Magdeleine Morice

Magdeleine Morice



Madeleine Morice est née le 31 juillet 1736 et fut baptisée le lendemain dans l'église de Néant-sur-Yvel, petit village à une dizaine de kilomètres de Plöermel.

Ses parents travaillaient dans une des métairies du château du Bois-de-la-Roche, appartenant à la famille de Ligouyer.

Madeleine ne fit d'autres études que celles des enfants de sa condition : elle apprit à lire et à écrire. Elle ne lut guère d'autre livre que l'Imitation de Jésus-Christ et ses Heures, ainsi qu'elle les appelait.

Sur l'ordre de son confesseur, elle raconte ses premières années, dans une relation qu'elle écrivit en 1767.

"Mon père et ma mère avaient eu onze enfants, j'étais la septième.
Je croyais n'être point aimée de ma mère, ni de mes frères et sœurs ; on me faisait souffrir.
Mes frères et mes sœurs avaient tout droit sur moi.
Quand mon père et ma mère s'absentaient de la maison, mes frères, mes sœurs et deux domestiques se mettaient de concert pour se divertir aux dépens de mon père.
Craignant que je ne dise ce qui se passait, on m'enfermait dans une petite étable à cochons, où je passais des jours entiers, et souvent on oubliait de me donner à manger.
A l'âge de six à sept ans, je me sentis puissamment attirée à Dieu, ce qui me fit entrer dans un grand recueillement intérieur.
Je me trouvais élevée dans une oraison simple sans méthode ou secours des créatures.
Cet attrait pour l'oraison était accompagné d'un grand amour pour la solitude et pour les souffrances.
Je prenais un grand plaisir à être seule, parce que je croyais fermement que Dieu était avec moi.
Je me retirais dans le haut de la maison, me cachant dans un grenier et dans quelques petits recoins secrets pour entretenir à mon aise celui que mon cœur semblait aimer : il l'aimait en effet.
Méditant un jour comment je pourrais l'imiter dans ses douleurs, mais particulièrement dans son agonie et délaissement au jardin des Oliviers, et dans son couronnement d'épines, il me sembla voir ce divin Sauveur couronné d'épines, le sang lui coulant de toutes les parties de la tête ; j'en fus si touchée de compassion, que je désirais bien sincèrement porter cette couronne et endurer le mal pour lui ; et je conçus le désir de faire une couronne d'épines et de la porter sur ma tête.
Mais il me sembla que mon divin Maître me dit : "Tu n'as pas besoin d'appliquer cette couronne ; sans que tu la portes, je t'en ferai ressentir les effets. " Grâce qui me fut bientôt accordée ; car, dès le jour suivant, je ressentis à la tête des douleurs aussi violentes que si on l'eût percée de cruelles épines.
Ce fut alors que l'amour de mon divin Maître me donna une dévotion très singulière à la très sainte Mère de Dieu, et il se servit d'un prédicateur qui prêchait à la paroisse. Il dit quelque chose que je n'ai jamais oublié : " Qu'on ne pouvait aimer Dieu sans avoir une véritable dévotion à la sainte Vierge. Comme le Père éternel a confié à ses soins le saint Enfant Jésus, il veut encore se servir d'elle pour élever les âmes les plus pures dans les voies éminentes de la plus haute perfection."
A ces mots, je sentis mon cœur s'enflammer d'un amour si tendre pour le Fils et pour la Mère, que je résolus sur le champ d'aimer l'un et l'autre à quelque prix que ce pût être ; dans le même jour, je me sentis si pressée du désir de m'unir à Jésus Christ dans la sainte communion, que, voyant quelques personnes s'approcher de la sainte Table, je me sentis touchée jusqu'aux larmes de ne pouvoir être du nombre de ceux qui avaient ce bonheur, et il me fallut faire de grands efforts pour me retenir et pour ne pas approcher de la sainte Table.
Dès ma petite enfance, je me sentis pressée de dévotion envers mon bon Ange ; dévotion qui ne me fut pas inutile, j'en ai reçu de grandes grâces.
Mon père me parlait si souvent de mon bon Ange gardien, me disant qu'il était toujours avec moi pour me préserver du mal : toutes ces choses me restèrent gravées dans l'esprit.
Aussi, en tout ce que je faisais, je croyais bien sincèrement que mon bon Ange était avec moi. Je parlais avec lui, comme si véritablement je l'avais vu près de moi.
Je faisais souvent rire les personnes qui me voyaient, car je faisais beaucoup de compliments et de révérences, et on me demandait quelquefois à qui je faisais tant de politesse. Je répondais que c'était à mon bon Ange. On me demandait si je le voyais ; je répondais que non, mais que j'étais bien persuadée qu'il était avec moi, et que je devais lui rendre l'honneur et le respect qui lui étaient dus.
Dès mon enfance mon divin Maître voulait me détacher de toutes les créatures, afin de m'attacher à lui.
Il commença par m'ôter mon père qui était la personne à qui j'étais le plus attachée au monde.
La mort de mon père me fit répandre bien de larmes ; de quelque côté que je me tournasse, je ne trouvais que peines ; je me regardais et on me regardait comme une étrangère qui n'avait aucun droit dans la maison.
Alors mon plus grand plaisir était de me retirer seule dans une petite chambre où l'on m'avait mise, parce que personne n'y voulait coucher ; étant là, je pleurais à mon aise."
Entre dix et onze ans, elle eut le grand bonheur de communier pour la première fois. "Je fus marquée dès les fêtes de Pâques pour la communion : ce fut pour moi une vraie satisfaction, mais en même temps une grande crainte; je me trouvais tout à fait indigne d'un tel bonheur.
