Saints Barlaam et Josaphat
ermites du désert de Sennaar en Mésopotamie
Barlaam, dont Jean Damascène a compilé l’histoire avec beaucoup d'intérêt, convertit à la foi le roi saint Josaphat, par l’opération de la grâce de Dieu.
En
effet, comme l’Inde entière était pleine de chrétiens et de moines, il
s'éleva un roi puissant, nommé Avennir, qui persécuta beaucoup les
chrétiens, mais particulièrement les moines.
Or,
il arriva qu'un ami du roi et le premier de la cour, touché, de la
grâce divine, quitta le palais, du roi pour entrer dans un ordre
monastique.
En
apprenant cette nouvelle, le roi fut fou de colère : il le fit chercher
dans chaque désert, avec ordre de le lui amener aussitôt qu'on
l’aurait. trouvé.
Quand
il le vit couvert d'une vile tunique et exténué par la faim, lui qui
d'ordinaire était revêtu de riches habits, et qui nageait dans es
richesses, il lui dit : « O le fou et l’insensé ! pourquoi as-tu échangé
l’honneur pour la honte ? Tu t'es réduit à être un jouet d'enfants. »
Le moine répondit : « Si tu veux que je t'en dise la raison, chasse loin de toi tes ennemis. »
Le
roi lui demanda quels étaient ces ennemis, il répondit : « Ce sont la
colère et la concupiscence elles empêchent de distinguer la vérité; mais
pour que tu puisses écouter ce que j'ai à dire, il te faut prudence et
équité. »
Le roi lui dit : « Eh bien soit, parle. » Et il reprit : « Les insensés méprisent les choses
qui sont, comme si elles n'étaient pas, et ils s'efforcent de saisir
les choses qui ne sont pas comme si elles étaient. Or, qui n'a pas goûté
la douceur des choses qui sont ne pourra apprendre la vérité des choses
qui ne sont pas. »
Et
comme il continuait à parler en expliquant les mystères de
l’Incarnation et de la foi, le roi dit : « Si je ne t'avais promis dès
le commencement d'écarter tout mouvement de colère de mon esprit, je
livrerais en ce moment tes chairs aux flammes. Va, fuis de mes yeux ;
que je ne te voie plus, ou je te fais périr de malemort. »
Mais l’homme de Dieu se retira triste, parce qu'il n'avait pas enduré le martyre.
Jusque-là le roi n'avait point encore d'enfants, mais il lui en naquit un très beau qui fut nommé Josaphat.
Le roi réunit alors une multitude infinie pour sacrifier aux dieux à
l’occasion de la naissance de son fils : il convoqua soixante
astrologues auprès desquels il s'informa avec soin de ce qui devait
arriver à cet enfant.
Tous lui répondirent qu'il serait grand en puissance et en richesses ;
mais le plus sage d'entre eux dit : « Cet enfant, ô roi, ne régnera pas
dans ton royaume, mais dans un autre incomparablement meilleur : car la
religion chrétienne que tu persécutes sera, je pense, celle qu'il
pratiquera:.»
Or, il ne parla pas ainsi de lui-même, mais par l’inspiration de Dieu.
En l’entendant, le roi resta tout stupéfait ; il fit construire à
l’écart dans la ville lin palais magnifique pour servir d'habitation à
son fils et y mit avec lui des jeunes gens d'une grande beauté, en leur
ordonnant de ne, pas, prononcer devant Josaphat les noms de mort, de
vieillesse, d'infirmité, de pauvreté, ni de rien qui (415) pût lui
causer de la tristesse ; mais de rie lui mettre sous les yeux que des
sujets agréables, en sorte que son esprit, tout occupé de plaisirs, ne
pût penser rien des choses à venir.
S'il
arrivait que l’un de ceux qui le servaient vint à être malade, aussitôt
le roi donnait l’ordre de le mettre dehors, et de le remplacer par un
autre en bonne santé.
Il commanda encore qu'on ne lui fît aucune mention du Christ.
Il
se trouvait, à la même époque, auprès du roi, un homme secrètement très
chrétien, qui était le premier des princes de la cour.
Un
jour qu'il était allé à la chasse avec le prince, il rencontra un
pauvre blessé à un pied par une bête, et étendu par terre, qui lui
demanda de le recueillir, car il pourrait bien lui être utile en quelque
chose.
Le chevalier lui dit : « Volontiers, je veux bien te recueillir, mais j'ignore ce en quoi tu pourras être utile. »
Et
cet homme reprit : « Je suis médecin de paroles ; si quelqu'un est
blessé par propos, je sais employer le remède convenable. »
Le chevalier compta pour rien ce que cet homme disait ; cependant., pour l’amour de Dieu, il le recueillit et en eut soin..
Quelques
hommes, jaloux et pleins de malice, voyant que ce chevalier était cri
aussi grande faveur auprès du roi, l’accusèrent à ce dernier non
seulement d'être attaché à la foi chrétienne ; mais de chercher à lui
ravir le trône, en corrompant la foule et en la gagnant à ses intérêts.
« Mais, ajoutèrent-ils, si tu désires, ô roi, t'assurer que ceci est la
vérité, fais-le venir en particulier, dis-lui que cette vie est de peu
de durée, que tu veux quitter la gloire du trône et prendre l’habit des
moines auxquels, jusqu'à ce (416) jour, et par ignorance tu as infligé
des persécutions, et tu verras alors ce qu'il te répondra. »
Le
roi fit tout ce qui lui avait été suggéré : le chevalier qui ne, se
doutait pas de la ruse, loua le projet du roi, en répandant des larmes ;
et lui rappelant les vanités du monde, il lui conseilla d'accomplir
aussitôt son dessein.
