Sainte Thérèse Bénédicte de La Croix
Carmélite - Martyre à Oswiecin (Auschwitz) en Pologne († 1942)
Edith
Stein, en religion sœur Thérèse-Bénédicte de la Croix, née
le 12 octobre 1891 à Breslau, dans l'Empire allemand, déportée le 2
août 1942, internée au camp d'Auschwitz, dans le territoire polonais
occupé par l'Allemagne nazie où elle fut mise à mort le 9 août 1942, est
une philosophe et théologienne allemande d'origine juive devenue religieuse carmélite.
Elle a été canonisée par le pape Jean-Paul II le 11 octobre 1998.
Buste de Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix, par Johann Brunner (2009)
« Philosophe crucifiée », co-sainte patronne de l'Europe par le pape Jean-Paul II le1er octobre 1999, à l'ouverture du synode des évêques sur l'Europe, en même temps que Brigitte de Suède et Catherine de Sienne.
Née
dans une famille juive, elle passe par une phase d'athéisme. Étudiante
en philosophie, elle est la première femme à présenter une thèse dans
cette discipline en Allemagne, puis continue sa carrière en tant que
collaboratrice du philosophe allemand Edmund Husserl, le fondateur de
la phénoménologie.
Une longue évolution intellectuelle et spirituelle la conduit au catholicisme auquel elle se convertit en 1921.
Elle
enseigne alors et donne des conférences en Allemagne, développant une
théologie de la femme, ainsi qu'une analyse de la philosophie de Thomas
d'Aquin et de la phénoménologie.
Interdite
d'enseignement par le régime national-socialiste, elle décide d'entrer
au Carmel, où elle devient religieuse sous le nom de Sœur
« Thérèse-Bénédicte de la Croix ».
Arrêtée par la SS, elle est déportée et meurt « pour son peuple » à Auschwitz.
Biographie
Enfance et études
Edith Stein (en 1920)
Maison de famille d'Édith Stein à Wroclaw
Son père, Siegfried Stein (1844-1893) est commerçant en bois dans une scierie.
Il
épouse le 2 août 1871 Auguste Stein (1849, 1936), et s'installe
à Gleiwitz (Haute-Silésie), où naissent leurs six premiers enfants :
Paul (1872-1943, mort au camp de concentration de Theresienstadt), Selma
(1873-1874), Else (1876-1954), Hedwig (1877-1880), Arno (1879-1948),
Ernst (1880-1882).
En 1882, la famille s'installe à Lublinitz, où Siegfried fonde sa première entreprise avec l'aide de sa belle-famille.
C'est une période difficile pendant laquelle l'aide familiale lui permet de ne pas sombrer dans la misère.
C'est
là que viennent au monde les derniers enfants du couple Stein :
Elfriede (1881-1942, morte en camp de concentration), Rosa (1883-1942
morte avec Édith à Auschwitz), Richard (1884, mort-né), Erna
(1890-1978).
Édith
Stein naît le 12 octobre 1891 à Breslau, jour de Kippour, ce qui la
rend particulièrement chère à sa mère, juive pratiquante.
Son père, Siegfried Stein, meurt d'une insolation quand Édith n'a pas encore trois ans.
Sa mère, femme très religieuse, doit alors subvenir aux besoins de sa famille et diriger l'entreprise familiale.
Cette
lourde tâche demande beaucoup de rigueur et de travail, discipline
qu'Auguste Stein essaie de transmettre à ses enfants, ainsi que sa foi
juive.
Édith
Stein raconte d'ailleurs que comme elle est la dernière de sa famille,
c’est à elle qu'il revient, d'après la tradition juive libérale, de
poser les questions liturgiques lors des fêtes juives, questions qui
donnent lieu à des explications plus complètes par le célébrant.
Edith
Stein entame sa scolarité à l'école Victoria en 1896, année où, pour la
première fois en Prusse, les filles sont autorisées à passer le
baccalauréat.
Elle se retrouve très vite dans la classe supérieure.
Une camarade de classe dit d'elle :
« Sa
précocité n'avait rien de surprenant, elle y était poussée par ses
aînés, mais l'irrésistible orgueil qu'elle développa et dont la tension
pouvait aboutir à des larmes et à la colère quand elle n'obtenait pas ce
qu'elle souhaitait ou n'était pas la première, la meilleure, était
moins positif... c'était une excellente élève ».
À
partir de 13 ans, elle commence pour Kippour à jeûner jusqu'au soir,
suivant la tradition juive. Elle conserve cette pratique même
lorsqu'elle quitte sa famille et ne prie plus.
À partir de 1904, les filles sont admises au lycée.
Toutefois,
arrivée à l'adolescence, Edith Stein refuse de rentrer au lycée et
demande à arrêter ses études en 1906 à l'âge de 15 ans.
Elle part dix mois à Hambourg aider sa sœur Else qui vient d'avoir un enfant.
C'est à cette époque qu’Edith Stein décide de ne plus prier : « En pleine conscience et dans un choix libre, je cessai de prier ».
En septembre 1907, elle revient à Breslau.
Elle retrouve un grand appétit de savoir et, alors qu'elle a quitté le collège volontairement, se remet avec brio aux études.
Elle
rattrape rapidement son retard et intègre le lycée en septembre 1908.
Pendant cette période, Édith Stein lit et étudie beaucoup.
Elle affirme plus tard que « ces lectures littéraires de l'époque me nourrirent pour ma vie entière ».
C'est
pendant cette période qu'elle commence aussi à découvrir
la philosophie et notamment la lecture de Friedrich von Schiller,
disciple d'Emmanuel Kant.
Edith
Stein prend alors un engagement politique, en devenant membre de la
section locale de « L'Association prussienne pour le vote des femmes ».
Elle soutient, avec sa sœur Erna et ses amies, l'aile la plus radicale
du mouvement féministe autour d'Anita Augspurg, d'Hélène Stöcker et
de Linda Gustava Heymann. (L'aile est radicale dans le sens où elle
réclame une égalité totale entre hommes et femmes.)
Édith Stein obtient son baccalauréat avec succès en 1911, et décide de poursuivre des études universitaires en philosophie.
La philosophe
Université à Breslau
Plaque commémorative d'Édith Stein à Prague
Edith Stein est persuadée que « nous
sommes sur terre pour être au service de l'humanité (...) Pour s'y
employer du mieux possible, il faut faire ce à quoi l'on incline ».
Elle
entame alors de brillantes études à l'université de Breslau, aidée par
l'argent (plusieurs milliers de marks) légué par sa grand-mère Johanna
Stein.
Elle
décide d'étudier de nombreuses matières : les langues indo-européennes,
l'allemand ancien, l'histoire du drame allemand, l'histoire de
la Prusse et de Frédéric le Grand, l'histoire de la constitution
anglaise, la philosophie de la nature, l'introduction à la psychologie,
l'initiation au grec enfin.