Dès le jour où je fus désignée pour la première communion, la petite vérole me prit ; la crainte de n'être pas guérie pour la Pentecôte m'affligea, mais Dieu me fit la grâce de ne pas rester longtemps au lit.
Je continuai mon occupation qui était de garder les moutons et d'aller au catéchisme.
Quelques jours avant la communion le désir d'aller m'unir à Dieu s'augmenta si fort, que j'en étais toute malade et languissante, à peine pouvais-je me soutenir tant j'étais faible.
Le moment étant venu, le prêtre se tourna vers nous disant : Voici l'Agneau de Dieu. A ce mot, mon cœur se sentit tout ému et transporté de joie ; mais je le fus encore plus, lorsque je vins à jeter les yeux sur la sainte Hostie que le prêtre tenait entre ses mains : car il me sembla voir une figure si brillante et si douce, nous regardant avec des yeux de bonté et de complaisance, que je n'eus point assez de force pour soutenir l'éclat, la beauté, la grandeur et la magnificence que je crus voir dans cette figure qui me parut plus qu'humaine.
Il me sembla que mon divin Maître me dit intérieurement : Ma fille, donne-moi ton cœur. Je ne cessai de lui dire et de lui répéter sans cesse : Il est à vous, il est à vous."
Ce ne fut qu'au commencement de 1765, quatre ans seulement avant sa mort, que Madeleine, s'étant adressée à monsieur le recteur de Guer, se vit obligée par ce sage guide de mettre par écrit les dispositions de son âme, et les communications qu'elle recevait de son Dieu.
Cet ordre fut pour son humilité un vrai supplice, car elle n'avait qu'un désir souvent renouvelé dans ses lettres : celui de vivre inconnue aux hommes, pendant sa vie et après sa mort ; aussi réitérait-elle souvent à son directeur la demande de brûler les écrits qu'il exigeait d'elle.
Il est heureux pour notre édification, que le directeur ne se soit pas cru obligé de se rendre à cette demande. Nous possédons toujours ces documents, qui malheureusement ne couvrent pas la longue lacune qui va depuis sa première communion en 1747, jusqu'en 1765.
Nous savons ce qu'étaient pour elle ses frères dans son enfance. Elle eut encore à souffrir de leurs persécutions. Une fois, ayant repris un de ses frères qui s'était montré peu respectueux envers sa mère, cette juste liberté lui attira mille mauvais traitements.
Le jeune homme ne s'en tint pas là : un jour, revenant à la maison dans un état de complète ivresse, avec l'un de ses amis réduit au même état, il lui présenta ce compagnon comme l'époux qu'il lui fallait prendre. Madeleine voulut lui faire quelques observations ; mais, au lieu de l'écouter, il saisit un bâton à dessein de la maltraiter.
Tout le monde était couché. La pauvre enfant, connaissant le caractère de son frère, et se trouvant sans défense entre deux hommes privés de raison, sauta par une fenêtre.
Dans sa chute, elle tomba sur une auge en pierre, s'y fracassant, mais elle trouva encore la force de se relever et d'atteindre un grenier à foin pour se dérober à la fureur de son frère.
Personne ne l'avait vue se réfugier dans ce lieu, on la chercha inutilement toute la nuit et pendant trois jours entiers, qu'elle passa privée de tout soin.
Ses parents désolés la crurent morte. Madame de Ligouyer, à qui appartenait la ferme confiée à la famille Morice, apprit ce qui s'était passé : voulant épouvanter le coupable, elle le menaça de le faire prendre par la justice, si sa sœur n'était pas retrouvée.
Enfin, au bout de trois jours, quelqu'un étant monté par hasard dans le grenier, entendit quelques plaintes comme d'une personne expirante. On trouva la pauvre Madeleine sans connaissance, le corps brisé, et paraissant n'avoir plus qu'un souffle de vie.
On s'empressa de venir à son secours, elle fut quelque temps en danger, et après de longues souffrances, elle revint enfin à la vie, mais toujours elle se ressentit de cet accident.
En 1754, Madeleine, ayant atteint sa dix-huitième année, et se sentant de plus en plus pressée de rendre à son Dieu amour par amour, sollicita la grâce d'être admise dans le Tiers Ordre du Mont-Carmel.
Le prieur des Carmes de Ploërmel à qui elle s'adressa, considérant sa grande jeunesse, lui fit quelques difficultés, lui exposa l'importance et la durée des engagements qu'elle allait contracter.
"Mon père, reprit-elle, quand Dieu se donne à moi, il ne se donne pas à demi."
Touché par cette réponse et par le ton dont elle était prononcée, le prieur n'hésita plus et reçut l'engagement qu'elle fit entre ses mains.
Ce fut vers cette époque qu'elle entra chez madame de Ligouyer en qualité de servante. Une vertu moins éprouvée et moins affermie que la sienne aurait pu courir de grands risques dans cette position.
Les étrangers et les domestiques soumirent Madeleine à de dangereuses épreuves ; mais le Dieu à qui elle venait de s'offrir garda son bien, tantôt en communiquant à son humble épouse une force d'âme et une présence d'esprit qui déconcertèrent les plus audacieux, tantôt en combattant lui-même pour elle quand tous les moyens humains étaient impuissants.
Un jour, se trouvant seule à faire un lit dans une chambre retirée, un jeune homme vint l'y trouver, et ayant soigneusement fermé la porte, il essaya de la solliciter au mal ; furieux de sa résistance, il tire son épée pour l'en percer.
Madeleine, ferme et tranquille, fait sans hésiter le sacrifice de sa vie et se recommande à la sainte Vierge.
Au même instant la porte s'ouvre d'elle-même tout à coup : l'humble servante de Dieu s'enfuit, remerciant la mère de miséricorde qu'on n'invoque jamais en vain.
