Saint Thomas Beckett
Archevêque de Cantobéry
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On ne peut pourtant s'empêcher de raconter cette légende, quoiqu'elle ait paru pour la première fois dans une compilation dont la date et l'auteur sont également inconnus. La voici :
Son
père, Gilbert, était un bourgeois de Londres, qui tout jeune encore se
croisa et partit pour Jérusalem, accompagné d'un fidèle serviteur du nom
de Richard. Ils tombèrent entre les mains des Sarrasins, furent chargés
de chaînes et travaillèrent comme esclaves pour un grand du pays qui se
nommait Admirald.
Quelques
années s'étaient écoulées, et Gilbert avait fait de grands progrès dans
les bonnes grâces de son maître ; celui-ci l'appelait souvent, le
faisait tenir debout devant sa table, et, dans sa curiosité orientale,
il le questionnait sur tout ce qui se rattachait aux pays et aux
habitants de l'Occident.
Sa
fille assistait souvent à ces conversations, et son admiration pour
l'étranger finit par se trahir lorsqu'elle entendit Gilbert dire qu'il
mourrait avec joie pour sa foi. Elle lui offrit de se faire chrétienne
s'il voulait la prendre pour femme.
Gilbert était un homme prudent ; il craignit une ruse de femme, et la repoussa avec de belles paroles.
A la fin, une occasion se présenta d'échapper à ses chaînes ; il en profita, ainsi que ses compagnons.
La
pauvre fille abandonnée, fidèle à son amour, oubliant sa patrie et la
maison paternelle, partit un soir, toute seule, pour aller à la
recherche de l'Anglais qui l'avait fuie.
En
dehors de sa langue, elle ne connaissait que deux mots : « Londres et
Becket ; » et, pendant son voyage, elle les répétait sans cesse.
A
la fin, elle se joignit à des pèlerins qui retournaient en Angleterre,
arriva dans cette ville, dont Gilbert lui avait appris le nom comme
étant celui de sa patrie.
Suivant
toujours la méthode qui l'avait amenée jusque-là, elle fut poursuivie
dans la rue par une troupe d'enfants désœuvrés ; mais Richard, le
serviteur de Gilbert, passa, entendit le nom de son maître et, par
bonheur, la reconnut.
Il
ne paraît pas que Gilbert ait été 'charmé de ce retour ; et pourtant
les ruses de femme de cette pauvre créature étaient désormais chose bien
facile à pénétrer ; mais la prudence l'emporta sur tout le reste.
Il ordonna à Richard de la confier à une matrone du voisinage, et se rendit à Saint-Paul pour prendre l'avis de son évêque.
D'après
les conseils du prélat, qui était alors en conférence avec ses frères
les évêques, la jeune fille fut dûment instruite dans la foi catholique,
solennellement baptisée, dit l'histoire, par six évêques, et Gilbert la
prit pour femme.
La
légende ne s'arrête pas là ; elle ajoute que le lendemain de son
mariage, Gilbert fut saisi d'un violent désir de revoir la Terre sainte.
Sa femme obtint de lui qu'il lui révélât la cause de sa tristesse ;
puis elle consentit à son départ, à condition qu'il lui laisserait
Richard pour interprète.
Pendant son absence, un enfant naquit ; ce récit peut servir d'introduction à l'histoire de sa vie.
Le père, à son retour, après trois ans et demi, le retrouva tel que son cœur pouvait le souhaiter.
C'est
là que s'arrête la légende ; elle n'est racontée par aucun des
biographes contemporains de notre saint, qui se contentent de dire qu'il
était fils de Gilbert et de Mathilde Becket, bourgeois de Londres ; et
c'est ce qu'il déclare lui-même dans ses lettres, quand l'occasion se
présente de parler de son origine.
Avant
sa naissance, sa mère rêva que la Tamise coulait dans son sein.
Effrayée d'un songe si extraordinaire, elle consulta un savant religieux
; celui-ci la prévint avant tout qu'il ne fallait pas s'inquiéter des
songes ni tenir grand compte des visions d'une femme ; il lui dit
ensuite que dans l'Ecriture "sainte eau" signifie nation, mais qu'il ne
voulait pas entreprendre d'interpréter son rêve. Elle rêva encore
qu'elle était allée visiter la cathédrale de Cantorbéry pour y prier, et
que son enfant lui en interdisait l'entrée ; mais, cette fois, elle
n'alla plus consulter son directeur, craignant qu'il ne la taxât de
folie.
