Saint Grégoire Palamas († 1360)
archevêque de Thessalonique
Grégoire Palamas (1296 - 1359), saint de l'Église orthodoxe et reconnu par l'Église catholique romaine (fêté le 14 novembre), a développé dans sa pensée cet adage des Pères, selon lequel Dieu s'est fait homme, pour que l'homme devienne Dieu.
Il résume une longue tradition à ce sujet, à laquelle il se veut fidèle et qui touche à la question la plus fondamentale du christianisme, celle du salut ou de la déification de l'homme.
La vie et l’œuvre
La vie de Grégoire Palamas nous est connue par ses écrits, mais aussi par l’Éloge de Palamas composé peu de temps après sa mort par son disciple et ami Philothée Kokkinos, qui fut patriarche de Constantinople.
Son enfance et le début de sa vocation
Grégoire Palamas est né à Constantinople en 1296.
Ses parents étaient des nobles d’Asie Mineure qui, en raison de l’invasion des Turcs, se réfugièrent à Constantinople.
Son père, Constantin Palamas, était sénateur et faisait partie de l’entourage de l’empereur Andronic II Paléologue.
Il mourut peu de temps après la naissance de Grégoire.
C’est alors l’empereur qui prit en charge son éducation et ses études
classiques à l’université impériale jusqu’à l’âge de vingt ans environ.
Grégoire
choisit, probablement avant le terme du cycle de ses études qui le
destinait au service de l’État, de devenir moine et de renoncer alors
aux sciences helléniques.
Le jeune homme avait été préparé à sa vocation monastique par la piété familiale.
Ses
parents connaissaient la prière du cœur, ils fréquentaient les moines
athonites et leur avaient confié l’éducation spirituelle de leurs
enfants.
C’est
ainsi que Grégoire bénéficia de la paternité spirituelle d’un maître
réputé de la prière du cœur, Théolepte de Philadelphie.
Son départ au Mont Athos
C’est peut-être sous son conseil que Palamas se retira, vers 1316, au Mont Athos. Il y fut suivi par ses deux frères.
Quant à sa mère et ses deux sœurs, elles menèrent aussi une vie monastique, mais à Constantinople.
Au Mont Athos, Grégoire devint durant trois ans le disciple de Nicodème, un moine hésychaste qui l’initia à la vie d’ermite.
Suite
au décès de ce dernier, Palamas décida de rejoindre la communauté de la
Grande Lavra, fondée par saint Athanase de l'Athos.
Il y demeura en tant que chantre pendant trois ans, puis il opta à nouveau pour la vie solitaire.
Il prit Grégoire le Sinaïte pour père spirituel et alla séjourner parmi les hésychastes de l’ermitage de Glossia.
Vers
1325, il fut obligé de fuir, en raison d’incursions de pirates turcs.
C’est alors à Thessalonique qu’il résida durant quelques mois en
compagnie des disciples de Grégoire le Sinaïte, parmi lesquels se
trouvaient deux futurs patriarches de
Constantinople, Isidore (Boukharis) et Calliste.
À Thessalonique, il fut ordonné prêtre en 1326.
Ensuite,
Grégoire partit, accompagné de dix moines, fonder un ermitage
à Berrhée, où il suivit le style de vie adopté par les hésychastes, en
consacrant cinq jours de la semaine à la prière pure dans la solitude et
le samedi et le dimanche aux services liturgiques avec les autres
moines de l’ermitage.
Vers 1331, il dut une nouvelle fois fuir à cause d’incursions, de Serbes cette fois.
Grégoire retourna à la Sainte Montagne, à l’ermitage de Saint-Sabbas. C’est là qu’il commença à écrire ses premiers ouvrages.
Un peu plus tard, il accepta la charge d’higoumène ou de supérieur au Monastère d'Esphigmenou.
La querelle du filioque
Vers 1335, de retour à l'ermitage Saint-Sabbas, Grégoire Palamas écrivit, à l’occasion de pourparlers d’union des Églises, ses Traités apodictiques sur la procession du Saint-Esprit,
un ouvrage sur la Trinité destiné à repousser toute tentative de
compromis doctrinal avec les Latins sur le thème de la procession de
l’Esprit.
Ce
faisant, Grégoire ne refusait pas vraiment l’union des Églises, il
désirait surtout éviter une union doctrinale factice, dont l’enjeu
véritable n’était pas théologique, mais politique.
En
effet, certains de ses contemporains étaient prêts à sacrifier la foi
orthodoxe pour s’unir à l’Occident latin et bénéficier ainsi de son
soutien militaire pour repousser l’invasion des Turcs.
La controverse théologique avec Barlaam
A partir de 1336-1337, il entra en conflit avec les idées d’un moine et philosophe italien, nommé Barlaam le Calabrais.
Ce dernier était professeur à l’université impériale et un spécialiste du Pseudo-Denys.
Sa renommée était grande à Constantinople et beaucoup le consultaient en différents domaines du savoir.
Palamas rédigea, entre 1336-1337 et 1341, quelques Lettres, les Triades pour la défense des saints hésychastes, et un Tome hagioritique, œuvres qui témoignent de la controverse avec Barlaam.
Le
conflit portait sur la question de la connaissance de Dieu : peut-on
connaître Dieu autrement que par une démonstration, autrement que par le
seul raisonnement à partir de ce que Dieu a créé et qui conserve son
empreinte ?
Pour
Barlaam, il n’existait pas de meilleure approche que celle-là pour
connaître Dieu, qui en lui-même est absolument inconnaissable, comme le
disait Denys.
L’étude des Écritures était à ses yeux de moindre importance. Il se mit
à critiquer violemment les pratiques des moines hésychastes, pratiques
sur lesquelles il s’était renseigné et qui supposaient une autre forme
de connaissance de Dieu, une connaissance plus intime et personnelle,
par l’intervention d’une grâce incréée de l’Esprit.
Pour
Barlaam, ces pratiques témoignaient d’une ignorance de la part des
hésychastes et il le fit savoir autour de lui non sans ironie.
Les
moines demandèrent alors à Palamas d’être leur porte-parole dans ce
conflit où leur spiritualité était réduite à néant. Grégoire connaissait
bien Barlaam, il entretenait une correspondance avec lui.
