'avoir gagné, triomphent et le plaisantent.
Celui-ci, humilié, entre en fureur, éclate en blasphèmes contre Dieu, contre sa sainte Mère, qu'il accuse de ses pertes ; et dans la rage qui le transporte, il saisit une pierre, la jette contre la sainte image et casse à l'Enfant Jésus un bras qui roule par terre.
Mais, ô prodige ! tout à coup le sang ruisselle avec abondance de la blessure, comme d'un corps humain mutilé : on le recueille religieusement, et ce sang appliqué sur beaucoup de malades les guérit.
Quant au soldat profanateur, un mouvement frénétique le saisit, et il expire sur la place.
Tel est le grand miracle qui fonda pour les siècles suivants la dévotion à Notre-Dame de Déols ; il est difficile de trouver dans l'histoire un fait mieux constaté.
Il nous est rapporté par Rigord, historiographe de Philippe-Auguste, associé comme médecin du roi à tous ses voyages, lequel déclare avoir été témoin oculaire de l'événement ; Gervais de Tilbury, un des neveux du roi d'Angleterre, le raconte de la même manière ; les grandes Chroniques de Saint-Denis en font foi , et Vincent de Beauvais, dans son Speculum historkum (lib. VII), dit expressément avoir vu de ses propres yeux le sang découlant de la statue et du bras cassé.
Le père Gumppenberg, dans son Atlas Marianus, raconte le même fait, et classe la Vierge de Déols parmi les plus célèbres de l'univers.
Enfin, pour perpétuer le souvenir de ce grand miracle, une fête commémorative est établie dans le diocèse, et se célèbre tous les ans le 31 mai ; et les plus anciens bréviaires de Bourges contiennent le récit que nous venons de faire dans un office propre composé pour cette fête.
Le bréviaire de 1510, édité par l'archevêque Jean Cœur, élève cette fête au rite double ; le bréviaire corrigé en vertu de la bulle de saint Pie V la maintient sous le même rite ; et si la liturgie gallicane de Bourges la supprima, du moins elle relata le miracle dans une des légendes de l'octave de l'Assomption ; et le Propre du diocèse, récemment approuvé par Pie IX, la rétablit.
A tous ces témoignages se joint l'autorité des faits : le bras de l'Enfant Jésus ayant été emporté en Angleterre par Jean Sans-terre, qui se trouvait alors à Déols, l'université d'Oxford fit examiner le miracle, et le constata comme indubitable.
Un de ses plus savants docteurs, Sylvestre Girold, le consigna dans son livre De instructione principis, ajoutant que ces faits se sont passés près de Châteauroux, en présence de deux grandes armées qui les ont vus et admirés ; Henri II fit bâtir une magnifique chapelle où il exposa le saint bras à la vénération des fidèles ; en mémoire de ce prodige, on établit à Déols une confrérie qui fut florissante jusqu'à la révolution de 93, et qui, rétablie depuis cette triste époque, fleurit encore aujourd'hui ; enfin une grande foire, sous le nom de foire des miracles de Notre-Dame, se tient tous les ans, le 31 mai, à Déols, comme un monument populaire de ce qui s'y passa en 1187.
Un miracle si bien constaté fut suivi d'un autre, peu de jours après : la sainte image, rompant le collier qui la tenait attachée à la muraille, se remua sur sa base, comme pour changer de place, dit l'ancien bréviaire de Bourges.
Les religieux, inférant de ce signe que Marie ne voulait plus être exposée à la profanation du premier venu, transportèrent aussitôt la statue du portail extérieur au dedans de l'église, en chantant des hymnes et des cantiques, selon le récit de Rigord ; puis on construisit au-dessus de la porte d'entrée une chapelle haute enfermant dans son enceinte la façade avec la niche où s'étaient opérés ce prodige et tant d'autres ; et quand fut terminée cette chapelle, qu'on appela la Chapelle des Miracles, on reporta la sainte image a son ancienne place en grande solennité et avec un grand concours de peuple, raconte Thomas de la Thaumassière dans son Histoire du Derri.
Cependant, le dimanche d'avant le 24 juin, Philippe Auguste ayant fait approcher ses troupes de l'armée anglaise, et tenté pendant deux jours des négociations de paix, sans aboutir à rien, prit le parti de livrer bataille pour terminer enfin une si longue guerre par une action décisive.
Les habitants de Déols, effrayés de la lutte acharnée qui était au moment de s'engager, vont se prosterner devant l'image de Marie et la supplient d'empêcher l'effusion du sang.