Quand Madeleine n'était pas éprouvée par la tentation, elle l'était par la souffrance.
Pendant son séjour chez madame de Ligouyer, elle tomba malade ; on appela un chirurgien qui lui fit une saignée au pied, mais si maladroitement, qu'il cassa la lancette dans la plaie, et y laissa l'extrémité. La jambe de la malade s'enfla prodigieusement ; et dès la nuit même, il s'y forma des plaies qui lui faisaient souffrir des douleurs affreuses.
Au bout de quelques mois, l'état de la malade empira de telle sorte, que madame de Ligouyer la fit conduire à Rennes. Un chirurgien habile fut appelé : après avoir examiné plusieurs fois la jambe, il décida qu'il n'y avait plus d'autre remède que l'amputation.
Madeleine éprouva alors un vif désir d'aller à Notre-Dame de Saint-Sauveur, pèlerinage fameux à Rennes.
Le matin même du jour désigné pour l'amputation, elle s'y rendit avec une personne charitable qui voulut bien l'accompagner.
Elle se confessa et entendit la messe durant laquelle elle céda à l'inspiration de faire le vœu de n'attendre rien du secours des hommes, se résignant plutôt à souffrir et à mourir s'il le fallait.
Au moment de la communion, sa jambe se trouva en aussi bon état que si elle n'en eût jamais souffert ; et laissant là les deux béquilles, sans le secours desquelles il lui était auparavant impossible de marcher, elle s'avança d'un pas ferme jusqu'à la sainte Table.
Une guérison si prompte et si radicale excita parmi les assistants une telle admiration qu'on ne pouvait se taire, et qu'on bénissait tout haut Jésus-Christ, et sa sainte Mère.

Après sa guérison, Madeleine revint au Bois-de-la-Roche, et resta quelque temps encore dans la maison de madame de Ligouyer.
Continuellement exposée aux insolences de nombreux domestiques, elle crut plus sage de quitter la maison.
La vie agitée de ce château ne pouvait plus lui convenir, tant elle était contraire à l'attrait de Dieu qui la sollicitait à mener une vie de recueillement et d'oraison.
Libre de ses actions, Madeleine se rendit à Ploërmel, où elle apprit le métier de couturière, qui, en occupant son temps, laissait toute liberté à son esprit de ne plus perdre de vue celui qui depuis son enfance avait pris possession de tout son être. Elle y eut beaucoup à souffrir de la part des personnes qui l'entouraient, mais là comme ailleurs, elle s'abstint de toute plainte.
Madeleine ne connaissait personne à Ploërmel, elle commença donc à faire, dans la joie de son cœur, l'expérience de cet abandon total à la Providence qui fut l'une des lumières les plus distinctes qu'elle reçut, et l'une des pratiques les plus chères de sa vie.
Il lui fallut vivre pendant quelque temps de charité, jusqu'à ce que cette douce Providence entre les bras de laquelle reposait son âme, eût inspiré à une pauvre fille du pays de la retenir chez elle et de subvenir à ses plus pressants besoins.
Ayant appris en peu de temps ce qui concernait le métier de couturière, elle fut à même d'aller travailler à la journée pour gagner sa vie.
Sa mauvaise santé venait souvent interrompre cette occupation, et elle se trouvait ainsi doublement éprouvée, et par la souffrance et par la gêne.
Madeleine trouva une généreuse protectrice dans la personne de madame de la Voltais.
Cette dame qui habitait le château du même nom à quelque distance de Guer, étant venue à Ploërmel, ne tarda pas à reconnaître sa vertu, et jugea qu'elle attirerait sur elle et sur sa maison les bénédictions divines, si elle lui offrait un asile.
Cet acte de charité ne fut pas à l'abri de la critique, comme on devait bien s'y attendre : "Madame de la Voltais, disait-on, était une bigote qui en soutenait une autre dans ses folies".
M. et madame de la Voltais qui demeuraient presque toujours à la campagne, lui confièrent la garde de leur maison à Ploërmel, et lorsqu'ils allaient habiter la ville, Madeleine se rendait à la Voltais, où elle s'occupait des soins du ménage.
C'est de cette solitude qu'elle écrivait, au printemps de 1767 : " Il y a du plaisir à vivre ici ; je ne vois rien qui ne me parle de mon Créateur ; tout m'annonce sa grandeur, son pouvoir, son amour ; je vois tout renaître, il n'y a pas jusqu'au plus petit brin d'herbe qui ne me dise qu'il faut renaître aussi et ressusciter à la grâce, mais les fleurs que je vois tomber des arbres m'annoncent aussi ma fin."
Dieu, qui avait commencé de bonne heure à faire de cette âme privilégiée une copie vivante de son Fils souffrant et crucifié, ne la laissait pas jouir de ses faveurs sans mélange, il les assaisonna jusqu'à la fin des plus douloureuses épreuves.
L'un de ses confesseurs qui n'était pas accoutumé à diriger de pareilles âmes, lui dit que toute sa conduite n'était qu'illusion, et lui défendit d'approcher de la sainte Table.
Déjà malade, cette décision la jeta dans un tel trouble, que, son corps succombant à la peine, il lui prit des convulsions et des vomissements tels que ceux qui la voyaient dans cet état en étaient émus de compassion.
Enfin, son état devint si grave, que, désespérant de sa vie, on profita d'un instant de calme pour lui donner le saint viatique à six heures du soir. C'était le remède qu'attendait son âme.
A peine l'eut-elle reçu qu'elle entra en extase, avec un visage bien différent de celui que la maladie et ses troubles d'âme avaient rendu si pâle et si défait. Un air de jubilation avait succédé à la tristesse, elle ne paraissait plus sur la terre.