Il mit au point, à partir d’une lecture attentive des Pères grecs, une
distinction en Dieu entre son essence imparticipable et les énergies
participables, distinction soulignant que Dieu est effectivement
inconnaissable en lui-même, en son essence, comme le rappelle Barlaam,
mais que l’homme n’est pas contraint pour autant à l’ignorance, parce
que Dieu dans sa bonté se révèle à lui tel qu’il est, dans son énergie,
où il est totalement présent et agissant.
Barlaam n’accepta pas cette distinction. Il tenta de la réfuter avec toute l’intelligence dont il était capable.
La
question fut finalement débattue publiquement le 10 juin 1341, lors
d’un concile présidé conjointement par l’empereur, Andronic III, et le
patriarche de Constantinople, Jean Calécas.
Le
concile condamna Barlaam, lequel quitta Byzance pour retourner
en Italie. Cependant, le document conciliaire ne fut pas signé par
l’empereur, en raison de son décès, survenu cinq jours après le concile.
L’opposition à la théologie de Palamas n’était pas terminée.
Le
relais fut pris par Grégoire Akindynos, qui fut peut-être le disciple
de Palamas, en tout cas son ami et un médiateur dans les premiers temps
de la controverse avec Barlaam.
Pour
sa part, il acceptait la spiritualité hésychaste tout en refusant
radicalement la distinction en Dieu entre l’essence et les énergies.
Le
nouveau régent Jean Cantacuzène, qui fut au service du défunt empereur
Andronic III, réunit alors un deuxième concile traitant de la même
question en août 1341.
Akindynos y fut condamné à son tour.
Le Tome synodal fut officiellement publié, mais le patriarche Jean
Calécas, qui contestait farouchement l’autorité politique de Jean
Cantacuzène, accepta de signer le document tout en empêchant le nouveau
régent, mais également le fils mineur de l’empereur, à savoir Jean V,
d’en faire autant. Ce document ne tranchait donc pas encore
définitivement la question.
Le conflit avec Grégoire Akindynos
Ce
conflit à propos de la régence entraîna tout Constantinople dans une
guerre civile de 1341 à 1347, qui opposa Jean Cantacuzène à un
gouvernement nominalement présidé par Anne de Savoie, la veuve de
l’empereur Andronic III.
Durant
cette période, le patriarche Jean Calécas persécuta Palamas en raison
de sa sympathie politique pour Jean Cantacuzène, et accorda son soutien à
Grégoire Akindynos, lequel s’empressa de réfuter la théologie palamite
dans ses Antirrhétiques.
Palamas fut mis en prison pour ses positions politiques en 1342 et excommunié pour ses idées religieuses en 1344.
En captivité, il écrivit différentes Lettres et ses Sept Antirrhétiques contre Akindynos.
Grégoire
Akindynos, quant à lui, fut, malgré sa condamnation en 1341 et
l’opposition de l’impératrice Anne de Savoie et de la cour impériale,
ordonné prêtre par le patriarche Jean Calécas, dont l’ambition était de
le nommer évêque, et ce afin d’affermir son autorité face aux partisans
palamites de Jean Cantacuzène.
Cette
période de crise politico-religieuse se dénoua en 1347. En effet, le 2
février de cette année, l’impératrice, consciente du fait que le
patriarche Jean Calécas utilisait Grégoire Akindynos à des fins purement
politiques, convoqua un concile réunissant les représentants des deux
partis en conflit.
Le patriarche Jean Calécas y fut condamné et déposé, et le Tome synodal de 1341 y fut confirmé.
En
conséquence, Jean Cantacuzène devint co-empereur avec le jeune Jean V,
et ce, jusqu’à la majorité de ce dernier, et les moines hésychastes
reçurent à nouveau le soutien de l’Église.
Un
autre concile, présidé par Jean Cantacuzène et l’impératrice, condamna
une nouvelle fois le patriarche déchu Jean Calécas, excommunia Grégoire
Akindynos et fit publier un autre Tome, qui confirmait celui de 1341.
Ces deux Tomes furent encore une fois confirmés par un troisième concile tenu à Sainte-Sophie quelques semaines plus tard.
Grégoire Palamas, Métropolite de Thessalonique
C’est Isidore Boukharis, un ami de Grégoire Palamas, qui devint patriarche de Constantinople. Grégoire fut alors consacré métropolite de Thessalonique en mai 1347.
Il ne put toutefois pas se rendre dans sa ville épiscopale avant 1350,
en raison de son occupation par des zélotes qui refusaient l’autorité
impériale de Jean Cantacuzène.
C’est probablement à cette époque qu’il rédigea ses 150 chapitres physiques, théologiques, éthiques et pratiques qui constituent, avec les Triades de défense des saints hésychastes, son œuvre majeure.
À peine installé à Thessalonique, Grégoire fut à nouveau confronté à
une controverse avec Nicéphore Grégoras, toujours sur les mêmes
questions.
Un
nouveau concile, convoqué en juin 1351 par Cantacuzène et le patriarche
Calliste, qui succédait depuis peu au défunt Isidore, approuva une
nouvelle fois la théologie de Grégoire Palamas et la distinction entre l’essence et les énergies divines.
Un
second concile fit de même quelques jours plus tard. Le Tome synodal
publié le 15 août 1351 entérina ces décisions et excommunia désormais
tous ceux qui n’acceptaient pas la doctrine défendue par Grégoire Palamas.
Grégoire Palamas put alors se consacrer à sa tâche d’évêque tout en restant disponible à l’empereur pour des missions de médiation.
En 1354,
alors qu’il naviguait vers Constantinople en vue d’accomplir l’une de
ces missions, il fut fait prisonnier par les Turcs et dut rester une
année en Asie Mineure occupée.
Il y eut l’occasion de visiter différentes communautés chrétiennes,
mais aussi de mener divers débats avec des musulmans et des juifs
convertis à l’Islam.
Sa
rançon ayant été payée aux Turcs, il revint en 1355 à Constantinople où
il rencontra le légat du pape Innocent VI, Paul de Smyrne, qui, venu à
l’occasion de pourparlers d’union des Églises, s’était montré
particulièrement réticent à l’égard de la théologie palamite.
Il y eut alors, en présence de l’empereur Jean V et du légat du pape, un nouveau débat public entreGrégoire Palamas et Nicéphore Grégoras.
