Mater dolorosa (Mère de douleur)

Mater dolorosa (Mère de douleur)

Mater dolorosa (Mère de douleur)



La Mater dolorosa ou mère de douleur est un thème universel auquel une branche du christianisme a donné une valeur de référence en en faisant un point marquant de la dévotion mariale dans une spiritualité de la compassion. 



 Mater Dolorosa par Pedro de Mena



L'art religieux, particulièrement dans les pays de catholicité et d'orthodoxie qui font une place éminente à la Vierge, a fait de ce contrepoint dramatique aux thèmes religieux, plus joyeux, de la Nativité et de la Vierge à l'enfant un sujet récurrent pendant plusieurs siècles, particulièrement du XIVe au XVIIe siècle.

Dans les périodes plus récentes, l'expression latine demeure, avec ses références culturelles, mais s'éloigne et même échappe à la connotation religieuse.



La mère de douleur chrétienne

La transformation byzantine

 
Une des premières représentations de la Crucifixion – Évangiles de Rabula, Syrie, fin VIe s



Les premiers siècles du christianisme sont marqués par d'importants débats théologiques sur la nature du Christ : après le Concile d'Éphèse en 431 qui rejette le nestorianisme, le Concile de Chalcédoine en 451 condamne le monophysisme, en affirmant l'union consubstantielle des deux natures humaine et divine du Christ en même temps que s'affirme le dogme de la « mère de Dieu » (theotokos).

La représentation physique du Christ est alors encouragée et la découverte en 525 à Édesse du Mandylion, Sainte Face miraculeusement imprimée sur un tissu, a eu un grand retentissement et semble avoir initié une image particulière du visage du fils de Marie.

Dans le contexte du développement foudroyant de l'Islam opposé aux images (califat d'Omar, 634-644)et des interprétations renaissantes du docétisme et du monophysisme, le Concile in Trullo à Constantinople en 692 (confirmé par le dernier concile œcuménique de Nicée en 787) instaure la vénération de la croix (canon 73) et stipule dans le canon 82 « que soit érigé, à la place de l'Agneau antique, sur les icônes, selon son aspect humain, celui qui a ôté les péchés du monde, le Christ notre Dieu ».

On traite alors dans le même esprit la Vierge (peinte pour la première fois par saint Luc selon la tradition) et se répandent alors les scènes de la nativité de Jésus avec une place majeure donnée à la figure maternelle qui est représentée aussi dans le topos de la Vierge à l'enfant.

Le thème de la crucifixion naît aussi en Orient et s'impose au fil des siècles : le premier crucifix remonterait au Ve siècle et l'évangéliaire syriaque enluminé en Orient par le moine Rabula en 586 constitue la plus ancienne œuvre datée comportant les éléments de la scène qui deviendra récurrente avec les larrons, les soldats, la Vierge Marie, les saintes femmes et saint Jean.

Le personnage de la mère du Christ au pied de la croix gagne en humanité enrichi qu'il est par les références au monde grec ancien toujours connu : 

« Les figures antiques viennent se fondre dans l'image chrétienne, tant et si bien que les deux modèles se superposent pour dire la douleur de la mère » et Corinne Jouanno note que « la référence à Niobé est si courante dans les textes byzantins, lorsqu'il s'agit de dire la souffrance maternelle, qu'elle tient du cliché ».

L'influence de Byzance sur l'art d'Occident sera importante dès l'époque carolingienne en lien avec l'émigration des illustrateurs byzantins au moment de la querelle des iconoclastes ; ainsi le psautier d'Utrecht réalisé à Reims vers 820 comporte la première crucifixion réalisée en Occident (illustration du psaume 116).

Dans ces scènes de crucifixion, la Vierge devient une figure maternelle souffrante, mais au réalisme néanmoins limité.

Née dans le domaine byzantin et nourrie de la culture grecque, la mère de douleur sera redécouverte au moment des Croisades et deviendra avec la théologie de la compassion qui prend corps en Occident au XIIe – XIIIe siècles le grand thème de la Mater dolorosa traité avec un réalisme nouveau qui nourrira la littérature religieuse et l'art pendant plusieurs siècles.