Pendant qu'ils priaient, les deux armées étaient en présence et en bel ordre de bataille ; le signal du combat allait sonner ; lorsque tout à coup le roi d'Angleterre, converti à des dispositions pacifiques, s'avance avec son fils, demande à parler à Philippe-Auguste.
Celui-ci se présente ; le roi lui déclare qu'il accepte les conditions proposées dans les négociations précédentes, et la paix est signée.
Une nouvelle si inattendue produit un saisissement général ; rois et seigneurs, peuple et soldats, tous reconnaissent un miracle dans ce changement subit de dispositions, dans cette paix signée au moment même où les colères étaient plus exaltées et le combat près de se livrer.
Un même sentiment d'admiration les rassemble autour de l'image de Marie pour la bénir ; il n'y a plus d'ennemis ; Français et Anglais, tous ne font qu'une famille de frères devant la Mère commune qui les a protégés et sauvés de la mort.
Il y avait alors à Déols deux légats du saint-siège, les cardinaux Soffredus et Bovon : touchés, comme les autres, de ce prodige, ils unissent leurs louanges à celles de tout le peuple, et demeurent quinze jours au monastère pour prier à leur aise la Reine puissante qui agissait ainsi sur les volontés, comme sur les maladies corporelles.
Cette confiance universelle obtint de nouveaux miracles : un des courriers des cardinaux s'étant blessé au pied très grièvement, on le porta devant l'image de Marie, et il fut guéri a l'instant.
Un des chefs principaux de l'armée anglaise, Anséalde de Barbançois, ayant reçu au visage un dard à forme angulaire qui avait pénétré si avant dans la mâchoire supérieure que les médecins n'avaient pu l'en extraire, n'eut pas plutôt fait le vœu de se donner à Notre-Dame de Déols comme à sa souveraine, et de lui payer chaque année, en reconnaissance de son vasselage, une certaine somme d'argent, que, délivré a l'instant de ses atroces souffrances, il sentit le dard se détachant sans douleur tomber dans sa bouche.
Aussitôt, accomplissant son vœu, il dépose son offrande sur l'autel devant lequel il priait à deux genoux ; la plaie se cicatrise subitement, et il se relève complétement guéri.
Peu de jours après ce prodige, on apporta d'Argenton, petite ville distante de sept lieues, un enfant de trois ans ressuscité par la sainte Vierge, sur le vœu qu'on avait fait de venir le lui consacrer dans son église de Déols.
Ces prodiges cependant ne furent que comme les préludes d'une infinité d'autres.
Là, dit Vincent de Beauvais dans son Specutum hittoricum, les aveugles recouvraient la vue, les boiteux l'usage de leurs jambes, et divers miracles s'opéraient. Ibi pro certo cœci ittuminantur, ctaucK curaniur et fiunt miracula ; et le père Labbe déclare avoir lu dans les manuscrits de l'abbaye plus de deux cents miracles opérés dans ce sanctuaire, miracles, dit-il, dont la vérité est attestée par les rois, par les princes, par une multitude venue de presque toutes les parties de l'Europe occidentale.
Aussi les témoignages de dévouement arrivaient de toutes parts à Notre-Dame de Déols.
Cent quatre-vingts bénéfices furent attachés à l'abbaye, laquelle de son côté créa l'abbaye de Saint-Gildas à Châteauroux, l'abbaye de Notre-Dame à Issoudun, et beaucoup de prieurés dans des centres de population, qui devinrent des paroisses toutes dévouées à la sainte Vierge.
En 1345, le fils de Philippe de Valois, qui combattait les Anglais dans la Guienne, vint à pied de Châtillon-sur-Indre faire le pèlerinage de Déols, pour mettre sa personne et ses soldats sous la protection de la sainte Vierge ; et les religieux s'obligèrent à dire tous les jours une messe à la Chapelle des Miracles jusqu'à la fin de la guerre, pour obtenir la paix.
En 1348, la ville de Levroux, désolée par la peste, qui, sous le règne de Philippe de Valois, ravagea toute l'Europe, eut recours à Notre-Dame de Déols, en faisant le vœu de lui offrir chaque année un cierge qui brûlerait devant son autel.
La ville fut délivrée ; et, jusqu'à la révolution de 93, elle fut fidèle à son vœu.
Sous la menace du choléra en 1832, elle le renouvela, et, depuis cette époque, elle vient exactement chaque année porter en procession son cierge à Déols.