Édith Stein étudie particulièrement l'histoire, se considérant comme « passionnée aux événements politiques du présent considérés comme l'histoire en devenir ».
Elle tire de cette période de sa vie les nombreux exemples historiques qu'elle utilise par la suite dans ses conférences.
Elle étudie aussi la psychologie auprès de William Stern, et la philosophie dispensée par Richard Hönigswald.
C'est au cours de ces études de psychologie qu'elle se déclare athée.
Son ami d'études, Georg Moskiewicz, qui étudie la psychologie avec
elle, lui parle en 1912 de l'orientation philosophique nouvelle que
présente la phénoménologie d'Edmund Husserl.
Elle
décide alors de l'étudier et se trouve séduite par le procédé de
réduction phénoménologique. C'est cette découverte qui la pousse à aller
à Göttingen.
Elle
participe aussi à deux associations : la première est l'association
Humboldt d'éducation populaire, qui donne gratuitement des cours de
soutien scolaire à des ouvriers et des employés.
Elle y donne des cours d'orthographe.
La seconde est une association de femmes, visant à l'égalité des sexes et organisant des petits débats.
Elle
fait la connaissance à Breslau de Kaethe Scholz, une enseignante qui
anime des cours de philosophie auprès de femmes. Son exemple inspire Édith Stein dans la fondation de son « Académie » en 1920.
Études à Göttingen
Edith
Stein poursuit ses études à Göttingen, où elle suit, à partir de 1913,
les cours du philosophe Leonard Nelson, l'historien Max Lehmann (élève
de l'historien Leopold van Ranke), dont Édith Stein se dit « la petite
fille spirituelle ».
Grâce
à son ami Georg Moskiewicz Édith Stein est acceptée dans la Société de
philosophie de Göttingen, qui rassemble les principaux membres de
la phénoménologie naissante : Edmund Husserl, Adolf Reinach, et Max
Scheler principalement.
De
ces rencontres, elle garde une correspondance personnelle et
approfondie avec Roman Ingarden, Hans Lipps, Alexander Koyré, parmi les
plus importants.
Elle
fera par la suite connaissance avec Dietrich von Hildebrandt, et
surtout Hedwig Conrad-Martius, Théodor Conrad, qui deviendront des amis
très proches.
Edith Stein décide alors de préparer son examen d'État, première étape avant la thèse.
Elle
suit les conférences de Max Scheler, qui organise ses allocutions à
partir de son nouvel essai intitulé « Le formalisme en éthique et
l'éthique matérielle des valeurs » (1913-1916), et à la lecture duquel
Édith Stein trouve de nombreuses inspirations pour ses travaux sur
l'empathie.
Malgré de grosses difficultés, elle poursuit ses études avec l'aide de Reinach. L'examen est prévu pour novembre 1914.
Première Guerre mondiale
Lors de la Première Guerre mondiale, Edith Stein décide de retourner à Breslau.
Dans l'immédiat, elle veut servir et aider de son mieux.
Elle fréquente un cours d'infirmière. Pour elle, ce sont des temps difficiles.
Elle écrit : « Quand la guerre sera finie, si je vis encore, je pourrai à nouveau penser à mes occupations personnelles ».
Elle
retourne à Göttingen pour passer son examen d'État, passe les épreuves
et, début janvier, obtient le diplôme avec la mention « très bien ».
Suite
à son examen, elle postule à nouveau à la Croix Rouge, et est envoyée à
l'hôpital militaire de Mährish-Weisskirchen, en Autriche.
Elle soigne les malades du service des maladies infectieuses, travaille
en salle opératoire, voit mourir des hommes dans la fleur de l'âge,
issus de toute l'Europe de l'Est.
Cette expérience la marque profondément.
C'est une sorte d'expérience pratique d'empathie : comment communiquer avec des hommes dont on connaît peu la langue ?
Elle obtient la médaille de la bravoure pour son dévouement.
Epuisée, elle est invitée à rentrer chez elle et n'est plus rappelée.
Thèse de philosophie
Par la suite, elle décide de se consacrer sérieusement à sa thèse.
Elle fait désormais partie du cercle intime de ses maîtres.
Son ami Reinach se convertit au protestantisme au cours de la guerre. Il est baptisé le 9 avril 1916.
Édith Stein côtoie de plus en plus de chrétiens dans le cercle de philosophes.
Elle poursuit sa thèse tout en étant professeur remplaçante à Breslau.
Elle décide de suivre Edmund Husserl à Fribourg-en-Brisgau, où elle est l'une des premières femmes à obtenir sa thèse summa cum laude en 1917, avec le soutien de Edmund Husserl.
Celle-ci est intitulée : « Sur le problème de l'empathie », qu'elle définit comme « une expérience sui generis,
l’expérience de l'état de conscience d'autrui en général (…)
L'expérience qu'un moi en général a d'un autre moi semblable à celui-ci ».
Elle
fréquente beaucoup un étudiant polonais, Roman Ingarden, dont elle
devient amoureuse. Son travail enthousiasme Husserl qui a l’impression
qu'elle anticipe sur une partie de ses Idées.
Collaboration avec Husserl
Edmund Husserl en 1900
Elle devient ensuite l'assistante d'Edmund Husserl en lui proposant ses services après avoir passé sa thèse, en 1916.
Elle apprend la sténographie afin de pouvoir lire les notes d'Husserl.
Elle donne des cours d'initiation à la pensée du philosophe.
Elle synthétise les tomes 2 et 3 des Idées directrices pour une phénoménologie et une philosophie phénoménologique pures.
Elle rédige aussi à partir des notes d'Husserl l'ouvrage Leçons pour une phénoménologie de la conscience intime du temps, ouvrage qui est édité par Martin Heidegger en 1928 sans mentionner correctement la contribution d'Edith Stein.
Sa
recherche philosophique porte essentiellement sur la personne humaine,
les relations interpersonnelles, les communautés d’appartenance (État,
peuple, groupe ethnique, religieux, etc.).
Elle insiste sur le sens des valeurs, la liberté, le refus du totalitarisme.
Au cours de ces années de recherche elle tente de synthétiser avec ses propres notes l'ensemble de la pensée d'Husserl.
Elle remanie cet ouvrage tout au long de sa vie.
Il est publié en 1991 sous le titre « Introduction à la philosophie ».
Cependant Husserl refuse de soumettre Edith Stein à l'habilitation, ce qui lui permettrait d'être titulaire d'une chaire.
Son
opposition semble fondée sur sa crainte de voir échouer ce processus,
dans la mesure où encore aucune femme n'est titulaire de chaire de
philosophie en Allemagne.
De plus, comme beaucoup des nombreux professeurs juifs, Husserl est lui-même en position difficile.
Elle est très touchée par la mort au front de son ami Reinach.
