Saint Thomas Beckett (page 2)

Saint Thomas Beckett
 Archevêque de Cantobéry
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On ne peut pourtant s'empêcher de raconter cette légende, quoiqu'elle ait paru pour la première fois dans une compilation dont la date et l'auteur sont également inconnus. La voici :
Son père, Gilbert, était un bourgeois de Londres, qui tout jeune encore se croisa et partit pour Jérusalem, accompagné d'un fidèle serviteur du nom de Richard. Ils tombèrent entre les mains des Sarrasins, furent chargés de chaînes et travaillèrent comme esclaves pour un grand du pays qui se nommait Admirald.
Quelques années s'étaient écoulées, et Gilbert avait fait de grands progrès dans les bonnes grâces de son maître ; celui-ci l'appelait souvent, le faisait tenir debout devant sa table, et, dans sa curiosité orientale, il le questionnait sur tout ce qui se rattachait aux pays et aux habitants de l'Occident.
Sa fille assistait souvent à ces conversations, et son admiration pour l'étranger finit par se trahir lorsqu'elle entendit Gilbert dire qu'il mourrait avec joie pour sa foi. Elle lui offrit de se faire chrétienne s'il voulait la prendre pour femme.
Gilbert était un homme prudent ; il craignit une ruse de femme, et la repoussa avec de belles paroles.
A la fin, une occasion se présenta d'échapper à ses chaînes ; il en profita, ainsi que ses compagnons.
La pauvre fille abandonnée, fidèle à son amour, oubliant sa patrie et la maison paternelle, partit un soir, toute seule, pour aller à la recherche de l'Anglais qui l'avait fuie.
En dehors de sa langue, elle ne connaissait que deux mots : « Londres et Becket ; » et, pendant son voyage, elle les répétait sans cesse.
A la fin, elle se joignit à des pèlerins qui retournaient en Angleterre, arriva dans cette ville, dont Gilbert lui avait appris le nom comme étant celui de sa patrie.
Suivant toujours la méthode qui l'avait amenée jusque-là, elle fut poursuivie dans la rue par une troupe d'enfants désœuvrés ; mais Richard, le serviteur de Gilbert, passa, entendit le nom de son maître et, par bonheur, la reconnut.
Il ne paraît pas que Gilbert ait été 'charmé de ce retour ; et pourtant les ruses de femme de cette pauvre créature étaient désormais chose bien facile à pénétrer ; mais la prudence l'emporta sur tout le reste.
Il ordonna à Richard de la confier à une matrone du voisinage, et se rendit à Saint-Paul pour prendre l'avis de son évêque.
D'après les conseils du prélat, qui était alors en conférence avec ses frères les évêques, la jeune fille fut dûment instruite dans la foi catholique, solennellement baptisée, dit l'histoire, par six évêques, et Gilbert la prit pour femme.
La légende ne s'arrête pas là ; elle ajoute que le lendemain de son mariage, Gilbert fut saisi d'un violent désir de revoir la Terre sainte. Sa femme obtint de lui qu'il lui révélât la cause de sa tristesse ; puis elle consentit à son départ, à condition qu'il lui laisserait Richard pour interprète.
Pendant son absence, un enfant naquit ; ce récit peut servir d'introduction à l'histoire de sa vie.
Le père, à son retour, après trois ans et demi, le retrouva tel que son cœur pouvait le souhaiter.
C'est là que s'arrête la légende ; elle n'est racontée par aucun des biographes contemporains de notre saint, qui se contentent de dire qu'il était fils de Gilbert et de Mathilde Becket, bourgeois de Londres ; et c'est ce qu'il déclare lui-même dans ses lettres, quand l'occasion se présente de parler de son origine.
Avant sa naissance, sa mère rêva que la Tamise coulait dans son sein. Effrayée d'un songe si extraordinaire, elle consulta un savant religieux ; celui-ci la prévint avant tout qu'il ne fallait pas s'inquiéter des songes ni tenir grand compte des visions d'une femme ; il lui dit ensuite que dans l'Ecriture "sainte eau" signifie nation, mais qu'il ne voulait pas entreprendre d'interpréter son rêve. Elle rêva encore qu'elle était allée visiter la cathédrale de Cantorbéry pour y prier, et que son enfant lui en interdisait l'entrée ; mais, cette fois, elle n'alla plus consulter son directeur, craignant qu'il ne la taxât de folie.