Comme
l'époque de la naissance du saint approchait, sa mère crut voir douze
étoiles d'un éclat extraordinaire qui tombaient de son sein. On dit
aussi qu'elle rêva qu'elle portait la cathédrale de Cantorbéry, et qu'au
moment de la naissance de Thomas, la sage-femme qui tenait l'enfant
s'écria : « Je porte dans mes bras un archevêque de Cantorbéry. »
Il
naquit un mardi 21 décembre, l'an 1117 ; et le même jour, après vêpres,
il fut baptisé sous le nom de saint Thomas, apôtre, dont c'était la
fête.
Le jour même de sa naissance, éclatait dans la maison de son père un
incendie qui fit beaucoup de mal dans la ville. Un écrivain contemporain
dit que les seuls inconvénients de la résidence à Londres sont
l'ivrognerie qui y règue et la fréquence des incendies.
La nuit comme le jour, il était toujours présent à la pensée de sa mère.
Après
sa naissance, elle rêva qu'elle reprochait à la nourrice de laisser
l'enfant découvert dans son berceau ; on lui répondit qu'il avait sur
lui une magnifique couverture de soie rouge ; et, comme elle examinait
la beauté du travail et qu'elle essayait avec la nourrice de la déplier,
il se trouva que la chambre où elles étaient, la rue et le vaste espace
de la campagne de Smithfield étaient trop resserrés pour leur permettre
de le faire, et cependant une voix leur disait qu'elles essayaient en
vain, et que l'Angleterre tout entière n'y suffirait pas.
Saint
Thomas eut un grand bonheur, et sa vie tout entière en ressentit une
profonde impression : celle qui lui donna ses premiers enseignements, sa
mère, était une douce et pieuse femme. Il disait habituellement que sa
mère lui avait appris, outre la crainte de Dieu, deux vertus de premier
ordre : un grand amour pour la sainte Mère de Dieu, qu'elle l'avait
habitué à invoquer comme le guide de sa conduite et la patronne de sa
vie, lui apprenant ainsi à placer, après le Christ, toute sa confiance
en elle, et une grande compassion pour les pauvres. Et il se distingua
constamment par ces deux vertus.
Herbert
de Bosham, un de ses plus intimes amis, nous a conservé une petite
histoire que le saint lui-même lui a racontée, et qui montre combien la
sainte Vierge payait de retour l'affection de son jeune client. Etant
encore enfant, comme il se remettait d'une fièvre violente, il lui
sembla qu'une dame d'une haute taille, calme dans son air et belle de sa
personne, était debout auprès de son lit, le consolait en lui
promettant qu'il irait mieux, et remettait entre ses mains deux clefs
d'or, avec ces mots : « Thomas, ce sont les clefs du paradis, dont vous
aurez la garde un jour. »
Il
fut confié de bonne heure aux soins de Robert, prieur de Merton, de
l'ordre des chanoines réguliers, qui fut toujours depuis son ami fidèle
et son guide spirituel, son confesseur pendant qu'il était chancelier,
et enfin le témoin de son martyre.
Pendant
que Thomas était sous sa direction, il se passa un fait qui prouve que
ce n'était pas seulement à sa mère, mais aussi à son père, que Dieu
avait révélé la future grandeur de leur fils. Un jour, Gilbert vint le
voir, et, comme l'enfant entrait dans la chambre, le père lui fit une
profonde révérence et se prosterna devant lui. Le bon prieur s'indigna :
« Vieillard, dit-il, vous êtes fou ; que faites-vous là ? Vous vous
jetez aux pieds de votre fils ? Ces hommages que vous lui rendez, c'est
lui qui devrait vous les rendre. » Gilbert répondit tout bas au prieur :
« Je sais ce que je fais ; car cet enfant sera grand devant le
Seigneur. »
Quoique
son père ne fût qu'un simple marchand de Londres, et que
vraisemblablement sa mère n'ait jamais quitté l'Angleterre, il y a dans
ces anecdotes, qui caractérisent l'époque, une couleur singulièrement
orientale, qui résulte peut-être du commerce avec la Terre sainte
produit par de fréquents pèlerinages. On retrouve souvent dans les
Anglais d'alors quelque chose du tempérament oriental, dont leurs
successeurs d'aujourd'hui n'ont point hérité.
A
l'époque de la naissance du saint, la condition de ses parents était
moyenne, sinon brillante. Son père était Normand, et avait été shérif de
Londres. Ses amis, tous ceux du moins dont le souvenir est venu jusqu'à
nous, étaient Normands. Des incendies fréquents, d'autres malheurs
encore, firent tomber, dit-on, la famille de Gilbert de la position
qu'elle avait occupée. Mais il ne paraît pas que ce changement de
condition ait éloigné de lui ses anciens amis. On fait une mention
particulière d'un homme de guerre, riche et bien né, du nom de Richier
de l'Egle, qui le voyait souvent et qui eut une grande influence sur
l'esprit de saint Thomas. Il aimait spécialement la chasse au chien et
au faucon, et saint Thomas prit de lui ce goût, qu'il ne perdit jamais
entièrement.