Au seizième siècle, les protestants n'eurent garde de laisser intact un sanctuaire si vénéré ; ils pillèrent et brûlèrent l'église abbatiale ; mais au milieu des brasiers ardents qui dévoraient le plus beau monument du bas Berri, la chapelle de Notre-Dame échappa comme par miracle, et l'on continua d'y venir comme à une source de grâces.
En 1791, le pieux sanctuaire fut fermé par ordre de l'autorité révolutionnaire ; mais les fidèles n'y vinrent pas moins ; et agenouillés sur les degrés de l'escalier qui montait à la chapelle, ils priaient pour eux et pour la France si malheureuse.
On essaya les sarcasmes, les railleries, les mauvais traitements, pour les éloigner ; ce fut en vain ; toujours on voyait des personnes en prières devant la Chapelle des Miracles.
Alors, pour en finir avec ce qu'on appelait le fanatisme, on va prendre dans son sanctuaire la statue miraculeuse, on la jette du haut de l'escalier ; la tête de la Mère et de l'Enfant, les bras et les mains sont brisés, il ne reste plus que le tronc, qu'on laisse gisant sur la terre comme un bloc informe.
Des mains chrétiennes le recueillent, recomposent la statue avec ses débris religieusement ramassés, la déposent dans une grange qu'on transforme en oratoire ; et, là, le culte de la sainte Vierge se continue ; des prêtres y viennent célébrer le saint sacrifice.
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Plus tard, quand des jours meilleurs eurent relui sur la France, on transporta la statue dans l'église paroissiale ; et c'est là qu'on l'honore encore aujourd'hui, avec un morceau du voile de la très-sainte Vierge donné par Mgr l'évêque de Chartres, et renfermé dans un superbe reliquaire.
C'est là que les pèlerins affluent comme autrefois, surtout le 29 mai, le 15 août, le 8 septembre, et on en a compté, dans un de ces jours, jusqu'à huit mille.
Il y avait une cérémonie particulière le 29 mai : ce jour-là le diacre chantait l'Évangile hors de l'église, à l'endroit où avait expiré le soldat impie frappé par la justice divine.
On espéra, quelque temps après la restauration, rendre la sainte image à son antique sanctuaire ; malheureusement, en 1830, le gouvernement, qui s'en était attribué la propriété, le vendit, et on le démolit ; de sorte qu'il n'y a plus à Déols que des ruines sur lesquelles on a fondé un pensionnat d'orphelines et de sourdes-muettes, avec une chapelle consacrée à Marie immaculée et à Notre-Dame de Consolation.
Mais que ces ruines sont des restes de grandes choses ! L'église de l'abbaye détruite par les protestants était bâtie dans le style et sur le modèle de celle de Cluny.
Ce qu'on en voit encore atteste la solidité de l'édifice, l'élégance des proportions, la richesse des ornements, la magnificence de l'ensemble ; et un des cinq clochers demeuré debout est classé au nombre des monuments historiques de France.
Avant d'entrer dans la basilique, on traversait, comme à Cluny, une avant-nef qui avait, à chacun de ses quatre angles, une tour carrée surmontée d'une flèche en pierre, et, au fond, un portail intérieur.
Au côté nord, était une porte latérale donnant accès dans l'église sans passer par l'avant-nef ; et c'était au-dessus de cette porte qu'était placée la Chapelle des Miracles.
Cette chapelle était digne de sa célébrité : dix colonnes cannelées soutenaient ses voûtes peintes à fresque ; et de riches tapisseries représentant les miracles de la sainte Vierge couvraient ses murs.
Au-dessus de l'autel, un dais de bois sculpté portait cette inscription : In me omnis spes vitee et uiriutis, c'est-à-dire, en moi repose tout espoir de vie et de vertu ; et sous ce dais était la statue.
De chaque côté du sanctuaire, se voyait un reliquaire contenant le sang miraculeux qui avait coulé du bras de l'Enfant Jésus.
Le portique était orné de sculptures remarquables.
Dans le fond, au-dessus de la porte, on voyait Notre-Seigneur assis, tenant dans ses mains un livre fermé ; et à ses pieds étaient les figures symboliques des quatre Évangélistes ; au-dessus de ces sculptures régnaient, en formant cintre, trois rangs de figures : au premier rang paraissait un chœur d'Anges dans l'attitude de l'adoration devant l'Agneau qui était au centre, tenant l'étendard de la Croix ; au second rang on avait symbolisé les Sciences, la Philosophie déployant son manteau comme pour les embrasser toutes, la Grammaire avec sa robe doctorale, la Dialectique caressant un serpent, la Physique montrant un globe, la Géométrie portant un compas, la Musique tenant une guitare, la Rhétorique armée d'un glaive pour attaquer et d'un bouclier pour se défendre, l'Astronomie indiquant du doigt une étoile, enfin l'Arithmétique tenant une fleur, probablement parce qu'elle est la première qu'on enseigne aux enfants ; au troisième rang, étaient représentés les douze mois de l'année.