Un autre confesseur qui ne la connaissait pas assez, et auquel Madeleine fut obligée de s'adresser, la mit à une plus rude épreuve encore. Il lui avait défendu d'aller à la messe excepté aux jours d'obligation.
Dieu le permettant ainsi, il s'imagina non seulement la voir tous les jours à l'église, mais l'y voir communier. Madeleine retourne se confesser, et celui-ci lui dit qu'elle avait méprisé ses défenses, et présenté à Dieu de vaines prières que l'obéissance réprouvait.
Madeleine, surprise de pareils reproches, lui raconta heure par heure les lieux où elle avait été pendant la semaine, et en appela au témoignage des personnes qui l'avaient constamment entourée : peine inutile ; le confesseur, persuadé qu'il l'avait vue de ses yeux, n'en crut rien et lui enjoignit encore de n'avoir à se présenter à la messe que les jours de dimanches et de fêtes. Madeleine obéit, malgré toutes ses répugnances.
Cette manière d'agir se prolongea quelque temps, jusqu'à ce que s'étant déterminé à en venir aux informations, force fut au confesseur de reconnaître la vertu de son humble et docile pénitente, sans pouvoir s'expliquer la fascination de ses yeux ou de son imagination.
Sur la fin de 1764, elle vint dans la paroisse de Guer, demeurant tantôt à la Voltais, tantôt à Porcaro, chez madame du Guiny, où elle travaillait à la journée ; elle y demeura jusqu'au carnaval de 1765.
De retour à Ploërmel, à l'époque du carême de 1765, elle continua le même genre de vie, les personnes qui veillaient sur ses démarches remarquèrent alors après des expériences réitérées, que les jours où elle ne communiait pas, son estomac se refusait à toute nourriture, et qu'elle vomissait tout ce qu'on l'obligeait de prendre ; on observa aussi que se trouvant une fois retenue jour et nuit pendant douze ou quinze jours auprès d'un malade, elle ne le quitta que pour aller à la messe, et ne prit aucune nourriture que de l'eau dont elle usait souvent. La communion qu'elle fit chaque jour suffit seule pour la soutenir.
Ces marques de la prédilection de Dieu à son égard enflammèrent la rage du démon.
N'ayant rien pu gagner sur son esprit, il tenta de faire au moins souffrir son corps ; il la précipita du premier étage dans le fond d'une cave dont l'entrée était ouverte au bas de l'escalier ; puis, saisissant une lourde échelle qui se trouvait là, il la jeta sur elle, et disparut.
Madeleine fut tellement broyée de cette chute, qu'il lui fut impossible de se relever ; il ne lui resta de force que pour pousser quelques cris qui firent accourir à son aide.
On ne vit personne près de l'escalier, mais on la trouva dans cette cave obscure, réduite à un tel état que ses côtes étaient sorties de leur place.
Sa mère, qui ne se doutait pas de la cause véritable de ses souffrances, voulut la conduire à Rochefort où se trouvait une certaine demoiselle Grignon qui jouissait d'une réputation méritée dans les cures de ce genre.
Elle se soumit à tout ce qu'on exigea d'elle, mais les efforts qu'on tenta pour la guérir n'eurent d'autre effet que de redoubler ses souffrances sans lui arracher une seule plainte.
Tandis qu'on replaçait une côte, l'autre se dérangeait.
"Vraiment - finit par s'écrier l'opératrice, qui ne savait pas combien elle disait vrai - je crois que le diable s'en mêle."
Dieu voulut être le seul médecin de sa servante ; au bout de quinze jours elle se trouva subitement et complètement guérie.
Durant plusieurs années l'esprit de Madeleine fut continuellement occupé de l'établissement d'une maison pour le soulagement des pauvres et des malades, et pour l'instruction de la jeunesse.
Cette pensée lui fit bien de la peine, et elle faisait en vain tout son possible pour ne pas y songer, croyant que cela ne pouvait venir que du démon.
Dans une vision, elle reçut de la Sainte Vierge une petite statue de faïence encore vénérée à Porcaro.
Elle demeura environ un an dans le même lieu, sans qu'on en fit grand bruit.
Cependant la Sainte Vierge multiplia de telle sorte les prodiges par le moyen de cette statue, que M. le recteur crut devoir en donner connaissance à son évêque.
Celui-ci jugea à propos de faire transporter la statue à Saint-Malo sous le cachet de madame du Guiny avec des notes sur ce qui s'était passé : il la conserva jusqu'à sa mort, au commencement de 1767.
Ce fut alors que cette Vierge, miraculeuse à tant de titres, fut rendue à la chapelle de Porcaro.
Les lettres de madame du Guiny à l'évêque de Saint-Malo contiennent un témoignage de la vertu de Madeleine qui mérite d'être recueilli : "Madeleine Morice n'est point domestique chez moi, elle demeure à Ploërmel avec sa mère, chez M. de la Voltais. Je l'ai fait venir pour travailler à la journée à Porcaro. Elle y a passé trois ou quatre mois en différents temps. Je puis vous assurer que bien loin d'avoir remarqué en elle aucun défaut, je n'y ai aperçu qu'une vertu solide, une vive horreur de tout ce qui peut déplaire à Dieu, un amour tendre pour Jésus-Christ, une patience inaltérable dans les plus grandes souffrances, un désintéressement qui va jusqu'à refuser l'argent qu'on veut lui donner, à moins qu'on ne le lui offre à titre d'aumône, comme à un pauvre. Elle a une grande résignation à la volonté de Dieu, une tendre confiance en la sainte Vierge. La communion produit en elle un effet qu'on ne saurait assez admirer : je l'ai vue plusieurs fois avant la messe pâle et défigurée, pouvant à peine se traîner à la chapelle, et, aussitôt après la communion, avoir un visage riant et tout enflammé, s'en revenir à la maison avec la plus grande facilité.