Au
cours de ce débat, les autorités byzantines cherchèrent à montrer que
la doctrine palamite, conforme à celle des Pères, ne constituait pas un
obstacle à l’union des Églises.
Après
ce débat, Grégoire retourna à Thessalonique. Il s’y adonna surtout à la
prédication, mais il rédigea également entre 1356 et 1358 ses Quatre traités contre Grégoras.
Atteint
d’une maladie depuis 1352, Grégoire mourut le 14 novembre 1359 et fut,
suite à une vénération populaire constante, canonisé en 1368.
Le
culte des reliques du saint de l’Église byzantine s’est perpétué
jusqu’à aujourd’hui à Thessalonique. Et dans l’Orthodoxie, une liturgie
fait mémoire de lui le deuxième dimanche de Carême.
La théologie mystique
Grégoire
ne recherchait pas en tant qu’écrivain religieux la beauté du style,
mais l’expression des vérités auxquelles il croyait fermement (Triades
3, 1, 2).
Généralement,
lorsqu’il aborde des idées religieuses pour les défendre, il le fait
exhaustivement, il y revient à plusieurs reprises en différents endroits
de son œuvre, en fonction des arguments contraires de ses adversaires
et des sources bibliques et patristiques qui viennent confirmer ses
opinions.
Cette
façon de faire enrichit considérablement son écriture, mais est
déroutante pour le lecteur moderne, qui risque sans cesse de perdre le
fil conducteur de la pensée de Palamas dans la profusion des
raisonnements opposés et des références.
Selon
Palamas lui-même, le point de départ de sa doctrine, ou plus exactement
de l’approfondissement d’une doctrine qu’il a lui-même reçue, est le
fait qu’il y a des personnes, comme Barlaam, qui, en raison de leur
inexpérience de la grâce et de leur incrédulité à l’égard de ceux qui
témoignent d’une telle expérience, les saints de la Bible, les Pères,
ainsi que les hésychastes, rejettent le caractère incréé des énergies
communiquées par l’Esprit Saint (Tome hagioritique).
Autrement
dit, si une personne comme Barlaam rejette la possibilité d’avoir une
connaissance surnaturelle de Dieu grâce à la communication de son
énergie incréée, c’est parce qu’il n’en a pas lui-même fait l’expérience
(Triades 3, 3, 3) et qu’il ne se fie pas davantage à ceux qui l’ont
faite.
Or,
pour Palamas, cette expérience de la grâce est la meilleure preuve de
l’existence de Dieu et des intuitions théologiques qu’il défend (Triades
2, 3, 38).
La grâce est une expérience
Grégoire
insiste sur cet aspect expérimental de la grâce. Sa théologie vise à
défendre ceux qui vivent dès à présent des énergies divines, énergies
que les paroles ne démontrent pas, mais qui restent néanmoins
perceptibles dans les œuvres, celles du Christ, mais aussi celles des
saints à sa suite (Tome hagioritique).
Palamas
nous explique que, malgré la nécessité de la polémique, il a du mal à
écrire sur le thème de la déification de l’homme, précisément parce
qu’il s’agit avant tout d’une expérience vécue et intime avec Dieu,
d’une expérience qui dépasse donc tout ce que l’intelligence peut
comprendre et faire comprendre à travers les seules paroles ou les seuls
raisonnements (Triades 3, 1, 32).
La participation de l'homme à la divinité
L'approche spirituelle de Palamas est inscrite dans l’histoire de la révélation judéo-chrétienne.
Il montre, en effet, que Dieu s'est révélé et se révèle encore d'une façon progessive à l’humanité.
En
effet, Palamas compare le cheminement de l’Ancien Testament vers le
Nouveau Testament au cheminement actuel qui part du Nouveau Testament
vers son accomplissement dans la vie future.
Il
dit : de même qu’auparavant seuls les prophètes, et ceux qui les
écoutaient, avaient vu dans l’Esprit les mystères de la loi de Moïse, la
préexistence du Verbe et de l’Esprit de Dieu, avant qu’ils ne soient
manifestés dans la révélation de la Trinité, tandis que les autres se
bouchaient les oreilles ; de même, à présent, seuls les saints et ceux
qui les écoutent voient dans l’Esprit les mystères de l’Évangile avant
qu’ils ne deviennent pleinement évidents dans la vie future, tandis que
certains chrétiens ne veulent pas en entendre parler.
Mais quels sont ces mystères évangéliques vus par les saints et tous ceux qui les entourent ?
Les
mystères sont ceux dont parlent les Pères, comme le Pseudo-Denys,
Maxime le Confesseur et le Pseudo-Macaire, des auteurs que Grégoire
apprécie fortement et cite constamment.
Ils
nous expliquent que Dieu transcende, surpasse, est au-dessus du don
déifiant qu’il fait à l’homme, de la divinité qu’il communique à ceux
qui en sont dignes.
Il dépasse ce don déifiant, parce qu’il en est l’origine, la source, la cause éternelle.
Cette
grâce déifiante est, tout comme Dieu, incréée et éternelle.
Contrairement aux êtres vivants et au monde, aux créatures et à la
création, cette grâce n’a pas de commencement dans le temps.
Elle
existe depuis toujours en Dieu. Par les Pères, nous apprenons que cette
grâce déifiante est une lumière, celle qui rayonne autour de Dieu, des
anges, mais également des saints.
Elle
se manifeste aux hommes qui en sont dignes, hommes qui se sont le plus
souvent longuement préparés à la recevoir, mais ils la reçoivent sans
que l’on puisse dire que cette prédisposition, aussi méritoire
soit-elle, est en quelque sorte la cause de leur illumination.
L’être humain ne dispose d’aucun moyen automatique pour obtenir et laisser transparaître en lui cette lumière émanant de Dieu.
C’est
pourquoi elle est toujours une grâce, une faveur que Dieu fait à
l’homme, sans que ce dernier ne connaisse le moment de sa manifestation.
Les
Pères nous enseignent encore que cette lumière répand la joie en
l’homme, une joie spirituelle, profonde, ineffable, qui est l’un des
signes les plus manifestes de la présence de Dieu en l’homme (Triades 3,
1, 36). En outre, cette lumière constitue la beauté du siècle à venir,
du Royaume de Dieu, de la vie éternelle.