Quand
le roi entendit cela ; il crut que ce qu'on lui avait dit était la
vérité ; alors il fut rempli de fureur, sans cependant rien répondre à
son courtisan.
Mais
celui-ci réfléchissant sur ce que le roi avait accueilli ses paroles
avec gravité, se retira en tremblant, et se rappelant qu'il avait un
médecin de paroles, il alla tout lui raconter.
Cet
homme lui dit : « Sache que le roi, par ce que tu as dit, te soupçonne
de vouloir t'emparer de son royaume ; va donc te couper les cheveux,
dépouille-toi de tes habits, revêts un cilice et de grand matin, va
trouver le roi. Et quand il te demandera ce que cela veut dire, tu lui
répondras me voici, ô roi, prêt à te suivre ; et bien que la voie dans
laquelle tu désires marcher soit rude, avec toi cependant elle me
deviendra facile ; car, de même que tu m’as eu pour compagnon dans la
prospérité, tu me trouveras encore avec toi dans l’adversité :
aujourd'hui donc me voici prêt ; que tardes-tu? »
Le
chevalier ayant exécuté cela de point en point, le roi fut frappé de
surprise, et pour prouver aux dénonciateurs qu'ils, n'étaient que des
fourbes, il combla son courtisan de nouveaux, honneurs.
Or,
le fils du roi, qui était élevé dans le palais, parvint à l’âge adulte
et fut complètement instruit dans toute sorte de science.
Mais
étonné de ce que son père l’eût ainsi renfermé, il interrogea, (417) en
particulier, à ce sujet, un de ses serviteurs les plus intimes, et lui
dit que, ne pouvant sortir du palais, il était dans une position
tellement triste que le boire et le manger lui paraissaient insipides.
Le père, qui apprit cela, en fut chagriné.
Cependant,
il fit préparer pour son fils des chevaux bien dressés, et disposant
sur ses devants des groupes pour l’applaudir, il prit toutes les mesures
afin qu'il ne rencontrât aucun objet désagréable.
Un jour que le jeune homme s'avançait ainsi équipé, un lépreux et un aveugle se rencontrèrent sur son passage.
En
les voyant, il fut saisi et s'informa de ce qu'ils avaient, qui ils
étaient ; ses officiers lui dirent « Ce sont des maladies dont souffrent
les hommes. » « Cela, reprit-il, arrive-t-il ordinairement à tout
homme? »
Ils lui dirent que non : il leur demanda encore : « On connaît donc
ceux qui doivent souffrir ainsi ou bien cela vient-il à quelqu'un
indistinctement ? »
Ils répondirent : « Qui peut savoir ce qui doit arriver aux hommes ? »
Il resta alors tout inquiet d'un spectacle si inaccoutumé.
Une
autre fois, il rencontra un vieillard dont la figure était couverte de
rides, le dos courbé et dont les dents tombées lui permettaient à peine
de balbutier.
Il en fut stupéfait, et voulut connaître la cause de ce prodige.
Quand il eut appris que cela était venu à la suite d'un grand nombre d'années, il dit : « Et comment finira-t-il ? »
Ils lui répondirent : « Par la mort. »
Et il dit : « La mort atteint-elle tous les hommes ou seulement quelques-uns ? »
Or,
quand il eut appris que tous doivent mourir, il demanda : « Et après
combien d'années ceci arrive-t-il ?» « La vieillesse, lui. répondit-on,
arrive à (418) quatre-vingts ou à cent ans, ensuite vient la mort. »
Le jeune homme, ruminant fréquemment ces faits à part soi, était dans
une profonde désolation ; cependant, en la présence de son père, il,
affectait la joie, et il désirait beaucoup être fixé et instruit sur ces
sortes de choses.
Or,
un moine d'une réputation consommée, nommé Barlaam, qui habitait dans
le désert de la terre de Sennaar, connut, par révélation, ce qui se
passait autour du fils du roi ; alors, prenant le costume d'un marchand,
il vint à la capitale d'Avennir et, s'étant rendu auprès du précepteur
du- fils du prince, il lui parla ainsi : « Je suis marchand, et j'ai à
vendre une pierre précieuse qui donné la lumière aux aveugles, ouvre les
oreilles des sourds, fait parler les muets, et communique la sagesse
aux insensés. — Conduis-moi donc au fils du roi, et je la lui donnerai. »
Le
précepteur lui répondit : « Tu parais être d'une prudence consommée,
mais tes paroles ne s'accordent pas avec la prudence. Néanmoins, comme
je me connais en pierreries, montre-moi cette pierre et, s'il est prouvé
qu'elle est telle que tu l’avances, tu obtiendras, du fils du roi les
plus grands honneurs. »
Alors Barlaam ajouta : « Ma pierre a encore cette vertu : c'est que
celui qui n'a pas la vue saine, et qui ne conserve pas une chasteté
intègre, perd lui-même la vue en la regardant. Or, comme je suis expert
en médecine, je vois que tu n'as pas les yeux sains, mais j'ai entendu
dire que le fils du roi est chaste et qu'il a de très beaux et bons
yeux. »
Le
précepteur lui dit : « S'il en est ainsi, ne me la montre pas, puisque
je n'ai pas (419) les yeux sains et, qu'en outre, je croupis dans le
péché. »
Il annonça donc ces choses au fils du roi, auprès duquel il le conduisit aussitôt.