Abbaye de Déols

Le miracle de 1187

 
Le miracle de Déols.
On voit que la statue est sur la façade nord.

Au printemps 1187 le Berry est le cadre de l'affrontement des Maisons de France et d'Angleterre.
Le Bas-Berry est alors aux mains d'Henri II Plantagenêt.
Celui-ci refuse de restituer Gisors et le Vexin normand, dote de Marguerite de France, veuve de Henri le Jeune. De plus, son fils Richard Cœur de Lion refuse l'hommage qu'il doit au roi de France pour l'Aquitaine. Ces raisons suffirent pour que Philippe-Auguste décide la guerre.
Ayant rassemblé son armée à Bourges, Philippe-Auguste s'empare rapidement d'Issoudun et de Graçay, puis marche sur Châteauroux. Henri II Plantagenêt, dès le 17 mai 1187, avait pris le soin de diviser ses troupes en quatre corps d'armée. Celui de Richard Cœur de Lion s'était immédiatement dirigé sur Châteauroux pour mettre la place en état de défense. Aussi, lorsqu'il apprend que le roi de France s'est emparé d'Issoudun, il donne l'ordre à ses troupes, habituées à se payer sur le pays, de s'approprier l'ensemble des vivres qu'elles pourraient trouver, puis de brûler l'agglomération déoloise et de détruire le monastère.
Le samedi 30 mai 1187, à la tombée de la nuit, la situation devient critique. Des hommes et des femmes, habitant Déols, se regroupent devant le portail ouest de l'église abbatiale, dont les portes sont closes. Leurs prières adressées à la Bienheureuse Vierge Marie, dont une sculpture peinte se trouve au-dessus du portail, provoquent les railleries de quelques cotereaux appartenant au corps d'armée de Richard.
Une pierre, jetée par l'un des soldats sur la statue de la Vierge brise le bras de l'enfant Jésus. Le bras tombe à terre et un flot de sang jaillit de la pierre mutilée !
Quant à l'auteur du sacrilège, il s'effondre sans vie sur le sol.
La nouvelle se répand pendant la nuit parmi les soldats de Richard, créant une véritable psychose.
Le lendemain, des chevaliers viennent constater le prodige.
On se dispute les pierres tachées de sang comme de précieuses reliques, et on retrouve le bras de pierre, encore humide et rouge de sang.
Un « illustre personnage » prend alors furtivement ce bras et l'enveloppe dans un voile ; en se mêlant à la foule, il parvient à dissimuler son larcin.
D'après l'historien Jean Hubert, cet illustre personnage pourrait être Jean sans Terre.
Le soir même, le compte Richard est sur les lieux.
Il publie un édit punissant de mort qui conque oserait porter la main sur les biens de l'abbaye. Le roi d'Angleterre en personne, accompagné de ses fils, vient visiter le monastère.
Quoi que l'on puisse penser du miracle, il frappe très profondément les esprits.
Richard Cœur de Lion non seulement n'incendie pas le bourg de Déols, mais en retire ses troupes, mesure risquée qui peut laisser à l'adversaire un sérieux avantage.
Mais l'émotion est aussi grande dans le camp français qu'elle l'est chez les Anglais, et on commence à douter de l'heureux issue des combats.
Henri II, alors vieilli, malade, incertain de l'avenir et redoutant d'être trahi par son fils Richard, ne peut que souhaiter de conclure promptement la paix.
Au contraire, Philippe-Auguste a un intérêt évident à poursuivre la guerre.
Le fait est que la trêve officielle ou tacite observée par les deux armées immédiatement après le miracle détermine le roi de France à entrer en pourparlers avec Richard Cœur de Lion et peut-être avec Henri II lui-même. Ces long pourparlers aboutissent le 23 juin à la conclusion de la paix.
Par la suite, d'autres « miracles » se produisirent.
Une chapelle dédiée à Notre-Dame des Miracles est ajoutée contre le côté nord de la grande église abbatiale.
Cette chapelle est restée à peu près intacte jusqu'au milieu du XIXe siècle.
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