Vierge à l'enfant (vers 600, Monastère Sainte-Catherine du Sinaï)


Descente de Croix - crypte de Hosios Loukas (XIe siècle)

Crucifiement - Icône byzantine (2e moitié du XIIe siècle, Monastère Sainte-Catherine du Sinaï)


Descente de Croix byzantine (XIVe siècle, Agia Marina, Kalopanagiotis, Chypre)

Le développement d'une spiritualité de la compassion à partir du XIIe siècle

Pâmoison de la Vierge - Ligier Richier, 1531


 Retable d'Issenheim (début XVIe)



Dans la société nobiliaire qui s'installe à partir du XIe siècle, la question de la descendance est primordiale : la femme est d'abord la mère de l'héritier.

Cette valorisation maternelle conjuguée à une importance accrue par le départ aux Croisades des chevaliers donne un rôle social plus marqué aux femmes de l'aristocratie en même temps que naît le thème de l'amour courtois qui contribue aussi à un regard nouveau sur l'image de la femme.

Le monde religieux redécouvre parallèlement dans le contexte des Croisades la vénération dont fait l'objet la « Mère de Dieu » à Byzance.

C'est alors que se développe en Occident la dévotion mariale dans laquelle après saint Anselme (mort en 1109), saint Bernard (mort en 1153) qui voue son ordre des Cisterciens à la Vierge joue un rôle moteur.

Avec saint François d'Assise s'accentue une nouvelle sensibilité pour les souffrances du Christ en donnant une valeur rédemptrice à la douleur : c'est le moment où s'installe avec les Franciscains la représentation du « Christ dolens » qui succède au Christ patiens » à la manière grecque avec Giunta Pisano, actif entre 1229 et 1254, Cimabue (v. 1240- v. 1302) et Giotto (1267-1337).

Cette spiritualité de la compassion s'applique aussi à la figure maternelle de la Vierge Marie qui devient la mère de douleur, la Mater dolorosa.

L'expression apparaît dans le premier vers du Stabat mater, séquence composée au XIIIe siècle et attribuée au franciscain italien Jacopone da Todi :

« Stabat Mater dolorosa
Iuxta crucem lacrimosa
dum pendebat Filius. »

Cette mise en avant de la souffrance de Marie au moment de la Crucifixion s'amplifiera au cours des siècles avec un réalisme croissant dans le contexte des guerres et des pestes aux XIVe et XVe siècles dans des topos comme le Stabat Mater représentant Marie au pied de la croix (on trouve aussi les titres de Crucifixion, Golgotha, Calvaire...), la Pietà où la mère porte le corps du supplicié, mais aussi la Descente de la croix avec la déposition du Christ et la Mise au tombeau.

Ces thèmes, concomitants avec les représentations terribles de danses macabres et du Jugement dernier, peuvent être traités conjointement, particulièrement dans les retables (comme le Retable d'Issenheim de Grunewald au début du XVIe siècle) ou séparément.

Le culte marial et la mise en avant de la Mater dolorosa s'amplifieront dans la théologie de la Contre-Réforme où les Jésuites auront un grand rôle : saint Ignace de Loyola avait une dévotion particulière à la Vierge de douleur et , « de 1603 à 1881, sans compter les traités, les panégyrique et les méditations, les Jésuites ne publièrent pas moins de quatre-vingt-douze ouvrages sur cette dévotion aux douleurs de Marie ».

C'est à la fin du XVe et au début XVIe siècle que s'instaurera une dévotion catholique particulière à Notre-Dame des Douleurs qui deviendra un topos particulier avec ses codes propres.

La Vierge de douleur constitue un sujet de méditation et de prêche importants du catholicisme comme l'illustre emblématiquement Bossuet dans son Premier sermon sur la Compassion de la Sainte Vierge (vers 1660) : « Chrétien enfant de la croix … souviens-toi des douleurs cruelles dont tu as déchiré son cœur au Calvaire ; laisse-toi émouvoir aux cris d'un mère. »

C'est cette émotion que les plus grands artistes chercheront à exprimer selon l'esthétique de leur temps du XIIIe au XVIIIe siècle et au-delà, dans l'art de la sculpture (retables anonymes, Pietà de Michel-Ange, Vierge de Douleur de Germain Pilon...) , de la peinture (Robert Campin, vers 1425 - Rogier van der Weyden, vers 1460 – Le Pérugin, vers 1482 – Luis de Morales, La Piedad, vers 1560 - Véronèse, vers 1580 – Rubens, Descente de Croix vers 1617 - Tiepolo, vers 1750 ) mais aussi de la musique (on compte plus de 220 Stabat mater dont ceux de Palestrina (XVIe s.) ou de Pergolèse.