Après
avoir été introduit et reçu avec respect, Barlaam lui dit : « Prince,
en ne faisant pas attention à l’apparence extérieure, vous avez bien
agi. Un roi puissant qui allait dans un char couvert d'or, ayant
rencontré, quelques personnes revêtues d'habits déchirés, et exténuées
de maigreur, sauta aussitôt à bas de son char et, se prosternant à leurs
pieds, il les adora ; puis, s’étant levé, il se jeta à leur cou pour
les embrasser. Les grands qui l’accompagnaient furent indignés ; mais,
n'osant pas reprocher cette action au roi lui-même, ils racontèrent à
son frère comment le monarque avait dérogé par des actions indignes de
la majesté royale. Le frère du roi lui en fit des reproches. Or, le roi
avait coutume, quand an particulier était condamné à mort, d'envoyer
devant la porte du coupable un héraut avec une trompette destinée à cet
usage, et quand le soir fut venu, il fit sonner de la trompette devant
la porte de son frère.
Celui-ci, en l’entendant, désespéra de conserver sa vie sauve ; il
passa toute la nuit sans dormir et fit son testament: l,e matin arrivé,
il se revêtit d'habits noirs et alla en pleurs, avec sa femme et ses
enfants, aux portes du palais.
Le
roi le fit entrer et lui dit : « O insensé, si tu as eu une pareille
crainte du héraut de ton frère, auquel tu sais bien n'avoir manqué en
rien, pourquoi ne dois-je pas craindre les hérauts de mon Seigneur,
envers lequel j'ai tant péché, hérauts qui m’appellent à la mort avec
une trompette plus éclatante encore, (420) et qui m’annoncent l’arrivée
terrible du juge? »
Après quoi, il fit faire quatre coffres, dont deux recouverts
entièrement d'or au pourtour furent remplis d'ossements de morts en
putréfaction, et deux enduits de poix qui furent remplis de perles et de
pierres précieuses.
Il
fit appeler alors les seigneurs qu'il savait avoir porté des plaintes à
son frère, et plaça ces coffres devant eux en leur demandant quels
étaient les plus précieux.
Ils jugèrent que ceux qui étaient dorés étaient de grand prix; et que
les autres n'avaient aucune valeur. Le roi commanda donc d'ouvrir les
coffres dorés, et à l’instant il s'en exhala une puanteur intolérable.
Le
roi leur dit ensuite : « Ils ressemblent à ceux qui sont recouverts
d'habits luxueux, et dont l’intérieur est souillé de toute espèce de
vices. »
Puis
il fit ouvrir les autres, dont il s'exhala une odeur admirable. «
Ceux-ci, dit le roi, sont semblables à ces hommes excessivement pauvres
que j'ai honorés, et qui, couverts de haillons, resplendissent
intérieurement de l’odeur de toutes les vertus. Quant à vous, vous
faites attention à ce qui est extérieur, sans considérer ce qui existe à
l’intérieur. » « Vous avez fait comme ce roi, prince, en bien me
recevant. » Alors, Barlaam se mit à parler longuement sur la création du
monde, la chute de l’homme, l’incarnation du Fils de Dieu, sa passion
et sa résurrection. Après quoi, il s'étendit sur le jour du jugement,
sur ce qui serait accordé aux bons et aux méchants ; puis il s'éleva
avec force contre ceux qui servent les idoles, et il apporta, en preuve
de leur impertinence, l’exemple suivant :
«
Un archer avait pris un petit oiseau qu'on appelle (421) rossignol, et
voulait le tuer, quand le rossignol parla et dit à l’archer : « A quoi
bon me tuer? tu ne sauras remplir ton estomac de ma chair ; mais si tu
voulais me lâcher, je te donnerais trois avis, qui pourront t'être fort
utiles, si tu les mets soigneusement en pratique. » Cet homme, stupéfait
d'entendre parler un oiseau, promit de le lâcher s'il lui faisait
connaître ces trois avis. Alors, l’oiseau lui dit : « Ne cherche jamais à
entreprendre une chose impossible ; ne te chagrine pas de la perte
d'une chose que tu ne saurais recouvrer ; n'ajoute jamais foi à une
parole incroyable. Observe ces trois recommandations, et tu t'en
trouveras bien. »
Alors, l’archer lâcha le rossignol, ainsi qu'il l’avait promis.
Or, le rossignol dit en s'envolant dans les airs : « Malheur à toi, ô
homme ! tu as reçu un mauvais conseil, et tu as perdu aujourd'hui un
grand trésor, car il y, a dans mes entrailles une perle qui l’emporte en
grosseur sur un œuf d'autruche. »
Quand
l’archer entendit cela, il fut fort triste d'avoir lâché le rossignol,
et il tâchait de le reprendre en disant : « Viens dans ma maison, je
serai très bon à ton égard ; je te renverrai avec honneur. »
Le
rossignol lui répondit : « C'est maintenant que je suis certain que tu
es un fou, puisque tu ne retires aucun profit des conseils que je t'ai
donnés; car tu le désoles de m’avoir perdu et de ne pouvoir me
reprendre, puis tu essaies de me ravoir, quand tu ne peux pas suivre ma
route; en outre, tu as cru qu'il y avait une grosse perle dans mes
entrailles, quand en tout je ne suis pas si gros qu'un oeuf d'autruche. »
Ils
sont insensés comme cet archer, ceux qui mettent leur (422) confiance
dans les idoles, puisqu'ils adorent l’ouvrage de leurs mains, et ils
appellent leurs gardiens ceux qu'ils gardent eux-mêmes.