Nous
rejoignons ici l’accomplissement des mystères de l’Évangile dont
parlait Grégoire, à savoir la manifestation finale et plénière de la
gloire incréée, de la lumière éternelle.
C’est là le signe de la présence de Dieu en tous les êtres auxquels il a donné la vie.
C’est
la transfiguration de toute la création. Le saint dans cette
perspective eschatologique est celui qui dans l’Esprit appréhende déjà,
ici et maintenant, mais pas encore complètement, cette réalité future.
Et tous ceux qui se mettent à son écoute et suivent ses conseils en sont
également les bénéficiaires (Tome hagioritique).
Dieu inaccessible en son essence mais manifesté
Nous
avons ici les bases de cette distinction en Dieu qui posa tant de
problèmes à Grégoire ou plutôt à ses contradicteurs : Dieu s’est révélé
comme Trinité, Père, Fils et Esprit, mais aussi, et c’est paradoxal,
comme un Dieu inaccessible en lui-même et pourtant partout et toujours
accessible dans le don qu’il nous fait de lui-même, de sa propre vie.
Ce
paradoxe est le fondement de la théologie de Palamas, la distinction en
Dieu entre son essence imparticipable et son énergie participable,
entre ce que Dieu est en lui-même, dès l’origine, sans les êtres créés
par lui, et ce que Dieu est pour la création et les créatures, pour
l’univers et les êtres vivants, les hommes en particulier, avec lesquels
il veut depuis toujours entrer en relation.
Il
faut nous arrêter quelques instants sur cette théologie, qui est une
des plus belles réflexions de l’esprit humain pour justifier la
déification de l’homme.
Pour
Palamas, il y a en réalité une triple distinction en Dieu : la Trinité,
l’essence et les énergies (Chapitres 75), mais ces distinctions
n’affectent en rien son unité, car il n’y a qu’un seul Dieu trinitaire,
vivant et agissant en son essence comme dans son énergie.
Cette
triple distinction s’explique par le fait que l’essence de Dieu ne
s’identifie ni aux trois hypostases ou personnes divines, Père, Fils et
Esprit, qui la partagent tout en gardant une primauté existentielle par
rapport à elle (Triades 3, 2, 12), ni à l’énergie, parce qu’elle en est
la cause transcendante.
L’essence
de Dieu, en tant que cause transcendante de l’énergie, possède, résume
et unifie en elle-même une multitude d’énergies, elle est capable de se
multiplier sans se diviser en autant de réalités participables qu’il y a
de participants (Triades 3, 2, 24-25), que ce soit pour créer le monde
dans toute sa diversité (Triades 3, 2, 26) ou pour déifier les hommes
prédisposés à la réception de la grâce (Triades 3, 2, 13).
L’énergie
incréée, comme activité de Dieu en dehors de lui-même, est absolument
inséparable de l’essence, elle en procède et n’a pas d’existence
autonome par rapport à elle (Triades 3, 1, 24).
Puisque Dieu est indivisible, il est totalement présent dans chacune de ses énergies.
Le
moindre atome d’énergie nous donne donc accès à la totalité de Dieu et
nous permet de le connaître et de le nommer (Triades 3, 2, 10-11).
Comme
l’essence divine, dont elle provient et qu’elle nous manifeste,
l’énergie est omniprésente (Triades 3, 1, 34), il n’y a pas par
conséquent un seul endroit dans tout l’univers où l’on ne puisse la
trouver et par elle Dieu lui-même.
Enfin, cette énergie ne sera pleinement visible qu’à la fin des temps, comme rayonnement de Dieu en toutes choses.
L’énergie divine, c’est au fond la communication que Dieu fait de
lui-même, afin que d’autres êtres, les êtres créés, les êtres humains en
particulier, puissent exister et bénéficier de sa vie en abondance.
En ce sens, l’énergie incréée est un effet éternel de la bonté de Dieu à notre égard (Triades 3, 2, 24).
La synergie entre la volonté de Dieu et de l'homme dans le salut
Ce
développement appelle une question, celle de savoir comment, selon les
mots de Palamas, être dignes d’une telle grâce. Ou formulée autrement :
quels sont les moyens qui peuvent nous prédisposer à la réception
consciente de l’énergie déifiante ?
Il existe différents moyens qui vont ensemble et qui sont constitutifs de la vie chrétienne.
Mais
avant de les énumérer, il faut insister sur le fait que ce ne sont
jamais que des moyens mis en œuvre par l’activité humaine.
Or,
l’homme, par lui-même, est incapable de se déifier. Il a besoin de
l’activité de Dieu, de son intervention répétée dans l’histoire comme en
témoigne l’Écriture, de l’incarnation du Fils et de la communication de
l’énergie de l’Esprit.
En
sens contraire, l’activité salutaire de Dieu ne suffit pas non plus,
car l’homme a été créé libre et Dieu se refuse à le contraindre même au
salut, c’est tout à fait librement qu’il doit y consentir.
Mais, si ni l’activité humaine ni l’activité divine ne suffisent au salut, comment sortir de l'impasse ?
Par
une activité commune de l’homme et de Dieu : il faut que l’homme
veuille être sauvé et que Dieu veuille le sauver, il faut en l’homme une
synergie de son activité et de celle de Dieu par le biais du don
permanent de la grâce, de l’énergie, de l’Esprit répandu en lui. C’est
uniquement par cette collaboration humaine et divine que les différents
moyens deviennent salutaires pour l’homme.
L'altération de l'image de Dieu en l'homme
Parmi
ces moyens, il y a d’abord et avant tous les mystères ou sacrements de
l’Église, principalement le baptême et l’eucharistie, dont Grégoire dit
que notre salut tout entier en dépend (Homélie 62).
Pour
comprendre cette affirmation, il faut faire un détour par la doctrine
de la corruption de la nature humaine par le péché et de sa rénovation
par l’incarnation du Verbe de Dieu.
Cette doctrine repose sur le récit de la Genèse et sur l’œuvre du Christ d’après le Nouveau Testament.
Le péché d’Adam, comme figure biblique et originelle de l’être humain, est la première manifestation de la désobéissance à Dieu.