Elle
"hérite" de ses notes philosophiques, où Reinach essaie de comprendre
sa propre évolution religieuse. C'est elle qui met en ordre et fait
connaître ses notes.
Elle rédige aussi à partir des notes d'Husserl l'ouvrage Leçons pour une phénoménologie de la conscience intime du temps, ouvrage qui est édité par Martin Heidegger en 1928. Ce dernier ne mentionnera pas correctement la contribution d'Edith Stein.
Conversion et engagements
Engagement politique et féminisme
Édith Stein s'intéresse beaucoup aux questions concernant les femmes.
Elle milite ainsi pour le droit de vote des femmes (qui est obtenu en 1919 en Allemagne).
Elle entre dans l'organisation « Association prussienne pour le droit des femmes au vote ».
En janvier 1919, elle s’engage au « DDP », le Parti démocrate allemand,
un parti de centre-gauche qui abrite des féministes ainsi que des
personnalités juives.
Alors
que dans sa jeunesse elle se dit sensible à l'idéal prussien, elle
devient de plus en plus critique devant le militarisme de la Prusse et
l'antisémitisme ambiant.
Elle écrit en 1919 : « De toute façon, nous (les Juifs) ne pouvons attendre aucune sympathie plus à droite ».
Elle dénonce à son ami polonais Roman Ingarden « l'effroyable antisémitisme qui règne ici ».
Progressivement, la grande idéaliste est déçue par la réalité de la politique.
Plus
tard, elle écrit : « Jeune étudiante, je fus une féministe radicale.
Puis cette question perdit tout intérêt pour moi. Maintenant je suis à
la recherche de solutions purement objectives ».
Elle
continue d'être européenne, de refuser le triomphalisme prussien à
propos de Sedan et écrit devant le carnage de la Première Guerre
mondiale : « Deux choses seulement me maintiennent la curiosité en
éveil : la curiosité de voir ce qui va sortir de l'Europe, et l'espoir
d'apporter ma contribution en philosophie ».
Dans
ses lettres des années 1930, elle parle des auteurs polonais, du
français Romain Rolland qu'elle apprécie, et refuse de voir la
communauté humaine se déchirer à cause de nationalismes exacerbés.
C'est sans doute l'origine commune de son féminisme comme de son pacifisme.
Elle dit ainsi qu'elle a « de chaudes discussions » au sein de ce parti.
Edith
Stein est la première femme devenue docteur en philosophie en Allemagne
et la première à avoir demandé officiellement que les femmes soient
admises à présenter une habilitation au professorat.
Au cours des années 1918 à 1919, elle publie L'Individu et la communauté, sous le titre Contributions à un fondement philosophique de la psychologie et des sciences humaines,
se détachant de la pensée d'Husserl, et évoquant la religion. Face aux
discriminations sur son habilitation, elle écrit au Ministre de la
Culture allemand, qui lui donne raison, affirmant la possibilité pour
une femme d'être professeur d'université. Cependant, malgré toutes ses
démarches elle est refusée à Kiel, Hambourg, et Göttingen.
Face
à cette opposition elle fonde une académie privée, et accueille trente
auditeurs chez elle, dont le futur sociologue Norbert Elias.
Elle poursuit sa réflexion en publiant Étude sur l'État, où elle décrit les différentes notions d'individu, de communauté, de masse et d'État.
Elle s'oppose donc à l'idéologie du national socialisme allemand, ainsi qu'aux idéologies marxistes.
Elle
observe vers la fin de sa vie le chemin parcouru concernant les droits
obtenus par les femmes et le changement de mentalités et rédige un
nouvel ouvrage : Formation de femme et profession de femme où
elle explique que « les jeunes filles passent aujourd'hui le
baccalauréat et s'inscrivent à l'université en ignorant le plus souvent
ce qu'il a fallu de réunions, résolutions, pétitions adressées au Reichstag ou aux Staatsregierungen pour que s'ouvrent aux femmes, en 1901, les portes de l'université allemande ».
Rencontre du Christ
Cathédrale de Francfort-sur-le-Main en 1866
La conversion d'Edith
Stein est précédée d'une longue recherche intellectuelle et spirituelle
qui s'étend des années 1916 à 1921.
La première étape de sa conversion a été une expérience marquante lors
de la visite d'une cathédrale à Francfort-sur-le-Main où elle rencontre
une femme venant du marché qui entre, fait une courte prière, comme une
visite, puis s'en va.
Stein explique :
« C’était pour moi quelque chose de tout à fait nouveau.
Dans les synagogues et les temples que je connaissais, quand on s’y rendait c’était pour l’office.
Ici, au beau milieu des affaires du quotidien, quelqu’un pénétrait dans une église comme pour un échange confidentiel.
Cela, je n’ai jamais pu l’oublier ».
Elle
est aussi profondément marquée par la mort de son ami Reinach, mais
c'est l'attitude de sa femme, qui est, selon l'affirmation d'Edith
Stein, l'élément le plus marquant.
Pauline Reinach croit dans la vie éternelle, et trouve une consolation et un courage renforcé dans sa foi en Jésus.
À travers cette expérience, elle découvre l'existence d'un amour surnaturel.
Elle
affirme plus tard que « la cause décisive de sa conversion
au christianisme fut la manière dont son amie accomplit par la force du
mystère de la Croix le sacrifice qui lui était imposé par la mort de son
mari ».
Dans
le cercle des phénoménologues, les conversions au christianisme se
multiplient (ses amies Anne et Pauline Reinach, F. Hamburger et H.
Conrad notamment).
Mais c’est en août 1921 qu’Edith Stein opte définitivement pour la foi catholique.
Lors d'une visite à ses amis Conrad-Martius, Edith Stein lit, ou relit, un livre que lui ont offert les Reinach : la Vie de sainte Thérèse de Jésus, par elle-même.
Cet épisode est l’aboutissement de sa longue quête de la vérité.
Elle affirmera plus tard, dans un écrit objectif, que « l'on peut avoir conscience de la vérité, sans l'accepter, en refusant de se placer sur son terrain ».
Dès ce moment elle veut être carmélite.
Annoncer sa conversion à sa mère est très difficile.
Elle affirme en effet : « Quant à ma mère, ma conversion est la plus lourde peine que je puisse lui porter ».
Elle demande le baptême au sein de l'Église catholique le 1er janvier 1922 et
elle prend les noms de baptême : Edith, Theresia (même nom que
Sainte Thérèse d'Avila), Hedwig (nom de sa marraine Hedwig
Conrad-Martius).
Elle fait sa première communion le lendemain et est confirmée le 2 février par l'évêque de Spire.
Conférences
Mémorial à Bad Bergzabern, où Edith Stein a été baptisée
Après
son baptême elle veut entrer dans l'Ordre du Carmel, mais son père
spirituel, le vicaire général de Spire, le lui déconseille et lui
demande d'enseigner l'allemand et l'histoire au lycée et à l'école
normale féminine du couvent des dominicaines de la Madeleine de Spire,
ce qu'elle fait de 1922 à 1933.