Alors,
il commença à discuter longuement sur les plaisirs et les vanités du
monde, en appuyant ses paroles de plusieurs exemples.
«
Ceux, disait-il, qui convoitent les délectations corporelles et qui
laissent mourir leur âme de faim, ressemblent à un homme qui s'enfuirait
au plus vite devant une licorne qui va le dévorer, et qui tombe dans un
abîme profond. Or, en tombant, il a saisi avec les mains un arbrisseau
et il a posé les pieds sur un endroit glissant et friable; il voit deux
rats, l’un blanc et l’autre noir, occupés à ronger sans cesse la racine
de l’arbuste qu'il a saisi, et bientôt ils l’auront coupée. Au fond du
gouffre, il aperçoit un dragon terrible vomissant des flammes et ouvrant
la gueule pour le dévorer; sur la place où il a mis les pieds, il
distingue quatre aspics qui montrent la tête. Mais, en levant les yeux,
il voit un peu de miel qui coule des branches de cet. arbuste ; alors il
oublie le danger auquel il se trouve exposé, et se livre tout entier
au: plaisir de goûter ce peu de miel. La licorne est la figure de la
mort, qui poursuit l’homme sans cesse et qui aspire à le prendre;
l’abîme, c'est le monde avec tous es maux dont il est plein. L'arbuste,
c'est la vie d'un chacun qui est rongée sans cesse par toutes les heures
du jour et de la nuit, comme par un rat blanc et, un noir, et qui va
être coupée. La place où sont les quatre aspics, c'est le corps composé
de quatre éléments, dont les désordres amènent la dissolution de ce
corps. Le dragon terrible est la gueule de l’enfer, (423) qui convoite
de dévorer tous les hommes. Le miel du rameau, c'est le plaisir trompeur
du monde, par lequel l’homme se laisse séduire, et qui lui cache
absolument le péril qui l’environne. »
Barlaam
continua encore ainsi : « Ceux qui aiment le monde sont semblables à
quelqu'un qui a trois amis. Il aime le premier plus que soi, le second
autant que soi, et le troisième moins que soi et comme rien. Se trouvant
donc en un grand danger, et cité par le roi, il court au premier, lui
demande aide, en lui rappelant combien il le chérit.
Celui-ci lui répond : « Je ne sais qui tu es ; j'ai d'autres amis avec
lesquels je dois faire aujourd'hui une partie de plaisir ; je les aurai
toujours pour amis; cependant voici deux petits morceaux d'étoffe, pour
que tu aies de quoi travailler.»
Alors il s'en alla tout confus trouver son second ami et lui demanda
aide comme à l’autre ; or, il reçut cette réponse: « Je n'ai pas le
temps de m’occuper de ton débat ; je suis accablé de soucis nombreux,
cependant je ferai quelques pas pour t'accompagner jusqu'à la porte du
palais, et aussitôt je reviendrai chez moi m’occuper de mes propres
affaires. »
Alors
triste et le désespoir dans l’âme, il alla trouver son troisième ami,
et se présentant devant lui, la tête basse, il lui dit : « Je ne sais
comment te parlez, car je ne t'ai pas aimé ainsi que je le devais: mais
plongé dans la tribulation et privé de mes amis, je te prie de venir à
mon aide et de recevoir mes excuses. »
Or, ce troisième lui dit avec un visage riant : « Certainement je te
reconnais pour un ami très cher, et me souviens du service que tu m’as
rendu, bien qu'il fût léger : je vais (424) aller, en avant, chez le roi
auprès duquel j'interviendrai en ta faveur, afin qu'il ne te livre pas
entre les mains de tes ennemis. »
Le
premier ami, c'est la possession des richesses pour lesquelles l’homme
est exposé à bien des dangers: or, quand arrive le moment de la mort, il
n'en reçoit rien que quelques mauvais lambeaux pour s'ensevelir.
Le
second, c'est ta femme, ce sont les enfants, les parents, qui vont
seulement jusqu'à ta tombe et qui reviennent, aussitôt après, vaquer à
leurs affaires.