Il est pour Palamas la cause d’une corruption de l’humanité, dans les deux sens du terme : psychique et physique.
Par son irruption, le péché occasionne une mort de l’âme avant même
celle du corps, un désordre psychique et une déchéance du corps.
En effet, Palamas envisage le péché comme une altération de l’image de
Dieu en l’homme, altération par laquelle l’homme devient incapable
d’être à la ressemblance de son Créateur, de participer à la vie même de
Dieu (Chapitres 39).
Or,
cette altération de l’image divine en l’homme est en réalité une
dénaturation de son intelligence, comprise comme étant la faculté
spirituelle la plus haute de l’âme, faculté qui permet à l’homme de
connaître, de faire librement des choix et d’orienter toute sa vie en
conséquence.
Cette
dénaturation a pour effet de priver l’homme d’une faculté qui était la
sienne à l’origine, celle de voir Dieu (Triades 1, 1, 3) et donc de
s’unir à lui.
Si
par le péché l’homme perd cette ressemblance, la vie divine, et cette
capacité visuelle de l’intelligence qui l’unissait à Dieu, il n’est par
pour autant abandonné à son sort. Il y a bien sûr toutes les
interventions divines dans l’histoire biblique, mais il y a aussi et
surtout la venue annoncée de Jésus-Christ.
Pour
Palamas, c’est précisément pour offrir la possibilité à l’homme de
retrouver son état originel et plus encore par la déification que le
Verbe de Dieu s’est fait chair (Triades 1, 1, 22).
En
effet, par l’union hypostatique ou personnelle du Fils de Dieu à la
nature humaine, celle-ci participe de nouveau et totalement à la vie
divine (Triades 2, 3, 21).
En
s’incarnant, en devenant un homme à part entière, le Fils a pu unir
notre humanité déchue à sa Personne divine et la restaurer en lui-même
par la communication de sa propre divinité.
Ce qui est préfiguré dans la Transfiguration et accompli dans la Résurrection.
Nous retrouvons en la Personne même du Christ cette collaboration humaine et divine pour le salut.
Selon l’image de saint Paul, le Christ est le nouvel Adam, c’est-à-dire
le nouvel homme, celui qui transmet non plus le péché et la mort, mais
la vie même de Dieu, parce qu’il est Dieu lui-même. Comment fait-il
cela ?
Précisément
par les mystères ou sacrements de l'Église, principalement le baptême
et l’eucharistie, qui permettent une incorporation et une communion
réelle au Corps déifié et déifiant du Christ, Corps qui contient la
plénitude de la divinité et qui, selon Palamas, est la source de la
lumière incréée, qui jaillit dans le cœur du croyant (Triades 1, 3, 38)
et illumine à nouveau son intelligence, ouvre à nouveau les yeux de
l’âme (Triades 1, 3, 33) pour contempler Dieu, si l’homme a foi en lui
(Triades 2, 3, 40).
Par
les mystères ou sacrements, l’énergie de l’Esprit opère en nous, si
nous le croyons et le voulons, ce que le Fils a accompli une fois pour
toutes en lui-même, en sa propre chair pour nous.
Dans
cette perspective, l’Église, Corps du Christ, n’est donc rien de moins
qu’une communauté d’hommes animée par la foi en Jésus-Christ et en voie
de déification par la grâce ou l’énergie de l’Esprit.
Le rétablissement de la maîtrise de l'intelligence sur les passions
Les
mystères ou sacrements ne sont pas les seuls moyens de déification,
même s’ils demeurent fondamentaux et incontournables pour le chrétien.
La
doctrine de la corruption de l’image divine en l’homme, l’intelligence,
et de la possibilité offerte à l’homme de retrouver la ressemblance à
Dieu par la grâce débouche également sur une perspective éthique.
Le péché est perçu par Palamas comme un bouleversement du
fonctionnement originel et naturel des puissances de l’âme,
bouleversement par lequel ce n’est plus la partie raisonnable de l’âme
(les facultés de connaissance, de jugement et de raisonnement) qui
gouverne la partie passionnée (le désir et l’emportement), mais
l’inverse.
De
cette façon, l’homme se détourne du bien, Dieu lui-même, et se laisse
conduire par ses passions, comme la cupidité, l’ambition et la vanité,
etc.
Pour remédier à ce désordre psychique et corporel, le moine hésychaste recherche l’impassibilité,
qui ne signifie nullement ici l’insensibilité ou une mise à mort de la
partie passionnée de l’âme, qui en soi est bonne, mais le rétablissement
des forces psychiques dans leurs fonctions premières, celles d’avant la
chute occasionnée par le péché dans l’âme.
Ce
retournement s’opère sous la direction de l’intelligence en synergie
avec la grâce et permet à l’homme d’embrasser les vertus et les passions
bienheureuses, d’acquérir de nouvelles et meilleures dispositions.
Par
l'attention de l'intelligence maintenue au-dedans du corps (selon la
méthode hésychaste, décrite ci-dessous), "nous donnons à chaque
puissance de l'âme sa loi et à chacun des membres du corps ce qui lui
convient" :
- la tempérance comme régulation des sens (nous leur "donnons ce qu'ils doivent percevoir et dans quelle mesure")
- l’amour est suscité comme l'état le meilleur de la partie passionnée de l'âme
- la vigilance et la sobriété (nepsis) pour "renvoyer tout ce qui empêche la pensée (dianoia) de s'élever à Dieu".
"Celui
qui par la tempérance (enkratéia) a purifié son corps, qui par l'amour
divin a fait de l'ardeur et du désir une occasion de vertu, qui par la
prière a mené devant Dieu une intelligence dépouillée, acquiert et voit
en lui-même la grâce promise aux cœurs purs."
Ce
retournement offre la possibilité à l’homme d’accomplir progressivement
les commandements évangéliques dans l’amour du prochain et de Dieu.
Lorsque l’homme parvient à cet amour, il parvient selon Grégoire à un
état proprement divin (Triades 2, 2, 19 et 1, 2, 2).
L'oraison hésychaste : faire l'expérience de Dieu
Si
la grâce reçue par les mystères ou sacrements de l’Église ouvre la vie
chrétienne sur une perspective éthique qui culmine dans la capacité
d’aimer comme Dieu aime, elle offre encore une autre possibilité en
cette vie, celle de voir Dieu.