C'est un grand centre de formation des enseignantes catholiques, religieuses et laïques, de l'Allemagne du Sud.
Edith Stein se plonge ainsi dans la pédagogie tout en essayant de vivre
ses journées comme les religieuses, priant régulièrement et cherchant à
être religieuse selon le cœur.
Elle
décide de traduire en allemand, pendant ses temps libres, les œuvres
de John Henry Newman, anglican converti au catholicisme.
Elle poursuit sa traduction pour une maison d'édition intéressée par le travail de Newman.
Elle
poursuit son travail de traduction encouragé par son père spirituel P.
Erich Przywara, en traduisant pour la première fois les écrits de
saint Thomas d'Aquin du latin en langue allemande (notamment les Quaestiones disputatae de veritate).
L'Église catholique ayant, en 1879, choisi, dans l'encyclique Æterni Patris,
la philosophie de saint Thomas d'Aquin comme doctrine officielle de sa
théologie, Édith Stein tente donc l'idée d'une « discussion entre la
philosophie catholique traditionnelle et la philosophie moderne ».
Ce travail durera plus de huit ans, et conduira aux écrits : Les Questions de saint Thomas d'Aquin sur la Vérité, La Phénoménologie de Husserl et la philosophie de saint Thomas d'Aquin, Essai d'étude comparée, Puissance et acte, et Être fini et être éternel.
Le père Erich Przywara l'encourage à confronter saint Thomas d’Aquin et la philosophie moderne.
Elle écrira plus tard à propos de ces études « Il
m'est apparu à la lecture de Saint Thomas qu'il était possible de
mettre la connaissance au service de Dieu et c'est alors, mais alors
seulement, que j'ai pu me résoudre à reprendre sérieusement mes travaux.
Il m'a semblé en effet que plus une personne est attirée par Dieu, plus
elle doit sortir d'elle-même pour aller vers le monde en y portant
l'amour divin ».
L'abbaye de Beuron
Dès 1926 on la sollicite pour faire des conférences.
C'est l'amorce d'une carrière de conférencière qui la conduira à faire plus de trente conférences à travers l'Allemagne.
L'archiabbé Raphaël
Walzer de l'abbaye de Beuron, son père spirituel à partir de 1928, et
le P. Erich Przywara l’encouragent à répondre positivement à ces
invitations. Elle commence alors à donner des conférences, faisant de
longs voyages enAllemagne et dans d'autres pays.
Nombre
de ses enseignements portent sur la place de la femme dans la société
et dans l'Église, sur la formation des jeunes et sur l'anthropologie.
Elle prend résolument position contre le nazisme et rappelle la dignité de tout être humain.
Au
cours de ces conférences, elle affirme que l'éducation ne peut pas tout
obtenir par la force, mais doit aussi passer par le respect de chaque
individu et la grâce.
Elle
met donc en garde contre la surveillance des étudiants, et montre le
rôle exemplaire du professeur dans l'éducation, plus que les moyens
coercitifs.
Son père spirituel lui conseille de continuer son œuvre, du fait de son statut de laïc dans la société, fait rare à l'époque.
Elle prend ainsi parti pour le dialogue entre catholiques et protestants au sein de l'éducation.
Édith Stein obtient une notoriété importante au cours d'une conférence en 1930 sur « L'éthique des métiers féminins ».
Seule
femme à prendre la parole au cours du Congrès, elle parle des métiers
féminins et refuse la misogynie de l'époque en affirmant qu'« aucune
femme n'est seulement femme, chacune présente des traits individuels et
des dispositions propres, tout comme l'homme, par l'aptitude à exercer
telle ou telle profession dans un domaine artistique, scientifique ou
technique ».
Les comptes-rendus de cette conférence sont repris dans de nombreux journaux de l'époque.
Au cours d'une de ces conférences, elle discute avec Gertrud von Le Fort, amie poétesse.
Dans
la Position, Gertrud von le Fort affirmera même (mais c'est de mémoire
quarante ans plus tard) qu'elle a été en contact avec Edith Stein dès
1925-26 par le biais du P. Przywara.
De cette rencontre naît l'inspiration de l'œuvre La Dernière à l'Échafaud, dont Georges Bernanos s'inspire pour écrire les Dialogues des Carmélites.
En 1932 elle continue ses conférences demandant une éducation précoce de la sexualité.
Edith
Stein continue parallèlement ses études de philosophie et est
encouragée par Martin Heidegger et Honecker dans ses recherches dans le
dialogue entre la philosophie thomiste et la philosophie
phénoménologique.
En 1931,
elle termine son activité à Spire. Elle tente de nouveau d'obtenir
l'habilitation pour enseigner librement à Wroclaw et à Fribourg, ce
qu'elle n'obtient pas.
Elle
trouve un poste à l'Institut des sciences pédagogiques de Münster,
institut géré par l’enseignement catholique (qui sera fermé par le
pouvoir nazi quelques années plus tard).
Elle
participe en septembre 1932 à une conférence à Juvisy en France,
organisé par la société Thomiste, ou elle intervient principalement sur
la phénoménologie.
Elle
continue à dialoguer avec ses amis philosophes, dont Hans Lipps qui la
demande en mariage en 1932, demande qu'elle refuse, ayant trouvé un
« autre chemin ».
Edith
Stein prend progressivement son autonomie vis-à-vis d'Husserl. Ainsi
elle se trouve en désaccord avec lui sur le rôle de la théologie et de
la philosophie.
Elle
considère que la philosophie a pour objectif d’ « approfondir les
nécessités et les possibilités de l’être », par sa fonction de
connaissance.
Cependant,
la philosophie d'Husserl lui semble dans une impasse dans la mesure où
elle ne permet pas d’accéder aux questions de l'éthique et de la
philosophie de la religion, ne laissant pas « de place pour Dieu ».
La
théologie et la philosophie « ne doivent pas se faire concurrence, mais
au contraire se compléter et s’enrichir réciproquement ».
La théologie peut en effet servir selon elle d'hypothèse permettant d'accéder au logos.
Elle
critique aussi le fait que la philosophie d’Husserl omette des siècles
de recherche chrétienne de la vérité en ne considérant que les
philosophes récents.
Cette critique se poursuit avec l'analyse de l'œuvre de Martin Heidegger.
Elle conteste sa méconnaissance de la philosophie médiévale dans son analyse.
Elle lui reproche de « reculer devant l'infini sans quoi rien de fini ni le fini comme tel n'est saisissable ».
Très
vite après la prise du pouvoir par les nazis, les lois allemandes
interdisent aux femmes l'enseignement dans les universités ainsi qu'aux
Juifs.
Cependant
même lorsqu’elle est interdite d'enseignement en 1933, l’Association
des enseignantes catholiques continue à lui verser une bourse.