Le troisième ami, c'est la foi, l’espérance et la charité, et encore
l’aumône, puis toutes les autres bonnes œuvres, qui, au moment où nous
quittons notre corps, peuvent aller en avant, intervenir pour nous
auprès de Dieu, et nous délivrer de nos ennemis qui sont les démons. »
Il
continua à parler encore en ces termes : « C'était une coutume, dans
une grande ville, de choisir, chaque année, pour prince un étranger
inconnu. Quand il avait reçu le pouvoir, il lui était permis de faire
tout ce qu'il voulait ; il gouvernait le pays sans ombre de
constitution. Pendant qu'il passait le temps dans les délices, en
pensant qu'il en serait toujours ainsi pour lui, tout à coup les
citoyens se révoltaient : alors ils le traînaient tout nu par la ville
et ils l’exilaient dans une île éloignée, où ne trouvant ni vivres, ni
vêtements, il était la proie de la faim et du froid. Cependant un autre
homme élevé sur le trône, ayant appris ce que les citoyens faisaient
d'ordinaire, fit passer des trésors immenses dans cette île, où ayant
été relégué, après son année expirée, il se trouvait en possession
d'immenses richesses, quand les autres mouraient de faim. Cette (425)
ville, c'est le inonde; les citoyens sont les princes des ténèbres qui
nous allèchent par les faux plaisirs d'ici-bas; puis la mort vient nous
surprendre, ait moment où nous nous y attendons le moins, et nous sommes
plongés dans les ténèbres : mais les richesses que nous envoyons dans
l’éternité, passent par les mains des indigents. »
Barlaam
ayant donc parfaitement instruit le fils du roi, celui-ci voulut
quitter son père pour suivre le saint. Mais Barlaam lui dit : « Si vous
faites cela, vous serez semblable à un jeune homme qui ne voulant pas
épouser une personne noble, refuse de donner son consentement et
s'enfuit : il vient dans un pays où il trouve une jeune vierge fille
d'un pauvre vieillard, occupe à travailler et à prier Dieu. Il s'adresse
à elle et lui dit : « Que faites-vous là, femme ? Quoique vous soyez.
pauvre, vous ne laissez pas que de remercier Dieu, comme si vous eussiez
beaucoup reçu de lui. » Elle lui répondit : « De même qu'un léger
remède délivre souvent d'une grave langueur, de même la reconnaissance,
pour des dons légers, suffit pour en obtenir de plus grands. Les choses
extérieures ne nous appartiennent pas, il n'y a que les choses qui sont
en nous, qui nous appartiennent. Dieu m’a accordé de grands bienfaits;
il m’a créée à son image, il m'a donné l’intelligence, il m’a appelée à
partager sa gloire et m’a ouvert déjà la porte de son royaume; pour
tant et de si grands bienfaits, il est donc convenable de le louer. » Le
jeune homme, voyant la prudence de cette vierge, la demanda en mariage à
son père. Celui-ci lui répondit : « Vous ne pouvez pas (426) épouser ma
fille, car vous êtes le fils de parents nobles et riches, tandis que je
ne suis qu'un indigent. » Mais comme le jeune homme insistait, le
vieillard lui dit : « Je ne puis vous la donner pour que vous l’emmeniez
dans la maison de votre père, puisqu'elle est ma fille unique. » Alors
il répondit : « Je resterai chez vous, et me conformerai en tout à vos
habitudes. » Alors il quitta ses ornements précieux, pour revêtir les
habits du vieillard, chez lequel il demeura et dont il épousa la fille.
Après l’avoir éprouvé longtemps, le vieillard le conduisit dans sa
chambre et lui fit voir une quantité immense de richesses telle qu'il
n'en avait jamais va jusque-là, et il lui en donna la totalité. » Alors
Josaphat dit : « Cette narration convient parfaitement à ma situation et
je pense que ce que vous venez de me dire est à mon adresse : mais,
dites-moi, mon père, quel âge avez-vous, et où virez-vous? parce que je
ne veux jamais me séparer de vous. » « J'ai quarante-cinq an, répondit
Barlaam, et je demeure dans les déserts de la terre de Sennaar. »
Josaphat lui dit : « Vous me paraissez avoir plus de soixante-dix ans. »
Barlaam reprit : « Si vous cherchez à savoir le nombre exact de mes
années depuis ma naissance, vous ne vous êtes point trompé; mais je ne
compte pas pour ma vie, toutes celles que j'ai dépensées dans les
vanités du monde. Alors l’homme intérieur était mort et je n'appellerai
jamais les années de mort des années de vie. » Or, comme Josaphat
voulait l’accompagner au désert, Barlaam lui dit : « Si vous faites
cela, je serai privé de votre présence, et serai la cause que mes frères
seront persécutés. Attendez que les (427) circonstances soient
favorables, alors vous viendrez me trouver. »
Barlaam baptisa donc le fils du roi, puis après l’avoir instruit
complètement dans la foi, il l’embrassa et il retourna au lieu où il
habitait.
Quand le roi eut appris que son fils avait été fait chrétien, il fut en proie à une grande douleur.
Arachis,
un de ses amis, lui dit pour le consoler : « O roi, je connais un vieil
ermite qui est de notre religion, ressemblant en tout point à Barlaam ;
il se fera donc passer pour lui et commencera par défendre la foi des
chrétiens, puis il se laissera vaincre et rétractera tout ce qu'il avait
enseigné, ainsi le fils du roi reviendra à nous. »
Arachis
se mit donc à la tête d'une nombreuse armée pour aller chercher le faux
Barlaam ; il prit l’ermite dont on vient de parler et revint en disant
qu'il avait pris Barlaam.
Quand
le fils du roi entendit dire que son maître avait été pris, il pleura
amèrement ; mais peu après, une révélation de Dieu lui fit connaître que
ce n'était pas lui.
Sur ces entrefaites, le père alla trouver son fils et lui dit : « Mon
fils, vous m’avez jeté dans un profond chagrin, vous avez déshonoré mes
cheveux blancs, et vous m’avez privé de la lumière de mes yeux.