Il
était en compagnie de Richier lorsqu'il lui arriva une aventure dans
laquelle on peut bien reconnaître la main de Dieu intervenant pour
sauver cette précieuse vie. Ils chevauchaient ensemble, suivant leurs
faucons, lorsqu'ils arrivèrent à un canal de moulin très rapide et sur
lequel il n'y avait pas d'autre pont qu'une planche. De l'Egle, dans
l'entraînement de la chasse, poussa son cheval sur la planche ; saint
Thomas le suivit de près, bien enveloppé dans son manteau et son
chaperon sur la tête. Quand il atteignit le milieu du pont, son cheval
glissa ; cheval et enfant tombèrent ensemble dans la rivière. Le courant
l'entraîna rapidement, et il courut un danger imminent, celui d'être
écrasé par la roue du moulin. L'homme qui était chargé du moulin, sans
savoir ce qui se passait, détourna l'eau tout d'un coup. Les cris de de
l'Egle, que le bruit de la roue avait empêché jusque-là d'arriver au
meunier, attirèrent son attention, et il tira saint Thomas de sa
dangereuse position.
On
raconte autrement cette aventure : on dit que le saint, entraîné par la
chasse et oubliant le danger, se jeta dans l'eau en suivant son faucon.
Les
deux versions de cette anecdote sont conformes au caractère ardent et
impétueux de notre saint. Une tradition locale veut que le théâtre de
cette intervention providentielle soit un lieu qui se nomme aujourd'hui
le moulin de Wade, entre Ware et le collège de Saint-Edmond. Cette
protection de Dieu frappa sa pieuse mère, et elle ajoutait ce fait aux
autres miracles qu'elle repassait dans son esprit et qui l'amenaient à
la conclusion que Dieu avait de grands desseins sur son fils. Citons une
de ses pieuses coutumes, qui est vraiment admirable. A certaines
époques de l'année, elle pesait son fils, et dans l'autre plateau de la
balance elle plaçait du pain, de la viande, des habits, de l'argent,
tout ce qui pouvait être nécessaire aux pauvres, et distribuait le tout à
ceux qui étaient dans le besoin. C'est ainsi qu'elle s'efforçait en
tout de le recommander à la miséricorde de Dieu et à la protection de la
bienheureuse Marie toujours Vierge.
Ce
fut un mauvais jour pour le saint que celui où il perdit une mère si
aimante et si vigilante. Il avait vingt et un ans quand Mathilde mourut ;
Gilbert ne lui survécut pas longtemps, et Thomas demeura abandonné à
ses propres ressources, car la fortune de son père était trop diminuée
pour qu'il pût laisser à son fils un brillant héritage. Il avait
auparavant étudié à Paris ; mais ce ne fut certainement pas pour la
raison qu'on en a récemment donnée. Le fils du Normand Gilbert, le
compagnon du riche et noble Richier de l'Egle, n'avait pas besoin de
quitter son pays pour perdre l'accent saxon. Sa vingt deuxième année,
1139, se passa sans occupation dans la maison de son père. C'était après
son retour de Paris ; car ce fut surtout à sa mère qu'il dut son
éducation libérale ; et la position de fortune de son père, après la
mort de Mathilde, ne nous permet guère de croire qu'il ait pu procurer à
son fils l'avantage d'une résidence à l'étranger. Il vint alors
demeurer avec Osbern Witdeniers, un de ses parents, fort riche et qui
avait probablement une charge importante dans la cité, puisqu'on dit que
saint Thomas était secrétaire du shérif. Il demeura trois années avec
lui, passant son temps à tenir des écritures de commerce, et acquérant
ainsi une habitude des affaires qui devait en tout cas être utile à
l'Etat et à l'Eglise.
Cette
position n'était pas dans ses goûts ; et cependant il fallut de longues
réflexions et toutes les instances de ses amis pour l'engager à
demander un emploi à l'archevêque de Cantorbéry.
Un curieux détail de la vie de saint Thomas est arrivé jusqu'à nous ; s'il ne se rattache pas à cette époque de sa vie, il est certain du moins qu'il précéda son élévation à la richesse et aux honneurs, et la façon dont il nous est transmis est tout aussi curieuse que le fait lui-même.