Édith Stein est activement opposée au nazisme, dont elle perçoit très tôt le danger.
Interdite d'enseignements du fait de l'arrivée d'Adolf Hitler au
pouvoir, elle décide alors d'écrire au pape Pie XI pour demander une
prise de position claire de l'Église contre ce qu'elle nomme
« l’idolâtrie de la race ».
Celle-ci
n'aura pas lieu du fait de la mort de Pie XI, décès qui arrête la
rédaction de l'encyclique condamnant l'antisémitisme, Humani generis unitas commencée en mai 1938.
Certains pensent que la lettre d'Édith Stein peut avoir une influence dans l'origine de cette encyclique.
La condamnation du nazisme par l'Église catholique a lieu dans l'encyclique Mit brennender Sorge (1937).
Alors
qu'elle ne peut plus s’exprimer publiquement du fait des lois
antisémites, elle redemande alors à l’archiabbé Walzer de Beuron de
pouvoir rentrer au Carmel.
Elle décide, suite à une conversation avec un religieux, d'écrire un livre sur l'« Humanité juive » alors de rassembler ses souvenirs et écrit sous le titre Vie d'une famille juive,
où elle décrit l'histoire de sa famille, en tentant ainsi de détruire
tous les préjugés antisémites et décrivant l'humanité juive.
Ce récit autobiographique s'arrête en 1916, peu de temps avant sa conversion.
En la fête de sainte Thérèse d’Avila, le 15 octobre 1933, elle réalise enfin son rêve : elle entre au monastère.
Vie religieuse
Le choix du Carmel
Le choix du Carmel peut trouver plusieurs explications.
La première raison est la lecture des mystiques du Carmel, dans la mouvance des phénoménologues à partir de 1917.
En
témoigne une conversation qui a lieu vers 1918 : dans une période de
doute et de difficultés, Philomène Steiger (1896 - 1985), une amie
catholique, lui parle de la quête du prophète Élie, le définissant comme
le véritable fondateur du Carmel, cherchant dans la solitude l'union à
Dieu. À cette époque, Edith Stein connaissait déjà les écrits du Carmel.
La deuxième raison, la plus importante, est sans doute son admiration
pour Thérèse d'Avila et pour son œuvre qui l'ont conduite au Christ.
Après
la lecture de sa biographie, elle avait fait le choix de devenir
catholique et d'entrer un jour au Carmel afin de « renoncer à toutes les
choses terrestres et vivre exclusivement dans la pensée du divin ».
Mais,
comme elle le dit elle-même, elle découvre que la vocation
carmélitaine, loin d'être une fuite du "terrestre" est au contraire une
manière concrète d'incarner un "grand amour".
Entrée au Carmel de Cologne
Statue commémorant l’itinéraire d’Édith Stein à Cologne
Article détaillé : L'Être fini et l'Être éternel.
En 1933, privée désormais comme juive du droit de s’exprimer publiquement, elle demande à entrer au Carmel, malgré ses 41 ans.
Elle est donc admise au Carmel de Cologne.
Elle prend l’habit le 15 avril 1934 et reçoit le nom de « Thérèse-Bénédicte de la Croix ».
Ses supérieures l’encouragent bientôt à reprendre ses travaux philosophiques.
À Pâques le 21 avril 1935, Édith Stein fait ses vœux temporaires. Elle a l'autorisation de poursuivre ses études sur Puissance et Acte, projet d'étude philosophique qu'elle poursuit jusqu'en 1939.
Ses travaux conduisent Édith Stein à remanier de manière complète ce projet, qu'elle renomme L’Être fini et l’Être éternel.
Cet écrit peut ainsi être considéré comme son œuvre majeure.
Elle y établit le chemin de la recherche de Dieu, qui passe par une recherche de la connaissance de soi.
L'ensemble de ses travaux ne pourra cependant être publié, en raison des lois anti-juives du Troisième Reich.
Elle renouvelle ses vœux temporaires le 14 septembre 1936.
Au cours de cette cérémonie, elle affirmera « Quand
mon tour est arrivé, de renouveler mes vœux, j'ai senti que ma mère
était près de moi, j'ai expérimenté clairement qu'elle était proche de
moi ».
Elle apprendra quelques jours plus tard que sa mère mourrait au même moment.
Ce fut pour Edith Stein une profonde consolation.
Le 21 avril 1938, elle prononce ses vœux définitifs en tant que carmélite.
Devant
le danger que présentent les lois nazies, Sœur Thérèse-Bénédicte de la
Croix a l'autorisation de partir au carmel d’Echt, en Hollande,
le 31 décembre 1938.
Sa sœur Rosa, qui s’est convertie elle aussi au catholicisme, l'y rejoint plus tard après un séjour en Belgique (voir Lettres).
Carmel d’Echt
Photographie
qui fut prise d'Edith Stein immédiatement avant qu'elle quittât le
Carmel de Cologne pour se réfugier au Carmel de Echt, c. 31 décembre 1938
Article détaillé : La Science de la Croix.
Édith
Stein arrive au Carmel d'Echt, aux Pays-Bas, mais elle est inscrite
auprès des services de l'immigration néerlandais en tant que juive.
Elle est de plus en plus inquiète devant le sort de ses amis et sa famille juive.
Elle continue ses travaux mais demande à sa supérieure de « s'offrir en
sacrifice au Sacré-Cœur de Jésus pour la paix véritable ».
Le
9 juin 1939, elle rédige son testament, dans lequel elle « implore le
Seigneur de prendre sa vie » pour la paix dans le monde, et le salut des
juifs.
L'annexion
de la Hollande par l'Allemagne nazie conduit à une situation de plus en
plus difficile pour Édith Stein, soumise à un statut particulier du
fait de son origine juive.
Néanmoins sœur Thérèse-Bénédicte de la Croix continue d'écrire, conformément aux souhaits de ses supérieurs.
Elle est ainsi déchargée de ses travaux manuels par sa supérieure au début 1941.
À
l'occasion du quatre-centième anniversaire de la naissance de saint
Jean de la Croix, sœur Thérèse-Bénédicte de la Croix entreprend l'étude
de sa théologie mystique.
Stein
avait préparé la rédaction de ce gros ouvrage par un court essai sur la
théologie symbolique du Pseudo-Denys l'Aréopagite, une des sources de
la pensée de saint Jean de la Croix.
Elle
cherche à comprendre, avec le recul, comment certains arrivent à mieux
découvrir Dieu à travers la création, la Bible et leurs expériences de
vie, alors que pour d’autres, ces mêmes éléments restent totalement
opaques.
Elle intitule son œuvre sur Jean de la Croix Scientia Crucis (La Science de la Croix).
Elle
y fait une synthèse de la pensée du carme espagnol avec sa propre étude
sur la personne humaine, la liberté et l’intériorité.