Mater dolorosa traité en portrait – Titien (vers 1555)



Par ailleurs, une approche particulière apparaît dès le XVIe siècle avec les représentations de la seule Mère éplorée et des gros plans de son visage qui constituent des portraits où la connotation religieuse est apportée par le titre et par certains codes qui demeurent comme la couleur bleue du vêtement.

Les représentations de sujets profanes et particulièrement des portraits s'installent en effet avec les primitifs flamands comme Van Eyck au XVe siècle avant de gagner l'art italien de la Renaissance.

Ainsi Véronèse aborde les scènes bibliques en cherchant leur aspect émotif plutôt que leur côté symbolique.

C'est également le cas des tableaux intitulés « Mater dolorosa » comme ceux de Titien (vers 1554, Museo del Prado, Madrid), Le Gréco (1585-90, Staatliche Museen Preussischer Kulturbesitz, Berlin), Rembrandt (1660, Musée departemental d'art ancien et contemporain, Épinal) ou José de Ribera (1638, Staatliche Museen, Kassel, Germany).

 

Stabat Mater

Article détaillé : Stabat Mater.

Il s'agit du thème de la mère éplorée au pied de la croix dressée, formule tirée d'une séquence écrite au XIIIe siècle.

L'iconographie est extrêmement abondante tant en peinture qu'en sculpture, avec une variation dans les titres : Crucifixion, Golgotha..)

Mais c'est surtout en musique que des centaines d'œuvres portent ce titre, ex. Palestrina (XVIe siècle), Antonio Vivaldi (1712), Pergolèse (1736), Haydn, Rossini, et Dvořák (1877), jusqu'à l'époque contemporaine Francis Poulenc (1951).




Robert Campin (vers 1425)

Hubert van Eyck (vers 1430)

Rogier van der Weyden (vers 1460)

 

Pietà

Article détaillé : Pietà.

Mot d'origine italienne qui s'applique à la représentation, en sculpture et en peinture, de la mère tenant sur ses genoux le corps de son fils détaché de la croix, par exemple, la Pietà de Villeneuve-lès-Avignon (vers 1455) et la pietà de Michel Ange, à Rome (1499).




Pietà de Michel Ange

Pietà de Villeneuve-lès-Avignon

Déploration du Christ (milieu XVIe)

Luis de Morales Pietad (1560)

 

Descente de Croix

Article détaillé : Descente de la croix.

La descente de croix appelée aussi la déposition du Christ, désigne la scène des évangiles placée entre la crucifixion et la Mise au tombeau. La pieta représente un moment de cette déposition où la mère tient le corps du Christ mort sur ses genoux.




Descente de Croix - Rubens

Descente de Croix – Regnault (1789)

Déposition de la Croix - Ferenczy (1903)

 

Mise au tombeau

Article détaillé : Mise au tombeau.


La Mise au tombeau est le dernier épisode de la Passion du Christ, devenu un sujet de l'iconographie chrétienne.

Les représentations de cet événement se fondent sur les récits de la mort du Christ dans les évangiles et accordent une place déterminante aux personnages qui entourent le Christ, dont Marie, sa mère frappée par le deuil.




Mise au Tombeau, basilique St Remi de Reims (1531)

Mise au Tombeau, église Saint-Matthieu, Salers (1495)

Mise au tombeau – Le Caravage (1602-1603)

 

La dévotion à Notre-Dame des Douleurs

Article détaillé : Notre-Dame des Douleurs.

Il s'agit d'une dévotion mariale tardive : la première mention est due à Jean de Coudenberghe en 1482 et la première représentation de la Vierge avec les sept glaives date de 1510.

Viendront plus tard la fondation de l'ordre des filles du Calvaire par Antoinette d'Orléans-Longueville avec le soutien du père Joseph en 1617, la fondation d'une chapelle en l’honneur de Notre-Dame des sept douleurs par Anne d’Autriche en 1656 et l'institution de la Fête de Notre-Dame des douleurs en 1668 que soutient la papauté (Clément XI en 1704 et Benoît XIII en 1727).



Madone des sept douleurs (XVIIe siècle)

Icône russe (XIXe siècle)


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