Parmi les miracles par lesquels fut signalée l'intercession du saint peu de temps après son martyre, on raconte le suivant, dont le récit, exposé avec simplicité, terminera ce chapitre, nécessairement assez décousu. Une jeune fille d'environ quinze ans souffrait mortellement d'un affreux cancer. Depuis l'époque de la moisson jusqu'au mois de mars, le mal n'avait fait qu'empirer, et, à la fin, la maladie sembla s'être terminée d'une manière fatale. Elle était dans son lit, sans prendre de nourriture, les membres contractés, les yeux ouverts et vitreux, et ne donnait d'ailleurs aucun signe de vie. Il y avait trois ou quatre jours qu'elle était dans cet état, lorsqu'une voisine qui l'aimait beaucoup entra vers la tombée de la nuit, et croyant qu'elle était bien certainement morte :
Un curieux détail de la vie de saint Thomas est arrivé jusqu'à nous ; s'il ne se rattache pas à cette époque de sa vie, il est certain du moins qu'il précéda son élévation à la richesse et aux honneurs, et la façon dont il nous est transmis est tout aussi curieuse que le fait lui-même.
Parmi les miracles par lesquels fut signalée l'intercession du saint peu de temps après son martyre, on raconte le suivant, dont le récit, exposé avec simplicité, terminera ce chapitre, nécessairement assez décousu. Une jeune fille d'environ quinze ans souffrait mortellement d'un affreux cancer. Depuis l'époque de la moisson jusqu'au mois de mars, le mal n'avait fait qu'empirer, et, à la fin, la maladie sembla s'être terminée d'une manière fatale. Elle était dans son lit, sans prendre de nourriture, les membres contractés, les yeux ouverts et vitreux, et ne donnait d'ailleurs aucun signe de vie. Il y avait trois ou quatre jours qu'elle était dans cet état, lorsqu'une voisine qui l'aimait beaucoup entra vers la tombée de la nuit, et croyant qu'elle était bien certainement morte :
«
Comment, dit-elle, avez-vous pu laisser cette pauvre enfant mourir dans
son lit ? Pourquoi ne l'a-t-on pas placée sur un sac, suivant la
coutume catholique ? » Là dessus, le corps, qui était déjà raide, fut
transporté dans la cour de la maison, couvert d'un drap et entouré de
cierges, comme c'était l'usage. Son père, Jordan de Plumsted, dans le
diocèse de Norwich, épuisé par son chagrin et par le travail du jour,
s'était laissé aller au sommeil ; mais il se réveilla au même moment et
s'écria : « Cécile est-elle morte ? — Assurément, dit la voisine, elle
est morte. » Mais le père : « 0 saint Thomas, martyr de Dieu, payez-moi
maintenant pour le service que je vous ai rendu une fois de si bon cœur ;
payez-moi ce service : j'ai besoin de vous aujourd'hui. Je vous ai
servi de bon cœur avant que vous ne fussiez devenu un grand du monde ;
maintenant, payez-moi ce service. Souvenez-vous, saint martyr, quand
vous étiez malade, au pays de Kent, dans la maison de Thurstan le clerc,
avec quel cœur je vous ai servi : vous ne pouviez supporter ni le vin,
ni la bière, ni aucune boisson forte ; et j'ai bouleversé tout le
voisinage pour vous faire boire un peu de petit-lait. Payez-moi ce
service. Vous n'aviez alors qu'un cheval, et j'en ai pris soin.
Payez-moi ce service. Souvenez-vous, martyr, de toute la peine que j'ai
prise pour vous. Vous n'êtes pas si pauvre que j'aie dû vous servir pour
rien. » Et il passa ainsi la moitié de la nuit, répétant jusqu'à ce
qu'il fût enroué : Payez-moi ce service. »
Le
saint martyr l'entendit : on vit la main de Cécile remuer sous le drap,
et elle essaya de parler ; le lendemain , elle prit un peu de
nourriture. Le troisième jour, le cancer se sécha ; et, au bout de trois
semaines, sans le secours d'aucun remède, elle était tout à fait
guérie. William, évêque de Norwich, interrogea le prêtre de la paroisse
et plusieurs témoins. Et comme Cécile allait faire un pèlerinage
d'action de grâces au tombeau du saint de Cantorbéry, il lui remit des
lettres testimoniales attestant la vérité du miracle.
La pièce de théâtre "Meurtre dans la cathédrale"
Meurtre dans la cathédrale
est une pièce de théâtre en vers et en prose de T. S. Eliot, consacrée
au meurtre de l'archevêque de Cantorbéry Thomas Becket en 1170.
Créée le 15 juin 1935 dans le chapitre de la cathédrale de Cantorbéry, elle fait ressortir les impératifs contradictoires du spirituel et du temporel
grâce à sa construction très symétrique (première partie, interlude,
seconde partie ; correspondance entre quatre tentateurs spirituels et
quatre chevaliers temporels), ainsi que par l'intervention d'un chœur,
comme dans la tragédie grecque.
Un livre "Meurtre dans la cathédrale" de Thomas Stearns Eliot, retrace l'assassinat de Thomas Becket.
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