Comme l'époque de la naissance du saint approchait, sa mère crut voir douze étoiles d'un éclat extraordinaire qui tombaient de son sein. On dit aussi qu'elle rêva qu'elle portait la cathédrale de Cantorbéry, et qu'au moment de la naissance de Thomas, la sage-femme qui tenait l'enfant s'écria : « Je porte dans mes bras un archevêque de Cantorbéry. »
Il naquit un mardi 21 décembre, l'an 1117 ; et le même jour, après vêpres, il fut baptisé sous le nom de saint Thomas, apôtre, dont c'était la fête.
Le jour même de sa naissance, éclatait dans la maison de son père un incendie qui fit beaucoup de mal dans la ville. Un écrivain contemporain dit que les seuls inconvénients de la résidence à Londres sont l'ivrognerie qui y règue et la fréquence des incendies.
La nuit comme le jour, il était toujours présent à la pensée de sa mère.
Après sa naissance, elle rêva qu'elle reprochait à la nourrice de laisser l'enfant découvert dans son berceau ; on lui répondit qu'il avait sur lui une magnifique couverture de soie rouge ; et, comme elle examinait la beauté du travail et qu'elle essayait avec la nourrice de la déplier, il se trouva que la chambre où elles étaient, la rue et le vaste espace de la campagne de Smithfield étaient trop resserrés pour leur permettre de le faire, et cependant une voix leur disait qu'elles essayaient en vain, et que l'Angleterre tout entière n'y suffirait pas.
Saint Thomas eut un grand bonheur, et sa vie tout entière en ressentit une profonde impression : celle qui lui donna ses premiers enseignements, sa mère, était une douce et pieuse femme. Il disait habituellement que sa mère lui avait appris, outre la crainte de Dieu, deux vertus de premier ordre : un grand amour pour la sainte Mère de Dieu, qu'elle l'avait habitué à invoquer comme le guide de sa conduite et la patronne de sa vie, lui apprenant ainsi à placer, après le Christ, toute sa confiance en elle, et une grande compassion pour les pauvres. Et il se distingua constamment par ces deux vertus.
Herbert de Bosham, un de ses plus intimes amis, nous a conservé une petite histoire que le saint lui-même lui a racontée, et qui montre combien la sainte Vierge payait de retour l'affection de son jeune client. Etant encore enfant, comme il se remettait d'une fièvre violente, il lui sembla qu'une dame d'une haute taille, calme dans son air et belle de sa personne, était debout auprès de son lit, le consolait en lui promettant qu'il irait mieux, et remettait entre ses mains deux clefs d'or, avec ces mots : « Thomas, ce sont les clefs du paradis, dont vous aurez la garde un jour. »
Il fut confié de bonne heure aux soins de Robert, prieur de Merton, de l'ordre des chanoines réguliers, qui fut toujours depuis son ami fidèle et son guide spirituel, son confesseur pendant qu'il était chancelier, et enfin le témoin de son martyre.
Pendant que Thomas était sous sa direction, il se passa un fait qui prouve que ce n'était pas seulement à sa mère, mais aussi à son père, que Dieu avait révélé la future grandeur de leur fils. Un jour, Gilbert vint le voir, et, comme l'enfant entrait dans la chambre, le père lui fit une profonde révérence et se prosterna devant lui. Le bon prieur s'indigna : « Vieillard, dit-il, vous êtes fou ; que faites-vous là ? Vous vous jetez aux pieds de votre fils ? Ces hommages que vous lui rendez, c'est lui qui devrait vous les rendre. » Gilbert répondit tout bas au prieur : « Je sais ce que je fais ; car cet enfant sera grand devant le Seigneur. »
Quoique son père ne fût qu'un simple marchand de Londres, et que vraisemblablement sa mère n'ait jamais quitté l'Angleterre, il y a dans ces anecdotes, qui caractérisent l'époque, une couleur singulièrement orientale, qui résulte peut-être du commerce avec la Terre sainte produit par de fréquents pèlerinages. On retrouve souvent dans les Anglais d'alors quelque chose du tempérament oriental, dont leurs successeurs d'aujourd'hui n'ont point hérité.