Pourquoi, mon fils, vous être comporté ainsi, et avoir abandonné le
culte de mes dieux ? »
Josaphat
répondit : « Ce sont les ténèbres que j'ai fui, mon père; j'ai couru à
la lumière, j'ai abandonné l’erreur, et j'ai connu la vérité. Ne prenez
pas une peine inutile, car jamais vous ne pourrez me faire renier le
Christ. De même qu'il vous. est impossible de toucher de la main les
hauteurs du ciel, et de dessécher une mer profonde, sachez qu'il en
(428) sera de même de ce que j'avance. »
Alors
le roi dit « Et quel est donc l’auteur de tous les malheurs qui fondent
sur moi, si ce n'est moi-même, qui, pour toi, ai fait des choses
merveilleuses comme jamais père n'en a fait à son fils ? C'est la
perversité de ta volonté et ton entêtement effréné qui t'a fait rêver
tout cela pour abréger mes jours. Les astrologues avaient bien raison de
me dire, lors de ta naissance, que tu serais arrogant, et que tu
désobéirais à tes parents; or, aujourd'hui, si tu n'acquiesces à mes
désirs, je. te traiterai comme un étranger : de père que je suis, je
deviendrai ton ennemi, et je te ferai ce que je n'ai pas encore fait à
mes ennemis. »
Josaphat
lui répondit « Pourquoi, ô roi, vous attrister de ce que je suis entré
en possession de ce qui est bon ? Où a-t-on jamais rencontré un père qui
eût été chagriné de la prospérité de son fils ? Désormais, je ne vous
donnerai plus le nom de père ; mais, si vous devenez mon ennemi, je vous
fuirai comme un serpent. »
Le roi le quitta en colère, et fit part à Arachis son ami de l’opiniâtreté de son fils.
Arachis
lui conseilla de ne pas user envers Josaphat de paroles dures, car
l’enfant se laisserait plutôt gagner par les caresses et la douceur.
Le
lendemain, le roi vint chez son fils et le tenant serré sur son cœur,
il l’embrassait en disant : « Mon très cher enfant, respecte les cheveux
blancs de ton père; honore ton père, mon fils, ne sais-tu pas quel bien
c'est d'obéir à son père et de lui apporter de la joie, comme au
contraire c'est un mal de l’irriter ? Tous ceux qui l’ont fait ont mal
fini. »
Josaphat
lui répondit : « Il y a un temps pour aimer et un temps (429) pour
haïr, comme il y a un temps pour obéir; un temps pour la paix et un
temps pour la guerre. Nous aie devons jamais obéir à ceux qui nous
détournent de- servir Dieu, fût-ce notre père, fût-ce notre mère. »
Le
père de Josaphat, voyant la constance de son fils, lui dit : « Puisque
tu es si obstiné à ne vouloir pas m’obéir, viens au moins avec moi, et,
croyons tous les deux la vérité. Barlaam, qui t'a séduit, est en mon
pouvoir. Que les nôtres et les vôtres avec Barlaam se réunissent, et
j'enverrai un héraut pour que les Galiléens n'aient aucune crainte de
venir. Quand la discussion aura été engagée, si votre Barlaam l’emporte,
nous croirons ce que vous croyez ; si ce sont les nôtres qui ont
l’avantage, vous vous rangerez de notre côté. »
Ceci
ayant convenu au fils du roi, on régla avec le faux Barlaam la méthode
qu'on emploierait pour paraître défendre tout d'abord la foi des
chrétiens ; puis on se promit d'avoir le dessous.
Tous
donc s'étant réunis au même endroit, Josaphat s'adressa à Nachor de
faux Barlaam) et lui dit : « Tu sais, Barlaam, comment tu m’as instruit
: si tu défends la foi que tu m’as enseignée, je persévérerai jusqu'à
la fin de ma vie dans ta doctrine, mais si tu es vaincu, je vengerai sur
toi cet affront, en arrachant de mes mains ton cœur et ta langue pour
la donner aux chiens, afin que désormais personne n'ait plus la
présomption d'induire en erreur les fils des rois. »
En
entendant ces paroles, Nachor devint grandement triste et craintif, car
il se voyait tombé dans la fosse qu'il avait creusée, et pris dans son
propre piège.
Il réfléchit qu'il était plus avantageux pour lui de se mettre du côté
du fils de son (430) roi afin de pouvoir se soustraire à la mort qui le
menaçait.
Or, le roi lui avait dit en particulier de défendre sa croyance sans rien craindre.
Alors un des rhéteurs se leva et prit ainsi la parole : « C'est toi qui es Barlaam qui as séduit le fils du roi? »
Et il répondit : « Je suis Barlaam ; je n'ai point induit le fils du roi en erreur, mais je l’ai délivré de l’erreur. »
Le
rhéteur : « Puisque des hommes distingués et dignes d'admiration ont
adoré nos dieux, comment donc oses-tu t'élever contre eux? »
Nachor
: « Les Chaldéens, les Grecs et les Egyptiens se sont trompés en disant
que les créatures sont des dieux : car les Chaldéens ont cru que les
éléments étaient des dieux, tandis qu'ils n'ont été créés que pour
l’utilité des hommes, pour être soumis à leur puissance, et qu'ils sont
gâtés par de nombreuses altérations. Les Grecs regardent comme dieux des
hommes abominables, par exemple, Saturne qu'ils disent avoir mangé ses
enfants, s'être coupé les parties de la génération qu'il jeta dans la
mer d'où est née Vénus, que Jupiter, son fils, le lia et le lança dans
le tartare. Jupiter est aussi représenté comme le roi des autres dieux,
et cependant on dit qu'il s'est souvent transformé en animal pour
commettre des adultères. Ils soutiennent encore que Vénus est une déesse
adultère; car, elle eut tantôt Mars, tantôt Adonis pour complices.