Il ne saurait s'agir d'une connaissance extérieure.
Il n’est pas question ici, par exemple, de la contemplation naturelle,
par laquelle l’intelligence humaine parvient à déceler la marque de Dieu
dans ce monde, c'est-à-dire à appréhender la raison des êtres créés par
Dieu, la trace intelligible laissée par Dieu en chaque chose et qui
permet de le reconnaître comme créateur de l’univers.
Cette
contemplation naturelle est certes une forme de connaissance de Dieu
qui n'est pas sans valeur, mais ce n’est pas là encore une connaissance véritable de Dieu.
Il en va de même de tout ce que l’on peut apprendre sur Dieu par les
Écritures, les dogmes ou les confessions de foi (Triades 1, 3, 48 et 2,
3, 18 et 40).
Toutes ces connaissances sont bonnes, mais elles restent extérieures à Celui dont elles parlent.
La théologie, au sens étymologique de discours sur Dieu, n’est pas encore la vision de Dieu.
Dire
quelque chose sur Dieu, ce n’est pas encore faire l’expérience intime
et personnelle de Dieu (Triades 1, 3, 42), expérience à laquelle l’homme
peut se prédisposer par la prière pure ou méthode d’oraison hésychaste.
Le mot « hésychia »,
qui est à l’origine du terme « hésychasme », signifie tranquillité,
calme, repos, et qualifie tout à la fois un état de vie du moine
hésychaste, la réclusion dans la solitude d’une cellule, et un état
correspondant de l’âme, le silence obtenu lorsque l’activité des sens,
de l’imagination et de l’intelligence s’apaise pour faire place à
l’activité de l’Esprit Saint.
Description de la méthode
La
méthode d’oraison hésychaste suppose pour sa mise en pratique un lieu
tranquille, solitaire, à l’écart de toute agitation, la position assise
et les yeux fermés.
Mais on peut aussi garder les yeux ouverts et fixer son regard sur la poitrine ou sur le nombril comme sur un point d’appui.
Elle
implique en outre un apprentissage à la maîtrise du souffle. Il s’agit
en fait de recueillir et d’apaiser l’intelligence au rythme de
l’inspiration et de l’expiration.
Dans
un premier temps, l’intelligence doit suivre le mouvement de
l’inspiration qui descend jusqu’au cœur et y être retenue en même temps
que le souffle.
Si
l’on a les yeux ouverts, la fixation du regard sur la poitrine est une
aide supplémentaire pour faire descendre l’intelligence dans le cœur.
Quant à la fixation du regard sur le nombril, elle vise plutôt la lutte contre les passions de l’âme (Triades 1, 2, 7-8).
Dans un second moment, l’expiration permet un certain relâchement de l’attention jusqu’à la reprise du souffle.
Cet
exercice respiratoire s’accompagne d’une invocation, de la récitation
mentale et continue d’une formule, telle que « Seigneur Jésus-Christ,
Fils de Dieu, aie pitié de moi » ou sous une forme brève « Seigneur, aie
pitié ». Il faut un certain temps pour que cette invocation devienne
tout à fait spontanée.
Le but de cette oraison
Quel est le but de cette méthode assez simple dans sa description ?
Il s’agit pour le moine hésychaste de purifier l’intelligence, de lui
faire trouver le repos, l’hésychie, en la détournant de toutes
sensations, images ou conceptions mentales (Triades 2, 2, 15), ce qui la
prédispose à la participation aux énergies divines (Triades 2, 1, 30).
Pourquoi faire descendre l’intelligence dans le cœur en suivant le mouvement du souffle inspiré ?
Parce
que le cœur, déjà dans la Bible, est le siège, le lieu propre, de
l’intelligence (Triades 1, 2, 3), le lieu où la grâce du Christ se
manifeste (Triades 1, 3, 38) et où elle peut à son contact se surpasser
elle-même dans l’extase, l’union à Dieu (Triades 1, 2, 5).
Pourquoi enfin invoquer continuellement Jésus-Christ en le suppliant d’avoir pitié ?
D’une
certaine façon, c’est toute l’histoire judéo-chrétienne de la
rédemption qui se trouve récapitulée dans cette formule dont se souvient
continuellement l’hésychaste en présence du Christ.
Son
intelligence acquiert dans un effort soutenu une prise de conscience
ininterrompue à la fois de l’imperfection de sa nature et de la
miséricorde divine, de la promesse de la grâce communiquée par le Fils
dans l’Esprit.
Tout
ce qui vient le détourner de cette réalité salvifique est écarté par le
souvenir de cette réalité qui sans cesse revient à la conscience
jusqu’à ce que l’énergie de l’Esprit fasse une irruption soudaine dans
le cœur et accomplisse effectivement ce qu’il avait en mémoire.
Il s’agit là d’une démarche de foi, où l’intelligence, convaincue de sa
faiblesse se rassemble et se tourne vers le Christ, en attendant de lui
le salut comme accomplissement d’une promesse faite à l’humanité.
Ce faisant, l’intelligence ne le contraint pas à agir, mais se détourne consciemment de tout ce qui pourrait l’empêcher d’agir.
Libre alors à l’Esprit d’intervenir dans ce cœur purifié, préparé à sa venue, c’est-à-dire digne de lui.
Lorsque
Dieu répond à cet appel, lorsque l’énergie divine apparaît dans le
cœur, l’intelligence purifiée devient à son contact spirituelle et
lumineuse, les facultés créées se transforment et la grâce est transmise
de l’âme au corps, qui lui aussi participe au salut. Les hommes déifiés
parviennent alors à voir avec les sens et l’intelligence ce qui les
dépasse (Triades 3, 3, 10).
Il se produit paradoxalement une sensation dépassant les sens et une intellection dépassant l’intellection (Triades 3, 1, 35-36).
C’est pour le saint la vision ou contemplation de Dieu. L’intelligence retrouve cette capacité originelle de voir son Créateur.
Le corps comme demeure de l'Esprit
Il
y a, dans cette méthode, par son attention portée au corps, une rupture
radicale avec l'hellenisme néo-platonicien qui enseignait que
l'intelligence devait s'échapper du corps.