A l'époque de la naissance du saint, la condition de ses parents était moyenne, sinon brillante. Son père était Normand, et avait été shérif de Londres. Ses amis, tous ceux du moins dont le souvenir est venu jusqu'à nous, étaient Normands. Des incendies fréquents, d'autres malheurs encore, firent tomber, dit-on, la famille de Gilbert de la position qu'elle avait occupée. Mais il ne paraît pas que ce changement de condition ait éloigné de lui ses anciens amis. On fait une mention particulière d'un homme de guerre, riche et bien né, du nom de Richier de l'Egle, qui le voyait souvent et qui eut une grande influence sur l'esprit de saint Thomas. Il aimait spécialement la chasse au chien et au faucon, et saint Thomas prit de lui ce goût, qu'il ne perdit jamais entièrement.
Il était en compagnie de Richier lorsqu'il lui arriva une aventure dans laquelle on peut bien reconnaître la main de Dieu intervenant pour sauver cette précieuse vie. Ils chevauchaient ensemble, suivant leurs faucons, lorsqu'ils arrivèrent à un canal de moulin très rapide et sur lequel il n'y avait pas d'autre pont qu'une planche. De l'Egle, dans l'entraînement de la chasse, poussa son cheval sur la planche ; saint Thomas le suivit de près, bien enveloppé dans son manteau et son chaperon sur la tête. Quand il atteignit le milieu du pont, son cheval glissa ; cheval et enfant tombèrent ensemble dans la rivière. Le courant l'entraîna rapidement, et il courut un danger imminent, celui d'être écrasé par la roue du moulin. L'homme qui était chargé du moulin, sans savoir ce qui se passait, détourna l'eau tout d'un coup. Les cris de de l'Egle, que le bruit de la roue avait empêché jusque-là d'arriver au meunier, attirèrent son attention, et il tira saint Thomas de sa dangereuse position.
On raconte autrement cette aventure : on dit que le saint, entraîné par la chasse et oubliant le danger, se jeta dans l'eau en suivant son faucon.
Les deux versions de cette anecdote sont conformes au caractère ardent et impétueux de notre saint. Une tradition locale veut que le théâtre de cette intervention providentielle soit un lieu qui se nomme aujourd'hui le moulin de Wade, entre Ware et le collège de Saint-Edmond. Cette protection de Dieu frappa sa pieuse mère, et elle ajoutait ce fait aux autres miracles qu'elle repassait dans son esprit et qui l'amenaient à la conclusion que Dieu avait de grands desseins sur son fils. Citons une de ses pieuses coutumes, qui est vraiment admirable. A certaines époques de l'année, elle pesait son fils, et dans l'autre plateau de la balance elle plaçait du pain, de la viande, des habits, de l'argent, tout ce qui pouvait être nécessaire aux pauvres, et distribuait le tout à ceux qui étaient dans le besoin. C'est ainsi qu'elle s'efforçait en tout de le recommander à la miséricorde de Dieu et à la protection de la bienheureuse Marie toujours Vierge.
Ce fut un mauvais jour pour le saint que celui où il perdit une mère si aimante et si vigilante. Il avait vingt et un ans quand Mathilde mourut ; Gilbert ne lui survécut pas longtemps, et Thomas demeura abandonné à ses propres ressources, car la fortune de son père était trop diminuée pour qu'il pût laisser à son fils un brillant héritage. Il avait auparavant étudié à Paris ; mais ce ne fut certainement pas pour la raison qu'on en a récemment donnée. Le fils du Normand Gilbert, le compagnon du riche et noble Richier de l'Egle, n'avait pas besoin de quitter son pays pour perdre l'accent saxon. Sa vingt deuxième année, 1139, se passa sans occupation dans la maison de son père. C'était après son retour de Paris ; car ce fut surtout à sa mère qu'il dut son éducation libérale ; et la position de fortune de son père, après la mort de Mathilde, ne nous permet guère de croire qu'il ait pu procurer à son fils l'avantage d'une résidence à l'étranger. Il vint alors demeurer avec Osbern Witdeniers, un de ses parents, fort riche et qui avait probablement une charge importante dans la cité, puisqu'on dit que saint Thomas était secrétaire du shérif. Il demeura trois années avec lui, passant son temps à tenir des écritures de commerce, et acquérant ainsi une habitude des affaires qui devait en tout cas être utile à l'Etat et à l'Eglise.
Cette position n'était pas dans ses goûts ; et cependant il fallut de longues réflexions et toutes les instances de ses amis pour l'engager à demander un emploi à l'archevêque de Cantorbéry.