Contrairement
à ce qui fut dit, les dernières études graphologiques et littéraires
montrent que l’œuvre est achevée au moment de l’arrestation d’Édith
Stein.
C’est une sorte de synthèse de son cheminement intellectuel et spirituel.
À
travers l’expérience de saint Jean de la Croix, elle cherche à trouver
les « lois » générales du chemin que peut faire toute intériorité
humaine pour parvenir au royaume de la liberté : comment atteindre en
soi le point central où chacun peut se décider en pleine liberté.
Cependant
Édith Stein cherche à quitter la Hollande afin de partir vers un Carmel
en Suisse et vivre sa foi sans la menace des nazis.
Ses démarches restent sans succès car elle est privée du droit d'émigrer.
Elle écrit en juin 1942 : « Depuis
des mois, je porte sur mon cœur un petit papier avec la parole du
Christ: « Lorsqu'ils vous persécuteront dans une ville, fuyez dans une
autre ».
Décès durant la Shoah
Relique de l'habit de Sainte Edith Stein dans la cathédrale de Spire
Face
à l'augmentation de l'antisémitisme en Hollande,
les évêques néerlandais décident, contre l'avis du pouvoir en place, de
condamner les actes antisémites par la lecture lors de l'homélie d'une
lettre pastorale dans les églises le 26 juillet 1942.
Suite à cette lettre, un décret du 30 juillet 1942 conduit à l'arrestation des « Juifs de religion catholique ».
Elle
est arrêtée le 2 août 1942 par les S.S. avec sa sœur Rosa et tous les
Juifs ayant reçu le baptême catholique. Ses dernières paroles sont,
d'après un témoin, pour sa sœur « Viens, nous partons pour notre
peuple ».
Elle est déportée avec sa sœur dans les camps d'Amerfort, puis celui de Westerbork.
Elle
y retrouve deux de ses amies et « filles » spirituelles, deux jeunes
filles juives devenues catholiques : Ruth Kantorowicz et Alice Reis.
Au camp de Westerbork, elle croise une autre grande mystique juive du XXe siècle, Etty Hillesum, qui vient d’être embauchée par le Conseil juif du camp pour aider à l’enregistrement.
Cette dernière consigne dans son Journal la
présence d’une carmélite avec une étoile jaune et de tout un groupe de
religieux et religieuses se réunissant pour la prière dans le sinistre
décor des baraques.
À l’aube du 7 août, un convoi de 987 Juifs part en direction d’Auschwitz.
Toutes les personnes du convoi sont gazées au camp d'extermination d’Auschwitz-Birkenau en Pologne, le 9 août 1942.
Postérité
Reconnaissance posthume
Canonisation
Édith Stein est béatifiée par Jean-Paul II, le 1er mai 1987, à Cologne, pour l’héroïsme de sa vie et sa mort en martyre, assassinée « ex odio fidei » (en haine de sa foi catholique).
Avec
sa béatification dans la cathédrale de Cologne l’Église honore, comme
le dit le pape Jean-Paul II, « une fille d’Israël, qui pendant les
persécutions des nazis est demeurée unie avec foi et amour au Seigneur
Crucifié, Jésus Christ, telle une catholique, et à son peuple telle une
Juive».
Cette
homélie de Jean-Paul II montre l'importance reconnue du peuple juif et
de la tradition hébraïque dans la vie d'Edith Stein.
Elle est par la suite canonisée par le pape Jean-Paul II le 11 octobre 1998 et proclamée co-patronne de l’Europe le 1er octobre 1999.
Le
11 octobre 2006, le pape Benoît XVI bénit une grande statue de sœur
Thérèse Bénédicte de la Croix placée dans la partie extérieure de
l’abside de la basilique Saint-Pierre du Vatican dans une niche entre
les patrons de l’Europe.
Benoît
XVI cite par ailleurs en exemple Édith Stein dans son discours lors de
sa visite à Auschwitz le 28 mai 2006 affirmant : « de là apparaît devant
nous le visage d'Édith Stein, Thérèse Bénédicte de la Croix : juive et
allemande, disparue, avec sa sœur, dans l'horreur de la nuit du camp de
concentration allemand-nazi ; comme chrétienne et juive, elle accepta de
mourir avec son peuple et pour son peuple (...) mais aujourd'hui, nous
les reconnaissons en revanche avec gratitude comme les témoins de la
vérité et du bien, qui, même au sein de notre peuple, n'avaient pas
disparu.
Remercions
ces personnes, car elles ne se sont pas soumises au pouvoir du mal, et
elles apparaissent à présent devant nous comme des lumières dans une
nuit de ténèbres ».
Lors
de la béatification d'Edith Stein, celle-ci fut béatifiée pour deux
raisons, la première est celle de la reconnaissance de sa vie vertueuse
et héroïque, mais aussi celle de martyre.
Avec
la canonisation d’Édith Stein, en 1998 une polémique est née, certains
reprochant au pape Jean-Paul II d'avoir voulu « récupérer » la Shoah, à
travers sa canonisation.
Ainsi des personnalités juives critiquèrent le pape lui demandant
d’annuler la canonisation, voyant en celle-ci une tentative pour
réaliser la « christianisation de la Shoah ».
Cette
polémique semble en partie due à une mauvaise interprétation du
discours du pape Jean-Paul II qui affirma :
« En célébrant désormais la
mémoire de la nouvelle sainte, nous ne pourrons pas, année après année,
ne pas rappeler aussi la Shoah, ce plan féroce d’élimination d’un peuple
qui coûta la vie à des millions de frères et sœurs juifs ».
Certains
ont cru y voir l’institution d’une journée commémorant la Shoah, or il
s’avère que cette journée n’a jamais été instituée et que les propos ont
sans doute été sur-interprétés.
Fête
La fête d'Édith Stein est fixée au 9 août.
Sa fête a rang de mémoire dans l'Ordre du Carmel, sauf en Europe, où en tant que co-patronne, sa mémoire, pour toute l'Église, a rang de fête.
Autres reconnaissances
En 2008, Édith Stein entre au « Walhalla », mémorial des personnalités marquantes de la civilisation allemande.
La chaîne télévisée publique allemande ZDF consacra une émission entière sur Édith Stein dans le cadre d'Unsere Besten, consacrant les plus grands Allemands de tous les temps.
Un film est sorti en 1995 : La Septième demeure, dans lequel Maia Morgenstern joue le rôle d'Édith Stein.
En 2014, la paroisse de Bayeux fait l'acquisition d'une nouvelle cloche, nommée Thérèse-Bénédicte, en hommage à Edith Stein.
Héritage
Théologie d’Edith Stein
Vision de la Femme
Mémorial de l'abbaye de Beuron en Allemagne
Édith Stein a très tôt été marquée par sa condition féminine.