Cette conception du corps comme une entrave de l'esprit, Palamas dit que c'est la plus grave erreur des philosophes Grecs.
Palamas insiste, dans son traité Sur les saints hésychastes,
sur le fait que l'on ne doit pas chercher à faire sortir notre
intelligence du corps, mais au contraire s'efforcer de maintenir, avec
vigilance, notre intelligence dans notre corps.
Le
corps n'est pas mauvais : ce sont "les hérétiques qui disent que le
corps est mauvais et qu'il est l'ouvrage du malin". Il faut faire sortir
la loi du péché du corps, et y faire "demeurer l'attention de
l'intelligence".
Il cite à ce propos la parole de Saint Paul (I Cor 6, 19) : "Nos corps
sont le temple de l'Esprit Saint qui est en nous". Notre corps est donc
appelé à devenir "naturellement la demeure de Dieu".
Grégoire
Palamas fonde la spitualité hésychaste dans l'Incarnation du Verbe,
dont le but était de permettre la déification de l'homme :
"Car
si l'homme n'est pas capable de contenir l'incorporel au-dedans du
corps, comment pourra-t-il porter en lui-même Celui qui s'est uni au
corps, et qui avance, comme une forme naturelle, à travers toute la
matière organisée, dont l'extériorité et la division ne saurait
correspondre à l'essence de l'intelligence (noûs), si à la fin cette
matière ne se mettait à vivre après avoir suscité en elle une forme de
vie accordée à l'union."
Nous pourrions dire que "le Verbe s'est fait chair" pour que l'homme entier - corps et âme - soit déifié :
"...portant toujours avec nous dans notre corps la mort de Jésus, afin que la vie de Jésus soit aussi manifestée dans notre corps. Car nous qui vivons, nous sommes sans cesse livrés à la mort à cause de Jésus, afin que la vie de Jésus soit aussi manifestée dans notre chair mortelle." (Saint Paul, Epître aux Corinthiens, II, 4, 10-11.)
L'union de l'homme à Dieu
Le
don déifiant accordé par l’Esprit constitue pour le voyant à la fois
l’organe et l’objet de sa vision lumineuse (Triades 3, 2, 14). Il est ce
qui permet de voir et ce qui est vu, la lumière incréée de Dieu.
Palamas dira que le voyant contemple ce qui est semblable à son mode de
contemplation (Triades 2, 3, 31), qu’il connaît Dieu en Dieu (Triades
2, 3, 68) ou, en sens inverse, que c’est Dieu lui-même qui se contemple à
travers l’âme et le corps transformés (Triades 1, 3, 37).
Ce
qu’il veut dire à chaque fois, c’est que seule la lumière, l’énergie ou
la grâce, parce qu’elle vient de Dieu et qu’elle est Dieu lui-même,
peut nous faire connaître Dieu.
Cette
vision de la lumière par la lumière réalise l’union de l’homme à Dieu
(Triades 2, 3, 36) et lui permet de retrouver la ressemblance qui
existait entre eux à l’origine.
La
progression dans cette contemplation de Dieu est infinie, même dans la
vie future, non seulement parce que le désir de l’homme est sans limites
à son égard, mais aussi parce que Dieu qui se laisse contempler est
lui-même infini (Triades 2, 2, 11).
C’est
une façon d’expliquer que l’homme est mis en présence d’une plénitude.
Tout ce que l’homme recherche de meilleur en cette vie ou est à jamais
capable de désirer dans l’autre vie s’y trouve en abondance.
Il
faut savoir toutefois que, pour Palamas, si l’énergie de l’Esprit est
effectivement une plénitude qui nous est offerte dès à présent, personne
en dehors du Christ n’est en mesure de la contenir totalement.
La
participation à cette énergie omniprésente par une intelligence
purifiée, semblable à un combustible pour le feu divin, est toujours
partielle et variée (Triades 3, 1, 34).
Cette
énergie de l’Esprit se manifeste indivisiblement en autant d’éclats
qu’il y a d’hommes dignes de la recevoir et se laisse participer en
fonction de la capacité réceptive de chacun d’entre eux.
La
même et unique énergie de l’Esprit est communiquée à des hommes
différents, qui ne sont pas en mesure d’en bénéficier entièrement, mais
bien en fonction à la fois de leur personnalité et de leur activité
propres.
Ce
qui signifie que l’énergie divine ne supprime pas ce qui fait la
singularité d’un homme, lorsqu’elle le déifie, elle s’y adapte sous la
forme notamment des charismes de l’Esprit dont parle saint Paul(1 Co 12,
4-11 ; Triades 3, 2, 13).
Dieu vient tout entier habiter dans l'homme tout entier
Si
l’homme ne peut participer à la totalité de l’énergie de l’Esprit, il
n’en reste pas moins vrai qu’il s’agit d’un don par lequel Dieu tout
entier vient demeurer en l’homme tout entier (Triades 3, 1, 27).
Comment comprendre cette inhabitation de Dieu en l’homme ?
Pour
l’expliquer, Palamas se sert d’un terme emprunté à la christologie. Ce
terme est l’enhypostasie, qui désigne le fait d’inclure dans
l’hypostase, d’intégrer en sa personne même.
En s’incarnant, le Verbe de Dieu a assumé la nature humaine en sa Personne divine, il l’a enhypostasiée.
En sens inverse et grâce à cette incarnation de Dieu, la personne
humaine peut assumer non pas la nature de Dieu qui est imparticipable,
mais son énergie.
La
déification est une enhypostasie de l’énergie de l’Esprit, énergie qui
est envoyée dans l’hypostase de l’homme pour y être contemplée (Triades
3, 1, 9) en permanence (Triades 3, 1, 18).
Par
ce don déifiant permanent, la sagesse et la vie éternelle sont en
l’homme sans être séparées de Dieu (Triades 3, 1, 35-36 et 38).
Le saint acquiert par grâce un nouveau mode d’existence, par lequel sa
personne est désormais composée d’un nouvel élément permanent qui vient
s’ajouter à l’âme et au corps et qui est l’énergie incréée de l’Esprit
(Triades 1, 3, 43).
Si
bien qu’on peut dire de lui, en raison de la présence de l’Esprit,
qu’il est incréé par la grâce (Triades 3, 1, 31), qu’il est sans
commencement ni fin (Triades 3, 3, 8).
