En
la douzième aimée de l'empire de Dioclétien et de Maximien, les princes
et les magistrat, publièrent dans toutes les villes un édit par lequel
il était ordonné de mettre à mort par divers supplices tous les
chrétiens qu'on pourrait découvrir, en quelque endroit que ce fut.
On
entreprit donc, dans l'univers entier, une sévère recherche des
adorateurs du Christ ; et l'ordonnance portait que tous ceux qui
voudraient vendre ou acheter devaient préalablement sacrifier aux
idoles, et que celui qui attrait recelé un chrétien serait lui-même puni
tout le premier.
Vers
ce même temps, les empereurs, qui étaient alors à Rome, confièrent au
préfet Apollinaire la mission dans chaque Province de l’Italie des
président ou magistrats, et des juges.
Or,
il arriva que, dans la ville d'Aquilée, on confia la présidence, à
Euphémius, homme très-impie, parce qu'il paraissait animé de sentiments
féroces contre les chrétiens.
Lorsqu’il
fut entré dans la ville, il alla droit au temple de Jupiter, et y
offrit d'immondes victimes ; puis il chargea le héraut public de crier
par toute la ville que tous les habitants eussent à se rendre avec des
victimes au capitole de Jupiter ; il fit même placer dans les lieux
publics des objets consacrés aux idoles.
On vit alors tous les amis des chrétiens les trahir et les livrer aux juges.
Un
des employés du tribunal, nommé Aponius, dit au président : «Il y a
présentement dans cette ville deux frères qui font profession du
christianisme.»
Le président ordonna aussitôt de les amener à son tribunal chargés de chaînes de la tête aux pieds.
Les
satellites étant entrés dans le lieu où ils demeuraient, ils les
trouvèrent priant Dieu et disant : «Seigneur, vous êtes devenu notre
refuge de génération en génération.
Avant que les montagnes fussent créées ou que la terre fût affermie, de siècle en siècle vous êtes, ô Seigneur.»
Le chef des satellites se saisit d'eux, les enchaîna par le cou et par les mains, et les conduisit devant le président.
Lorsqu'ils
furent arrivés, il dit a Euphémius : «Ceux que tu nous as ordonné de
prendre sont a la porte.» — «Qu'on les introduise,» répondit le
président.
Lorsqu'ils
firent devant lui, Félix ayant marque son front du signe de la croix,
et se frappant la poitrine, priait intérieurement.
Le président leur dit : «Dites de quels noms on vous appelle.»
Félix répondit : «Moi, je me nomme Félix, et mon frère s'appelle Fortunat; nous sommes chrétiens.»
Le président : «Êtes-vous originaires de cette ville, ou y êtes-vous venus comme voyageurs ?»
Félix
: «Nous sommes de ce pays, d'un lieu voisin, peu éloigné de cette
ville. Mais, voyant que vous adorez de vaines et immondes idoles, nous
avons abandonné notre demeure, préférant habiter dans les forêts avec
les bêtes sauvages, que de vivre avec vous ; car vous pratiquez un vain
culte et vous sacrifiez aux démons.»
Le
président Euphémius : «Ne savez-vous pas encore ce qu'ont ordonné nos
très pieux princes, savoir, que si on découvre des adorateurs du Christ,
il faut les punir de divers supplices ?»
Félix
: «Qu’ils obéissent aux ordres des princes, ceux qui leur ressemblent
et qui militent sous eux ; pour nous, qui avons notre roi dans le ciel,
nous n'avons rien de commun avec les ministres de Satan.»
Le président, à ces paroles, les fit étendre et frapper de bâtons noueux par des hommes très vigoureux.
Durant
ce supplice, les martyrs, comme d'une foix, priaient ainsi le Seigneur :
«Seigneur Jésus Christ, gloire à votre bonté ! car c'est en nous que
vous avez accompli ces paroles que le saint Esprit a proférées par la
bouche de votre serviteur David, disant : «Voyez comme il est bon, comme
il est agréable pour des frères de demeurer dans l'union !»
Nous
vous prions, Seigneur, de daigner nous faire persévérer dans la sainte
vocation à laquelle vous nous avez appelés, pour la gloire de votre nom,
et pour raffermir le courage de ceux qui croient en vous ; et afin que
tous ceux qui servent les idoles apprennent qu'il n'y a point d'autre
Dieu que vous, Seigneur, qui avez les anges pour ministres.»
Euphémius leur dit : «Ignorez-vous que nos seigneurs les empereurs sont très irrités contre le nom de votre Christ ?»
Félix
répondit : «Eh bien ! qu'ils se fâchent; est-ce que pour cela ils
pourront vaincre en quelque chose les serviteurs du Christ ? Sachez donc
que plus vous vous irritez dans votre cruauté, plus nous sommes élevés
en gloire.»
Le
président entendant cela, sourit, puis il leur dit : «Misérables ! je
m'en vais vous faire couper la tête, quelle gloire vous en
reviendra-t-il ?»
Fortunat
répondit : «La gloire que nous attendons du Seigneur notre Dieu est
toute spirituelle ; elle n'est pas de ce monde, car ce monde passe, et
sa gloire aussi : la gloire que Dieu prépare à ceux qui croient en lui
est éternelle; et qui êtes-vous, vous et vos princes ? Car votre gloire,
à nos yeux c'est de nous avoir plongés dans les tourments.»