Première
femme Docteur ès philosophie d’Allemagne, elle s’est engagée
personnellement afin de défendre la possibilité pour les femmes d’aller à
l’université et d’y enseigner, malgré les nombreuses réticences du
début du XXe siècle.
Sa conversion va l’engager sur une autre voie.
Elle
pense alors que les revendications féministes ne suffisent pas : il
faut développer une théologie catholique de la femme, ce qu'elle fait à
travers de nombreuses conférences dans toute l’Allemagne.
Cette théologie spécifique
à la condition féminine, qui était quasiment inexistante dans
l’enseignement catholique, sera développée par Jean-Paul II, qui semble
avoir été influencé par l’analyse d’Édith Stein, dans la lettre
apostolique Mulieris dignitatem.
Certaines de ses conférences ont été regroupées en français dans un premier recueil La Femme et sa destinée, suivi en français de La femme.
Ces livres abordent de nombreux thèmes comme l’éducation de la femme, sa vocation, son statut particulier.
À
partir d’une analyse philosophique Edith Stein affirme l’unité de
l’humanité, puis une différenciation des genres qui la conduit à
affirmer que la femme a trois buts fondamentaux : « l’épanouissement de
son humanité, de sa féminité et de son individualité ».
En
se fondant sur le récit de la Genèse et de l’Évangile, démarche reprise
par Jean-Paul II dans son magistère, elle prend la Vierge Marie pour
modèle, et affirme son rôle essentiel dans l’éducation.
Cependant,
elle nie l’opposition de l’époque affirmant que les femmes doivent se
cantonner à la seule sphère familiale et affirme que la vocation de la
femme peut avoir une vie professionnelle : « Le but qui consiste à
développer les capacités professionnelles, but auquel il est bon
d’aspirer dans l’intérêt du sain développement de la personnalité
individuelle, correspond également aux exigences sociales qui réclament
l’intégration des forces féminines dans la vie du peuple et de l’État ».
Cette
affirmation est d’autant plus forte qu’elle considère comme une
perversion de la vocation féminine la vie des « jeunes filles de bonnes
familles et des femmes oisives des classes possédantes ».
Elle
affirme, en s’appuyant sur saint Thomas d’Aquin, qu’il existe des
professions naturelles de la femme, s'appuyant sur des prédispositions
féminines.
Prédispositions qui n’empêchent pas une singularité et des dispositions singulières, comme chez les hommes.
Elle
affirme plus loin qu’« un authentique métier féminin, c'est un métier
qui permet à l’âme féminine de s’épanouir pleinement ».
La femme doit donc se réaliser dans sa profession en recherchant ce qui est le plus dans sa vocation.
Elle
doit veiller à conserver « une éthique féminine » dans sa profession,
en prenant la Vierge Marie comme modèle de la Femme et dans sa destinée.
Cette
réalisation doit aussi comprendre une mission spirituelle de la femme,
qui se réalise par la vie en Dieu, la prière et les sacrements.
Dans
cette logique elle critique le manque d’instruction donnée aux femmes,
et le manque d’enseignement du catéchisme auprès des femmes, l’éducation
se focalisant trop sur la piété.
Elle
affirme ainsi que « la foi n’est pas une affaire d’imagination, ni un
sentiment de piété mais une préhension intellectuelle ».
Elle
mettra en garde les institutions religieuses, qui, dans l’éducation
religieuse, utilisaient trop souvent des moyens coercitifs afin de
développer la piété.
La
foi ne pouvant s’obtenir qu’en vertu de la Grâce, elle affirme la
nécessité non pas des contrôles mais de l’exemple dans l’éducation des
filles.
Vision du judaïsme
Vitrail d'Alois Plum représentant Édith Stein et Maximilien Kolbe à Cassel
La vision du judaïsme d’Édith Stein évolue tout au long de sa vie.
Née
dans une famille juive, elle abandonne sa foi juive, pour
devenir athée, ou en tout cas non pratiquante et agnostique, dès
l’adolescence.
Cet athéisme est remis en question par sa rencontre du Christ.
Cette
conversion conduit Édith Stein à un approfondissement de sa foi et à se
ré-approprier progressivement ses racines juives et à exprimer sa foi
chrétienne d’une manière originale.
Edith Stein ne renie pas son origine juive, mais l’assume, en se considérant toujours comme appartenant au peuple juif.
Elle considère ainsi que Jésus de Nazareth est un juif pratiquant, comme ses disciples des premiers temps.
Il en va de même de l’Église, le groupe actuel de ses disciples.
L’Église doit donc rester pleinement consciente de cet enracinement et doit être solidaire du peuple juif persécuté.
Ainsi
c’est cette réflexion et cette filiation qui conduisent Édith Stein à
écrire au Pape Pie XI contre l’antisémitisme, et à agir contre
l’antisémitisme tout au long de sa vie.
Elle revendique par ailleurs son héritage juif, par exemple en 1932.
Lors
d'un séjour à Paris, elle parle « des nôtres » ou de « nous »
lorsqu'elle parle de ses amis philosophes juifs, ce qu'elle fera
continument tout au long de sa vie.
Dans son œuvre présentée comme autobiographique Vie d’une famille juive,
Édith Stein veut, selon l’avant-propos, produire une réfutation de
l’antisémitisme nazi à travers la présentation de la vie de sa famille
et de ses amis juifs, dont elle est totalement solidaire, cherchant à
faire disparaître les préjugés antisémites.
Cet
héritage est vécu par Édith Stein de façon plus personnelle ; elle
écrit ainsi en 1932 : « J'avais entendu parler de mesures sévères prises
à l'encontre des Juifs, mais à ce moment-là l'idée se fit jour en moi,
soudainement, que Dieu venait à nouveau de poser lourdement sa main sur
mon peuple et que le destin de ce peuple était aussi le mien ». Elle
écrit La Prière de l'Église, où elle réaffirme le lien profond,
vital, entre le catholicisme et les juifs, affirmant que « le Christ
priait à la manière d'un Juif pieux, fidèle à la Loi ».
Elle affirme dans la même logique qu'il existe une richesse passée et présente de la liturgie juive.
Richesse qui préfigure la richesse de la liturgie catholique.
En
cela, l'œuvre d'Edith Stein est prophétique, elle annonce les avancées
du Concile Vatican II et de l'amitié judéo-chrétienne qui suivra.
Enfin
sa mort, qu’elle veut vivre comme un holocauste pour « son peuple »,
montre son attachement profond à ce lien
entre christianisme et judaïsme.
Elle ne renie pas sa foi catholique, mais s’identifie au Christ, qui meurt pour ses disciples.
Édith Stein fait donc de même, en partant aux camps en tant que juive.
Le
pape Jean-Paul II dans l'homélie de sa béatification affirmera qu'il
n'y a pas de contradiction pour Edith Stein dans sa foi : « Pour Edith Stein, le baptême chrétien n'était pas une façon de briser avec son héritage juif.