Le mardi au soir de la Pentecôte dernière, après plusieurs jours de maladie, elle se trouva à la dernière extrémité; elle était dans les plus grandes souffrances, n'avait presque plus de pouls, et à tout moment, on croyait qu'elle allait expirer.
M. le curé de Guer n'avait pas apporté le saint viatique, parce que la malade n'avait plus connaissance, lorsqu'on l'envoya chercher, à ses autres maux se joignait une oppression de poitrine avec un mal de gorge qui ne lui permettait pas d'avaler.
Sur les quatre heures du matin on dit la messe, et on lui apporta la communion après qu'on se fut assuré qu'elle pouvait avaler la sainte hostie.
Au moment de la lui donner, on crut qu'elle allait expirer, mais à peine eut-elle reçu le corps de Jésus-Christ, que son oppression cessa, son visage qui auparavant était triste et pâle, devint tranquille, et elle se trouva mieux."
Madeleine eut des entretiens avec le Seigneur d'une rare profondeur contenant des lumières de foi et d'amour toujours admirables.
Au mois de juillet 1766, après la communion, elle fut transportée en esprit aux pieds de son divin Maître, auprès duquel - elle raconte - "je goûtais beaucoup de consolation ; il me sembla que ce divin Sauveur me dit avec un air de bonté :
" Ma fille, serez-vous toujours tremblante, la confiance et l'amour ne succéderont-ils pas à la crainte ? Sachez que rien ne me déplaît plus en vous que la crainte ; c'est me forcer à retirer mes grâces, c'est mettre obstacle à mes desseins, rassurez-vous donc, défiez-vous de votre faiblesse, mais confiez-vous en ma grâce qui ne vous manquera pas."
Au mois de décembre 1766, à la Voltais, la cuisinière était malade et il y avait du monde à la maison, Madeleine ne manquait pas d'ouvrage.
"Je faisais de mon mieux pour me rendre utile à quelque chose. De vous dire comment je m'occupai, et à quoi, je n'en sais rien. Sur le soir, j'étais tout étonnée quand on me dit que j'avais bien travaillé, je ne m'étais presque pas aperçue de ce que j'avais fait, et je ne savais pas trop comment la journée s'était passée tant j'étais absorbée. Je me trouvais toute hors de moi et comme renfermée dans le cœur de mon divin Maître, ne ressentant d'autre désir que de lui plaire. Je fus pendant trois jours que je restai à la maison, toujours agissante sans savoir trop comment; et si je n'avais pas été ainsi occupée, je crois que je n'aurais pas eu la force pour me soutenir, car je sentais au dedans de moi un feu qui me consumait."
Madeleine demeura seule à la garde de la maison de la Voltais pendant plusieurs mois.
Elle prouva pendant ce temps que la dévotion n'était pas chez elle une vertu inactive. Elle trouvait moyen d'allier avec les exercices de la religion les travaux de la vie la plus occupée. Tout le monde était surpris de voir qu'elle pût suffire avec une aussi mauvaise santé à un ménage qui demandait alors un si grand détail.
Souvent il lui fallait aller à Guer pour vendre les grains.
Elle avait des ouvriers à surveiller, des domestiques à diriger, beaucoup de comptes et d'arrangements à régler ; outre cela elle trouvait encore moyen de travailler plus qu'aucune autre de la maison, et elle satisfaisait à tout, sans que ses exercices de piété en souffrissent.
Quand elle venait au marché, son premier soin était d'aller à l'église, où elle communiait. Après une courte action de grâces, elle retournait à ses affaires ; et au milieu du tumulte, elle avait Dieu aussi présent que si elle l'eût vu de ses yeux.
Madeleine fut appelée aussi à participer aux souffrances de son Seigneur par des épreuves physiques et morales.
Au mois de juillet de l'année 1767, elle écrivait : "Je continue toujours à être misérable. Mon esprit est toujours dans la peine et tremblant, à l'exception du moment où j'ai le bonheur de m'unir à mon divin Maître dans la sainte Eucharistie.
Depuis le jour du sacré Cœur, la communion est un moment de paix et de tranquillité ; j'oublie ma misère, mon néant et ma bassesse, pour ne m'occuper que des bontés et infinies miséricordes de mon Dieu. Je ressens alors un généreux courage pour tout faire et tout souffrir, une grande résignation à la volonté de Dieu."
Madeleine garda toujours un souvenir reconnaissant de la grâce insigne de son baptême. Aussi le Seigneur voulut-il récompenser sa fidélité non seulement en lui faisant connaître qu'elle avait conservé pure la robe d'innocence reçue à pareil jour, mais en renouvelant cette plaie qu'un feu surnaturel avait déjà faite plusieurs fois à son cœur, ainsi qu'elle le rapporte.
"Le 1er août est l'anniversaire du jour où j'eus le bonheur d'être admise au nombre des chrétiens par le saint Baptême, grâce que j'ai toujours regardée comme la plus grande que Dieu pouvait me faire: aussi tous les ans, à pareil jour, je me sens transportée d'amour et de reconnaissance pour Dieu. A la messe, je voulus renouveler les promesses de mon baptême, renonçant pour toujours à ce qui pourrait déplaire à Dieu. Etant dans ces sentiments, je me trouvai hors de moi-même; il me sembla que mon divin Maître me présentant une robe blanche comme la neige, disait:" Ma fille, voilà la robe que vous aviez reçue au baptême, moi-même j'ai pris soin de la conserver dans la blancheur où vous la voyez."