Quant aux Egyptiens, ils ont adoré les animaux, comme la brebis, le
veau, le porc, etc. Mais les chrétiens adorent le Fils du Très-Haut, qui
est descendu du ciel et a pris une chair. » Ensuite Nachor commença à
défendre avec évidence , la foi des chrétiens, et à l’appuyer par des
raisons telles que les (431) rhéteurs réduits au silence ne surent
absolument que répondre. Or, Josaphat était dans la joie de ce que le
Seigneur défendait la vérité par un ennemi de la vérité ; mais le roi
fut rempli de fureur. Il fit ajourner l’assemblée, comme s'il devait
s'occuper le lendemain de cette affaire. Josaphat dit alors à son père :
« Permettez que mon maître passe cette nuit avec moi, afin que nous
conférions ensemble des réponses que nous aurons à donner demain : vous,
de votre côté, prenez vos gens pour, conférer entre eux; ou bien encore
laissez venir vos docteurs avec moi, et prenez le mien; autrement vous
n'useriez pas de justice, mais de violence. »
En conséquence le roi lui accorda d'emmener Nachor avec lui; car il avait encore l’espoir qu'il le séduirait.
Le
fils du roi étant donc rentré dans son palais avec Nachor, Josaphat lui
dit : « Ne pense pas que j'ignore qui tu es : je sais que tu n'es point
Barlaam, mais ]'astrologue Nachor. »
Alors
Josaphat commença à lui montrer la route du salut, le convertit à la
foi, et le matin il l’envoya dans le désert, où il Reçut le baptême, et
mena la vie érémitique.
Un
mage, du nom de Théodas, apprenant ce qui se passait, vint trouver le
roi, et lui promit de faire rentrer sou fils sous ses lois.
Le roi lui dit : « Si tu fais cela, je t'érige une statue d'or, à laquelle j'offrirai des sacrifices comme à nos dieux. »
Théodas
lui dit : « Eloigne de ton fils tous les hommes, fais entrer chez lui
ale belles femmes bien parées, afin qu'elles soient toujours avec lui,
qu'elles le servent, qu'elles s'entretiennent, et qu'elles demeurent
avec lui, alors, j'enverrai vers lui un de mes esprits, qui l’enflammera
pour les (432) plaisirs : il n'y a rien en effet de plus séducteur pour
les jeunes gens que l’aspect des femmes. Un roi n'avait qu'un fils, et
des médecins fort habiles lui dirent qu'il perdrait la vue, s'il ne
restait jusqu'à l’âge de dix ans sans voir le soleil ni la lune. Le roi
fit donc creuser une caverne dans la roche, et y fit rester ce fils
jusqu'à l’âge de dix ans. Quand ils furent écoulés, le roi ordonna qu'on
mît sous les yeux de son fils toute espèce de choses, afin qu'il pût
les connaître par leur nom. On lui présenta donc de l’or, et de
l’argent, des pierres précieuses, des vêtements splendides, des chevaux
dignes d'un roi, et enfin toute sorte de choses ; quand il demandait à
ses officiers le nom de chacune, ceux-ci le lui disaient. Or, comme il
cherchait avec impatience à connaître le nom des femmes, celui qui
portait l’épée; du roi dit en badinant que c'étaient des démons qui
séduisent les hommes. Le roi ayant enfin demandé à son fils quelle était
de toutes les choses qu'il avait vues, celle qu'il aimait le mieux, il
répondit : « Mon père qu'y aurait-il autre chose que ces démons qui
séduisent les hommes ? mon âme ne s'est éprise de rien comme de ceci. »
Eh
bien, continua le mage, ne comptes pas pouvoir vaincre ton fils par
aucun autre moyen que celui-là. Le roi congédia donc tous ceux qui
étaient attachés au service de son fils, et lui donna pour société de
belles jeunes filles qui le provoquaient. à chaque instant au péché : il
ne lui laissa personne autre à voir, avec qui parler, et manger. Or; un
malin esprit, envoyé parle mage, s'empara du jeune homme et alluma au
dedans de lui un foyer ardent; qui enflammait son coeur intérieurement
en même (433) temps que les jeunes filles excitaient à l’extérieur des
ardeurs étranges. En se sentant tourmenté avec une pareille violence,
Josaphat était troublé, mais il se recommanda à Dieu qui lui envoya de
la consolation ; alors toute tentation disparut. Ensuite on lui envoya
une jeune personne d'une beauté extraordinaire; elle était la fille d'un
roi, mais elle avait perdu son père. Comme. l’homme de Dieu
l’instruisait, elle lui dit : « Si tu désires m’empêcher d'adorer les
idoles, marie-toi avec moi, puisque les chrétiens n'ont pas le mariage
eu horreur, mais qu'au contraire ils le louent d'ailleurs leurs
patriarches, leurs prophètes, et Pierre leur apôtre ont été mariés. »
Josaphat lui répondit « C'est en vain que tu m’apportes ces raisons; il
est permis à la vérité aux chrétiens de se marier, mais c'est seulement à
ceux qui n'ont pas promis de conserver la virginité. »
Elle
repartit : « Soit, comme tu veux; mais si tu désires sauver, mon âme,
accorde-moi une simple demande que je te vais faire; couche seulement
cette nuit avec moi, et je te promets de me faire chrétienne au point du
jour, car si, comme vous le dites, il y a joie dans le ciel pour un
pécheur qui fait, pénitence, une grande récompense n'est-elle pas due à
celui qui est l’auteur d'une conversion ? Fais seulement une fois ce que
je te demande, et de cette manière tu me sauveras moi-même. »
Elle se mit donc à battre vigoureusement en brèche la tour de son âme.