Le
président, transporté de fureur à ces paroles, donna l’ordre, de
suspendre les deux frères au chevalet, et de leur brûler les flancs avec
des lampes ardentes.
Tandis
qu'on exécutait ses ordres, Félix et Fortunat chantaient des hymnes à
Dieu, disant : «Seigneur, roi des saints anges, envoyez l'archange saint
Michel à notre secours, pour la confusion de tous ceux qui adorent la
vanité et le mensonge.»
Comme ils parlaient encore, les lampes s'éteignirent, et ils
s'écrièrent : «Le filet a été brisé, et nous sommes délivrés ; notre
secours est dans le nom dit Seigneur qui a fait le ciel et la terre.»
Le
président Euphémus leur dit : «Ce sont là des paroles vaines qui vous
exaltent ; approchez et sacrifiez au grand dieu Jupiter, par lequel vous
pouvez mériter le salut»
Félix répondit : «Mérite toi-même le salut de ton Dieu pour nous, notre
salut, c'est le Christ. Vos dieux ne peuvent se sauver eux-mêmes, si on
vient à les briser ; comment peuvent-ils procurer aux autres ce dont
ils sont incapables pour eux-mêmes ?»
Le président, entendant cela, ordonna de les coucher sur le dos et de leur verser sur le ventre de l'huile bouillante.
Les
saints s'écrièrent alors : «Par le nom de notre Seigneur Jésus Christ,
pour lequel nous endurons ce tourment, nous ne sentons pas la moindre
chaleur ; tu nous as au contraire, procuré du rafraîchissement.»
Ce
président d'iniquité, de plus en plus outré de colère, ordonna de leur
frapper les mâchoires avec des balles de plomb, disant : «Il faut venger
le, injures des dieux sur les bouches qui les ont proférées.»
Fortunat
lui dit : «Ô impie ministre du diable, invente encore, si tu peux, un
autre supplice plus terrible, et dis à tes bourreaux de nous
l'appliquer; car, comme le Seigneur Dieu nous assiste, nous ne saurions
être effrayés par les tourments : l’ange du Seigneur est là qui fortifie
tous nos membres.»
L'un
des conseillers du président lui dit : «Seigneur, ces ennemis des dieux
immortels semblent tirer de la gloire de tous ces supplices : fais-leur
plutôt couper la tête.»
Le président rendit alors contre eux la sentence capitale.
Les satellites les conduisirent aussitôt hors de la ~ville, sur le bord de la rivière qui longe la cité.
Les
martyrs, en y arrivant, se mirent à genoux, et prièrent le Seigneur, en
disant : «Nous vous rendons grâces Seigneur Jésus Christ, de ce que
vous ne nous avez point abandonnés dans notre combat ; ainsi, comme nous
sommes sortis du même sein maternel, de même nous avons parcouru
ensemble l'arène du martyre. Nous vous prions, nous vous demandons que
pareillement vous nous permettiez d'entrer en même temps dans le
paradis, où se trouvent réunis tous ceux qui, de ce monde, sont parvenus
à la gloire céleste avec la palme du martyre subi pour votre nom.»
Après
qu’ils eurent ainsi prié, ils se donnèrent mutuellement le saint
baiser, et récitèrent en présence de tous l’oraison dominicale.
Le bourreau leur trancha la tête ; puis tous les satellites se retirèrent, laissant là les corps des martyrs.
La
nuit suivante, des hommes pieux de la ville vinrent au même lieu,
portant des linges et des aromates, dont ils ensevelirent secrètement
les corps saints.
En
même temps survinrent des habitants de la ville de Vicence, leurs
concitoyens, dans le dessein de transporter les corps des martyrs dans
leur patrie ; mais les habitants d'Aquilée y mirent opposition.
Comme
ce débat se prolongeait, et que les uns et les autres redoutaient la
cruauté du président et des païens, par une inspiration céleste, ils
convinrent que le corps de saint Félix serait transporté à Vicence, et
celui de saint Fortunat à Aquilée, sous la condition toutefois que la
tête de celui-ci serait emportée à Vicence, tandis que celle de saint
Félix resterait à Aquilée.
Les
saints de Dieu Félix et Fortunat furent martyrisés le douze du mois de
mai, sous l'empire de notre Seigneur Jésus Christ, à qui est honneur et
gloire dans les siècles des siècles. Amen.
Félix et Fortunat, morts en 296 ou au IVe siècle,
sont deux frères martyrs à Aquilée en Vénétie julienne sous Dioclétien
et Maximien. Ils sont fêtés le 14 mai en Occident et le 11 juin en
Orient.
Leur culte fut ravivé à Vicence par l'évêque Cacciafronte à la fin du XIIe siècle.
Lieux de culte
Façade de la basilique Saints-Félix-et-Fortunat de Vicence
Par Didier Descouens — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=61170792
Intérieur la basilique Saints-Félix-et-Fortunat de Vicence
Par Didier Descouens — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=61205630
Cathédrale de Chioggia
Par Twice25 & Rinina25 — Photographie personnelle, CC BY 2.5, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=2093370
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