Je m'aperçus cependant qu'elle avait deux taches; à cette vue, j'eus horreur de moi-même, je me sentis toute honteuse et humiliée; je lui dis : " O mon Sauveur, la robe qu'on m'avait, donnée au baptême, était pure, celle que vous me présentez aujourd'hui est tachée, sans doute que mon âme est telle."
" Ma fille, me dit ce divin Maître, c'est ta crainte excessive, et ton peu de confiance en mes miséricordes qui ont fait ces taches; l'amour et la confiance les effaceront. Ton cœur est fait pour m'aimer et non pour me craindre, et comme l'épouse ne doit plus craindre son époux, et que les deux ne font plus qu'un, ne m'appelle plus ton Maître, mais ton époux, je le suis en effet."
Au moment où le prêtre communia, je crus voir sortir de dessus l'autel un feu qui ne me parut pas matériel. Au même instant, une main toute divine me lança une étincelle de ce feu qui me vint donner au côté gauche : alors, il me sembla que mon côté fût percé, et mon cœur rempli d'un feu tout divin, et si enflammé de l'amour de son divin Maître que je suis étonnée comment je n'en suis pas morte. Enfin je perdis connaissance, je me trouvai comme renfermée dans le divin coeur de mon Maître."
Madeleine avait une confiance particulière en sainte Marie Madeleine de' Pazzi qu'elle avait prise pour patronne en entrant dans le Tiers-Ordre du Mont Carmel.
Un jour qu'elle était dans la peine, cette sainte lui apparut, la consola et lui fit entendre que sa vie devait être une vie crucifiée. Elle lui donna pour gage un petit crucifix, l'avertissant que lorsqu'elle le porterait, elle éprouverait les mêmes douleurs dont Dieu l'avait honorée elle-même sur la terre.
Il y avait déjà quelque temps que le divin Maître avait inspiré à Madeleine le dessein d'aller s'établir à Guer pour instruire gratuitement les pauvres enfants. Il fallait faire agréer ce projet aux deux familles qui avaient toujours traité Madeleine avec un si bienveillant intérêt.
On conçoit quel fut son embarras, et combien sa conduite pouvait paraître bizarre. Aller s'établir à Guer, sans appui, sans protection, sans fonds, quitter une maison où son sort et celui de sa mère étaient assurés, tout cela déconcertait trop la prudence humaine, pour n'être pas au moins taxé d'imprudence. Madeleine ne se dissimulait pas non plus ces obstacles, mais ils tombaient devant les assurances secrètes de secours qu'il lui donnait chaque jour dans la communion.
Le démon ne manqua pas de se mettre aussi de la partie. Trois semaines se passèrent depuis la décision jusqu'à l'exécution ; durant tout ce temps, il employa mille artifices pour l'empêcher. Lorsque Madeleine venait à Guer, dans le dessein de communier, il excitait en elle une faim si extraordinaire, qu'il lui semblait à chaque pas qu'elle allait tomber d'inanition. A peine avait-elle communié que ce besoin factice disparaissait, et qu'elle fût volontiers demeurée le reste du jour sans rien prendrec ; aussi pouvait-elle s'en retourner à jeun vers midi, sans ressentir la moindre incommodité.
Ce fut au commencement d'octobre 1768, que Madeleine put enfin s'établir à Guer. Elle logea dans une pauvre chambre, où elle avait pour tous meubles, un lit, une table et une armoire. Mais à peine trois ou quatre jours s'étaient-ils écoulés, qu'elle se vit environnée de plus de cinquante enfants, qu'elle tenait déjà dans un ordre qui faisait l'admiration de ceux mêmes qui avaient été les premiers à traiter son projet de chimérique, et à blâmer les personnes qui le favorisaient.
Le 6 novembre 1767, elle écrit : "Au milieu de mes enfants, je me regarde comme au milieu d'une troupe d'anges ; il me semble qu'à présent, avec la grâce de Dieu, rien ne pourra m'ébranler, et qu'il n'y a rien que je ne sois prête à entreprendre pour la gloire de mon divin Maître. Je vous fais paraître un grand courage ce soir, mais dans le moment où je vous parle, j'entends ma faiblesse et ma misère qui me disent qu'il ne faut qu'un petit coup de vent pour terrasser celle qui paraît si héroïque.
Depuis huit heures du matin jusqu'à quatre heures du soir, j'ai l'avantage de ne parler que de Dieu. Je me lève à six heures ; à sept, j'ai la messe, et fais mes dévotions ; à huit, je commence l'école par le Veni sancte et un petit cantique. Je finis à onze. Elles reviennent toutes à une heure; après une demi-heure de récréation, je commence le catéchisme qui dure jusqu'à deux heures et demie. Puis elles lisent, cousent et apprennent jusqu'à quatre heures. Après une demi-heure de récréation, tout se termine par un cantique. "
Madeleine trouvait son bonheur à vivre au milieu de ces enfants en qui elle voyait autant d'images de celui qui pour notre amour ne dédaigna pas de se faire petit enfant dans une crèche ; ce divin enfant de Bethléem voulut récompenser son dévouement et enflammer son coeur en venant lui-même reposer un instant entre ses bras. Ce fut le lendemain de Noël, jour de Saint-Etienne de 1767, qu'il lui accorda cette insigne faveur.
Approchant du terme de son exil, Dieu voulut faire passer Madeleine par l'une des plus rudes épreuves que nous rencontrions dans la vie des saints. Tout à coup, elle perdit jusqu'au souvenir des grâces privilégiées dont elle avait été comblée avec tant de profusion depuis son enfance, ou, si elle s'en souvint, ce ne fut que pour s'accuser d'hypocrisie et de mensonge dans tous les récits que l'obéissance l'avait obligée d'en faire. Elle se disait coupable de tous les crimes, et à l'entendre, sa vie n'avait été qu'un enchaînement de tromperies et de sacrilèges.