Tout
au contraire elle déclara : « J'avais abandonné la pratique de la
religion juive dès l'âge de quatorze ans. Mon retour à Dieu me permit de
me sentir à nouveau juive ».
Elle
a toujours été consciente du fait qu'elle était liée au Christ « non
seulement par la spiritualité, mais aussi par le sang. » (...)
Dans
les camps d'extermination, elle mourut en fille d'Israël « pour la
gloire du Très Saint Nom et, à la fois, en tant que sœur Teresa
Benedicta de la Croix, c'est-à-dire, « bénie par la Croix » ».
Théologie de la Croix
Edith Stein a développé une spiritualité particulière centrée autour de la Passion du Christ.
Dès le début de sa conversion elle est frappée par le mystère de la souffrance à travers la mort de son ami Adolf Reinach.
Elle découvre comment sa jeune veuve assume l'épreuve dans l'espérance chrétienne.
Edith Stein a été touchée par l'expérience de la foi vécue dans l'épreuve.
Une
fois au Carmel elle prendra le nom de sœur Thérèse-Bénédicte de la
Croix montrant par là-même l'importance pour elle de la théologie de la
Croix.
La rédaction de La Science de la Croix, sur la spiritualité de Jean de la Croix, permettra à Edith Stein de développer une théologie de la Croix.
La Croix est, selon Edith Stein, « cette
vérité ... enfouie dans l'âme à la manière d'un grain de blé qui pousse
ses racines et croît. Elle marque l'âme d'une empreinte spéciale qui la
détermine dans sa conduite à tel point que cette âme rayonne au dehors
et se fait connaître par tout son comportement ».
Pour Edith Stein la science de la Croix consiste en l'imitation du Christ, homme des douleurs.
La souffrance décrite par Jean de la Croix dans la Nuit obscure est une participation à la Passion du Christ et à « la souffrance la plus profonde celle de l'abandon de Dieu ».
Jean de la Croix affirme que pour entrer dans« la richesse de la sagesse de Dieu, il faut entrer par la porte : cette porte est la croix et elle est étroite ».
Pour Edith Stein, la science de la Croix est la possibilité de s'unir à Dieu : l'âme ne peut ainsi s'unir que si « elle
a été purifiée auparavant par un brasier de souffrances intérieures et
extérieures et d'après les plans de la Sagesse Divine.
Nul ne peut en cette vie obtenir une connaissance même limitée des mystères, sans avoir beaucoup souffert ».
Ces souffrances sont considérées par Edith Stein comme le « feu de l'expiation ».
Jésus en venant sur la terre a pris le fardeau des péchés de l'homme.
Les
souffrances du Christ tout au long de sa vie et accentuées au Jardin
des Oliviers sont le signe de la douleur qu'il éprouve dans ce
délaissement de Dieu.
La
mort du Christ, sommet de souffrance, marque aussi la fin de ses
souffrances et la possibilité d'union de l'Amour éternel, Union de la
Trinité.
Pour Edith Stein, après la nuit obscure qui est purification du coeur, nous accédons à l'Union divine.
Edith Stein affirme ainsi qu'« On ne peut acquérir une scientia crucis que si l'on commence à souffrir vraiment du poids de la croix.
Dès le premier instant, j'en ai eu la conviction intime et j'ai dit du fond du cœur: Ave Crux, spes unica » il
ne faut pas pour autant avoir une vision doloriste de ce que dit Edith
Stein : le but est bien la joie d'un amour vécu en plénitude.
Tout doit mener à l'amour : "Il est à peine besoin de parler de l'amour
: tout l'enseignement de saint Jean de la Croix est un enseignement de
l'amour, une manière d'indiquer comment l'âme peut parvenir à être
transformée en Dieu, qui est l'Amour".
Du reste, saint Jean de la Croix n'utilise pas l'expression "science de la croix" mais "science d'amour".
Un des plus beaux poèmes d'Edith Stein porte sur la joie de l'Esprit Saint :
"Es-tu le doux cantique de l'amour
et du respect sacré qui retentit sans fin
autour du trône de la Trinité sainte,
symphonie où résonne
la note pure donnée par chaque créature ?
le son harmonieux
l'accord unanime des membres et de la Tête,
dans lequel chacun au comble de la joie
découvre le sens mystérieux de son être
et le laisse jaillir en cri de jubilation,
rendu libre
en participant à ton propre jaillissement :
Saint-Esprit, jubilation éternelle" (Cf Malgré la nuit)
Cette science de la croix conduira Edith Stein à vouloir s'offrir et souffrir en s'unissant au Christ.
Dès 1930, elle écrira « je ressens combien est faible l'influence directe, cela aiguise en moi le sentiment de l'urgence de l'holocaustum personnel. ».
La rédaction de son testament confirmera la volonté d'Edith Stein de vivre jusqu'au bout cette science de la Croix, affirmant « accepter déjà maintenant avec joie la mort que Dieu a prévue pour moi dans une parfaite soumission à Sa très Sainte Volonté.
Je demande au Seigneur d'accepter ma vie et ma mort pour son honneur et Sa gloire ».
Philosophie d'Edith Stein
Empathie
L'empathie, ou Einfühlung, est un terme emprunté par Husserl à Théodor Lipps, désignant l’expérience intersubjective.
Elle adopte un point de vue différent du philosophe Theodor Lipps.
La
thèse d'Édith Stein analyse l'empathie comme le don d'intuition et de
rigueur qui permet de saisir ce que vit l'autre en lui-même.
L'empathie
peut permettre à la personne humaine, considérée comme un univers en
soi, de s'enrichir et d'apprendre à se connaître au contact des autres.
Ainsi,
même si nous ne les vivons pas personnellement par expérience, nous
pouvons, par l'empathie, découvrir des choses sur nous-mêmes.
Édith Stein affirme que « par
l'empathie, je peux vivre des valeurs et découvrir des strates
correspondantes de ma personne, qui n'ont pas encore eu l'occasion
d'être dévoilées par ce que j'ai vécu de manière originaire. Celui qui
n'a jamais vu le danger de près peut, en réalisant la situation d'un
autre par empathie, découvrir qu'il est lui-même lâche ou courageux. En
revanche, ce qui contredit ma propre structure d'expériences, je ne peux
pas le « remplir » mais je peux me le représenter de manière vide,
abstraite ».
De cette analyse, Édith Stein affirme que « seul celui qui vit lui-même comme personne, comme unité de sens, peut comprendre d'autres personnes ».
C'est l'ouverture aux autres qui permet ainsi de mieux connaître la réalité.
Celle-ci
ne peut donc pas se fonder uniquement sur le moi pour atteindre la
connaissance mais a besoin d'accepter les choses extérieures comme elles
sont, ouvrant ainsi la porte à une plus grande connaissance des choses,
sinon « nous nous emmurons dans la prison de nos particularismes ».
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