Un curieux détail de la vie de saint Thomas est arrivé jusqu'à nous ; s'il ne se rattache pas à cette époque de sa vie, il est certain du moins qu'il précéda son élévation à la richesse et aux honneurs, et la façon dont il nous est transmis est tout aussi curieuse que le fait lui-même.
Parmi les miracles par lesquels fut signalée l'intercession du saint peu de temps après son martyre, on raconte le suivant, dont le récit, exposé avec simplicité, terminera ce chapitre, nécessairement assez décousu. Une jeune fille d'environ quinze ans souffrait mortellement d'un affreux cancer. Depuis l'époque de la moisson jusqu'au mois de mars, le mal n'avait fait qu'empirer, et, à la fin, la maladie sembla s'être terminée d'une manière fatale. Elle était dans son lit, sans prendre de nourriture, les membres contractés, les yeux ouverts et vitreux, et ne donnait d'ailleurs aucun signe de vie. Il y avait trois ou quatre jours qu'elle était dans cet état, lorsqu'une voisine qui l'aimait beaucoup entra vers la tombée de la nuit, et croyant qu'elle était bien certainement morte :
« Comment, dit-elle, avez-vous pu laisser cette pauvre enfant mourir dans son lit ? Pourquoi ne l'a-t-on pas placée sur un sac, suivant la coutume catholique ? » Là dessus, le corps, qui était déjà raide, fut transporté dans la cour de la maison, couvert d'un drap et entouré de cierges, comme c'était l'usage. Son père, Jordan de Plumsted, dans le diocèse de Norwich, épuisé par son chagrin et par le travail du jour, s'était laissé aller au sommeil ; mais il se réveilla au même moment et s'écria : « Cécile est-elle morte ? — Assurément, dit la voisine, elle est morte. » Mais le père : « 0 saint Thomas, martyr de Dieu, payez-moi maintenant pour le service que je vous ai rendu une fois de si bon cœur ; payez-moi ce service : j'ai besoin de vous aujourd'hui. Je vous ai servi de bon cœur avant que vous ne fussiez devenu un grand du monde ; maintenant, payez-moi ce service. Souvenez-vous, saint martyr, quand vous étiez malade, au pays de Kent, dans la maison de Thurstan le clerc, avec quel cœur je vous ai servi : vous ne pouviez supporter ni le vin, ni la bière, ni aucune boisson forte ; et j'ai bouleversé tout le voisinage pour vous faire boire un peu de petit-lait. Payez-moi ce service. Vous n'aviez alors qu'un cheval, et j'en ai pris soin. Payez-moi ce service. Souvenez-vous, martyr, de toute la peine que j'ai prise pour vous. Vous n'êtes pas si pauvre que j'aie dû vous servir pour rien. » Et il passa ainsi la moitié de la nuit, répétant jusqu'à ce qu'il fût enroué : Payez-moi ce service. »
Le saint martyr l'entendit : on vit la main de Cécile remuer sous le drap, et elle essaya de parler ; le lendemain , elle prit un peu de nourriture. Le troisième jour, le cancer se sécha ; et, au bout de trois semaines, sans le secours d'aucun remède, elle était tout à fait guérie. William, évêque de Norwich, interrogea le prêtre de la paroisse et plusieurs témoins. Et comme Cécile allait faire un pèlerinage d'action de grâces au tombeau du saint de Cantorbéry, il lui remit des lettres testimoniales attestant la vérité du miracle.
La pièce de théâtre "Meurtre dans la cathédrale"
Meurtre dans la cathédrale est une pièce de théâtre en vers et en prose de T. S. Eliot, consacrée au meurtre de l'archevêque de Cantorbéry Thomas Becket en 1170.
Créée le 15 juin 1935 dans le chapitre de la cathédrale de Cantorbéry, elle fait ressortir les impératifs contradictoires du spirituel et du temporel grâce à sa construction très symétrique (première partie, interlude, seconde partie ; correspondance entre quatre tentateurs spirituels et quatre chevaliers temporels), ainsi que par l'intervention d'un chœur, comme dans la tragédie grecque.

Un livre "Meurtre dans la cathédrale" de Thomas Stearns Eliot, retrace l'assassinat de Thomas Becket.
















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