La conduite de Madeleine pendant cette tempête fut de nature à rassurer complètement ses directeurs, quand ils n'auraient pas eu tant de preuves de la droiture de son âme. Elle ne manquait à aucun de ses exercices de piété, passait le temps ordinaire à l'oraison, continuait son école, et tenait à ses enfants, au rapport des personnes qui l'observaient, des discours qui ravissaient les cœurs.
Cependant elle croyait elle-même les porter à l'irréligion. "Vous voulez que je fasse les classes - disait-elle à son confesseur - c'est pour la perte de ces enfants. Comment les porter à croire et leur enseigner des choses que je ne crois pas moi-même ? Vous voulez encore que je m'approche des sacrements? J'obéirai, car je n'ai plus rien à risquer."
Cependant il y avait des moments où elle convenait que son coeur désavouait les paroles de sa bouche; mais, un instant après, les ténèbres couvraient de nouveau son esprit. Le Jeudi saint, tous ceux qui la virent à l'église furent frappés du changement qui s'était opéré en elle. Son visage, de pâle et défait qu'il avait été pendant le Carême, devint resplendissant comme le soleil. Toutes ses peines avaient cessé, l'esprit et le cœur n'étaient plus occupés que du désir de s'unir à son divin Époux. Mais l'après-midi les souffrances recommencèrent; et durant la nuit, Notre-Seigneur, après lui avoir fait ressentir les douleurs de sa Passion, la favorisa des stigmates. Tel fut le récit qu'elle donna de ce fait extraordinaire.
"Dès le soir du Jeudi Saint, je me trouvai dans de grandes souffrances de corps et d'esprit, triste, accablée, avec une grande répugnance aux souffrances, mais le coeur soumis à la volonté de Dieu; je me mis au lit, les souffrances de corps augmentèrent, et pendant la nuit, il me semblait qu'on me rompait les os et qu'on me perçait la chair avec des pointes de fer, qu'on me la mettait par lambeaux avec des verges et des fouets; je me trouvais comme accablée sous un pesant fardeau, mais en même temps je fus pénétrée d'une dévotion très tendre pour la Passion de Jésus-Christ avec un désir très ardent d'être crucifiée avec mon divin Époux.
Mon coeur se sentant ainsi embrasé, je fus ravie comme en extase devant mon divin Sauveur qui portait toutes les marques de sa Passion; il fit sortir de ses plaies cinq rayons de lumière qui paraissaient comme des traits de feu; il m'en perça les pieds, les mains et le côté; cette opération me fit souffrir d'une manière qui répondait à la puissance de mon aimable Sauveur; mais elle remplit mon cœur d'une si grande consolation, et mit dans mon âme une si grande tranquillité, qu'il me semblait n'être plus la même."
Madeleine porta jusqu'à la mort ces glorieuses et douloureuses marques de la prédilection de Jésus-Christ. Pendant la semaine, elles se trouvaient fermées par une cicatrice qui se rouvrait tous les vendredis pour laisser passage au sang qui en coulait.
A la fête de sainte Marie Madeleine de' Pazzi où elle renouvelait ses vœux de religion, Dieu avait coutume de la gratifier tous les ans d'une faveur d'un autre genre: une sueur de sang qui couvrait son visage, pendant qu'on lui faisait l'imposition du voile de sainte Marie Madeleine de' Pazzi, conservé chez les Carmélites de Ploërmel.
Son confesseur voulut s'assurer par lui-même de ce qu'on lui en dit et put ainsi en témoigner:"Je vis, dit-il, le sang ruisseler de son visage, comme si on lui eût fait une large saignée; craignant trop de publicité, je lui fis signe de passer dans la sacristie; elle s'y rendit tenant son mouchoir devant sa figure. Là, j'examinai ce prodige de plus près, il continua l'espace d'une minute; je m'attendais à lui voir le visage blessé en quelque endroit; mais lorsqu'elle se fut lavée et essuyée, il ne parut pas la moindre cicatrice."
Le jour de la Visitation, 2 juillet 1768, Madeleine put prononcer le voeu tant souhaité du plus parfait. Cependant, approchant le moment de le faire, elle parut tout troublée, reculant d'effroi devant l'étendue d'un semblable engagement. La nuit se passa dans de terribles combats: mais toujours intrépide quand Dieu et l'obéissance avaient parlé, notre généreuse Madeleine se trouva à l'église à l'heure fixée pour la messe, et au moment de la Communion elle prononça son voeu sans hésiter.
A trois heures de l'après midi, elle se remit en oraison et y resta jusqu'à huit heures, recevant la grâce sublime du mariage spirituel. "Je sentais, dit-elle, mon âme attirée auprès de lui, mais sans pouvoir en approcher jusqu'à ce que ma bonne Mère m'ayant prise par la main, et m'ayant tiré l'anneau qui était à mon doigt, elle le donna à son Fils, après l'avoir passé entre ses mains. Il me sembla que Notre Seigneur le fit toucher à la plaie de son côté.
Ma bonne Mère lui ayant présenté ma main, il repassa l'anneau à mon doigt, me disant ces paroles: "Ma fille, voilà la marque d'amour que l'Epoux donne à son épouse; il y a longtemps que tu l'avais reçu de la main de mon ministre comme un lien qui allait t'unir et t'attacher à moi en me prenant pour ton seul et unique Epoux, mais je n'étais pas satisfait jusqu'à ce jour, aussi n'avais-tu pas reçu cette alliance de la manière dont tu la reçois. Elle a pris de si grandes forces entre mes mains, que rien désormais ne pourra rompre le lien qui nous unit, tu n'es plus à toi ni à aucune créature. L'épouse appartient à son Epoux; tu n'auras plus d'autre volonté que la mienne; tout ce que tu diras ou feras, n'aura d'autre but que ma gloire.""