Le démon, qui vit cela, dit à ses compagnons « Voyez comment elle
ébranle ce que nous n'avons pu ébranler; venez donc, ruons-nous
courageusement sur lui, nous en avons une occasion favorable. »
Quand
le (434) jeune homme se vit cerné si hardiment, puisque d'un côté la
concupiscence le prenait et d'un autre côté, le diable aidant, le salut
de la jeune fille l’ébranlait, il se mit en oraison en versant des
larmes.
Pendant
cette oraison, il s'endormit, et se vit conduire dans une prairie ornée
de belles fleurs, où un vent doux faisait rendre aux feuilles des
arbres des accords charmants, en même temps qu'il remplissait l’air de
parfums extraordinaires ; aux arbres étaient suspendus des fruits
admirables à la vue, et délicieux au goût.
Il
voyait encore des sièges couverts d'or et de perles placés çà et là,
des lits resplendissants de draperies et d'ornements les plus précieux,
et des ruisseaux qui roulaient une eau. très limpide.
De
là on le fit entrer dans une ville dont les murs étaient d'or fin et
brillaient d'un éclat merveilleux, des choeurs célestes y chantaient un
cantique que jamais l’oreille d'un mortel n'a entendu.
Alors on lui dit : « C'est ici le séjour des bienheureux. »
Or, comme les hommes qui conduisaient Josaphat voulaient le ramener, il les priait de lui permettre de rester.
Ils lui dirent : « Il te faut encore beaucoup travailler pour venir ici, si pourtant tu peux te faire violence.»
Ensuite
ils le conduisirent dans des lieux affreux et remplis de toute sorte de
saletés ; et on lui dit. : « C'est ici le séjour des méchants.»
A son réveil, la beauté de cette jeune fille et des autres lui semblait plus repoussante que de l’ordure.
Quand
les esprits malins revinrent trouver Théodas, il leur adressa des
reproches, mais ils dirent : « Avant qu'il n'ait ait le signe de la
croix, nous nous étions jetés sur lui et l’avions troublé
singulièrement, mais (435) dès qu'il s'est muni de ce signe, il nous a
poursuivis en colère. »
Alors
Théodas, avec le roi, alla trouver Josaphat dans l’espoir de pouvoir le
persuader ; mais le mage fut pris par celui qu'il voulait prendre. Il
fut converti par Josaphat, reçut le baptême et vécut d'une manière
édifiante.
Le roi, au désespoir, céda à son fils, de l’avis de ses courtisans, la moitié de son royaume.
Or,
bien que Josaphat désirât de toute son âme vivre dans le désert,
néanmoins pour l’extension de la foi, il se chargea du gouvernement pour
un temps ; et dans les villes, il érigea des temples et des croix : il
convertit tout son peuple à J.-C.
Le père, enfin, se rendant aux raisons et aux exhortations de son fils,
reçut la foi du Christ avec le baptême, puis abandonnant tout le
royaume à Josaphat, il s'appliqua aux œuvres de miséricorde, après quoi,
il termina dignement sa vie.
Pour Josaphat, plusieurs fois il avait nommé Barachias pour régner en
sa place, avec l’intention de s'enfuir, mais toujours le peuple le
retenait.
Enfin
il réussit à s'évader et comme il se dirigeait vers le désert, il donna
à un. pauvre ses vêtements royaux et se contenta des plus pauvres
habits.
Mais
le diable lui tendait une infinité d'embûches : quelquefois, en effet,
il se jetait sur lui avec une épée nue et le menaçait de le frapper,
s'il ne se désistait de sa résolution ; d'autres fois, il lui
apparaissait sous la forme de bêtes féroces, en grinçant des dents et
poussant des mugissements horribles.
Mais Josaphat disait : « Le Seigneur est mon soutien et je ne craindrai point ce qu'une créature pourra me faire » (Ps. CXVII).
Il passa donc deux ans à errer dans (436) le désert sans pouvoir trouver Barlaam.
Enfin, il découvrit une caverne à la porte de laquelle il dit Bénissez, père, bénissez. »
Barlaam
reconnut sa voix et courut dehors: alors ils s'embrassèrent l’un et
l’autre avec la plus grande effusion et se tenaient si étroitement
serrés qu'ils ne pouvaient se séparer.
Josaphat, raconta alors à Barlaam tout ce qui lui était arrivé, celui-ci rendit à Dieu d'immenses actions de grâces.
Josaphat demeura là de nombreuses années, se livrant aux pratiques de la vertu et d'une abstinence étonnante.
Enfin
Barlaam, parvenu au terme de ses jours, reposa en paix vers l’an du
Seigneur 380. Josaphat qui avait quitté son royaume à l’âge de
vingt-cinq ans, se soumit aux labeurs de la vie érémitique pendant
trente-cinq ans ; alors orné d'une multitude de vertus, il reposa en
paix et fut enseveli à côté de Barlaam.
Le
roi Barachias, qui l’apprit, vint avec une armée nombreuse à leur
tombeau où il prit leurs corps avec respect et en fit la translation
dans sa capitale. Il s'opéra beaucoup de miracles à leur sépulture.
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