L’intégration
de ce nouvel élément, devenu constitutif de la personne humaine dans la
déification, n’a pas pour effet la suppression de notre humanité.
En devenant Dieu, nous ne cessons pas d’être homme, psychique et corporel.
Au contraire, pour Palamas, en devenant Dieu, nous devenons pleinement homme.
Par
la grâce divine, notre nature humaine est menée progressivement à sa
perfection : l’âme peut dès à présent voir Dieu, être animée par sa
sagesse et sa bonté, et le corps reçoit le gage de son incorruptibilité
future, un avant-goût de la Résurrection.
Au
terme de ce parcours, le saint hésychaste acquiert donc un nouveau mode
de vie caractérisé par la présence permanente de l’énergie de l’Esprit
en lui.
Cette expérience est pour lui une initiation aux mystères évangéliques. Mais cette initiation n’est pas donnée pour lui seul.
Le
saint hésychaste sera respecté, il recevra la confiance et l’affection
d’autres hommes, tous ceux qui viendront à lui pour être initiés à leur
tour à ces mystères, jusqu’à ce que l’expérience de ces mystères
eux-mêmes constitue pour eux l’initiation (Tome hagioritique).
La
paternité spirituelle, par laquelle un saint est capable de transmettre
ce qu’il a lui-même reçu, y compris la grâce (Chapitres 121), à
d’autres hommes qui suivent ses conseils et son enseignement, est
primordiale dans ce contexte.
C’est
par elle que Palamas fut, dans cette chaîne de transmission
spirituelle, le fils spirituel des maîtres de l’hésychasme byzantin,
comme celui avant eux des Pères et de tous les saints de la littérature
biblique.
Quelques citations
- Sur l’essence imparticipable et l’énergie participable
« Dès
lors qu’il y a trois caractères de Dieu, l’essence, l’énergie, les
hypostases divines de la Trinité, ceux qui ont été rendus dignes d’être
unis à Dieu jusqu’à être avec lui un seul Esprit, comme l’a dit le grand
Paul : « Celui qui s’attache au Seigneur est avec lui un seul Esprit »
(1 Co 6, 17), car il a été montré plus haut que ceux qui en sont dignes
ne s’unissent pas à Dieu dans son essence, et tous les théologiens,
attestent que Dieu n’est pas participable dans son essence. L’union
selon l’hypostase se trouve être le fait du seul Verbe, le Dieu-Homme.
Ceux qui ont été rendus dignes de s’unir à Dieu s’unissent donc par l’énergie.
Et
l’Esprit suivant lequel celui qui s’attache à Dieu est un avec Dieu,
est et est appelé énergie incréée de l’Esprit, mais non essence de Dieu,
même si cela déplaît à ceux qui pensent le contraire. Car Dieu l’a
prédit par le Prophète : ce n’est pas mon Esprit, mais « de mon Esprit,
que je répandrai sur ceux qui croient » (Jl 3, 1) (trad. J. Touraille,
Chapitres 75).
- Sur l'Incarnation, la communion eucharistique et l'illumination du cœur
« Puisque
le Fils de Dieu, dans son incomparable amour pour les hommes, ne s’est
pas borné à unir son Hypostase divine à notre nature, en endossant un
corps animé et une âme douée d’intelligence, pour apparaître sur terre
et vivre avec les hommes, mais puisqu’il s’unit, ô miracle d’une
incomparable surabondance, aux hypostases humaines elles-mêmes, en se
confondant lui-même avec chacun des fidèles par la communion à son saint
Corps, puisqu’il devient un seul corps avec nous et fait de nous un
temple de la Divinité tout entière, car dans le Corps même du Christ
habite corporellement toute la plénitude de la Divinité, comment
n’illuminerait-il pas ceux qui communient dignement au rayon divin de
son Corps qui est en nous, en éclairant leur âme comme il illumina les
corps mêmes des disciples sur le Thabor ? Car alors ce corps, source de
la lumière de la grâce, n’était pas encore uni à nos corps : il
illuminait du dehors ceux qui en approchaient dignement et envoyaient
l’illumination à l’âme par l’intermédiaire des yeux sensibles ; mais
aujourd’hui, puisqu’il est confondu avec nous et existe en nous, il
illumine l’âme justement de l’intérieur » (trad. J. Meyendorff, Triades
1, 3, 38).
- Sur la vision de la lumière incréée et l'union à Dieu
« La
contemplation de cette lumière est une union, bien qu’elle ne dure pas
chez les imparfaits. Mais l’union avec la lumière est-elle autre chose
qu’une vision ? Et puisqu’elle s’accomplit avec l’arrêt de l’activité
intellectuelle, comment s’accomplirait-elle, sinon par l’Esprit ? Car
c’est dans la lumière qu’apparaît la lumière et c’est dans une lumière
semblable que se trouve la faculté visuelle ; puisque cette faculté n’a
d’autre moyen d’agir, ayant quitté tous les autres êtres, c’est qu’elle
devient elle-même tout entière lumière et s’assimile à ce qu’elle voit ;
elle s’y unit sans mélange, étant lumière. Si elle se regarde
elle-même, elle voit la lumière ; si elle regarde l’objet de sa vision,
c’est aussi de la lumière ; et si elle regarde le moyen qu’elle emploie
pour voir, c’est là encore de la lumière ; c’est cela l’union : que tout
cela soit un, de sorte que celui qui voit n’en puisse distinguer ni le
moyen, ni le but, ni l’essence, mais qu’il ait seulement conscience
d’être lumière et de voir une lumière distincte de toute créature »
(trad. J. Meyendorff, Triades 2, 3, 36).
- Sur la vision de Dieu comme preuve réelle de son existence et finalité de la prière pure
« Cette
contemplation dépassant les activités intellectuelles est le seul
moyen, le moyen le plus clair, le moyen par excellence pour montrer
l’existence réelle de Dieu et le fait qu’il transcende les êtres.
Comment, en effet, l’essence de Dieu n’existerait-elle pas, puisque la
gloire de cette nature divine se fait voir aux hommes qui ont surpassés
par la prière pure tout ce qui, dans la lumière même, est sensible et
intelligible ? » (trad. J. Meyendorff, Triades 2, 3, 38).
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