Dès le mois de juillet, elle fut attaquée de la maladie de poitrine qui devait la réunir au Dieu qu'elle avait si ardemment aimé, si courageusement suivi dans la voie du Calvaire. On ne lui eût pas donné plus de quinze jours de vie, et cependant elle ne quitta la terre qu'au mois de mars. Elle continuait encore ses exercices ordinaires quand son confesseur exigea qu'elle interrompît son école et qu'elle se rendît à Porcaro.
Le régime auquel on l'avait soumise allait la priver de la Communion, le soutien et la vie de son âme. Le divin Epoux auquel Madeleine s'était donnée si pleinement y pourvut par la même voie dont se servit durant ses fréquentes maladies. Tous les matins pendant six semaines, deux jours seulement exceptés, elle fut communiée par un ange.
Sur la fin de septembre 1768, Madeleine témoigna un vif désir d'accompagner mademoiselle du Guiny qui devait aller à Rennes, pour prier une fois encore à Notre-Dame de Saint-Sauveur. On finit par céder à ses instances. En arrivant à Rennes, on la conduisit à Saint-Sauveur, et elle y passa deux heures en extase. La sainte Vierge lui apparut et lui dit, en posant la main sur sa poitrine, qu'elle lui rendait assez de santé pour reprendre quelque temps encore son école. Elle ressentit aussitôt du soulagement, et ses douleurs se dissipèrent à l'instant.
Trois jours après, elle avait en effet repris à Guer ses fonctions accoutumées près des enfants mais ce ne fut pas pour longtemps. Il lui restait une toux continuelle qui la minait. Enfin, la maladie s'aggrava tellement, que l'école fut totalement interrompue, et l'on conduisit Madeleine de Guer à Porcaro, dans l'espoir que le changement d'air, une nourriture plus solide, et les soins qu'on prenait d'elle dans cette maison, rétabliraient sa santé; mais tout fut inutile, l'heure de la récompense éternelle était arrivée.
Pendant les deux mois qu'elle passa à Porcaro, depuis son départ de Guer jusqu'à sa mort, elle fut presque toujours alitée. Sa plus grande crainte était de manquer de patience: elle condamnait à l'instant les moindres plaintes que lui arrachait la douleur. Au milieu de ses souffrances, elle songeait cependant encore à s'employer au soulagement des âmes du Purgatoire. Depuis plusieurs mois, elle offrait à Dieu pour l'une d'elles tout ce qu'elle aurait à souffrir le vendredi. Quand le jeudi arrivait, elle tremblait pour le lendemain, tout ce qu'elle avait souffert jusqu'alors n'approchant pas de ce qu'il lui fallait endurer ce jour-là. Ainsi, elle expira pour ainsi dire dans l'acte de la charité la plus héroïque.
Vers 7 heures du soir, elle parut plus mal. On lui fit renouveler ses vœux, faire des actes de confiance et d'amour; on lui parla du bonheur qui l'attendait dans le ciel. Pendant ce temps, elle soulevait son crucifix et le pressait contre ses lèvres, elle semblait hâter le moment de s'unir à Dieu. Un peu avant neuf heures, elle parut absorbée dans la prière, et ensuite on l'entendit prononcer ces paroles: "Quand vous voudrez, quand vous voudrez!" puis elle expira. C'était le vendredi 17 mars 1769, jour de la compassion de la sainte Vierge.
Elle était âgée de trente-trois ans. Son corps fut inhumé, le lundi suivant, dans la chapelle de Porcaro, paroisse de Guer, et l'on enferma avec elle dans son tombeau ce vœu du plus parfait écrit de sa main, qui était comme le testament de son amour envers le Dieu qui l'avait tant aimée. Le 8 mars 1849, ses restes furent transférés dans la nouvelle église de Porcaro, dans le petit caveau construit à cet effet devant l'autel de la sainte Vierge, où ils reposent toujours.
Nous aimons terminer ces notes par ce passage d'une de ses lettres de l'année 1768.
" Le divin Epoux de mon âme continue de m'honorer de sa présence plus que jamais... Je suis quelquefois dans un grand étonnement de me trouver dans la compagnie de saintes âmes dont la toute divine et tout aimable Providence me fait connaître la vertu, et dont je me vois si éloignée... Il est vrai que la vue de mon extrême anéantissement tourmente mon âme qui désire d'aimer, et la rend martyre d'amour; car aimant, elle voudrait faire beaucoup pour l'aimé, et par la vue de son néant elle connaît qu'elle ne peut rien; ainsi elle est suspendue entre le vouloir et l'impuissance.
Voyant qu'elle ne peut rien, elle entre dans des désirs si grands et si enflammés, qu'il semble quelquefois que son intérieur soit tout en feu; et souvent, elle s'adresse à Dieu dans ses amoureux transports, lui disant: Si j'étais Dieu et que vous fussiez petite créature, je me ferais petite créature pour vous faire Dieu. Mais voyant que tous ces désirs ne sont qu'imagination et chose impossible, le martyre de mon cœur redouble; mon âme est languissante, et quelque chose qu'elle fasse, elle désire toujours d'aimer davantage; enfin, ne pouvant rien faire qui soit digne de Dieu, rien qui la soulage, elle se console en pensant qu'il est tout et qu'il n'a besoin de rien; elle se perd, elle s'endort dans le sein de son immense grandeur, de son amoureuse Providence, dont elle voudrait ne sortir jamais."









 

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